La lettre juridique n°384 du 25 février 2010 : Conventions et accords collectifs

[Jurisprudence] Cession d'entreprise et détermination des accords applicables aux salariés : la Cour de cassation fait la leçon

Réf. : Cass. soc., 10 février 2010, n° 08-44.454, Société Mecasem, FS-P+B+R (N° Lexbase : A7753ERL)

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 07 Octobre 2010

Les restructurations d'entreprise peuvent prendre de nombreuses formes et le Code du travail s'efforce, tout en accompagnant ces mutations nécessaires, de préserver les droits des salariés. Dans un arrêt en date du 10 février 2010, la Chambre sociale de la Cour de cassation précise les solutions qui doivent prévaloir pour la détermination de la convention collective applicable au salarié dont le contrat est, avec son entreprise, cédé, et confirme, à juste titre (I), que le salarié doit bénéficier cumulativement des dispositions de l'accord mis en cause, tant qu'un accord de substitution n'a pas été conclu dans les quinze mois suivant la cession, mais aussi des dispositions conventionnelles applicables dans sa nouvelle entreprise, à condition que ces dernières lui soient plus favorables (II).


Résumé

En cas de transfert du contrat de travail par application des dispositions de l'article L. 1224-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0840H9Y), la convention collective dont relève le cessionnaire s'applique immédiatement au salarié, les dispositions plus favorables de l'accord mis en cause continuant cependant à lui bénéficier dans les conditions prévues par l'article L. 2261-14 (N° Lexbase : L2442H9C).

I - Cession d'entreprise et détermination des accords applicables aux salariés cédés

  • Principes gouvernant la mise en cause des accords

La cession de l'entreprise emporte transfert des contrats de travail, par application de l'article L. 1224-1 du Code du travail, mais non celle des accords collectifs qui s'appliquent en son sein et qui se trouvent mis en cause à la date du transfert dès lors que la nouvelle entreprise n'entre pas dans son champ d'application (1).

L'article L. 2261-14 du Code du travail prévoit les modalités de la survie de l'accord, qui "continue de produire effet jusqu'à l'entrée en vigueur de la convention ou de l'accord qui lui est substitué ou, à défaut, pendant une durée d'un an à compter de l'expiration du délai de préavis prévu à l'article L. 2261-9 (N° Lexbase : L2434H9Z), sauf clause prévoyant une durée supérieure".

Le texte précise qu'à l'issue de ce délai total de quinze mois (trois mois de préavis et un an de survie (2)), et lorsque "la convention ou l'accord mis en cause n'a pas été remplacé par une nouvelle convention ou un nouvel accord", "les salariés des entreprises concernées conservent les avantages individuels qu'ils ont acquis, en application de la convention ou de l'accord, à l'expiration de ces délais".

Ce même texte prévoit, enfin, qu'"une nouvelle négociation doit s'engager dans l'entreprise concernée, à la demande d'une des parties intéressées, dans les trois mois suivant la mise en cause, soit pour l'adaptation aux dispositions conventionnelles nouvellement applicables, soit pour l'élaboration de nouvelles stipulations".

  • Règlement des concours d'application de conventions collectives

Si le texte s'intéresse au sort de l'accord mis en cause, il ne dit, en revanche, rien d'un éventuel concours avec l'accord applicable dans l'entreprise cessionnaire.

La question n'avait donné lieu qu'à peu de décisions.

Dans un arrêt publié en 1992, la Chambre sociale de la Cour de cassation avait considéré comme injustifié le licenciement d'une salariée qui refusait de se soumettre aux dispositions de la convention applicable dans la nouvelle entreprise et avait réclamé l'application de l'accord mis en cause dans le délai de quinze mois de la cession (3).

La solution fut confirmée en 1999, notamment (4), et la Haute juridiction précisa à cette occasion que les salariés pouvaient invoquer le bénéfice de la convention collective applicable dans la nouvelle entreprise si ses dispositions étaient plus favorables que celles maintenues en vigueur pendant le délai de quinze mois (5).

