La lettre juridique n°415 du 4 novembre 2010 : Avocats/Responsabilité

[Chronique] La Chronique de responsabilité de l'avocat de David Bakouche, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Sud (Paris XI) - Novembre 2010

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[Chronique] La Chronique de responsabilité de l'avocat de David Bakouche, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Sud (Paris XI) - Novembre 2010. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3211288-cite-dans-la-rubrique-b-avocatsresponsabilite-b-titre-nbsp-i-la-chronique-de-responsabilite-de-lavoc
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le 04 Janvier 2011

Lexbase Hebdo - édition professions vous propose, cette semaine, la Chronique de responsabilité de l'avocat de David Bakouche, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Sud (Paris XI). Au sommaire de cette nouvelle chronique sera présenté un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 16 septembre 2010, duquel il ressort que l'avocat n'est pas responsable en raison du non-renouvellement d'une inscription hypothécaire prise au nom d'une société inexistante parce que dépourvue, après fusion, de la personnalité juridique. A l'honneur également de cette chronique, un arrêt en date du 14 octobre 2010 qui énonce que la mission d'assistance lors des négociations relatives à la cession des actions d'une société implique l'obtention et l'examen par l'avocat de l'ensemble des documents sociaux utiles.
  • L'absence de responsabilité de l'avocat du chef du non-renouvellement d'une inscription hypothécaire prise au nom d'une société inexistante parce que dépourvue, après fusion, de la personnalité juridique (Cass. civ. 1, 16 septembre 2010, n° 09-65.909, FS-P+B N° Lexbase : A5866E97)

La mise en oeuvre de la responsabilité civile de l'avocat suppose, bien entendu, qu'une faute puisse lui être imputée. Elle peut, d'abord, consister dans un manquement de celui-ci à son obligation d'information et de conseil (1), étant entendu que le devoir de conseil est plus étendu que la simple obligation d'information et implique aussi que l'avocat soit tenu de donner des avis qui reposent sur des éléments de droit et de fait vérifiés, en assortissant ses conseils de réserves s'il estime ne pas être en possession d'éléments suffisants d'appréciation une fois effectuées les recherches nécessaires (2). Il lui incombe encore, à ce titre, d'informer son client de l'existence de voies de recours, des modalités de leur exercice et de lui faire connaître son avis motivé sur l'opportunité de former une voie de recours. Ce à quoi il faut ajouter, ensuite, que la faute de l'avocat peut, plus généralement, consister dans un manquement à l'une quelconque des obligations découlant du mandat qui le lie à son client (3) : chargé de représenter son client en justice, il agit, en effet, au nom de ce dernier en vertu, en principe, d'un mandat ad litem, c'est-à-dire d'un mandat général, en ce sens qu'il oblige l'avocat, dans le cadre de l'activité judiciaire, à accomplir tous les actes et formalités nécessaires à la régularité de forme et de fond de la procédure, étant entendu que la détermination de la responsabilité de l'avocat suppose d'apprécier l'étendue du mandat qui lui a été confié (4). Mais à supposer même qu'un manquement soit caractérisé, il n'est pas nécessairement constitutif d'une faute susceptible d'engager la responsabilité de l'avocat. Un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation rendu le 16 septembre 2010, à paraître au Bulletin, en constitue d'ailleurs un exemple.

