La lettre juridique n°384 du 25 février 2010 : Professions libérales

[Questions à...] Professions libérales : l'avenir est devant vous - Questions à Maître Brigitte Longuet, avocate associée du cabinet LRS, membre de la CNCPL

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par Anne Lebescond, Journaliste juridique

le 07 Octobre 2010

Le 10 septembre 2009, Hervé Novelli -Secrétaire d'Etat chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises (PME), du tourisme, des services et de la consommation- confiait à Brigitte Longuet -avocate associée du cabinet LRS, membre de la Commission nationale de concertation pour les professions libérales (CNCPL) et ancien membre du Conseil national des barreaux et du conseil de l'Ordre des avocats de Paris-, la mission de lui proposer des mesures susceptibles de renforcer les professions libérales, de les développer, "en un mot : de [leur] redonner la place qu'[elles] mérite[nt] dans la définition des politiques publiques" (Lire Quelle réforme pour les professions libérales ? Questions à Maître Brigitte Longuet, avocate associée du cabinet LRS, membre de la CNCPL, Lexbase Hebdo n° 4 du 21 octobre 2010 - édition professions (N° Lexbase : N1662BMI). L'initiative était opportune eu égard, notamment, à la légitimité économique et sociale de ces professionnels : 640 000 entreprises libérales, 1,7 million d'emplois, plus de 190 milliards d'euros de chiffre d'affaires et 65 000 entreprises créées en 2007... Il était grand temps "de donner plus de cohérence à ce paysage très morcelé", ainsi que l'indique l'initiateur de cette réflexion.

4 mois et 70 auditions (de plus de 150 acteurs concernés) plus tard (soit le 21 janvier 2010), Brigitte Longuet a remis au Secrétaire d'Etat son rapport intitulé 33 propositions pour une nouvelle dynamique de l'activité libérale.

33 propositions donc, qui ont le "soutien total" d'Hervé Novelli. Il s'est engagé à les porter dans les semaines à venir, précision faite que le travail, eu égard à sa transversalité, sera mené en interministériel. Trente-trois propositions qui constituent, en grande partie, le programme de Brigitte Longuet, candidate à l'élection au Bâtonnat de Paris, qui se déroulera en décembre prochain. Celle-ci nous a fait l'honneur d'une rencontre, pour nous présenter, plus en détail, son rapport, fruit de quatre mois de travail intensif et de plus de six années de réflexion passées au sein de la CNCPL.

Lexbase : De quels constats êtes-vous partie et dans quel état d'esprit avez-vous mené vos travaux ?

Brigitte Longuet : La mission qui m'a été confiée pouvait être envisagée sous deux angles positif ou négatif.

On aurait pu considérer qu'il s'agissait de sauver in extremis les professions libérales traditionnelles de la crise, dans laquelle elles sont plongées depuis plusieurs années, due à la concurrence impitoyable au niveau national, européen et international.

Cette crise trouve, d'abord, sa source dans la diversification des activités survenue au gré de l'évolution des besoins essentiels du public, et la multiplication corrélative des professions libérales non réglementées (au nombre de cent cinquante pour vingt-sept professions libérales réglementées). Les besoins de la population ont considérablement évolué (notamment, sur le plan de la médecine, de la psychologie, du droit, etc.) et ont entrainé l'apparition de nouveaux professionnels, de plus en plus nombreux et dont les activités ne peuvent plus se définir dans le cadre d'une ancienne profession. Les frontières des activités sont devenues de plus en plus floues, certains professionnels travaillant, désormais, dans un domaine traditionnellement dévolu à d'autres professions (cas, par exemple, des experts comptables et des avocats). La crise financière a, ensuite, heurté de plein fouet ce corps social. Enfin, la transposition d'ici décembre 2010 de la Directive "Services" (Directive 2006/123 du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur N° Lexbase : L9889HT4), visant à créer un marché intérieur des services (en facilitant la liberté d'établissement et l'exercice des prestataires de services dans d'autres Etats membres), achèvera d'intensifier ce fort contexte concurrentiel, si rien n'est fait d'ici là sur le plan interne pour l'éviter.