Un arrêt inédit rendu en 2007 avait, toutefois, jeté le trouble puisque la Chambre sociale de la Cour de cassation y affirmait "qu'à défaut de convention ou d'accord de substitution, le nouvel employeur ne peut imposer aux salariés repris l'application immédiate du statut collectif en vigueur dans l'entreprise, lorsque ce statut est différent de celui dont ils relevaient avant le transfert des contrats de travail" (6), sans plus faire référence au principe de faveur (7).

II - La consécration d'une situation de concours réglée par l'application du principe de faveur

  • Confirmation du concours des accords et du recours au principe de faveur

C'est cette solution qui se trouve clairement confortée dans cet arrêt en date du 10 février 2010.

Dans cette affaire, un salarié avait été engagé en 1987 en qualité de technicien, la convention collective applicable étant celle de la métallurgie. Le contrat de travail du salarié avait été transféré en 2002 en application de l'article L 1224-1, à la suite du regroupement de l'activité métrologie au sein d'une nouvelle société, la relation de travail se trouvant alors régie par la Convention "Syntec". L'activité métrologie avait été de nouveau cédée en 2004 à une entreprise relevant, cette fois-ci, de la Convention collective de la métallurgie, dont le salarié réclamait l'application immédiate des dispositions plus favorables.

La cour d'appel de Versailles l'avait débouté après avoir considéré que la convention collective normalement applicable dans l'entreprise où le contrat de travail du salarié avait été transféré ne pouvait recevoir application qu'une fois expiré le délai de quinze mois de survie de l'accord mis en cause par le transfert.

Cet arrêt est cassé. Pour la Chambre sociale de la Cour de cassation, en effet, "en cas de transfert du contrat de travail par application des dispositions de l'article L. 1224-1 du Code du travail, la convention collective dont relève le cessionnaire s'applique immédiatement au salarié, les dispositions plus favorables de l'accord mis en cause continuant cependant à lui bénéficier dans les conditions prévues par l'article L. 2261-14 du Code du travail".

  • Une solution parfaitement justifiée

Cette solution, qui renoue avec l'arrêt rendu en 1999, est parfaitement justifiée en ce qu'elle combine le régime de la mise en cause qui, rappelons-le, ne concerne que l'accord applicable dans l'entreprise cédée avant la cession, et celles de l'article L. 2254-1, aux termes duquel, "lorsqu'un employeur est lié par les clauses d'une convention ou d'un accord, ces clauses s'appliquent aux contrats de travail conclus avec lui, sauf stipulations plus favorables".

Certes, on pourrait penser que, pour "imposer" la négociation d'un accord d'adaptation ou de substitution, il conviendrait de geler l'application de l'accord normalement applicable dans la nouvelle entreprise pendant quinze mois. Mais, outre que ce report d'application ne serait pas nécessairement favorable aux salariés, il ne repose sur aucun argument de texte sérieux.

Faut-il le rappeler, mais le message ne semblait pas avoir été bien compris par les magistrats versaillais, les dispositions de l'article L. 2261-4 ne concernent que le sort de l'accord mis en cause par le transfert, pour prévoir la survie le temps que les partenaires sociaux négocient et concluent un accord d'adaptation, destiné à limiter les effets du changement de statut (8), et non l'application aux salariés issus de la cession de l'accord, par ailleurs, applicable aux salariés de l'entreprise cessionnaire qui relève donc des dispositions du droit commun.

Dès lors, soit un accord d'adaptation a été conclu dans les quinze mois et ce dernier entrera alors en conflit avec l'accord applicable dans la nouvelle entreprise, ce conflit devant se régler par l'application des règles ordinaires, soit aucun accord n'aura été conclu et un conflit pourra surgir entre les avantages individuels acquis par les salariés, sur la base de l'accord mis en cause et non remplacé, et les dispositions de la convention collective normalement applicable dans la nouvelle entreprise des salariés.


