La lettre juridique n°282 du 22 novembre 2007 : Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] Révocation de mandats syndicaux : prédominance de la notification à l'employeur !

Réf. : Cass. soc., 7 novembre 2007, n° 06-13.702, Mme Fabienne Vernet épouse Malidor, FS-P+B (N° Lexbase : A4164DZA)

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par Sébastien Tournaux, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010

Rares sont les décisions de la Cour de cassation ayant l'occasion de se pencher sur le régime juridique applicable à la révocation des délégués syndicaux et des représentants syndicaux au comité d'entreprise. L'intérêt d'une décision portant sur ce thème est encore renforcé par le caractère bien peu prolixe du Code du travail sur la question. Il était donc important de se pencher sur cet arrêt rendu le 7 novembre 2007 par la Chambre sociale, arrêt par lequel elle prend une position plutôt surprenante s'agissant des différentes notifications qui doivent intervenir en matière de révocation d'un mandat syndical. En effet, elle donne nettement la primauté à l'information de l'employeur par rapport à l'information du mandataire syndical (1), solution dont on ne parvient à trouver l'explication que dans une lecture un peu rapide du Code du travail (2).

Résumé

La salariée titulaire d'un mandat de délégué syndical et de représentant syndical au comité d'entreprise perd le bénéfice de son mandat à l'égard de l'employeur à compter du moment où celui-ci est informé par le syndicat de la révocation des mandats, peu importe la régularité de la révocation dans les rapports entre le syndicat et la salariée.

1. La primauté de la notification à l'employeur de la révocation

  • La représentation syndicale s'inscrit dans un ensemble de relations complexe

Lorsqu'il s'agit d'étudier le rôle et le fonctionnement des institutions représentatives du personnel dans l'entreprise, se pose fréquemment la question de savoir si cette représentation doit s'apparenter à une représentation civile, dont l'avatar le plus abouti est le contrat de mandat, ou s'il faut plutôt la rapprocher de la représentation politique (1). Le rapprochement au mandat civil implique une relation complexe, dans laquelle il faut nécessairement faire une place au tiers.

Le délégué syndical et le représentant syndical au comité d'entreprise sont, au vu des dispositions de l'article L. 412-11 du Code du travail (N° Lexbase : L6331ACH), des représentants du syndicat auprès de l'employeur. Cette relation semble donc être tripartite. Le délégué syndical est mandataire d'un syndicat qui constitue le mandant dans ses relations avec le tiers qu'est l'employeur. Cette relation peut donc être rapprochée de celle qui gouverne les relations entre mandant, mandataire et tiers en droit civil.

Le caractère complexe de cette relation peut emporter des difficultés quant à la mise en place du représentant et, comme en l'espèce, lors de la cessation de son mandat.

  • La révocation des mandats syndicaux

Il faut, au préalable, constater que la question de la révocation des mandats syndicaux n'est que très rapidement abordée dans le Code du travail et, en outre, qu'elle n'a que très rarement été traitée par la Cour de cassation.

S'agissant du délégué syndical, seul le troisième alinéa de l'article L. 412-16 du Code du travail (N° Lexbase : L6336ACN) évoque la cessation de ses fonctions en imposant une publicité identique à celle qui s'impose lors de sa désignation (2). Les délégués syndicaux peuvent être librement révoqués par le syndicat qui les a désignés. Mais, la rareté du contentieux relatif à cette question reflète la faible importance de cette voie pour mettre fin au mandat. Il est plus fréquent que le mandat soit interrompu du fait de la cessation de la relation de travail, par démission ou licenciement.

S'agissant du représentant syndical au comité d'entreprise, le droit du travail est encore plus laconique puisque seule l'assimilation opérée dans les entreprises de moins de 300 salariés entre le délégué syndical et ce représentant a permis, par analogie, d'identifier le régime de sa révocation (3). On considère donc, généralement, que, comme le délégué syndical, le représentant au comité peut être librement révoqué par le syndicat (4).

Les mandataires syndicaux sont donc révoqués par le syndicat. Pour autant, le tiers tient, ici, une place toute particulière, comme l'illustre parfaitement la décision commentée.

  • En l'espèce

La salariée, déléguée syndicale et représentante syndicale au comité d'entreprise, avait continué à bénéficier des heures de délégation liées à ses mandats alors même que le syndicat qui l'avait désignée avait notifié à l'employeur sa révocation. La salariée soutenait que, n'ayant pas été informée de la révocation, elle ne pouvait produire d'effet à son égard et, partant, les heures de délégation devaient lui être rémunérées.

