La lettre juridique n°415 du 4 novembre 2010 : Commercial

[Questions à...] Sous-traitance : une réforme nécessaire - Questions à Thierry Charles, Docteur en droit, Directeur des affaires juridiques d'Allizé-Plasturgie, membre du CORIST au sein de la Fédération de la Plasturgie et du CENAST

Lecture: 8 min

N4508BQZ

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Questions à...] Sous-traitance : une réforme nécessaire - Questions à Thierry Charles, Docteur en droit, Directeur des affaires juridiques d'Allizé-Plasturgie, membre du CORIST au sein de la Fédération de la Plasturgie et du CENAST. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3211276-questions-a-soustraitance-une-reforme-necessaire-questions-a-b-thierry-charles-docteur-en-droit-dire
Copier

par Vincent Téchené, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition affaires

le 04 Janvier 2011

Constatant que, dans le cadre des Etats généraux de l'industrie qui se sont ouverts le 15 octobre 2009, il est apparu nécessaire de refondre les relations entre les grands groupes et les PME/PMI et entre les donneurs d'ordre et les sous-traitants, le ministre chargé de l'Industrie a confié, le 22 juin 2010, à Jean-Claude Volot, médiateur des relations interentreprises industrielles et de la sous-traitance le soin de rédiger un rapport sur l'état des lieux du cadre réglementaire et législatif applicable aux relations interentreprises dans le secteur industriel. Ce dernier a été remis, le 30 août 2010, au ministre de l'Industrie et au secrétaire d'Etat chargé du Commerce, de l'Artisanat, des Petites et Moyennes Entreprises, du Tourisme, des Services et de la Consommation qui ont accueilli favorablement les propositions et annoncé, en conséquence, la mise en place d'une consultation des acteurs industriels et des organisations professionnelles et syndicales, sur les suites concrètes à donner aux conclusions et recommandations du rapport, dont les arbitrages devraient être rendus dans les tous prochains jours. Si des hésitations demeurent sur la méthode à employer pour réformer la sous-traitance industrielle, un constat semble s'imposer : la nécessité d'intervenir afin d'améliorer le sort qui est aujourd'hui celui des acteurs de ce secteur. On le voit bien, au-delà des considérations purement juridiques, l'enjeu est de taille, puisque la réforme de la sous-traitance s'inscrit plus généralement dans un projet de politique industrielle, qui apparaît comme l'un des défis majeurs à relever. Nécessité fera-t-elle loi ? Seul l'avenir nous le dira. Pour faire le point sur les tenants et les aboutissants d'une éventuelle réforme de la sous-traitance, Lexbase Hebdo - édition affaires a rencontré un spécialiste en la matière, Thierry Charles, Docteur en droit, Directeur des affaires juridiques d'Allizé-Plasturgie, Membre du Comité des relations inter-industrielles de sous-traitance (CORIST) au sein de la Fédération de la Plasturgie et du Centre national de la sous-traitance (CENAST) (1), qui a accepté de répondre à nos questions.

Lexbase : Pourquoi apparaît-il aujourd'hui nécessaire de réformer la sous-traitance ?

Thierry Charles : La sous-traitance demeure un jalon essentiel dans le processus de gestion de la qualité et de la traçabilité. C'est également un facteur essentiel de l'aménagement du territoire à la fois pour développer le tissu industriel régional mais également pour attirer les investissements. Confrontés non seulement à des directeurs d'achats qui ne raisonnent souvent qu'en fonction du prix, mais aussi à l'imprévisibilité actuelle de la conjoncture (hausses des prix des matières, ruptures brutales d'approvisionnement, etc.), les sous-traitants, fréquemment "coincés" entre des donneurs d'ordres et des fournisseurs puissants (entre le marteau et l'enclume), pâtissent particulièrement de cette situation. Or, la loi du 31 décembre 1975 (loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975, relative à la sous-traitance N° Lexbase : L5127A8E), qui fête cette année son trente-cinquième anniversaire, ne traite pas des abus de puissance économique ou du détournement des droits de propriété intellectuelle : elle ne vise que le non-paiement du sous-traitant. La raison de cette loi était de défendre le sous-traitant en cas de défaillance de son client immédiat, appelé "entrepreneur principal" et de lui conférer un droit direct envers le client final, le "maître d'ouvrage".

Aussi, les entreprises de sous-traitance demandent d'urgence un statut juridique réglementé de la sous-traitance industrielle : le contrat de sous-traitance devant être à tout le moins matérialisé par un écrit.
Il s'agit également de réaffirmer, dans une loi spécifique à la sous-traitance industrielle, le poids des conditions générales des fournisseurs dans la négociation commerciale, mises à mal à l'occasion de la loi de modernisation de l'économie ("LME") du 4 août 2008 (loi n° 2008-776 N° Lexbase : L7358IAR) où les débats n'ont concerné que la grande distribution (ce qui avait déjà été le cas à l'occasion de la réforme de la loi n° 96-588 du 1er juillet 1996, sur la loyauté et l'équilibre des relations commerciales N° Lexbase : L0102BIM, dite loi "Galland", entrée en vigueur au 1er janvier 1997).
Il s'agit, par ailleurs, de veiller à une répartition pertinente de la valeur ajoutée et des responsabilités. Il n'est pas acceptable que les sous-traitants se voient transférer des responsabilités croissantes sans que leur savoir-faire ainsi que leur propriété intellectuelle soient en retour reconnus, valorisés et protégés.
Les relations doivent pouvoir s'inscrire dans un objectif de long terme et non dans un perpétuel rapport de force. Il s'agit, enfin, de rétablir et d'améliorer le "privilège" de la clause de réserve de propriété pour le sous-traitant en s'inspirant de l'exemple allemand.