En l'espèce, après avoir, selon traité de fusion-absorption à effet du 19 décembre 1991, absorbé la société Promo Cauvin, radiée du registre du commerce le 26 décembre 1991, la société Cauvin Construction avait fait inscrire, le 3 février 1992, au nom de la société absorbée, une hypothèque judiciaire provisoire que celle-ci avait été autorisée, avant la fusion-absorption, à prendre sur le bien immeuble de son débiteur. Chargé, en septembre 1992, de l'action en recouvrement contre ce dernier, l'avocat, qui, par lettre du 30 octobre 1998, avait été interrogé sur l'existence de l'hypothèque judiciaire provisoire et, à défaut, invité à solliciter l'autorisation d'en prendre une dans les meilleurs délais, avait omis de faire procéder à une nouvelle inscription, après avoir négligé de faire renouveler l'inscription initiale. C'est dans ce contexte, alors que, après la vente, par le débiteur, de son immeuble dont il avait perçu le reliquat du prix après paiement des créanciers hypothécaires, que la société absorbante a recherché la responsabilité civile professionnelle de l'avocat. La cour d'appel d'Aix-en-Provence, par un arrêt en date du 18 novembre 2008, a condamné celui-ci à payer à la société demanderesse la somme de 50 000 euros en réparation de la perte de chance de n'avoir pu participer à la distribution amiable du produit de la vente de l'immeuble du débiteur. La société s'est alors pourvue en cassation pour faire valoir, d'une part, que la fusion-absorption opère transmission universelle du patrimoine de la société absorbée à la société absorbante, en sorte que l'autorisation donnée à la société absorbée, avant la fusion, d'inscrire une hypothèque provisoire sur un bien de son débiteur, est transmise à la société absorbante avec le patrimoine de l'absorbée, qui comporte la créance à laquelle est attachée l'autorisation d'inscrire et, d'autre part, que le préjudice résultant de la perte d'une hypothèque judiciaire provisoire résulte de l'impossibilité, pour le créancier, d'être payé par préférence sur le prix de vente de l'immeuble, si bien qu'en jugeant que le préjudice résultant, pour la demanderesse, de l'absence d'inscription hypothécaire prise en octobre 1998, consistait seulement en une perte de chance d'avoir pu participer à la distribution amiable du prix de vente et d'obtenir paiement de ses factures à concurrence du solde subsistant, la cour d'appel aurait violé l'article 1147 du Code civil (N° Lexbase : L1248ABT). Cette argumentation n'a cependant pas convaincu la Cour de cassation qui, pour rejeter le pourvoir, décide en effet que "d'abord, ayant exactement retenu que, si un renouvellement peut valablement émaner d'une société absorbante ou cessionnaire à condition de ne pas aggraver la situation du débiteur, il faut encore que l'inscription initiale ait été valablement obtenue par un créancier pourvu de la personnalité morale, la cour d'appel a légalement justifié sa décision d'écarter la responsabilité de l'avocat du chef du non-renouvellement de l'inscription initiale prise au nom d'une société inexistante ; qu'ensuite, ayant considéré qu'une nouvelle inscription valablement prise aurait imposé à M. X de transiger ou de réserver le reliquat du prix, faisant ainsi ressortir l'aléa auquel était soumis le montant qu'aurait pu percevoir la société nouvelle Cauvin construction, la cour d'appel a, à bon droit, retenu que le préjudice subi par celle-ci consistait en une perte de chance d'obtenir au moins partiellement le règlement de sa créance, préjudice qu'elle a souverainement évalué".

On remarquera pour commencer que le litige ne portait pas ici sur la question de savoir si le renouvellement de l'inscription initiale ou si la prise d'une inscription nouvelle rentrait bien dans la mission confiée à l'avocat, et ce contrairement aux faits de l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt de la même première chambre civile de la Cour de cassation du 17 juin 2010 que nous avions, ici même, commenté (5). On se souvient en effet que, dans cette affaire, la responsabilité d'un avocat était recherchée par son client qui lui reprochait de ne pas avoir renouvelé l'inscription hypothécaire garantissant le prêt consenti à un tiers et dont la péremption était intervenue. Mais la Cour de cassation avait approuvé les premiers juges d'avoir écarté la responsabilité de l'avocat et décidé "qu'ayant souverainement apprécié l'étendue du mandat ad litem confié à M. Y. [l'avocat] en novembre 2000, la cour d'appel a constaté que la Sovac [le client] s'était préoccupée de l'existence et de la validité de sa garantie dès le mois d'août précédent et avait consulté un notaire sur ce point, faisant volontairement le choix de ne pas mandater l'avocat à ce sujet, ni pour le charger du renouvellement de l'inscription ni même pour obtenir des conseils". Par où l'on voit que la discussion portait seulement sur l'étendue du mandat de l'avocat. Différente est la situation au cas d'espèce où il n'est pas douteux que mandat avait bien été confié à l'avocat, chargé d'une action en recouvrement, de s'enquérir de l'existence d'une hypothèque judiciaire provisoire et, à défaut, de solliciter l'autorisation d'en prendre une dans les meilleurs délais. La question portait donc en réalité sur le point de savoir, d'une part, si le fait de ne pas avoir procédé au renouvellement de l'inscription initiale pouvait consister une faute alors que celle-ci avait été prise par une société absorbante au nom de la société absorbée après la radiation de celle-ci du registre du commerce, et, d'autre part, en quoi consistait le préjudice causé par l'absence de prise par l'avocat d'une nouvelle inscription hypothécaire.