La Cour de cassation, confirmant la solution rendue par les juges du fond, estime que la notification par le syndicat à l'employeur de la révocation des mandats fait perdre à la salariée le bénéfice de ses mandats. Autrement dit, quoique la révocation n'ait pas été notifiée à l'intéressée, le mandat avait pris fin et la salariée ne pouvait plus légitimement bénéficier des heures de délégation.

Par cette décision, la Chambre sociale de la Cour de cassation distingue très nettement la dualité de relation qui caractérise la représentation syndicale dans l'entreprise. En effet, par le jeu de cette représentation, le syndicat est impliqué dans deux relations juridiques distinctes, l'une avec le salarié désigné, l'autre avec l'employeur tiers. La fin du mandat a donc nécessairement des effets à l'égard du tiers qui ne doit plus pouvoir être soumis aux obligations que le droit du travail met à sa charge tant que le mandat est actif.

Cette solution paraît très sérieusement discutable. La Chambre sociale de la Cour de cassation semble, en effet, donner plus d'importance à la notification de la révocation à l'employeur, pourtant tiers à la relation, plutôt qu'à la notification au mandataire.

La comparaison de cette solution avec le régime juridique guidant le mandat civil met encore un peu plus en lumière les incohérences de la solution.

2. La révocation d'un mandat syndical influencée par une lecture rapide du Code du travail

  • Les règles issues du Code du travail

Comme nous l'avons déjà évoqué, seul l'article L. 412-16 du Code du travail s'intéresse à la révocation du représentant syndical. Cette disposition ayant pour seul objet la notification à l'employeur par le syndicat de la révocation, ainsi que certaines règles de publicité (5), on pouvait penser que l'essentiel résidait dans la notification à l'employeur de la cessation du mandat.

Pourtant, ce raisonnement nous paraît un peu rapide. En effet, avant qu'il puisse y avoir notification de la révocation, encore faut-il qu'il y ait révocation ! En l'absence de règles gouvernant le régime de la révocation du mandat syndical en droit du travail, il convient probablement de se tourner vers le droit commun du mandat.

Il est possible d'objecter, quoiqu'il ne s'agisse pas là d'une question soulevée par l'arrêt, qu'il paraît douteux que la salariée n'ait pas été informée de la cessation de ses mandats puisque l'employeur devait procéder à des formalités de publicité dans pareille situation. L'affichage dans l'entreprise de la cession du mandat aurait dû suffire à porter la situation à la connaissance de la salariée. Il n'empêche que la salariée n'avait reçu aucune notification de la révocation provenant du syndicat.

Quoiqu'il en soit, cette primauté donnée à la notification à l'employeur semble tout à fait contraire aux règles applicables au mandat civil.

  • La révocation du mandat civil

Les articles 2003 et suivants du Code civil (N° Lexbase : L2238ABI) organisent la cessation du contrat de mandat entre le mandant et le mandataire. Ils prévoient, également, de quelle manière le tiers peut, ou non, être affecté par l'extinction de la représentation.

Ainsi, par exemple, le tiers ne peut se voir opposer la fin de la représentation s'il n'en a pas été dûment informé. Cette règle trouve son pendant en droit du travail, puisque l'article L. 412-16 du Code du travail prévoit explicitement que l'employeur doit être informé de la cessation du mandat.

Une règle inverse protège le mandataire lorsqu'il effectue des actes de représentation alors qu'il n'avait pas connaissance de la cessation du mandat. Ainsi, l'article 2008 du Code civil (N° Lexbase : L2243ABP) prévoit-il que "si le mandataire ignore la mort du mandant ou l'une des autres causes qui font cesser le mandat, ce qu'il a fait dans cette ignorance est valide".

Or, on peut avoir l'impression dans cet arrêt que, contrairement à ce qui est classiquement jugé pour la révocation du mandat civil (6), la révocation du mandat syndical serait un acte juridique non réceptice. Le mandat syndical prendrait fin non pas au moment où le salarié est informé de la révocation, mais au moment où le syndicat émet la volonté d'y mettre fin. Si les règles classiques du mandat avaient été appliquées, il aurait fallu considérer qu'il n'y avait pas de révocation, qu'il ne pouvait y avoir notification à l'employeur d'un acte inexistant et, partant, que l'usage d'heures de délégation était valable.

  • Une dissociation apparente entre mandat civil et mandat syndical

L'application de l'article 2008 du Code civil au mandat syndical aurait, à première vue, permis de rendre une solution différente dans cette affaire. En effet, les actes effectués par le mandataire non informé de la révocation restant valable, on aurait pu considérer que l'usage fait par la salariée de ses heures de délégation devait, également, être considéré comme justifié.