Lexbase : Quelles sont les principales préconisations du rapport "Volot" ?

Thierry Charles : Le médiateur de la sous-traitance, Jean-Claude Volot, a remis, le 30 août 2010, son rapport sur "le dispositif juridique concernant les relations interentreprises et la sous-traitance", cette livrée de servitude. En synthèse, le médiateur recommande dans ses conclusions de ne pas réformer la loi de 1975 "qui donne toute satisfaction au secteur du BTP, pour lequel elle a été conçue à l'origine" (et qui ne concerne les autres secteurs d'activité qu'à la marge).

Toutefois, le rapport préconise de mieux faire appliquer les textes et, constatant que l'arsenal juridique existant prohibe déjà la plupart des mauvaises pratiques rapportées par les sous-traitants, le médiateur propose au Gouvernement une démarche en plusieurs étapes. Tout d'abord, il s'agirait de compléter le dispositif actuel par des sanctions appropriées. En effet, le document passe en revue l'ensemble du dispositif législatif en vigueur en matière de sous-traitance (Code civil, loi de 1975, articles L. 441-6 N° Lexbase : L8348IM7 et L. 442-6 N° Lexbase : L8640IMX du Code de commerce, loi n° 98-69 du 6 février 1998, tendant à améliorer les conditions d'exercice de la profession de transporteur routier N° Lexbase : L4769GU8, dite loi "Gayssot", etc.) ainsi que son application, et recense, de manière non exhaustive, trente-cinq pratiques abusives stigmatisées notamment par la Commission d'examen des pratiques commerciales (CEPC) qui sont autant d'entorses aux lois existantes. A cet égard, Jean-Claude Volot ne manque pas de pointer du doigt la défaillance de l'Etat, qui n'a pas su, ou n'a pas voulu, utiliser les moyens d'action dont il dispose, alors que les sous-traitants croient encore trop souvent à la réalité de leur faute pour pouvoir agir : "avant de légiférer, il faut commencer par faire appliquer la loi, telle qu'elle existe aujourd'hui, même si un certain nombre d'articles demandent à l'évidence à être modifiés, complétés ou précisés".

Ensuite, le rapporteur propose une nouvelle loi cadre, sur le modèle de la loi italienne du 18 juin 1998 sur la sous-traitance, qui "définisse les relations interentreprises industrielle et fixe les grandes orientations pour lutter contre les mauvaises pratiques dans ce domaine", une loi qui fixe les grandes orientations, comme l'obligation d'établir un contrat écrit, une présomption d'acceptation des sous-traitants connus du donneur d'ordres, le respect des droits de propriété intellectuelle, ou encore l'interdiction de clauses répertoriées comme abusives, etc.. Ce nouveau dispositif permettrait, selon Jean-Claude Volot, "de rendre le droit applicable aux relations interentreprises industrielles plus visible et plus lisible" et surtout d'éviter de répondre au cas par cas à de simples préoccupations sectorielles : un jour le bâtiment, le lendemain les transports routiers, le secteur du luxe, ou encore la grande distribution, etc..

Il conviendrait également, à l'instar des professions du BTP qui ont su, selon le médiateur, "s'organiser pour établir en leur sein des relations apaisées et régler en interne et par la voie de la conciliation [médiation] la plupart des conflits qui peuvent naître entre leurs adhérents", de développer les bonnes pratiques au sein des branches professionnelles.

Lexbase : Quelle est votre position sur ces diverses propositions ?

Thierry Charles : Au cours des Etats généraux de l'industrie, j'ai dénoncé, au nom de la sous-traitance industrielle, les mauvaises pratiques des donneurs d'ordres vis-à-vis de leurs sous-traitants. Dans le rapport publié par le médiateur des relations inter-entreprises industrielles et de la sous-traitance, auquel j'ai également contribué, ce sont trente-cinq pratiques abusives répréhensibles par la loi qui ont été relevées. Désormais, personne n'ignore plus que ces pratiques nuisent au développement, à l'innovation et à la compétitivité des entreprises alors que la sous-traitance est un maillon essentiel sur l'ensemble des filières industrielles.

Compte tenu du rapport de force défavorable aux sous-traitants, la médiation propose comme axe d'amélioration la mise en place d'une réforme du cadre juridique de la sous-traitance. Je ne peux être que favorable à cette proposition.

Lexbase : D'autres pistes de réflexion auraient-elles pu être envisagées ?