On laissera ici de côté le second point tenant à la détermination du préjudice, l'occasion ayant déjà été largement donnée, dans le cadre de cette chronique, d'insister sur la définition et sur l'évaluation du préjudice consistant dans la perte d'une chance (6). Sur le premier point, en revanche, on rappellera que, conformément à l'article L. 236-3 du Code de commerce (N° Lexbase : L6353AI7), "la fusion ou la scission entraîne la dissolution sans liquidation des sociétés qui disparaissent et la transmission universelle de leur patrimoine dans l'état où il se trouve à la date de réalisation définitive de l'opération. Elle entraîne simultanément l'acquisition, par les associés des sociétés qui disparaissent, de la qualité d'associés des sociétés bénéficiaires". Autrement dit, selon ce texte, à la date de réalisation de l'opération se produisent les effets légaux de la fusion ou de la scission, à savoir : la dissolution de la société absorbée ou scindée ; la transmission de son patrimoine à la société bénéficiaire ; etc.. Et l'article L. 236-4 (N° Lexbase : L6354AI8) précise que la fusion prend effet à la date de la dernière assemblée générale ayant approuvé l'opération.

Une fois cette règle de principe acquise, il en résulte logiquement que, la fusion ou la scission entraînant la dissolution de la société, celle-ci n'est plus recevable à accomplir aucun acte de procédure puisqu'elle a perdu toute capacité d'ester en justice. En effet, il résulte d'une jurisprudence constante (7) que la déclaration d'appel faite au nom d'une société définitivement absorbée après la réalisation de l'opération est nulle dans la mesure où la société absorbée n'a plus de personnalité juridique et est ainsi dépourvue du droit d'agir en justice (8). En somme, on voit bien que la date qui doit être prise en considération pour apprécier l'efficacité d'un acte, qu'il s'agisse d'une acte de procédure ou, comme en l'espèce, d'une inscription hypothécaire, n'est pas la date à laquelle l'opération devient opposable aux tiers, mais bien la date d'effet de l'opération elle-même, ce qui se justifie par le fait que l'accomplissement d'une formalité destinée à l'information des tiers ne fait que tirer la conséquence, en termes d'opposabilité, de la disparition juridique de la société, c'est-à-dire de la disparition de sa personnalité juridique. C'est bien d'ailleurs la raison pour laquelle il a été jugé qu'une assignation est valablement délivrée à la société absorbée dès lors qu'elle l'est avant la réalisation de la fusion (9), alors qu'elle est nulle si elle est délivrée par un actionnaire de cette société après la réalisation définitive de la fusion, et ce, a-t-il été jugé, même si la fusion n'a pas encore été publiée au registre du commerce et des sociétés (10). On comprend donc parfaitement, au cas d'espèce, qu'il ne puisse pas être reproché à l'avocat de ne pas avoir procédé au renouvellement de l'inscription initiale prise au nom de la société absorbée après la fusion et sa radiation du registre du commerce : comme le relève justement la Cour de cassation, l'inscription initiale avait en réalité été prise "au nom d'une société inexistante". Or, le renouvellement suppose logiquement que l'inscription initiale ait été valablement obtenue par un créancier pourvu de la personnalité morale, ce qui n'était manifestement pas le cas ici.

