La lettre juridique n°277 du 18 octobre 2007 : Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] La détermination de l'employeur d'un artiste de spectacle

Réf. : Cass. soc., 3 octobre 2007, n° 06-40.449, M. Frédéric Schulz, FS-P+B (N° Lexbase : A6608DYE)

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par Sébastien Tournaux, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010


Les frontières du salariat demeurant encore parfois un peu floues (1), le Code du travail a imposé, dans certaines hypothèses, que les relations soient nécessairement soumises à l'existence d'un contrat de travail. Ainsi en va-t-il, par exemple, du mannequinat ou du journalisme. C'est encore le cas des contrats conclus par les artistes de spectacle en vue de leur production. Ces travailleurs un peu particuliers bénéficient d'une présomption de salariat instituée par l'article L. 762-1 du Code du travail (N° Lexbase : L5342ACT). L'arrêt du 3 octobre 2007, rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation, statuant sur la relation que peuvent entretenir deux artistes d'un même numéro de spectacle, apporte quelques précisions quant au fonctionnement de cette présomption. En effet, la Cour ajoute une nouvelle condition à ladite présomption (1), nouvelle condition sur laquelle il convient d'apporter un regard critique (2).

Résumé

La présomption de contrat de travail posée par l'article L. 762-1 du Code du travail ne vaut qu'entre les organisateurs de spectacles et les artistes y participant. Si les relations s'établissent entre un artiste et une autre personne n'étant pas en charge de l'organisation du spectacle, l'existence d'un contrat de travail s'établit selon les règles habituelles, c'est-à-dire par la caractérisation d'un lien de subordination.

1. L'ajout d'une condition à la présomption de salariat des artistes de spectacle

  • L'existence d'une présomption de salariat

L'article L. 762-1 du Code du travail met en place une présomption de contrat de travail au bénéfice des artistes de spectacle (2). Ainsi, "tout contrat par lequel une personne physique ou morale s'assure, moyennant rémunération, le concours d'un artiste du spectacle en vue de sa production, est présumé être un contrat de travail".

L'existence d'une telle présomption n'est pas réservée aux artistes de spectacle. Le même mécanisme est utilisé par le législateur pour les mannequins (3), pour les ouvreuses préposées aux vestiaires et les vendeurs de programmes (4) ou, encore, pour les journalistes professionnels (5).

Ces présomptions visent à résoudre les difficultés inhérentes à l'établissement d'un lien de subordination, mais aussi à préserver certains aspects sensibles de ces relations, tels que la liberté d'expression inhérente à ces professions. S'agissant, plus précisément, de la relation entre l'artiste et le producteur, ce mécanisme probatoire s'avère très nettement favorable à l'artiste qui pourra choisir entre salariat et activité indépendante. En effet, l'article L. 762-1 ajoute que la présomption disparaît lorsque l'artiste exerce son activité "dans des conditions impliquant son inscription au registre du commerce".

  • Les conditions de l'application et du renversement de la présomption

Pour que l'artiste puisse revendiquer l'application de la présomption, il suffit qu'il ait conclu un contrat en vue de sa production moyennant rémunération. Peu importe la qualification conférée par les parties au contrat. De la même manière, le fait que le cocontractant de l'artiste soit une personne physique ou morale n'a aucune influence sur l'existence de la présomption.

La présomption continue de s'appliquer quand bien même l'artiste conserve la liberté d'expression inhérente à son art, qu'il soit propriétaire de son matériel ou, de façon plus surprenante, qu'il emploie lui-même une ou plusieurs personnes pour le seconder. De la même manière, le mode et le montant de la rémunération n'ont pas d'influence sur le jeu de la présomption, y compris si la rémunération n'est pas versée directement par l'organisateur du spectacle (6).

La présomption comporte donc un spectre très large. Elle n'est, pourtant, pas irréfragable puisque la relation ne sera pas considérée comme étant soumise à un contrat de travail si l'artiste exerce son activité dans des conditions impliquant son inscription au registre du commerce et des sociétés.

La référence au registre du commerce et des sociétés ne va pas sans rappeler la présomption prévue par l'article L. 120-3 du Code du travail (N° Lexbase : L1422G9K) même s'il s'agit là du mécanisme inverse. En effet, ce texte pose une présomption de non-salariat lorsque le travailleur est inscrit au RCS alors que, s'agissant des artistes de spectacle, ce rattachement matériel au registre du commerce ne sert qu'à combattre la présomption.

