La lettre juridique n°415 du 4 novembre 2010 : Assurances

[Chronique] Chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur, avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences - Novembre 2010

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[Chronique] Chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur, avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences - Novembre 2010. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3211286-chronique-chronique-en-droit-des-assurances-dirigee-par-b-veronique-nicolas-professeur-b-avec-b-seba
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le 04 Janvier 2011

Lexbase Hebdo - édition privée vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur, en collaboration avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences à la Faculté de droit de Nantes, tous deux membres de l'IRDP (Institut de recherche en droit privé). Au premier plan de cette chronique, on retrouvera un arrêt rendu le 16 septembre 2010 par lequel la Cour de cassation fait preuve d'une certaine souplesse à l'égard de l'assureur à propos du formalisme relatif à l'offre d'indemnisation à la victime d'un accident de la circulation. A également retenu l'attention des auteurs un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation, en date du 14 octobre 2010, portant sur les conséquences de la fausse déclaration du souscripteur à l'assureur. Un arrêt inédit, rendu par la troisième chambre civile le 14 septembre 2010 à propos des conséquences du défaut d'assurance dans le cadre d'un bail commercial, méritait, par ailleurs, de faire l'objet de commentaires. A l'honneur, enfin, un arrêt du 20 octobre 2010 qui apporte de précieux enseignements concernant la nature des dommages garantis et leur qualification en dommages matériels ou immatériels.
  • Lorsque la Cour de cassation est moins formaliste en matière d'offre d'indemnisation par l'assureur à la victime d'un accident de la circulation (Cass. civ. 2, 16 septembre 2010, n° 09.14.210, FS-P+B N° Lexbase : A5771E9M)

Quels que soient les domaines du droit ou presque, la Cour de cassation -faisant ou non oeuvre prétorienne- nous a habitués, depuis ces dernières décennies, à veiller au strict respect du formalisme légal, voire à ajouter encore à celui-ci, comme en droit du travail, notamment. Dans le domaine spécifique de l'indemnisation de la victime d'un accident de la circulation, issue de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 (N° Lexbase : L7887AG9), elle a semblé procéder de la même manière. Qu'elle se soit conformée à la sanction prévue à l'article L. 211-13 du Code des assurances (N° Lexbase : L0274AAE) (1) et n'ait cessé de l'appliquer (2) n'appelait pas de critiques. Qu'elle ait décidé que pouvait être assimilée à une absence d'offre l'offre insuffisante (3), s'avérait déjà être une interprétation prétorienne qui ne figurait pas dans la loi.

Elle avait même considéré que l'offre d'indemnisation à la victime doit être effectuée uniquement auprès de celle-ci et non de son assureur qui, en l'absence de mandat, n'est pas son représentant (4). Et elle n'avait pas hésité à sanctionner l'assureur pour cette erreur d'aiguillage, si nous pouvons nous exprimer de cette manière triviale. C'étaient des analyses rigoureuses qui n'avaient pas manqué de faire l'objet de critiques. Certes les dispositions considérées sont d'ordre public (5) ; néanmoins, notre Haute juridiction faisait preuve de ce que certains n'hésitaient pas à nommer un certain rigorisme ou formalisme excessif. L'examen attentif des nombreux arrêts rendus en ce secteur du droit des assurances invite cependant à davantage de nuances ; et le présent arrêt corrobore ce point de vue.

C'est pour cette photographie de la politique jurisprudentielle sur ce thème que l'arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation en date du 16 septembre 2010 retient l'attention. Les faits, classiques en eux-mêmes quant à leur fréquence, appellent juste une précision eu égard à la qualité des protagonistes en présence. En effet, s'il s'agissait d'un (trop) classique accident de la circulation à l'origine de blessures, la victime était un avocat, et l'auteur du dommage, un véhicule de la société d'assurance elle-même. Pour autant, il convient de se garder de toute conclusion hâtive. La plus grande circonspection s'impose. Et la Cour de cassation n'a assurément pas manqué d'y veiller.