  • La mission d'assistance lors des négociations relatives à la cession des actions d'une société implique l'obtention et l'examen par l'avocat de l'ensemble des documents sociaux utiles (Cass. civ. 1, 14 octobre 2010, n° 09-13.840, F-P+B N° Lexbase : A8623GBY)

Il est acquis que l'avocat, tenu de prendre toutes dispositions utiles pour assurer la validité et l'efficacité de l'acte pour lequel son concours est sollicité (11), doit se renseigner sur les éléments de droit et de fait qui commandent les actes qu'il prépare ou les avis qu'il doit fournir, et informer ses clients sur la portée de l'acte et sur la conduite à tenir (12). Encore convient-il ici de redire que l'étendue du devoir d'information et de conseil de l'avocat ne peut s'apprécier qu'au regard de la mission qui lui a été confiée : comme on a, en effet, déjà eu l'occasion de le souligner, la caractérisation d'un éventuel manquement de l'avocat à ses obligations suppose de déterminer l'étendue de la mission qui lui a été confiée. La jurisprudence décide d'ailleurs, classiquement, que la responsabilité de l'avocat ne peut valablement s'apprécier qu'au regard de son mandat (13). La solution, qui vaut bien sûr dans l'hypothèse dans laquelle l'avocat agit en vertu d'un mandat ad litem, a naturellement vocation à s'appliquer non seulement lorsqu'il agit en vertu de mandats ad negotia qui peuvent n'avoir aucun lien avec une procédure judiciaire, mais aussi à toutes les hypothèses dans lesquelles il interviendrait en tant que conseil, et ce en dehors de tout mécanisme de représentation propre au mandat. C'est que, en réalité, ce qui est déterminant dans l'appréciation de la responsabilité de l'avocat ne tient pas tant à la qualification juridique de son intervention (mandat ou autre) qu'à la détermination de la mission qu'il accepte d'assumer, le mandat n'étant d'ailleurs à vrai dire qu'un instrument permettant, précisément, de déterminer le contenu de cette mission. Au demeurant, la jurisprudence décide, sans qu'il soit nécessaire de recourir à la théorie du mandat, que l'exécution par l'avocat de son obligation d'information et de conseil s'apprécie au regard de la mission qui lui a été confiée, jugeant ainsi que "le devoir de conseil et d'information du conseil juridique qui s'exerçait préalablement à la conclusion de l'acte pour assurer son efficacité ne s'étend pas, sauf mission particulière confiée à celui-ci [...] à la réalisation de formalités extrinsèques à l'acte qui ne relevaient que de la seule initiative des parties" (14). Encore faut-il, pour apprécier l'existence d'un éventuel manquement de l'avocat à son obligation d'information et de conseil, délimiter l'étendue de sa mission et se prononcer sur le point de savoir ce qui doit être considéré comme faisant partie de cette mission et, inversement, ce qui doit en être exclu. Naturellement, plus on entend largement le domaine de la mission de l'avocat et plus sa responsabilité est susceptible de se trouver engagée. Un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 14 octobre 2010, à paraître au Bulletin, mérite, sous cet aspect, d'être ici évoqué.

En l'espèce, une société, cessionnaire d'une créance de dommages-intérêts, avait recherché la responsabilité de la société d'avocats qui était intervenue, en qualité de conseiller juridique et fiscal, pour l'établissement, en vue de l'assemblée générale d'approbation des comptes de l'exercice 2000 de la société du cédant, du procès-verbal du conseil d'administration, du rapport de gestion et du procès-verbal de l'assemblée générale ordinaire, ainsi que pour assister les cédants, dirigeants de la société, lors des négociations et de la rédaction des actes relatifs à la cession des actions du groupe au cessionnaire, sur le fondement d'un manquement à son obligation d'information et de conseil pour n'avoir pas fait mention de la distribution de dividendes qui avait été décidée par le conseil d'administration de la société le 28 avril 2000 et n'avoir pas attiré l'attention des actionnaires de cette société qui, de manière incompatible avec cette distribution, ont décidé d'affecter en réserves l'intégralité du résultat de l'exercice 2000, lors de l'approbation des compte. Pour débouter la société cessionnaire de sa demande, les premiers juges ont pourtant retenu que, sans qu'il ne puisse lui être imputé à faute de n'avoir pas exigé de ses clients la remise de l'intégralité des documents sociaux antérieurs, ce qui lui aurait permis d'obtenir le seul document explicite, c'est-à-dire le procès-verbal du conseil d'administration du 28 avril 2000, dès lors qu'une telle vérification n'entrait pas dans sa mission de secrétariat juridique, au vu au surplus d'un rapport sans réserves du commissaire aux comptes, c'est à juste titre que la société d'avocats fait valoir avoir ignoré qu'une opération relativement rare dans une société fermée, tel qu'un acompte sur dividendes, avait été effectuée et qu'il appartenait aux dirigeants de le lui indiquer, ce qu'ils n'avaient pas fait. Leur décision est cependant cassée, sous le visa de l'article 1147 du Code civil : la Haute juridiction décide, en effet, "qu'en se déterminant ainsi, quand le devoir d'efficacité incombant à la société d'avocats dans l'accomplissement de sa mission d'élaboration des documents fiables en vue de l'approbation des comptes et de la gestion de l'exercice et d'assistance lors des négociations relatives à la cession des actions de la société concernée impliquait l'obtention et l'examen de l'ensemble des documents sociaux utiles, notamment le registre spécial des délibérations du conseil d'administration, qui lui auraient permis de connaître la distribution de dividendes et dont il n'était pas prétendu qu'ils lui eussent été sciemment dissimulés, la cour d'appel a violé le texte susvisé".