Ces constats alarmants ne résistent pas à l'examen ; les considérer comme tels serait mal comprendre les avantages que nous offre l'Europe, aujourd'hui, si nous sommes prêts à saisir cette opportunité, tout en sachant conserver au secteur libéral sa particularité. Nous sommes à un moment charnière où tout reste possible. (Ré)agissons efficacement.

Pour ma part, j'ai choisi d'être optimiste et de me concentrer sur l'exemplarité des professionnels libéraux et leur extraordinaire potentiel d'innovation et de développement. Les professions libérales sont fortes de leurs savoirs, de leurs compétences et de leur expertise. A égale, mesure, elles sont fortes des valeurs d'intérêt général, d'une mission sociale, sur lesquelles sont assises leurs activités. Ces professionnels (qu'ils exercent une activité réglementée ou non) contribuent à l'utilité collective et introduisent la notion de délégation de service public au sein de la relation professionnelle, ce que soulignait déjà en 1947, le Professeur Jean Savatier.

La qualité du service qu'elles fournissent et la nature sociale de leur mission sont la valeur ajoutée des professions libérales ; le vecteur indiscutable qui permettra à l'Europe et à la France de conserver leur rang. A l'aube de l'ouverture du marché communautaire des services, le maintien de ces garanties doit être assuré. Cette exigence passera nécessairement par l'assurance d'un exercice indépendant et auto-régulé. Une réforme transversale doit, donc, être engagée à cette fin, en vue de regrouper les acteurs. Aujourd'hui, les libéraux n'ont pas l'habitude de mettre en valeur leurs synergies communes et sont souvent ressentis comme appartenant à un corps morcelé. Or, l'indépendance du secteur libéral suppose l'unification.

Lexbase : Pour quelles raisons avez-vous préféré définir l'activité libérale, plutôt que les professions libérales ?

Brigitte Longuet : L'un des objectifs qui m'a été assigné par le secrétaire d'Etat était de définir le secteur libéral et ses particularités face au commerce et à l'artisanat.

Il était essentiel de comprendre ce secteur en intégrant la notion de marché qui recouvre anciennes et nouvelles activités.

J'ai, ainsi, préféré définir la notion d'activité libérale, pour sa transversalité. Hervé Novelli l'a compris. Il a dit être convaincu par la démarche : "les professions s'adaptent sans cesse aux évolutions de la société si bien qu'une définition ne saurait alors qu'être temporelle, instantanée, et donc condamnée à l'obsolescence". Recourir à cette notion d'activité permet de contourner cet obstacle et, également, de soumettre à la même réglementation (avec, bien entendu, des aménagements), les professions réglementées et les professions non réglementées.

Si les activités libérales diffèrent, parfois, considérablement, elles sont toutes exercées dans le cadre de valeurs communes, que sont :

- une compétence reconnue ;

- le respect d'une éthique ;

- la priorité des intérêts du client ;

- l'indépendance d'exercice ;

- la liberté du choix du client ;

- la responsabilité civile professionnelle ;

- un exercice de proximité et une disponibilité ; et

- le caractère civil des activités principales (les activités commerciales accessoires étant permises).

Ces valeurs doivent constituer le socle de la définition de l'activité libérale. J'ai, donc, proposé que soit inséré dans le Code civil un nouvel article 1831-6, aux termes duquel, "est qualifiée d'activité libérale, toute activité professionnelle de nature civile exercée à titre habituel dont l'objet est d'assurer, au bénéfice d'une clientèle, des prestations principalement intellectuelles mises en oeuvre au moyen de qualifications professionnelles appropriées. L'activité libérale doit obligatoirement être exercée de manière indépendante dans l'exercice de l'art ou de la science et sous sa propre responsabilité par un professionnel soumis à des obligations éthiques".

Cette définition se retrouvera dans les 27 pays européens, car elle reprend les critères du considérant 43 de la Directive "Qualification" (Directive 2005/36 du 7 septembre 2005, relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles N° Lexbase : L6201HCN).

Inévitablement, l'adoption de cette définition entraînera à la marge une requalification de certains professionnels et imposera que soit revu dans l'avenir leur régime d'affiliation aux caisses de retraite, sans porter atteinte, bien entendu, aux droits acquis.