Thierry Charles : Il me semble particulièrement important de favoriser la mise en place d'un contrat écrit de sous-traitance afin de sécuriser juridiquement les relations entre les parties. Ce contrat pourrait notamment se référer aux usages des professions.

Il serait également souhaitable d'accentuer la protection des droits de propriété intellectuelle : faire reconnaître la propriété intellectuelle du sous-traitant lorsqu'il réalise lui-même le plan d'une pièce ou d'un outillage, même lorsque l'objet physique devient propriété du client. Cette propriété devrait être explicitement stipulée dans le contrat liant les parties ; il conviendrait aussi d'affirmer la prédominance des conditions générales de ventes des sous-traitants sur les conditions générales d'achat des donneurs d'ordres.

Enfin, il convient d'imposer le principe de "présomption d'acceptation des sous-traitants", leur permettant, notamment, de bénéficier véritablement de l'action directe en paiement dans le cadre de la loi de 1975, tout en renforçant la clause de réserve de propriété qui permet aussi de sécuriser le paiement des entreprises.

Lexbase : Est-il, selon vous, préférable de traiter de façon spécifique avec un texte particulier la sous-traitance industrielle ou de réformer de façon globale la loi de 1975 ?

Thierry Charles : Il me semble que la voie à privilégier est une loi dédiée à la sous-traitance industrielle telle que proposée dans le rapport du médiateur de la sous-traitance industrielle.

En droit français, réserve faite de la loi de 1975 qui ne permet qu'exceptionnellement de qualifier la sous-traitance industrielle, on utilise indifféremment les termes de "vente", de "fourniture", de "travail à façon" ou de "réalisation de pièces", etc.. Or, cette incertitude laisse ainsi une grande part d'interprétation au juge, ce qui profite aux donneurs d'ordres préférant parler du droit de vente offrant davantage de garanties. Aucun texte impératif ni supplétif ne régit spécifiquement les contrats auxquels sa pratique peut donner naissance, qu'il s'agisse de leur forme, de leur objet, de leur durée, ou du régime de responsabilité qui leur est applicable (il s'agit de ce que l'on appelle un "contrat innommé" ou d'une "convention sui generis").

Or, dans le régime juridique de la sous-traitance en Italie, selon la partie II de la loi n° 192 du 18 juin 1998, le rapport de sous-traitance est constitué par un contrat qui doit être rédigé par écrit, sous peine de nullité. La loi du 31 décembre 1975 ayant été élaborée en fonction de la sous-traitance immobilière et non pour la sous-traitance industrielle, il convient assurément de donner une bonne fois pour toutes une qualification juridique de la sous-traitance industrielle dans la loi. Les contrats de sous-traitance industrielle ne sont soumis à aucun contrôle de légalité de leurs stipulations (il en va autrement avec la loi n° 95-96 du 1er février 1995, concernant les clauses abusives et la présentation des contrats et régissant diverses activités d'ordre économique et commercial N° Lexbase : L2605DY7 : or, rien de tel dans le domaine des contrats de sous-traitance industriels) et aucun dispositif légal de contrôle a priori ou a posteriori ne vise à protéger les parties contre l'éventualité d'un déséquilibre significatif, au détriment du plus faible d'entre eux, dans le partage entre eux des droits et obligations résultant de leurs conventions. Ceci laisse tout loisir aux donneurs d'ordres d'imposer leurs conditions générales d'achats avec leur éventail de clause abusives sans cesse dénoncées auprès de la Commission d'examen des pratiques commerciales... en vain !

En conclusion, l'ineffectivité de la loi de 1975 à la sous-traitance industrielle trouvant ainsi sa source dans des facteurs d'inadéquation structurelle de ses mécanismes à ce secteur, aucune amélioration ne peut être raisonnablement attendue tant que l'on reste dans ce cadre juridique. C'est la raison qui justifie la recherche de mécanismes différents spécifiques à ce secteur, propres à procurer aux sous-traitants une protection effective, étant observé que cette méthode législative de "diversification" du régime de la sous-traitance pour l'adapter à des domaines particuliers a déjà été suivie par le législateur pour le secteur de la construction de maisons individuelles (loi n° 90-1129 du 19 décembre 1990, relative au contrat de construction d'une maison individuelle N° Lexbase : L2740INS) et pour celui des transports routiers (loi n° 92-1445 du 31 décembre 1992, relative aux relations de sous-traitance dans le domaine du transport routier de marchandises N° Lexbase : L8610AGY, notamment), de préférence à une rénovation globale de la loi de 1975 qui rencontre l'opposition des opérateurs du secteur du bâtiment et des travaux publics, satisfaits de ce texte dans leur domaine. C'est ce qui conduit à proposer le dépôt d'un projet de loi spécifiquement consacré à la sous-traitance industrielle, qui prendrait en compte ses spécificités actuelles, et en particulier l'existence de la sous-traitance en chaîne.


(1) Thierry Charles devrait publier, en janvier 2011, un ouvrage intitulé Le sanctuaire de la sous-traitance industrielle, maison d'édition à définir. Du même auteur, cf. Réforme des délais de paiement et modernisation de l'économie. De l'intention aux actes ?, Edition Lignes de repères, 2009.

newsid:404508

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.