La lettre juridique n°415 du 4 novembre 2010 : Aides d'Etat

[Doctrine] Chronique d'actualité communautaire en matière d'aides d'Etat - Novembre 2010

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par Olivier Dubos, Professeur de droit public à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 20 Octobre 2011

Durant le mois de septembre, la Cour de justice de l'Union européenne et le Tribunal de première instance de l'Union européenne ont rendu une série de décisions qui viennent préciser certains éléments du régime juridique des aides d'Etat. Le Tribunal est, tout d'abord, venu rappeler la recevabilité du recours des tiers contre les décisions de la Commission (TPIUE, 13 septembre 2010, aff. T-193/06). Ensuite, dans une affaire particulièrement complexe relative à la restructuration d'Olympic Airways, il s'est prononcé sur la question de la continuité économique entre deux sociétés après restructuration, et a rappelé certains éléments d'appréciation du critère de l'investisseur privé dans une économie de marché (TPIUE, 13 septembre 2010, aff. jointes T 415/05, T 416/05 et T 423/05). Enfin, en censurant un arrêt du Tribunal, la Cour de justice est venue rappeler les règles relatives au contrôle des juridictions de l'Union sur les décisions de la Commission (CJUE, 2 septembre 2010, aff. C-290/07).
  • La recevabilité du recours des tiers contre les décisions de la Commission relatives aux aides (TPIUE, 13 septembre 2010, aff. T-193/06 N° Lexbase : A0963E9K)

L'on sait que, par l'intermédiaire du Centre national de la cinématographie (CNC), la République française apporte un soutien financier à l'industrie cinématographique. Ce système a fait l'objet de décisions de la Commission qui l'ont déclaré compatible avec le marché commun. Le 3 octobre 2001, TF1 a, toutefois, adressé une plainte à la Commission européenne relative au dispositif français. Le 14 décembre 2004, la France a notifié à la Commission certains aspects du système d'aide afin d'obtenir la prolongation de leur validité. Mais la Commission a estimé, le 21 décembre 2004, que ces régimes étaient illégaux au sens de l'article 88, paragraphe 3, CE, devenu 108, paragraphe 3, TUE , dans la mesure où ils avaient déjà été mis en application (1). Par une décision du 22 mars 2006 (C(2006) 832 final), relative aux mesures de soutien au cinéma et à l'audiovisuel en France, la Commission a décidé de ne pas soulever d'objections à l'égard des mesures en cause à l'issue de la phase préliminaire d'examen prévue à l'article 88, paragraphe 3, CE. C'est cette décision qui était attaquée par la chaîne TF1. Le Tribunal a eu, ainsi, l'occasion de rappeler quels étaient les principes qui régissaient la recevabilité du recours en annulation intenté par un tiers en matière d'aides d'Etat (A), pour les appliquer à l'espèce (B).

Selon l'article 230 CE, alinéa 4, alors applicable, "toute personne physique ou morale peut former [...] un recours contre les décisions dont elle est le destinataire et contre les décisions qui, bien que prises sous l'apparence d'un règlement ou d'une décision adressée à une autre personne, la concernent directement et individuellement". Dans la mesure où la décision attaquée avait été adressée à la République française, il s'agissait donc de déterminer si elle concernait directement et individuellement TF1. C'est la condition relative à l'affectation individuelle qui est la plus difficile à remplir. Elle a été définie par la très classique jurisprudence "Plaumann" (2) qui est ici rappelée par le Tribunal. Il faut que la décision atteigne le requérant en raison de certaines qualités qui lui sont particulières ou d'une situation de fait qui le caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, l'individualise d'une manière analogue à celle dont le destinataire de la décision le serait. Cette solution de principe a été déclinée pour les décisions rendues par la Commission dans le cadre du contrôle des aides d'Etat.