Plus précisément la naissance du litige ne provenait pas de l'absence totale d'offre d'indemnisation par l'assureur à l'assuré. Le professionnel avait respecté l'exigence de l'article L. 211-9 du Code des assurances (N° Lexbase : L6229DIK), selon laquelle, lorsque l'assureur n'a pas été informé de la consolidation de l'état de la victime, il peut se contenter d'une offre provisionnelle c'est-à-dire incomplète, à condition de l'effectuer au cours des trois mois suivants la date de survenance de l'accident. Comme chacun le sait, il dispose alors de cinq mois supplémentaires pour effectuer une offre définitive, après qu'il ait reçu communication de la consolidation de l'état de la victime.

C'est cette seconde offre par l'assureur qui n'avait pas eu lieu et qui donnait lieu à demande d'application de la sanction de l'article L. 211-13 du Code des assurances. Et la cour d'appel de considérer que l'assureur avait failli à ses obligations. La condamnation au paiement des intérêts au double du taux légal apparaissait inévitable. Pourtant, la Cour de cassation décide que "l'assureur avait, à la suite du premier rapport [...], fait dans le délai légal une offre qui n'était pas manifestement insuffisante". Elle ajoute surtout que "le dépôt d'un nouveau rapport d'expertise ne lui imposait pas de présenter une nouvelle offre". Loin de faire preuve d'une sévérité excessive à son encontre, elle s'adapte aux circonstances.

Sur le fond, la solution relève du bon sens et ne peut qu'être approuvée. En effet, si, d'un point de vue pratique, la consolidation de l'état de la victime ne révèle aucune évolution significative par rapport à la première période, multiplier les exigences formelles engendre des coûts supportés, en définitive, par la collectivité des assurés garantis pour le même risque. Là ne se situe toutefois pas l'argument majeur. Le plus important -nous semble-t-il- consiste à noter que la décision ne retire rien à la victime, car celle-ci dispose toujours de la possibilité de refuser l'offre lui ayant été faite comme étant manifestement insuffisante. Enfin, d'un point de vue juridique strict, les textes ne font pas obstacle à une telle conception de la jurisprudence.

Cette décision de la Cour de cassation reçoit, sans doute, pour partie, une explication dans une certaine malignité de quelques victimes, c'est-à-dire de leurs avocats -pas toutes loin s'en faut-, usant et abusant de l'aspect formel des règles énoncées par les textes considérés et attendant sans réagir que le délai légal soit expiré pour réclamer une indemnité augmentée des intérêts au double du taux légal. Nul ne prétend que ces comportements se généralisent ; toutes les hypothèses d'accident ne sauraient être concernées. Toutefois, nos magistrats semblent avoir été sensibles au caractère trop systématique d'un formalisme nécessaire en cas d'absence de diligence de l'assureur, mais non indispensable lorsque telles ne sont pas les circonstances réelles.

C'est donc à une certain équilibre global auquel la Cour de cassation parvient. S'il est logique que la Cour de cassation sanctionne l'assureur qui n'effectue aucune offre d'indemnisation (6), il est également légitime qu'elle refuse de le faire lorsque, par exemple, l'assureur avait, en appel, effectué une offre d'indemnisation qui n'avait pas été examinée, ou bien encore lorsqu'il avait déduit de son offre le montant de la créance de la CPAM (7). C'est ainsi aussi qu'elle apparaît sage en admettant une réduction de la pénalité due à l'assureur lorsque le retard de l'offre de l'assureur ne lui était pas imputable car résultait d'une absence de mise en possession du procès-verbal d'enquête de la police nationale (8), ou enfin dans l'hypothèse où l'état de consolidation de la victime ne lui a pas été fournie (9).

Dura lex, ce qui permet à la jurisprudence de l'adapter aux cas particuliers...

Véronique Nicolas, Professeur agrégé de la Faculté de droit de l'université de Nantes, Directrice du master II "Responsabilité civile et assurances", vice-doyen, Membre de l'IRDP

  • Conséquences de la fausse déclaration du souscripteur à l'assureur (Cass. civ. 1, 14 octobre 2010, n° 09.68.026, F-P+B N° Lexbase : A8695GBN)

L'application de l'article L. 113-8 du Code des assurances (N° Lexbase : L0064AAM), relatif à la sanction pour fausse déclaration du souscripteur à l'assureur, notamment lors de la conclusion du contrat d'assurance, connaît les nombreuses illustrations que chacun sait. La jurisprudence a été prolixe sur le sujet, ou, plus exactement, les avocats ne se lassaient pas de tenter de sauver l'assuré auquel le professionnel contestait la mise en oeuvre de la garantie d'assurance en raison du silence coupable de leur cocontractant. Matérialisation spécifique au droit des assurances du dol par réticence, la manoeuvre est, hélas, de plus en plus fréquente, comme en témoigne le taux de fraudes aux contrats d'assurance qui, en France, frise le scandale puisque la collectivité des assurés en pâtit lorsque le pot aux roses n'est pas découvert.