Malgré tout, la Cour précise explicitement que, si la révocation fait perdre au salarié les bénéfices qu'il tirait de la représentation à compter du moment où l'employeur est informé de la fin du mandat, l'employeur n'avait "pas à s'interroger sur la régularité, dans les rapports du syndicat et de sa mandante [sic], de la révocation intervenue".

On peut voir, en filigrane, de cette affirmation, la potentialité d'un recours de la salariée contre le syndicat n'ayant pas assumé une véritable notification de la révocation. La salariée n'étant pas correctement informée, elle a continué à utiliser ses heures de délégation. Mais la responsabilité de cet usage injustifié ne repose pas sur les épaules de l'employeur ou de la salariée. C'est le syndicat qui devrait supporter la responsabilité de ce défaut de notification.

Si une action en responsabilité de la salariée contre le syndicat s'avère possible, la salariée pourra probablement obtenir le recouvrement des sommes perdues du fait du non-paiement des heures de délégation. Il s'agirait, cependant, là, d'une application bien cavalière de l'article 2008 du Code civil, pour lequel les actes effectués par le mandataire dans cette situation sont censés être valides.

  • Une solution alternative envisageable

Une autre solution aurait pu être envisagée. La Cour aurait pu estimer que la révocation n'ayant pas été notifiée, ses actes demeuraient valides, et les heures de délégation pouvaient donc être utilisées.

Ce faisant, c'est l'employeur qui aurait été lésé et il aurait fallu permettre une action en responsabilité de l'employeur contre le syndicat pour ne pas avoir correctement révoqué la mandataire syndicale. Les dispositions de l'article 2008 auraient alors été respectées à la lettre.

Dans cette hypothèse, c'est l'employeur, tiers à la relation, qui aurait subi les conséquences des défaillances syndicales. Mais, les dispositions du Code civil concernant les tiers se limitent à leur protection en cas de mandat apparent, c'est-à-dire de croyance légitime que le mandat n'avait pas été révoqué. L'employeur aurait pu prendre ses dispositions et informer la salariée que son mandat avait été révoqué par le syndicat, quoique cela ne rentre manifestement pas dans ses fonctions.

La Cour de cassation applique donc une analogie très adaptée du régime du mandat civil au mandat syndical, alors même que le Code du travail ne prescrit pas de régime autonome de ce mandat. Preuve, s'il en fallait encore, de la difficulté d'assimiler totalement les deux techniques.


(1) V. J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, Droit du travail, Dalloz, 23ème éd., 2006, p. 637. S'agissant des salariés disposant de mandats syndicaux, il fallait, d'ailleurs, au préalable, que soit réglée la question de savoir s'ils constituaient bien des institutions représentatives du personnel. Malgré les doutes résidant dans la rédaction du premier alinéa de l'article L. 412-11 du Code du travail (N° Lexbase : L6331ACH), une réponse positive fut apportée par la Cour de cassation en 2002, v. Cass. soc., 19 février 2002, n° 00-40.657, Société Cibox c/ M. Jean-Pierre Arnoux, FS-P (N° Lexbase : A0340AYA) ; Dr. soc. 2002, p. 1073, note F. Petit.
(2) Sur ce formalisme, v. Cass. soc., 20 novembre 2002, n° 00-42.673, Société Screg c/ M. Pierre Poujade, F-D (N° Lexbase : A0446A4B) et les obs. de A. Garat, Vers un renforcement de la portée des formalités de cessation des fonctions d'un délégué syndical ?, Lexbase Hebdo n° 50 du 5 décembre 2002 - édition sociale (N° Lexbase : N4992AA7).
(3) Assimilation prévue par l'article L. 412-17 du Code du travail (N° Lexbase : L6337ACP).
(4) J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, préc., p. 829.
(5) Le texte prévoit l'affichage dans l'entreprise de la révocation et la notification de celle-ci à l'inspection du travail.
(6) V., par ex., Cass. civ. 3, 28 février 1984, n° 82-15.062, SA Sireco c/ Brethaux, Biltgen (N° Lexbase : A0329AAG).
Décision

Cass. soc., 7 novembre 2007, n° 06-13.702, Mme Fabienne Vernet épouse Malidor, FS-P+B (N° Lexbase : A4164DZA)

Rejet (CA Fort-de-France, chambre civile, 5 décembre 2005)

Texte concerné : néant.

Mots-clés : mandats syndicaux ; révocation ; date de la révocation ; employeur destinataire de la notification.

Lien bases :

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