Il faut, en effet, distinguer la phase préliminaire de la phase d'examen. La phase préliminaire, prévue à l'article 88, paragraphe 3, CE, a simplement pour objet de permettre à la Commission de se former une opinion sur l'éventuelle incompatibilité de l'aide avec le marché commun. En cas de doute sur la compatibilité de l'aide, la Commission ouvre alors la phase d'examen, prévue à l'article 88, paragraphe 2, CE (3), afin d'avoir une information la plus complète possible sur l'affaire. Dès lors, dans l'hypothèse où la Commission a déclaré une aide compatible avec le marché commun par une décision prise sur le fondement de l'article 88, paragraphe 3, CE, seules deux catégories de tiers peuvent être considérés comme individuellement concernés. Il s'agit, en premier lieu, des intéressés au sens de l'article 88, paragraphe 2, CE, mais seulement dans la mesure où ils font valoir les droits procéduraux qu'ils tiennent de cette dernière disposition. Les intéressés sont définis par la jurisprudence comme "les personnes, les entreprises ou les associations éventuellement affectées dans leurs intérêts par l'octroi d'une aide, c'est-à-dire, en particulier, les entreprises concurrentes des bénéficiaires de cette aide et les organisations professionnelles" (4). En second lieu, si le requérant met, en revanche, en cause le bien-fondé de la décision d'appréciation de l'aide en tant que telle, pour être considéré comme individuellement concerné, il doit démontrer qu'il a un statut particulier et, spécialement, que sa position sur le marché serait substantiellement affectée par l'aide faisant l'objet de la décision en cause. La qualité d'intéressé au sens de l'article 88, paragraphe 2, CE n'est donc plus suffisante.

Le Tribunal va d'abord examiner si TF1 peut être considérée comme "intéressée" au sens de l'article 88, paragraphe 2, CE. Il convient donc d'examiner si le recours tend à faire valoir des droits procéduraux. Or dans ses moyens, TF1 n'a pas soulevé la violation de l'article 88, paragraphe 2 CE, et n'a donc pas cherché à démontrer qu'il eut été utile pour la Commission d'ouvrir la phase d'examen. TF1 a simplement soutenu l'illégalité en tant que telle de la décision puisqu'elle a soulevé un moyen tiré d'une insuffisance de motivation, moyen tiré de l'article 87, paragraphe 1, CE, et un moyen tiré de l'article 87, paragraphe 3, d), du même texte.

TF1 devait donc démontrer que sa position sur le marché était substantiellement affectée par l'aide autorisée par la Commission, la qualité de concurrente n'étant pas suffisante. Le Tribunal a noté, à titre préliminaire, que les mesures en cause visent au soutien de la production cinématographique et audiovisuelle et bénéficient donc à des opérateurs ayant une activité dans ce domaine. Or TF1, en sa qualité d'éditeur de services de télévision, est également active dans la production d'oeuvres et peut être, à ce titre, bénéficiaire des mesures de soutien en cause. Il appartenait donc à TF1 de démontrer en quoi elle était, par rapport à ses concurrents, particulièrement affectée par le dispositif validé par la Commission. Le dispositif contraint les opérateurs audiovisuels à des obligations d'investissement dans le secteur de la production cinématographique. Certes, au regard de ses principaux concurrents (France 2, France 3 et M6), TF1 investit beaucoup plus, mais cette différence s'explique par l'importance de son chiffre d'affaires, et non pas par l'application d'un régime juridique particulier. Les quatre chaînes de télévision sont soumises exactement aux mêmes obligations qui sont toujours définies au regard du chiffre d'affaires.

Pour finir, TF1 avait fait valoir que, si le recours était déclaré irrecevable, elle n'avait aucun moyen indirect de contester la décision en cause, soit à l'occasion d'un contentieux devant les juridictions nationales, soit à l'occasion d'un autre contentieux devant les juridictions de l'Union. TF1 a ici tenté d'obtenir une mise en oeuvre anticipée des nouvelles dispositions du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. En effet, selon le nouvel alinéa 4 de l'article 263 TUE , "toute personne physique ou morale peut former [...] un recours contre les actes dont elle est le destinataire ou qui la concernent directement et individuellement, ainsi que contre les actes réglementaires qui la concernent directement et qui ne comportent pas de mesures d'exécution". Il est vrai qu'a priori la décision attaquée correspond à la catégorie des actes de l'Union qui ne comportent pas de mesure d'exécution. Mais on se souvient que, sous l'empire du Traité communautaire, la Cour de justice n'a pas été sensible à l'argumentation tirée du droit à une protection juridictionnelle effective qui tendait, dans de telles situations, à élargir l'accès des particuliers au recours en annulation (5). Il faudra donc attendre les contentieux relatifs aux décisions prises en matière d'Etat par la Commission après l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne pour connaître l'impact du nouvel article 263, alinéa 4, TUE, sur la recevabilité des recours intentés par les particuliers contre de telles décisions. L'on peut espérer une évolution qu'il appartiendra aux avocats de susciter.

