La lettre juridique n°424 du 20 janvier 2011 : Éditorial

Piraterie : quand la globalisation lève l'ambiguïté et achève le mythe

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


Les mythes ont la vie dure. Voyez celui de la piraterie qui, de manière romantique et sur la base d'une littérature romanesque pléthorique, ressuscite à chaque enfance ; ce mythe, qui conduit mon fils aîné de cinq ans à systématiquement préférer les flibustiers ciliciens à la flotte romaine, même si dans l'Histoire, c'est Pompée qui triompha. Inconsciemment c'est que l'enfant décèle, à travers ces bandits des hautes mers, un espace de liberté, une zone de non- droit, l'archétype de la loi du plus fort teintée, toutefois, d'une certaine morale, puisque le destin funèbre de ces héros fait partie intégrante du mythe qui les entoure. Laissons, dès lors, les enfants loin de la littérature juridique propre à briser leurs fantasmes marins ; elle casserait leur capacité d'évasion et de rébellion. Il sera grand temps, plus tard, de leur expliquer pourquoi les "grands" ont, par un beau matin du 5 janvier 2011, du moins en France, décidé d'achever le mythe, en adoptant une loi relative à la lutte contre la piraterie et à l'exercice des pouvoirs de police de l'Etat en mer, chargée, notamment, d'adapter la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, signée le 10 décembre 1982, dite de "Montego Bay". Allez donc leur expliquer que dans un monde marchand global, les Etats ne peuvent pas admettre que leur autorité ne couvre pas les mers et que leur commerce puisse être aujourd'hui, comme hier, mis en péril par quelques trublions sans foi, ni loi.

90 % du commerce mondial s'achemine par voie maritime ; la majorité des affréteurs sont des sociétés ou des Etats occidentaux ; la durée des affrètements oblige les navires à transporter, outre leurs cargaisons, des dollars sonnants et trébuchants pour la paye des marins, le paiement des octrois et autres droits portuaires... Il n'en faut pas plus pour susciter l'envie de ces populations pauvres de la mer de Chine méridionale, du long des côtes de l'Amérique du Sud, du golfe d'Aden, de la mer Rouge, des côtes de la Somalie, du golfe de Guinée et, toujours et encore, de la mer des Caraïbes... pour s'adonner à la flibusterie de bas étage. Selon le Bureau maritime international, plus de 4 000 actes de piraterie ont été enregistrés durant les vingt dernières années ; et si l'on comptait 209 attaques et tentatives durant la période 1994-1999, ce n'est pas moins de 2 463 actes de piraterie qui ont été dénombrés entre 2000 et fin 2006 : l'augmentation est suffisamment exponentielle pour que les instances internationales réagissent fermement et décident, une fois pour toutes, de démythifier la piraterie, levant, enfin, l'ambiguïté historique dont elle pouvait bénéficier jusqu'alors.

La piraterie constitue, en effet, l'un des actes les plus problématiques sur le plan juridique. Il s'agit d'une notion complexe dont il est difficile de donner une définition précise et son caractère interétatique, entraînant une pluralité de compétences, n'a jamais aidé à l'appréhension des malfaiteurs au pied marin. Aujourd'hui, la loi comble un vide juridique et définit la piraterie dans le droit français, permettant aux tribunaux nationaux d'en juger (avec une compétence quasi-universelle), et habilite les forces armées pour intervenir avant ou pendant les faits (notamment pour appréhender les commanditaires). Elle définit, ensuite, les conditions dans lesquelles les pirates présumés pourront être consignés (durée reconductible de rétention, examen de santé, etc.) et porte la peine de vingt à trente ans de réclusion criminelle en cas de détournement de navire commis en bande organisée.