Parce que l'assureur n'a pas d'autre choix que de faire confiance au souscripteur lorsqu'il effectue les déclarations demandées, le législateur n'avait pas manqué de prévoir une sanction, assez sévère quoique légitime, à l'encontre du fraudeur avéré, en dehors de toute incompréhension ou erreur involontaire de sa part. Certes, des exceptions existent : le contrat d'assurance peut avoir fait l'objet d'une clause d'incontestabilité, ou bien, dans le cadre de clauses de valeur agréées c'est-à-dire après avoir déterminé le coût précis des biens assurés. Il demeure que ces hypothèses ne sont pas si fréquentes et même inconnues des assurances de masse comme en l'espèce, à l'occasion de crédits accordés sous condition de la souscription d'une assurance maladie.

Par conséquent, la Cour de cassation a parfois sanctionné sans ménagement des comportements déloyaux -pour employer un euphémisme- de la part de tel ou tel souscripteur. En dépit de l'imagination débordante de certains de ces derniers, la Cour de cassation jugeait peut-être moins utile de publier ces arrêts en raison de leur affligeante banalité. Pourtant, elle a décidé de le faire dans le cas présent. C'est qu'un certain enseignement mérite d'être retiré de cette espèce. A priori, les faits sont classiques : un homme ayant sollicité un prêt auprès d'un établissement de crédit doit souscrire une assurance de personnes, une assurance maladie au moins. N'ayant pas réglé les échéances de prêt à temps, il s'adresse à l'assureur qui refuse la garantie en raison d'une fausse déclaration relative à son état de santé.

Concrètement, il avait affirmé ne pas être atteint d'affection nécessitant un traitement médical régulier et ne pas avoir subi, pendant plus de trente jours consécutifs ou non un arrêt de travail pour des raisons médicales au cours des douze derniers mois. La formule est traditionnelle dans nombre de contrats de ce type. La Cour de cassation considère, toutefois, que la cour d'appel n'a pas recherché si l'omission du souscripteur avait changé l'objet du risque et l'opinion de l'assureur. Pour avoir omis d'en apporter la démonstration, l'arrêt de la cour d'appel est cassé pour manque de bases légales. Conforme à la jurisprudence, il témoigne d'une certaine souplesse de mis en oeuvre de la part de la Cour de cassation.

Pour la Cour de cassation, la cour d'appel aurait dû préciser en quoi l'omission du souscripteur avait changé l'objet du risque ou modifié l'opinion de l'assureur, c'est-à-dire l'appréciation que l'assureur pouvait effectuer pour calculer le montant des primes à exiger. Car, chacun le sait, l'enjeu est celui-là : permettre au professionnel d'estimer l'ampleur du risque qu'il envisage d'assumer afin de fixer un juste montant de la prime d'assurance par comparaison avec les tarifs pratiqués, pour le même risque, envers les autres assurés. Et, nul n'ignore, non plus, que c'est dans cette perspective que se situe l'article L. 113-8 du Code des assurances. L'arrêt reprend, d'ailleurs, au mot près, la formule de ce texte : l'omission ou la fausse déclaration qui "change l'objet du risque ou en diminue l'opinion pour l'assureur".

L'emploi de la formule n'est pas récent (10) ; la Cour de cassation l'utilise avec constance pour justifier comme pour refuser d'appliquer la sanction de nullité (11). Parce que l'assureur est, sur ce plan, souvent démuni et contraint de faire confiance au souscripteur, la jurisprudence de la Cour de cassation en ce domaine a pu, parfois, être considérée comme favorable à ce dernier en ce qu'elle avait une interprétation souple ou large des conditions de l'article L. 113-8 du Code des assurances. La conclusion inverse ressort donc de la présente espèce, ce dont il ne faut toutefois pas pas réellement s'étonner. En effet, le contrat d'assurance maladie ne résultait pas d'une souscription à titre individuel, mais d'une assurance de groupe, dans le cadre d'un emprunt bancaire.