  • Rappel des éléments d'appréciation du critère de l'investisseur privé dans une économie de marché (TPIUE, 13 septembre 2010, aff. jointes T-415/05, T-416/05 et T-423/05 N° Lexbase : A0971E9T)

Le Tribunal a eu à connaître de la fort complexe affaire de la privatisation d'Olympic Airways (OA). Pour opérer cette privatisation, la société avait fait l'objet d'une scission. Elle conservait ses activités d'assistance au sol, de maintenance et de formation (Olympic Airways service), et avait été créé une nouvelle société (Olympic airlines) qui se voyait confier les activités de vol (société NOA). En raison d'un montage particulièrement complexe qui avait, notamment, pour finalité de contourner l'application des règles du Traité relatives aux aides d'Etat, la Commission a rendu plusieurs décisions, dont certaines ont déjà fait l'objet de décisions du Tribunal, comme de la Cour de justice. Etait ici attaquée une décision du 14 septembre 2005 qui identifiait différentes formes d'aides et, notamment, une sous-évaluation des loyers versés par NOA pour la location d'avions auprès d'OA ou de la République hellénique, et le versement anticipé à OA d'un montant surestimé des actifs de NOA. Le Tribunal devait au préalable se pencher sur la continuité économique entre OA et NOA.

Le Tribunal devait, en premier lieu, déterminer s'il y avait une continuité économique entre OA et NOA pour savoir si la Commission pouvait ordonner la récupération des aides versées à OA auprès de NOA. Dans la mesure où OA avait fait l'objet d'une restructuration au moment de sa privatisation, le Tribunal devait, tout d'abord, déterminer quelles mesures en faveur d'OA étaient susceptibles de faire l'objet d'une récupération auprès de NOA. Dans la mesure où NOA avait repris les activités de vol d'OA, seules les aides versées avant la scission relatives à cette activité pouvaient faire l'objet d'une récupération. Ensuite, le Tribunal souligne que les décisions de la Commission ne sont, à cet égard, pas claires puisque, dans leur dispositif, elles n'identifient pas explicitement NOA comme bénéficiaire des aides versées à OA. Aussi le Tribunal estime que c'est à lui d'interpréter ces décisions de la Commission. Pour ce faire, il s'appuie sur les motifs et en déduit que l'aide devait être récupérée auprès de NOA. Le Tribunal considère, enfin, la motivation des décisions et s'assure de l'absence d'erreur manifeste d'appréciation dans l'injonction faite par la Commission à NOA de rembourser certaines des aides versées à OA. Or, cette question avait déjà été abordée par la Cour de justice dans le cadre d'un arrêt en manquement contre la Grèce (6). Pour le Tribunal, le raisonnement de la Cour était extrapolable aux décisions de la Commission qui étaient ici en cause. Pour rétablir les conditions de la concurrence, il pouvait donc être demandé à NOA de rembourser les aides versées à OA.

Le Tribunal s'est ensuite penché sur les aides versées à NOA. La nouvelle société connaissant des difficultés analogues à celle d'OA avant la restructuration, le dispositif antérieur de soutien avait été maintenu. Aussi, dès lors qu'existait une continuité entre OA et NOA pour les activités de vol, la Commission avait estimé que ces mesures prises par la République hellénique en faveur de NOA devaient être qualifiées d'aides, puisque les décisions analogues en faveur d'OA avaient déjà été qualifiées d'aides par une précédente décision de la Commission. Pour le Tribunal, la Commission ne pouvait se contenter de cette sortede présomption et devait effectivement vérifier si les conditions de l'article 87, paragraphe 1, CE, étaient remplies.

Le Tribunal applique, ensuite, classiquement le critère de l'investisseur privé dans une économie de marché pour savoir s'il y a aide ou non. La principale difficulté concernait ici la charge de la preuve. NOA sous-louait des avions à OA et à la République hellénique, avions qui, par ailleurs, faisaient l'objet d'un contrat de bail. La Commission s'était, en effet, contentée de constater que les tarifs de la sous-location étaient inférieurs à ceux des contrats principaux. Pour le Tribunal, ce constat n'était pas suffisant et il incombait à la Commission de démontrer que les loyers litigieux étaient effectivement inférieurs à ceux du marché. Ainsi, la Commission a commis une erreur manifeste d'appréciation dans l'application du critère de l'investisseur privé.

Au moment de la restructuration, la République hellénique avait effectué en faveur d'OA un paiement anticipé en plusieurs tranches, à partir d'un compte spécial, d'un montant total de 130 millions d'euros environ, correspondant à la valeur des actifs transférés à NOA lors de la création de cette nouvelle société. Pour la Commission, il y avait eu une surévaluation de ces actifs. Selon le Tribunal, la Commission n'a pas pris en compte dans le calcul de la valeur de la société certains actifs incorporels, tels que les créneaux d'heure de vol. Il y avait là, en réalité, un problème de choix des normes comptables utilisées pour calculer la valeur des actifs transférés. Pour le Tribunal, la Commission devait au moins se justifier du choix de telle ou telle norme comptable pour apprécier le critère de l'investisseur privé dans une économie de marché, et expliquer, ainsi, l'exclusion de certains actifs. N'adoptant pas cette démarche, la Commission a commis une erreur manifeste d'appréciation.

