La lettre juridique n°409 du 23 septembre 2010 : Éditorial

Monopole public des jeux d'argent : du price-maker au pacemaker

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


Après avoir charrié les Etats sur leur manque d'entrain à libéraliser le secteur des jeux d'argent, de hasard et autres paris sportifs, l'Union européenne, par l'intermédiaire de son bras judiciaire, la Cour de justice, poursuit son combat en faveur de la concurrence dans ce secteur par trop lucratif, écartelant volontiers les Etats membres, avec un argument imparable : la santé publique. Le 8 septembre 2010, la CJUE est, ainsi, venue apporter certaines précisions en matière de réglementation des jeux, en retenant que le monopole public allemand ne poursuit pas de manière cohérente et systématique l'objectif de lutte contre les dangers liés aux jeux de hasard et doit, par conséquent, être suspendu... Suspendu faute de cohérence et donc d'efficacité dans la lutte contre le jeu pathologique : la logique édificatrice d'une morale libérale à la sauce européenne laisse songeur...

Démonstration. La Cour considère que, dans un souci de canaliser l'envie de jouer et l'exploitation des jeux dans un circuit contrôlé, les Etats sont libres d'instituer des monopoles publics. En particulier, un tel monopole est susceptible de maîtriser les risques liés au secteur des jeux de hasard de manière plus efficace qu'un régime dans lequel des opérateurs privés seraient autorisés, sous réserve du respect de la réglementation applicable en la matière, à organiser des jeux de paris. Ensuite, la Cour observe que la circonstance que divers types de jeux de hasard soient soumis, les uns à un monopole public, les autres à un régime d'autorisations délivrées à des opérateurs privés, ne saurait, à elle seule, remettre en question la cohérence du système allemand. En effet, ces jeux ont des caractéristiques différentes. Ouf ! Nous voici rassurés, les législations protectrices européennes telles que notre loi du 12 mai 2010, relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne, confortant les monopoles d'Etat, non plus dans la commercialisation, mais dans l'organisation du marché des jeux et l'homologation des opérateurs, bénéficient de la clémence bienveillante des caciques de la libre concurrence.

Néanmoins, eu égard aux constatations auxquelles elles ont procédé dans ces affaires, les juridictions allemandes sont fondées à considérer que la réglementation allemande ne limite pas d'une manière cohérente et systématique les jeux de hasard. En effet, d'une part, les titulaires des monopoles publics se livrent à des campagnes publicitaires intensives en vue de maximiser les profits résultant des loteries en s'éloignant ainsi des objectifs justifiant l'existence de ces monopoles. D'autre part, s'agissant des jeux de hasard, tels que les jeux de casino et les jeux automatisés, qui ne relèvent pas du monopole public mais présentent un potentiel de risque d'assuétude supérieur aux jeux soumis à ce monopole, les autorités allemandes mènent ou tolèrent des politiques visant à encourager la participation à ces derniers. Or, dans de telles circonstances, l'objectif préventif de ce monopole ne peut plus être efficacement poursuivi, si bien que celui-ci cesse de pouvoir être justifié. Aie ! C'est le serpent qui se mord la queue : à vouloir courir deux lièvres à la fois -protection de la santé publique et gain commercial croissant-, c'est le monopole des Etats en matière d'organisation des paris sportifs et des loteries qui pourrait bien finir... en civet.

Explication. Les monopoles légaux sont légitimes pour autant qu'ils servent un intérêt collectif, un service public, une ambition morale pour la société, concède Walras. Or, le jeu pathologique est une réalité qui concerne entre 1 et 2 % des joueurs. Trouble de l'impulsion, classé DSM-III, cette psychopathologie appelle une réaction des Etats afin de limiter substantiellement le nombre de "joueurs excessifs" et les coûts sociaux y associés -on sait, désormais, que ce sont les mêmes zones et régions du cerveau qui sont impliquées dans la consommation de cocaïne que dans la pratique excessive des jeux d'argent-. Telle est, du moins, l'ambition officielle de la majorité des Etats européens en faveur d'un marché du jeu réglementé ; pour d'autres, le taux de prévalence du jeu pathologique n'est pas à mettre en rapport avec l'accessibilité aux jeux et il n'y a donc pas lieu de réglementer cet accès... La vérité est, comme souvent, ailleurs : peut-être dans la dizaine de milliards d'euros de chiffre d'affaires des monopoles publics, sûrement dans les centaines de millions d'euros redistribués à l'Etat percepteur et actionnaire. Qui renoncerait à un tel pactole au risque de voir l'offre se multiplier, les prix s'éroder, la rentabilité s'affaisser... et la santé publique en danger (pardon j'oubliais).