On n'est pas surpris de constater que le débat portait sur le point de savoir si la mission acceptée par l'avocat impliquait, au titre de l'obligation d'information et de conseil qui en découle, de faire mention de la distribution de dividendes décidée par le conseil d'administration de la société cédante et des conséquences qui en étaient résultées. Et, comme c'est d'ailleurs habituellement le cas, la difficulté consistait à déterminer les limites de la mission, autrement dit à déterminer ce qu'impliquait l'accomplissement diligent de cette mission. Les arrêts paraissent, à cet égard, plus ou moins exigeants.

Ainsi, un arrêt de la cour d'appel de Paris en date du 20 octobre 2009 est plutôt à ranger dans la catégorie des décisions relativement clémentes envers l'avocat (15). En l'espèce, des propriétaires et usufruitiers de vignes, endettés dans une exploitation familiale, avaient chargé un avocat fiscaliste de procéder à une restructuration financière de leur groupe. Ce dernier leur avait conseillé, après avoir poursuivi des démarches auprès de l'administration fiscale afin de s'assurer de la validité du projet, de procéder à une cession temporaire de l'usufruit leur permettant, à terme, de maintenir l'unité d'exploitation du patrimoine familial, de retrouver, ainsi, sans frais l'usufruit cédé, et de disposer d'un capital important. Mais, à la suite de cette opération de restructuration, les exploitants avaient subi, en contrepartie d'un gain effectif, une très importante imposition. Ils avaient alors recherché, devant le tribunal de grande instance, la responsabilité professionnelle du spécialiste, en raison de son manquement à son devoir de conseil et à son obligation de résultat du fait de son erreur d'appréciation dans la préparation de la restructuration ayant entraîné l'imposition litigieuse, alors que, selon eux, une solution plus intéressante financièrement existait. Les magistrats parisiens, pour écarter la responsabilité de l'avocat, ont considéré que sa mission, telle qu'elle ressortait du mandat qui lui avait été confié, ne consistait nullement dans la recherche d'un système évitant toute imposition du remboursement de la dette fiscale. Par où l'on pouvait en déduire que, même lorsque l'opération pour laquelle le concours de l'avocat est demandé est de nature fiscale, son obligation d'information et de conseil ne s'étende pas à toutes les conséquences fiscales de ladite opération : son obligation est circonscrite aux seules conséquences de l'opération, appréciée au regard de la seule mission qui lui a été confiée et aux mobiles poursuivis par son client. Ce serait donc moins le domaine, apprécié abstraitement, de l'intervention de l'avocat qui devrait être pris en considération (intervention dans le domaine civil, commercial, social, fiscal, etc.) que l'objet de la mission, apprécié de façon circonstanciée.