(1) La règle s'applique donc aux accords d'entreprise, aux accords de branche non étendu, lorsque le nouvel employeur, quoique relevant du même secteur d'activité, n'adhère pas à une organisation patronale signataire de l'accord en cause, aux accords de branche étendus lorsque le nouvel employeur relève d'un autre secteur d'activité ou aux accords interprofessionnels lorsque le nouvel employeur appartient à une branche dans laquelle les organisations patronales signataires ne sont pas représentatives.
(2) Cass. soc., 22 juin 1993, n° 91-41.983, M. Hauray c/ Société Jet Fret (N° Lexbase : A6680ABZ) : "la mise en cause d'une convention ou d'un accord collectif prévue par l'article L. 132-8, alinéa 7, du Code du travail (N° Lexbase : L5688ACNest soumise, par ce texte, au régime des alinéas 3 et 6 du même article ; [...] il en résulte qu'elle est assimilée à une dénonciation, laquelle nécessite un préavis d'une durée de 3 mois, sauf clause conventionnelle contraire".
(3) Cass. soc., 14 mai 1992, n° 88-45.316, Mme Volet (N° Lexbase : A9354AAP).
(4) Sur le principe de l'application immédiate du statut collectif applicable dans l'entreprise cessionnaire : Cass. soc., 17 mai 2005, n° 03-13.582, Syndicat des pilotes d'Air France-Spaf, venant aux droits du Syndicat des pilotes d'Air Inter-Spit c/ Société Air France, FS-P+B (N° Lexbase : A3662DIH), Bull. civ. V, n° 164 : "attendu, ensuite, qu'à compter de la fusion-absorption intervenue entre les sociétés Air France et Air Inter Europe, les salariés de l'entreprise absorbée sont soumis de plein droit au statut du personnel de l'entreprise absorbante, élaboré par le conseil d'administration, sous contrôle des autorités de tutelle et dérogatoire au droit commun, qui leur est immédiatement applicable".
(5) Cass. soc., 16 mars 1999, n° 96-45.353, Société Sivec c/ Mme Passicousset (N° Lexbase : A6407AGE).
(6) Cass. soc., 13 novembre 2007, n° 06-42.090, Société Casa services machines, F-D (N° Lexbase : A6026DZ9).
(7) La solution pouvait se justifier soit par le refus de faire application de l'accord normalement applicable dans la nouvelle entreprise pendant 15 mois, et ce pour laisser le temps aux partenaires sociaux de conclure un accord de substitution, soit par le fait que seul le salarié est en droit de revendiquer l'application du principe de faveur, et non l'employeur, compte tenu de son caractère d'ordre public de protection.
(8) Rappelons que cet accord d'adaptation peut valablement, pour tenir des particularités de la situation des salariés qui avaient bénéficié des dispositions de l'accord mis en cause, leur réserver le bénéfice de compensations financières qui ne bénéficieront donc pas à tous les salariés de l'entreprise (Cass. soc., 4 décembre 2007, n° 06-44.041, FS-P+B N° Lexbase : A0465D3M et nos obs., Justification des inégalités salariales et cession de l'entreprise, Lexbase Hebdo n° 285 du 13 décembre 2007 - édition sociale N° Lexbase : N3933BDZ).


Décision

Cass. soc.,10 février 2010, n° 08-44.454, Société Mecasem, FS-P+B+R (N° Lexbase : A7753ERL)

Cassation CA Versailles, 5 juin 2008, n° 07/00572, Bruno Legros c/ Société Mecasem (N° Lexbase : A4688ER3)

Textes visés : C. trav., art. L. 1224-1 (N° Lexbase : L0840H9Y)

Mots clef : cession d'entreprise ; convention collective ; mise en cause ; concours

Lien base : (N° Lexbase : E0772ETR)

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