Or, au risque de proférer une platitude, la jurisprudence, dans ce secteur du droit des assurances, se caractérise par une sévérité croissante à l'égard des professionnels concernés, tandis qu'une certaine mansuétude est accordée aux adhérents, profanes, contraints souvent de répondre à des questionnaires, sans avoir le temps d'y réfléchir, posément. Et l'on sait combien la Cour de cassation veille à ce qu'une information véritable de ce dernier ait lieu. Si tel n'était pas le propos de cet arrêt, le souci de notre Haute juridiction de ne pas décider d'une sanction majeure, telle la nullité, transparaît de sa décision de publier cet arrêt, aux circonstances classiques. Qu'on se le dise.

Véronique Nicolas, Professeur agrégé de la Faculté de droit de l'université de Nantes, Directrice du master II "Responsabilité civile et assurances", vice-doyen, Membre de l'IRDP

En matière de baux d'habitation, l'article 7 g) de la loi du 6 juillet 1989 (loi n° 89-462 N° Lexbase : L8461AGH) impose à tout locataire de "s'assurer contre les risques dont il doit répondre en sa qualité de locataire et d'en justifier lors de la remise des clés puis, chaque année, à la demande du bailleur. La justification de cette assurance résulte de la remise au bailleur d'une attestation de l'assureur ou de son représentant.

Toute clause prévoyant la résiliation de plein droit du contrat de location pour défaut d'assurance du locataire ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Ce commandement reproduit, à peine de nullité, les dispositions du présent paragraphe".

Lorsqu'aucune loi n'a pas prévu une telle obligation d'assurance, la convention litigieuse doit l'avoir expressément stipulée, faute de quoi il ne saurait y avoir de faute de la part du locataire. Un arrêt de la troisième chambre civile en date du 20 janvier 2010 (12), rendu à propos d'une location en meublé, l'a clairement rappelé, qualifiant de motif erroné mais surabondant, le "défaut de souscription d'un contrat d'assurance, [alors que] l'obligation pour le locataire d'un local meublé de s'assurer contre les risques dont il doit répondre [est], sauf stipulation expresse contraire, facultative".

De telles stipulations sont usuelles dans les baux commerciaux ou encore dans les contrats de distribution (franchise, concession).

Quel que soit le type de bail et la source (légale ou conventionnelle) de l'obligation de contracter assurance, son défaut expose le locataire à la résiliation de son bail, soit judiciaire, soit de plein droit (par application d'une clause résolutoire).

La problématique sert donc une réflexion sur l'importance de l'assurance.

Sur le fondement de la loi du 6 juillet 1989, la jurisprudence a déjà rendu d'intéressantes décisions quant au défaut d'assurance. C'est surtout par un arrêt de la Cour de cassation rendu en 2006 (13) que la question a reçu l'éclairage le plus intéressant.

Il s'agissait d'apprécier si le défaut d'assurance du locataire peut justifier un congé émanant du bailleur, lequel doit être d'une nature suffisante pour caractériser un "motif légitime et sérieux" au sens de la loi de 1989. Dans cette espèce, à l'occasion d'un dégât des eaux survenu dans un immeuble, fut révélé le fait que le locataire n'avait pas souscrit d'assurance. Comme les loyers étaient également payés avec retard, le bailleur lui a délivré congé en se prévalant de l'article 15-I de la loi du 6 juillet 1989. On notera que, s'il avait déjà été jugé que le défaut d'assurance constitue un manquement grave susceptible de nuire gravement au propriétaire, caractérisant par là même un motif légitime et sérieux (14), la question se posait ici sous un angle nouveau, donnant son intérêt à l'arrêt. Le problème posé s'est, à cette occasion, cristallisé autour de la date d'appréciation de ce manquement. En effet, alors que le congé avait été délivré le 22 mai 2002, le locataire justifiait avoir souscrit une assurance depuis le 11 décembre 2001. Selon le pourvoi, l'inexécution par le locataire de l'une de ses obligations (ici s'assurer) devait s'apprécier à la date de notification du congé, et ne pourrait constituer un motif légitime et sérieux de non-renouvellement du bail si l'inexécution a cessé à cette date.