Bon, à l'origine, l'intention était louable : alimenter la caisse des "gueules cassées" du colonel Picot -toujours actionnaires de la Française des jeux à hauteur de 9,2 %- au sortir la Première guerre mondiale, tout en renflouant celles de l'Etat assombries par la crise de 1929. Encore une belle initiative de Raymond P., de Bar-Le-Duc, pour varier des plaisirs fiscaux sur l'alcool et le tabac... avec la taxation aux deux tiers de la "traite" des femmes, on n'était ainsi pas loin d'emporter la castration de tous les lucres. Mais force est de constater que l'Etat a du mal à "lâcher la rampe" et à se départir d'une manne financière à la perception indolore, exemple parfait du consentement populaire à l'impôt inscrit à l'article 13 de la DDHC -"L'argent gagné au jeu est deux fois plus précieux que l'argent gagné en travaillant" ; et cela vaut même pour l'Etat organisateur et percepteur-. C'est que Paul Bonhoure et ses cinq millions de francs (de 1933), perçus à l'occasion du premier tirage de la Loterie nationale, aura fait quelques émules... et fait construire quelques stades et autres équipements sportifs à la charge de l'Etat.

Alors, pour rester dans la course, malgré une libéralisation contrôlée du marché des jeux, le monopole public doit faire oeuvre d'innovation -contredisant les théories de Schumpeter sur l'inertie des monopoles en matière de recherche et développement en raison d'une situation confortable sur le marché-, de promotion et de communication autour des jeux qu'il propose. C'est que le loto national n'est plus seul sur les bancs des jeux de tirage et de grattage, sans parler de la diversification des paris sportifs. Ce n'est sans doute pas pour faire de nouveaux émules, toujours plus addicts, que sont apparus les "Astro", "Dédé", "Eldorado", "L'Or des Corsaires", "XIII LA BD CULTE" et autre "VEGAS Brandon/VEGAS Brenda", mais pour promouvoir les sciences exotériques, la réconciliation avec les animaux de la ferme, la littérature imagée et, finalement, l'autodérision.

Plus sérieusement, la publicité des jeux d'argent bat son plein sur tous les médias et les entreprises publiques ne sont pas en reste. A tel point que le CSA a, dès le 18 mai 2010, c'est-à-dire au lendemain de la publication de la loi d'ouverture, invité l'ensemble des éditeurs de services de télévision et de radio à adopter une charte de bonne conduite aux fins de faire respecter l'interdiction des communications commerciales en faveur des opérateurs de jeux sur certains services de radios et de télévision susceptibles d'être destinés à des mineurs, d'en limiter le volume et la concentration, et d'éviter la "dénaturation" du contenu éditorial des programmes des émissions sportives ou hippiques et de celles consacrées au Poker. Une charte de bonne conduite semble donc nécessaire pour réglementer, non pas l'offre de jeux elle-même, mais sa promotion... à charge des médias et non des opérateurs de jeux...

Si bien que, si l'emballement de la promotion des services de jeux de tirage, de grattage ou en ligne ne s'étiole pas, c'est le principal organisateur/annonceur qui en pâtira : quelle légitimité aura-t-il à vouloir régenter -réglementer- directement ou indirectement le marché des jeux d'argent, s'il ne s'oblige pas à une certaine retenue promotionnelle ? A vouloir rétablir un monopole, non plus légal, mais réel ou à défaut un oligopole dans lequel il conserve une position dominante, c'est la libre concurrence qui risque bien de l'emporter et... la pathologie des jeux avec elle.

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