Un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 13 octobre 2009 est, lui, manifestement beaucoup plus sévère (16). Il décide en effet, pour accueillir la demande d'une cliente qui reprochait à son avocat de ne pas l'avoir informée sur l'obligation d'exercer effectivement les fonctions de directeur général de la société dont elle détenait des actions pour maintenir leur statut de biens professionnels exonérés de l'impôt de solidarité sur la fortune, que "l'avocat, conseiller juridique et fiscal, est tenu d'une obligation particulière d'information vis-à-vis de son client, laquelle comporte le devoir de s'informer de l'ensemble des conditions de l'opération pour laquelle son concours est demandé, et qu'il lui incombe de prouver qu'il a exécuté cette obligation". Or, si la solution ne paraît pas, dans sa formulation, fondamentalement révolutionnaire, elle prend tout de même un relief particulier lorsque l'on relève que, dans cette affaire, la cliente avait -seulement oserait-on presque dire- confié à l'avocat le soin de procéder au règlement de la succession de son mari. On a cette fois l'impression que, plus que l'objet à proprement parler de la mission, c'est le domaine habituel de compétence de l'avocat sollicité qui dicte la solution puisque, dans cette affaire, l'avocat mis en cause, à qui était donc confié le règlement de la succession, était celui-la même qui assurait, depuis quelques années déjà, le suivi juridique et social de la société dirigée par le défunt.

La solution de l'arrêt du 14 octobre 2010, si on la compare à celle du 13 octobre 2009, n'est, évidemment, pas surprenante : comme le relève la Cour, "l'accomplissement de sa mission d'élaboration des documents fiables en vue de l'approbation des comptes et de la gestion de l'exercice et d'assistance lors des négociations relatives à la cession des actions de la société concernée impliquait l'obtention et l'examen de l'ensemble des documents sociaux utiles". On peut en effet assez légitimement penser que l'objet même de la mission confiée à l'avocat impliquait "l'obtention et l'examen de l'ensemble des documents sociaux utiles", à commencer par le registre spécial des délibérations du conseil d'administration qui aurait "permis de connaître la distribution de dividendes et dont il n'était pas prétendu qu'ils lui eussent été sciemment dissimulés".

David Bakouche, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Sud (Paris XI)


(1) Cass. civ. 1, 1er octobre 1986, n° 84-13.800 (N° Lexbase : A5384AAN), Bull. civ. I, n° 229.
(2) Cass. civ. 1, 21 mai 1996, n° 94-12.974 (N° Lexbase : A1188CYN).
(3) Cass. civ. 1, 18 janvier 1989, n° 86-16.268 (N° Lexbase : A8645AAG), Bull. civ. I, n° 17.
(4) Cass. civ. 1, 17 juin 2010, n° 09-15.697, F-P+B (N° Lexbase : A1017E33).
(5) Cass. civ. 1, 17 juin 2010, préc..
(6) Voir encore, récemment, CA Paris, Pôle 2, 1ère ch., 19 janvier 2010, n° 09/07842 (N° Lexbase : A7218ES7) et 2 février 2010, n° 09/01916 (N° Lexbase : A8258ESN), et nos obs., L'appréciation de la réalité de la perte d'une chance consécutive au manquement de l'avocat à ses obligations, Lexbase Hebdo n° 31 - édition professions (N° Lexbase : N1896BPW).
(7) Cass. com., 11 février 1986, n° 84-12.337 (N° Lexbase : A3016AAX), Bull. civ. IV, n° 15.
(8) Solution encore confirmée par Cass. com., 22 février 2005, n° 01-11.667, F-D (N° Lexbase : A8530DGZ), Bull. Joly 2005, § 195, p. 868.
(9) CA Paris, 17 décembre 1992.
(10) CA Paris, 29 juin 2004, RJDA 1/2005, n° 36.
(11) Cass. civ. 1, 5 février 1991 (N° Lexbase : A4419AH7), Bull. civ. I, n° 46.
(12) Cass. civ. 1, 27 novembre 2008, F-P+B sur la première branche (N° Lexbase : A4608EBB), Bull. civ. I, n° 267.
(13) Voir encore, en dernier lieu, Cass. civ. 1, 17 juin 2010, n° 09-15.697, préc..
(14) Cass. civ. 1, 23 mars 2004, n° 01-03.903, F-D (N° Lexbase : A6177DBE).
(15) CA Paris, Pôle 2, 1ère ch., 20 octobre 2009, n° 07/15062 (N° Lexbase : A9417EMQ).
(16) Cass. com., 13 octobre 2009, n° 08-10.430, F-D (N° Lexbase : A0823EMG).

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