Lexbase : Outre cette définition, quelles sont les propositions phares de votre rapport ?

Brigitte Longuet : Il est ressorti des nombreuses auditions -ce que je pressentais déjà- que deux séries de mesures devaient nécessairement et rapidement être prises pour préparer l'avenir du secteur libéral : mieux affirmer son existence et son utilité, d'une part, et simplifier et faciliter l'exercice libéral pour accroître la compétitivité des entreprises, d'autre part.

Elaborer une définition adéquate de la profession libérale via son activité et structurer son organisation et sa représentation relevaient du premier impératif. Sur le sujet de la gouvernance, je propose de clarifier le rôle des Ordres et de les moderniser. Mais, je propose, surtout, de renforcer la place et les prérogatives de la CNCPL, qui a toute légitimité en termes de représentation à l'échelon national. Je recommande qu'elle dépasse son statut de simple institution de concertation, pour prendre en charge, notamment, l'élaboration d'un socle déontologique commun à tous.

Le second impératif consiste à moderniser les entreprises libérales et accroître leur compétitivité. L'interprofessionnalité me semble être un excellent moyen d'y parvenir.

Une interprofessionnalité de moyens tout d'abord, en multipliant les plateformes de services.

Les activités des professionnels libéraux sont, aujourd'hui, complémentaires et ne peuvent se passer les unes des autres. Nous devons travailler main dans la main, plutôt que rester cloisonnés dans l'exercice de nos activités respectives. Pour prendre l'exemple des avocats, ils doivent passer d'une logique d'absorption des autres professions à une logique de management, d'ouverture horizontale à ceux susceptibles de leur apporter des services complémentaires et de nouveaux débouchés. Il existe déjà des "familles" de professions qui travaillent ensemble : je pense, notamment, aux experts comptables, qui recourent aux services des cabinets d'audits et de spécialistes en restructuration d'entreprises et en procédures collectives.

Une interprofessionnalité ponctuelle, ensuite, dans le cadre d'opérations particulières nécessitant l'intervention de plusieurs professionnels libéraux. Je recommande d'instituer des groupements momentanés d'entreprises libérales (GMEL), réponse pragmatique aux besoins du public, et, en particulier, à ceux des PME (qui représentent un champ considérable de développement pour les professions libérales). Les avantages sont certains : un cadre juridique clair et adapté à chaque cas, qui permet aux professionnels libéraux de travailler ensemble sur une même opération et de présenter un interlocuteur unique au client.

Une interprofessionnalité capitalistique, enfin. Concernant les sociétés de participations, là encore, il faut raisonner par "familles d'activités" et, non, de professions. Les regroupements doivent être permis, mais des garde-fous doivent être posés (limitation du nombre de participations dans plusieurs structures, etc.).

En vue de développer les financements des entreprises libérales, je préconise, également, que le capital des sociétés d'exercice libéral (SEL) soit ouvert aux tiers, dans une limite de 49 %, ce qui permet la conservation de la majorité du capital et des droits de vote par les professionnels et, par là, le contrôle de la structure d'exercice. Ce dispositif pourrait être accompagné de mesures spécifiques, notamment concernant les comptes-courants.

Sur les structures d'exercice, je propose de laisser les professionnels recourir aux formes sociales de droit commun (étant précisé qu'elles seraient, néanmoins, adaptées à l'activité en cause). Dans ce cadre et pour ne pas pénaliser les professionnels libéraux, il conviendrait de prévoir la neutralité fiscale en cas de changement de structures.

Concernant, plus particulièrement les avocats, je souhaite que leur soit étendu le régime de l'auto-entrepreneur, certains d'entre eux connaissant une situation économique difficile rendant légitime une telle mesure. Hervé Novelli a indiqué vouloir examiner ce point avec la Chancellerie.

Je suis, également, d'avis que le collaborateur libéral doit être mieux protégé. Je soumets, donc, l'idée de mettre en place un temps de développement personnel en cours de contrat, de développer un système assurantiel en cas de rupture et d'allonger le délai de prévenance, à partir de cinq années de collaboration libérale, Enfin, mon rapport comprend un certain nombre de propositions en matière fiscale, visant à une harmonisation entre BNC et BIC.

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