  • L'étendue du contrôle juridictionnel sur les décisions de la Commission en matière d'aides d'Etat (CJUE, 2 septembre 2010, aff. C-290/07 N° Lexbase : A3718E89)

A la suite d'un pourvoi intenté par la Commission européenne, la Cour de justice a été amenée à se prononcer sur un précédent arrêt du Tribunal qui avait partiellement annulé une de ses décisions (7). En l'espèce, la ville d'Orléans avait vendu pour un franc symbolique un terrain de 68 hectares à une société d'économie mixte, à charge pour cette dernière d'aménager le site en faveur de la société Scott et de lui revendre un terrain de 48 hectares et une usine-entrepôt pour un montant de 31 millions de francs (4,7 millions d'euros). Cette opération était financée à hauteur de 80 millions de francs (12,2 millions d'euros) par le département du Loiret et par la ville d'Orléans. Face à ce montage, la principale difficulté à laquelle se sont trouvés confrontés la Commission, le Tribunal et enfin, la Cour, était le calcul du prix "véritable" de ce terrain. Ce calcul permettait de déterminer, si, oui ou non, la société Scott avait bénéficié d'une aide, et en cas de réponse positive, le montant de la somme à récupérer auprès de cette dernière. La Cour a censuré l'arrêt du Tribunal car elle a estimé que celui-ci avait outrepassé son pouvoir juridictionnel et avait commis une erreur de droit en jugeant que la Commission avait méconnu son obligation de diligence en se fondant uniquement sur certains éléments de preuve fournis par les autorités françaises. Toutefois, on remarquera à titre préliminaire que la Cour n'a pas suivi son avocat général qui avait proposé de censurer d'office cet arrêt pour incohérence.

Le Tribunal avait, notamment, censuré la méthode retenue par la Commission pour calculer la valeur du terrain, mais n'avait annulé qu'une partie de la Commission ordonnant la restitution de l'aide et pas la première partie constatant l'incompatibilité de l'aide et son montant. Il est évident qu'un tel dispositif pouvait ne pas paraître totalement cohérent. En effet, si le Tribunal avait censuré la méthode de calcul utilisée par la Commission pour évaluer le montant de l'aide dont avait bénéficiée la société Scott, une autre méthode pouvait, également, aboutir à la conclusion qu'il n'y avait pas eu aide. Dès lors, il eut été logique d'annuler toute la décision. Or la Commission, dans son pourvoi, n'avait pas soulevé un tel moyen.

Face à cette situation, l'Avocat général Paolo Mengozzi avait suggéré à la Cour de justice de relever d'office ce moyen tiré de l'incohérence entre les motifs et le dispositif de l'arrêt du Tribunal. La Cour n'en a, toutefois, rien fait. Il est vrai que cette question des moyens d'ordre public est, de manière générale, assez délicate et spécialement dans le contexte de l'Union européenne puisque certains systèmes juridiques de ses Etats membres, notamment ceux imprégnés de la common law, ignorent un tel procédé. Il n'en demeure pas moins que la Cour a accepté, dans le cadre d'un pourvoi, de relever d'office des moyens tirés de la recevabilité de celui-ci (8). Tel n'était pas ici le cas puisqu'était en cause le fond même de l'arrêt rendu par le Tribunal. Le silence de la Cour peut être interprété de deux manières : soit elle refuse de relever d'office un moyen relatif au fond même de l'arrêt du Tribunal, soit elle considère que le moyen en cause n'était pas un moyen d'ordre public. Il appartiendra à la jurisprudence postérieure de lever cette ambiguïté. La Cour de justice a, toutefois, indirectement censuré cette incohérence lorsqu'elle s'est prononcée sur les moyens développés par la Commission dans son pourvoi.

La Cour de justice a estimé que le Tribunal, en censurant la méthode de calcul utilisée par la Commission pour évaluer le montant de l'aide perçue par la société Scott avait outrepassé les limites de son contrôle. Face à des montages tels que celui qui était en cause dans la présente affaire, la méthode de calcul du montant de l'aide relève d'une appréciation économique complexe qui constitue un pouvoir discrétionnaire. La décision de la Commission ne pouvait donc qu'être soumise à un contrôle restreint limité à l'erreur manifeste d'appréciation.