La Cour de cassation n'a pas suivi cette analyse aux motifs que "l'inexécution par le locataire de l'une des obligations lui incombant pouvant constituer un motif légitime et sérieux de congé même si elle a cessé à la date de délivrance de ce congé, la cour d'appel, qui a constaté qu'à l'occasion d'un dégât des eaux survenu dans l'immeuble, il était apparu que M. Y n'avait pas souscrit une assurance et que cette carence faisait courir un risque important à la bailleresse".

L'emploi du verbe "pouvoir" indique clairement, à l'attention des juges du fond qui exercent un pouvoir souverain dans l'analyse des faits, que la sanction du caractère sérieux et légitime du congé donné pour défaut d'assurance du locataire doit procéder d'une analyse in concreto les incidences du défaut d'assurance.

Le critère fourni par cet arrêt est tout aussi net : le défaut d'assurance du locataire s'apprécie à l'aune de l'importance du risque qu'il fait courir à son bailleur.

Les enseignements de cette jurisprudence nous semblent transposables au bail commercial, tel que visé dans l'arrêt de la troisième chambre civile du 14 septembre 2010 ici examiné, où l'obligation d'assurance avait été expressément stipulée dans le bail.

En l'espèce, l'importance du manquement du locataire est patent puisque, comme le relèvent les Hauts magistrats : "les lieux n'avaient pas été assurés de juin 2003 à septembre 2006" et "les garanties [...] n'avaient été souscrites qu'à compter du 1er janvier 2009 sans qu'il soit justifié du règlement de la cotisation correspondante".

Une durée d'absence de couverture supérieure à trois ans est "assurément" suffisamment substantielle pour faire courir un risque important au bailleur.

Pour mieux étayer cette importance, la Cour de cassation relève que "le montant exorbitant des cotisations sollicitées par les compagnies d'assurance pour couvrir l'ensemble des risques définis par le bail n'était pas de nature à exonérer la locataire de l'obligation qu'elle avait contractée mais qu'il était par contre révélateur de l'importance des risques créés par l'activité exercée par celle-ci dans les lieux".

Voilà qui justifie que la cour d'appel ait pu souverainement déduire "que la gravité du manquement [du locataire] résultant d'un défaut d'assurance [...] justifiait à lui seul le prononcé de la résiliation judiciaire du bail". En outre, une telle faute privera le locataire de toute indemnité d'éviction.

On achèvera de convaincre que le locataire serait bien inspiré de respecter son obligation d'assurance à la lumière d'un autre arrêt récent de la Cour de cassation (15). Dans cette espèce, le locataire "qui avait pour obligation de justifier de la souscription d'une assurance dès la première réquisition de son bailleur, n'avait pas respecté cet engagement dans le mois du commandement", et cette faute est consommée "même si cette société rapportait la preuve a posteriori que les locaux étaient couverts par une assurance durant le mois qui avait suivi la délivrance du commandement", les juges considérant que "la clause résolutoire avait valablement joué".

Ainsi, outre le défaut d'assurance à proprement parler, l'absence de justification d'assurance est, en soi, fautive. La sanction est logique : le locataire doit souscrire un contrat, veiller à ce qu'il soit toujours en vigueur et déférer à toute demande de vérification par son bailleur.

De son côté, le bailleur a tout intérêt à procéder périodiquement à une telle vérification. Un arrêt a d'ailleurs retenu la responsabilité personnelle du gérant d'une SCI bailleresse n'ayant pris aucune mesure à l'encontre du locataire ne justifiant pas avoir souscrit une assurance contre les risques locatifs (16). Le gérant engage ainsi sa responsabilité à l'égard des associés de la société, lesquels vont souffrir de la perte de valeur de l'immeuble incendié et non couvert à cause du défaut d'assurance.

On achèvera ce propos en soulignant que l'absence d'assurance souscrite par le preneur peut être palliée par l'assurance souscrite par le bailleur. Il est notamment possible, pour le bailleur, de conclure une assurance de "deuxième ligne", conditionnée à l'absence d'assurance souscrite par le locataire.

Toutefois, une telle sécurité prise par le bailleur ne saurait exonérer le locataire de sa responsabilité et le faire échapper à la sanction.