On entend par piraterie tout acte illicite de violence ou de détention ou toute déprédation commis par l'équipage ou des passagers d'un navire ou d'un aéronef privé, agissant à des fins privées, et dirigé contre un autre navire ou aéronef, ou contre des personnes ou des biens à leur bord, en haute mer ; contre un navire ou aéronef, des personnes ou des biens, dans un lieu ne relevant de la juridiction d'aucun Etat. La définition internationale de la piraterie issue de l'article 101 de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, condamne, également, les commanditaires de ces actes illicites, mettant fin au clivage pirates/corsaires, dont les lettres de marque permettaient aux derniers d'accomplir les mêmes exactions ou presque, sous le sceau, et donc le blanc seing, des Etats commanditaires. Terminé le syndrome "Henry Morgan" qui, en temps de guerre, offrait ses services et une partie des fruits de ses rapines à l'Angleterre, pour battre pavillon noir en temps de paix et arpenter les mers des caraïbes, le Code de la piraterie à la main, comme pour en légaliser les exactions. Cruel pilleur, adepte de la torture, emprisonné en 1672 par le Gouvernement anglais, fait chevalier par Charles II en 1674, le flibustier de Port Royal est l'exemple topique de la complexité de l'appréhension de la piraterie dans le concert international, enjeu de toutes les stratégies pour déstabiliser l'ennemi, hier l'Espagne, aujourd'hui les Etats souverains et les gouvernements en place.

En effet, la désincarnation de la piraterie -adieu les Barbe noire, les Barberousse, les Francis Drake et autre Rackham le rouge- a grandement participé à sa démythification. Désormais, ce sont les gangs internationaux, avatars des mafias et triades, qui gèrent le "business" de la rapine en haute mer, au mépris de l'autorité territoriale des Etats et des intérêts commerciaux en présence, marquant, ainsi, l'ère de la piraterie moderne globalisée. Par conséquent, la réponse des Etats ne pouvait être que mondiale et unanime ; et il n'est donc pas surprenant que la piraterie relève de la juridiction universelle, chaque Etat s'arrogeant le droit d'en découdre avec le crime maritime organisé. La loi reconnaît aux juridictions françaises "une compétence quasi universelle pour juger des actes de piraterie commis hors de France, quelle que soit la nationalité du navire ou des victimes", lorsque les pirates sont appréhendés par des agents français. Jadis, les Etats souverains considéraient comme hosti humanis generis (crimes contre l'humanité) la piraterie ; l'expression est lourde de sens, à la lumière des crimes du XXème siècle, mais elle exprime le sentiment exacerbé des Etats souverains vis-à-vis de la piraterie, depuis le Ier siècle avant J.-C..

Désormais, la Résolution du Conseil de sécurité des Nations unies n° 1918, adoptée à l'unanimité en avril 2010, demandant à tous les Etats d'"ériger la piraterie en infraction pénale dans leur droit interne, [d'] envisager favorablement de poursuivre les personnes soupçonnées de piraterie qui ont été appréhendées au large des côtes somaliennes et de [les] incarcérer", est une réalité juridique, en France.

Reste que la loi établit un régime sui generis adapté pour la consignation à bord des personnes appréhendées dans le cadre des actions de l'Etat en mer, au-delà des seuls actes de piraterie, prévoyant la possibilité d'une privation de liberté des membres de l'équipage lors du déroutement d'un navire intercepté, expressément prévue, précisément définie et encadrée par un régime offrant une protection adéquate contre les atteintes arbitraires au droit à la liberté, afin que la France se conforme aux griefs retenus par la Cour européenne des droits de l'Homme, dans l'arrêt "Medvedyev" du 10 juillet 2008 -le syndrome de la garde à vue à la française anti-conventionnelle et anti-constitutionnelle est dans tous les esprits-. Dans De officiis, Cicéron avait beau déclarer les pirates communis hostis omnium, "ennemis communs à tous", échappant aux catégories habituelles du droit et envers lesquels les Etats n'étaient tenus au respect d'aucun devoir, les normes internationales obligent, tout de même, l'Etat de droit et tirent un trait sur la guerre de course ou la loi du talion maritime, pour encadrer, au plus juste, et dans le respect des droits et libertés fondamentaux, l'appréhension de ces pirates des temps modernes qui n'ont, décidément, plus rien de romantique.

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