Pour calculer le montant de l'aide versée, la Commission avait procédé de la manière suivante : elle avait estimé que le coût total de l'opération pour la société d'économie mixte était de 100 millions de francs (15 millions d'euros) uniquement dans la mesure où la société Scott avait acheté 48 des 68 hectares, le coût de la vente pour cette société Scott représentant donc 70,588 millions d'euros, et dans la mesure où elle avait payé 31 millions d'euros, le montant de l'aide était donc de 39,588 millions d'euros. Cette méthode de calcul rompait avec le principe de l'investisseur privé dans une économie de marché qui est, en général, appliqué dans une telle situation. Selon cette méthode, la valeur de l'aide est égale à la différence entre ce que le bénéficiaire a en fait payé et ce qu'il aurait dû payer à l'époque dans les conditions normales de marché pour acheter un terrain équivalent auprès d'un vendeur du secteur privé. Le Tribunal avait censuré la Commission parce qu'elle s'était éloignée d'une telle approche. Pour la Cour, cela ne suffisait, toutefois, pas à démontrer une erreur manifeste d'appréciation dans l'évaluation du coût du terrain. Surtout, la Cour souligne l'incohérence de l'arrêt du Tribunal, par ailleurs, dénoncée par l'Avocat général Mengozzi : "en tout état de cause, s'il est vrai que le Tribunal a identifié une erreur de calcul et certaines approximations dans la méthode et les calculs de la Commission, il convient de souligner que, dans le dispositif de l'arrêt attaqué, le Tribunal n'a pas annulé l'article 1er de la décision litigieuse, de sorte qu'il n'a pas considéré que, dans cette affaire, les erreurs et les approximations qui ont entaché la procédure d'examen étaient d'une gravité telle que la légalité de l'ensemble de la décision litigieuse était en cause" (9).

La Cour de justice a, enfin, reproché au Tribunal une erreur de droit car il avait estimé que la Commission avait méconnu son obligation de diligence en ne se fondant que sur certains éléments de preuve fournis par les autorités françaises. La Commission avait, en effet, préféré se fonder sur les indications données par les autorités françaises et, notamment, des collectivités locales en cause plutôt que sur une évaluation établie par l'administration fiscale française ou par un expert immobilier. L'on pouvait donc soupçonner une certaine mansuétude de la Commission à l'égard des autorités françaises. Or, l'évaluation établie par l'administration française n'avait pas directement été fournie à la Commission, mais résultait indirectement de lettres de la société Scott adressées à la Commission. En outre, ces lettres ne lui avaient pas été adressées pendant la procédure administrative, mais postérieurement. Pour la Cour, ces simples éléments n'étaient pas suffisants pour conduire la Commission à ouvrir de nouveau la procédure afin d'ordonner la communication des évaluations elles-mêmes. Ainsi, le Tribunal ne pouvait considérer que la Commission avait violé son devoir de diligence. La Cour de justice a donc renvoyé l'affaire devant le Tribunal. L'arrêt de la Cour semble en soi tout à fait cohérent, mais il indique logiquement ce que le Tribunal n'aurait pas dû faire. Il n'est, en revanche, pas très clair sur ce qu'il devra faire. A suivre donc...

Olivier Dubos, Professeur de droit public à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV


(1) "La Commission est informée, en temps utile pour présenter ses observations, des projets tendant à instituer ou à modifier des aides. Si elle estime qu'un projet n'est pas compatible avec le marché intérieur, aux termes de l'article 107, elle ouvre sans délai la procédure prévue au paragraphe précédent. L'Etat membre intéressé ne peut mettre à exécution les mesures projetées, avant que cette procédure ait abouti à une décision finale".
(2) CJCE, 15 juillet 1963, aff. C-25/62 (N° Lexbase : A5732AUT).
(3) "Si, après avoir mis les intéressés en demeure de présenter leurs observations, la Commission constate qu'une aide accordée par un Etat ou au moyen de ressources d'État n'est pas compatible avec le marché intérieur aux termes de l'article 107, ou que cette aide est appliquée de façon abusive, elle décide que l'État intéressé doit la supprimer ou la modifier dans le délai qu'elle détermine".
(4) CJCE, 22 décembre 2008, aff. C-487/06 P (N° Lexbase : A9982EBC).
(5) CJCE, 25 juillet 2002, aff. C-50/00 (N° Lexbase : A1836AZZ).
(6) CJCE, 12 mai 2005, aff. C-415/03 (N° Lexbase : A2055DIX).
(7) TPICE, 29 mars 2007, aff. T-366/00 (N° Lexbase : A7815DUY).
(8) CJCE, 28 février 2008, aff. C-17/07 P (N° Lexbase : A0706D7B).
(9) Point n° 85.

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