Sébastien Beaugendre, Maître de conférences, Faculté de droit de Nantes, Membre de l'IRDP (Institut de Recherche en Droit Privé)

  • Nature matérielle ou immatérielle du dommage en assurance construction (Cass. civ. 3, 20 octobre 2010, n° 09-15.093, FS-P+B N° Lexbase : A4185GCY)

Voici un arrêt qui donne l'occasion à la Cour de cassation d'un florilège en matière de construction. Nous concentrerons, pour l'heure, notre attention sur un aspect : la nature des dommages garantis et leur qualification en dommages matériels ou immatériels.

Il résulte des articles L. 241-1 (N° Lexbase : L6691G9P) et L. 243-1 (N° Lexbase : L6695G9T) du Code des assurances que l'assurance obligatoire de responsabilité du constructeur, qui garantit le paiement des travaux de réparation de l'ouvrage à la réalisation duquel l'assuré a contribué, ne s'étend pas, sauf stipulation contraire, aux dommages immatériels.

En l'espèce, une société industrielle a fait reconstruire ses locaux. Des fissures étant apparues sur le dallage, le maître de l'ouvrage a assigné l'ensemble des intervenants en indemnisation de ses préjudices.

Les garanties obligatoires sont calquées sur la responsabilité décennale et prévues par les clauses-types visées par l'article A. 243-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L9756IE3). Cet article dispose que "le contrat garantit le paiement des travaux de réparation de l'ouvrage". En outre, "les travaux de réparation, notamment en cas de remplacement des ouvrages, comprennent également les travaux de démolition, déblaiement, dépose ou démontage, éventuellement nécessaires".

Outre ces garanties obligatoires, le contrat d'assurance "RC décennale" peut prévoir la couverture d'autres dommages, notamment les dommages immatériels consécutifs. Cette notion de dommages immatériels fait toujours l'objet, en pratique, d'une définition dans la police d'assurance concernée. On inclut généralement dans cette catégorie tous les dommages autres que matériels ou corporels : il en va ainsi, notamment de la privation de la jouissance d'un droit, ou de l'interruption du service rendu par une personne ou par un bien. En matière de construction, cela vise essentiellement les préjudices subis par le propriétaire du fait de l'inoccupation des locaux à la suite des dommages, des pertes d'exploitation (pertes industrielles, commerciales ou locatives), des surconsommations d'eau ou d'électricité, ou encore de la dépréciation de l'immeuble.

La délimitation entre dommages matériels, relevant de la garantie obligatoire, et dommages immatériels, soumis à la "liberté contractuelle" en termes de franchise et de plafond, pose régulièrement difficulté et alimente une jurisprudence fournie.

Un arrêt de la première chambre civile du 11 octobre 1988 (17), a ainsi jugé :

"Attendu qu'après avoir constaté que la police d'assurances couvrait 'les dommages matériels subis par la construction et les dommages immatériels (à l'exclusion de tout préjudice corporel) subis par le propriétaire ou l'occupant de la construction et résultant directement ou indirectement d'un risque garanti', la cour d'appel a, par une interprétation nécessaire des termes ambigus de la clause litigieuse, énoncé que la consommation anormale d'eau représentait un dommage immatériel résultant d'un risque décennal".

On notera, toutefois, qu'un arrêt d'appel postérieur (18) a jugé en sens contraire, qualifiant de dommage matériel relevant de la garantie décennale, la surconsommation d'eau potable liée à une fuite d'un réseau d'alimentation d'eau potable de deux lotissements.

En dernier lieu, un arrêt de la Cour de cassation du 13 janvier 2010 (19) a porté sur la qualification de l'édification de bâtiments provisoires, dits "bâtiments tampons". Relèvent-ils des travaux de réparation au sens de l'article A. 243-1 ? La Haute juridiction a jugé que "ne constituent pas la réparation d'un préjudice matériel les sommes accordées pour la construction de bâtiments provisoires, qui ne peut être assimilée à des travaux de réparation réalisés sur l'ouvrage affecté de désordre lui-même".

Preuve que la qualification était difficile :

- Le tribunal avait estimé que ces constructions étaient indispensables pour permettre la poursuite de l'activité industrielle du site et éviter des pertes d'exploitation, qu'elles avaient donc pour finalité d'empêcher la réalisation d'un préjudice de jouissance lié à l'indisponibilité des lieux sinistrés. Ils avaient donc conclu à la qualification de dommages immatériels ;

- La cour d'appel avait, au contraire, considéré qu'il ne s'agissait pas là de couvrir un préjudice d'exploitation ou de jouissance, mais qu'il s'agissait d'ouvrages, donc de dommages matériels. Le bâtiment tampon était considéré comme "une modalité nécessaire de remise en état des lieux sinistrés, et qu'ils devaient à ce titre être considérés comme réparant le préjudice matériel résultant pour l'entreprise concernée de la détérioration et de la destruction des matériaux mis en oeuvre".

Un arrêt confirmatif avait retenu notre attention dans le cadre de cette chronique (20).

Nous avions alors été convaincus que ces constructions provisoires devaient relever des dommages immatériels, en ce qu'ils ont pour finalité essentielle de prévenir des pertes d'exploitation, afin de permettre à l'industriel de continuer à travailler dans l'attente de la réparation "définitive" des bâtiments industriels.

D'autres pensent qu'il y a place pour une qualification de dommage matériel hors du champ de l'assurance obligatoire (21), envisagée par une garantie facultative.

Nous avions alors ponctué cette étude en soulignant : "que la jurisprudence antérieure relative à la délimitation du périmètre de l'assurance obligatoire et à la distinction entre dommages matériels et immatériels n'invitait guère non plus à une lecture 'large' de la première catégorie. Ainsi, un arrêt du 13 mars 1996 (Cass. civ. 1, 13 mars 1996, n° 93-20.177 N° Lexbase : A9449ABL) avait jugé, à propos de désordres affectant une installation de chauffage, que 'les dépenses supplémentaires, faites pour assurer la continuation du chauffage, revêtaient le caractère de dommages immatériels' ; de même, les 'dépenses supplémentaires faites sous forme de construction d'un bâtiment provisoire, pour assurer la continuation de l'activité', revêtent-elles cette même nature.
L'arrêt du 14 avril 2010 s'inscrit donc dans une lecture classique et son mérite est sans doute d'attirer l'attention des 'assurés RC décennale' sur la nécessité qu'ils ont de veiller à la souscription d'une assurance facultative qui les couvre suffisamment.
A défaut, ils devront 'bourse délier' pour répondre de leur responsabilité que leur client ne manquera pas d'engager s'il ne peut obtenir de l'assureur aucune réparation ou une réparation plafonnée ne couvrant pas leur entier préjudice
".

Dans l'arrêt du 20 octobre 2010, ici étudié, cette difficulté de qualification se pose à nouveau, dans un contexte toutefois différent.

L'un des assureurs, condamné à s'acquitter, in solidum avec les autres intervenants, à payer au maître de l'ouvrage une somme conséquente (plus de trois millions d'euros), a contesté la qualification du "coût de la manutention des racks et de la manutention process".

Alors que les juges du fond y avaient vu un préjudice matériel, l'assureur plaide pour une qualification en dommages immatériels.

Son moyen est rejeté, la Haute juridiction approuvant la qualification en dommage matériel au motif que "la réparation des dommages matériels doit comprendre l'intégralité des sommes nécessaires à la réfection des ouvrages et, dans le cas d'ouvrages habités ou exploités, doit comprendre le coût des déménagements des matériels existants lorsque ces déménagements s'imposent pour la réalisation des travaux de réfection, tel étant le cas en présence d'une réfection intégrale du dallage, la cour d'appel [...] a exactement retenu que les postes 'manutention des racks' et 'manutention process' retenus par l'expert concernent donc bien des postes annexes indispensables à la reprise matérielle des ouvrages et non des réparations de préjudices immatériels".

Le critère est ici limpide : ces coûts ne sont pas destinés à compenser des pertes ou une indisponibilité de l'immeuble. Ce sont des coûts nécessaires à la réparation matérielle de l'ouvrage. Ce sont donc des dommages matériels car ils ne sont pas "détachables" de la reprise.

Le critère de l'indivisibilité, visé par l'article A. 243-1 au chapitre des existants "techniquement indivisibles" de l'ouvrage neuf, est également un bon critère pour juger de la nature matérielle ou immatérielle du dommage.

Sébastien Beaugendre, Maître de conférences, Faculté de droit de Nantes, Membre de l'IRDP (Institut de Recherche en Droit Privé)


(1) Cass. civ. 2, 20 janvier 1993, n° 91-11.999 (N° Lexbase : A5749AHE), Bull. civ. II, n° 20, p. 13.
(2) Cass. civ. 2, 16 décembre 2004, n° 02-19.450, FS-P+B (N° Lexbase : A4651DEY) ; Cass. civ. 2, 9 octobre 2003, n° 02-15.412, FS-P+B (N° Lexbase : A7217C98) Bull. civ. II, n° 292, p. 238 ; Cass. civ. 2, 23 septembre 1999, n° 97-21.741 (N° Lexbase : A7328CIA), Bull. civ. II n° 138, p. 99.
(3) Cass. civ. 2, 4 mai 2000, n° 98-20.179 (N° Lexbase : A0320CGX), Bull. civ. II, n° 72, p. 51.
(4) Cass. civ. 2, 11 octobre 2007, n° 06-14.611 (N° Lexbase : A7337DYE), Bull. civ. II, n° 228.
(5) Cass. civ. 2, 16 novembre 2006, n° 05-18.631 (N° Lexbase : A3238DSQ), Bull. civ. II, n° 320, p. 296.
(6) Cass. civ. 2, 25 février 2010, n° 08-20.587, FS-P+B (N° Lexbase : A4453ESQ), Bull. civ. II, n° 49.
(7) Cass. civ. 2, 13 mars 2003, n° 01-15.951, FS-P+B (N° Lexbase : A4149A7S), Bull. civ. II, n° 58, p. 51.
(8) Cass. civ. 2, 5 novembre 1998, n° 97-10.583 (N° Lexbase : A2492CGE), Bull. civ. II, n° 255, p. 153.
(9) Cass. civ. 2, 28 février 1996, n° 93-18.523 (N° Lexbase : A8299ABY), Bull. civ. II, n° 41, p. 26.
(10) Cass. civ. 1, 4 juin 1996, n° 94-10.486 (N° Lexbase : A9594ABX), Bull. civ. I, n° 233, p. 162 ; Cass. civ. 1, 1er mars 1978, n° 76-13.394 (N° Lexbase : A6409CE4), Bull. civ. I, n° 83, p. 69.
(11) Cass. civ. 1, 20 janvier 1998, n° 95-20.216 (N° Lexbase : A2014ACL), Bull. civ. I, n° 19, p. 12 ; Cass. civ. 1, 8 novembre 1994, n° 92-11.517 (N° Lexbase : A6806CG8), Bull. civ. I, n° 320, p. 231.
(12) Cass. civ. 3, 20 janvier 2010, n° 09-65.791 FS-P+B (N° Lexbase : A4833EQ3), Bull. civ. III, 2010, n° 15.
(13) Cass. civ. 3, 17 mai 2006, n° 05-14.495, FS-P+B (N° Lexbase : A8630DPC), Bull. civ. III, n° 126.
(14) CA Paris, 19 septembre 1991, Loyers et copr., 1992, n° 97.
(15) Cass. civ. 3, 24 juin 2009, n° 08-13.718, FS-D (N° Lexbase : A4177EIK).
(16) CA Angers, ch. comm., 11 décembre 2007, Droit des sociétés, n° 6, juin 2008, comm. 122, par R. Mortier.
(17) Cass. civ. 1, 11 octobre 1988, n° 87-14.304 N° Lexbase : A6107CRM)
(18) CA Aix-en-Provence, 3ème civ., 11 mars 2004, n° 2004/189, Garantie décennale et surconsommation d'eau, Construction - Urbanisme n° 9, septembre 2004, comm. 159, M.-L. Pagès de Varenne.
(19) Cass. civ. 3, 13 janvier 2010, n° 08-13.562, FS-P+B (N° Lexbase : A2935EQR).
(20) Cass. civ. 3, 14 avril 2010, n° 09-10.515, FS-P+B (N° Lexbase : A0571EW3), nos obs. in Chronique en droit des assurances, Lexbase Hebdo n° 397 du 3 juin 2010 - édition privée générale N° Lexbase : N2969BPN).
(21) En ce sens, M.-L. Pagès de Varenne, Construction - Urbanisme n° 6, juin 2010, comm. 92.

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