Malgré ces dispositions très précises du Code du travail, la Chambre sociale de la Cour de cassation est amenée à fournir une précision quant au champ de la présomption.

  • En l'espèce

Un bref rappel des faits de l'arrêt peut être utile à la compréhension de l'ajout opéré par la Chambre sociale. Dans cette affaire, une danseuse chorégraphe travaillait avec un illusionniste dans le cadre de contrats conclus avec une société organisatrice de spectacles. Après une interruption de travail, l'illusionniste n'avait plus fait appel aux services de la danseuse. Estimant qu'elle était liée au prestidigitateur par un contrat de travail, lequel avait, dès lors, été rompu irrégulièrement, elle avait intenté une action prud'homale afin de voir, notamment, la relation requalifiée en contrat de travail par application de la présomption de salariat des artistes de spectacle.

Alors que la cour d'appel avait favorablement reçu sa demande, la Chambre sociale de la Cour de cassation casse la décision des juges du fond au visa des articles L. 121-1 (N° Lexbase : L5443ACL) et L. 762-1 du Code du travail. Elle estime, en application de ces textes, que "la présomption de contrat de travail posée par l'article L. 762-1 du Code du travail ne vaut qu'entre les organisateurs de spectacles et les artistes y participant".

Ce faisant, la Chambre sociale ajoute une condition à l'application de la présomption qui n'est pas expressément comprise dans le texte. En effet, le Code du travail vise "tout contrat" conclu par l'artiste sans apporter aucune précision quant à la qualité du cocontractant. L'exclusion du jeu de la présomption n'exclut pas, pour la Cour de cassation, l'existence d'une relation de travail salariée entre l'illusionniste et la danseuse, mais à condition de revenir aux critères classiques de l'établissement de l'existence d'un contrat de travail, c'est-à-dire à la caractérisation d'un lien de subordination.

S'il s'agit bien d'un ajout formel au texte, nous allons voir que, sur le fond, cette règle n'a rien d'étonnant et répond à la logique générale de l'article L. 762-1.

2. Appréciation de la nouvelle condition de la présomption de salariat des artistes de spectacle

  • Une nouvelle condition induite du texte

Le quatrième alinéa de l'article L. 762-1 du Code du travail prévoit que "le contrat de travail doit être individuel" mais que, "toutefois, il peut être commun à plusieurs artistes lorsqu'il concerne des artistes se produisant dans un même numéro ou des musiciens appartenant au même orchestre". En outre, le second alinéa prévoit, in fine, que l'artiste bénéficiant de cette présomption peut parfaitement employer "lui-même une ou plusieurs personnes pour le seconder, dès lors qu'il participe lui-même au spectacle". L'usage du verbe "employer" dans ce dernier texte est très certainement malheureux, les différents artistes étant tous salariés du même employeur. On peut, en effet, considérer que ces dispositions placent l'ensemble des artistes participant à un numéro sur le même plan. Tous seront salariés, peu important qu'un seul ait signé le contrat de travail qui leur sera commun, peu important que les uns soient "employés" à seconder les autres.

Ainsi, il a déjà été reconnu que le chef d'orchestre qui signe les contrats d'engagements et agit en tant que mandataire des autres musiciens, n'est pas l'employeur de ces autres artistes qui ne peuvent revendiquer contre lui l'application de la présomption de salariat (7).

La présomption de salariat n'est donc pas, en elle-même, limitée. La danseuse pourra toujours obtenir que sa prestation soit qualifiée de relation de travail par application de ce mécanisme. En revanche, c'est la détermination de son employeur qui se trouve plus strictement encadrée. Les autres artistes participant au même numéro ne pourront être qualifiés d'employeur qu'à la condition qu'un lien de subordination soit démontré. Dans le cas contraire, seul le véritable maître d'oeuvre, c'est-à-dire l'organisateur du spectacle, pourra se voir imposer le jeu de la présomption.

  • L'éventualité d'une incompatibilité

Cette solution a le mérite d'éviter, en outre, de se trouver dans une situation surprenante dans laquelle l'artiste se trouverait, pour une même prestation de travail, sous la subordination de deux employeurs distincts. C'est, d'ailleurs, étonnement dans ce sens qu'avait statué la cour d'appel en décidant que la danseuse était engagée en vertu d'un contrat de travail à la fois par la société organisatrice et par l'illusionniste.

Ce risque n'est, cependant, pas tout à fait écarté. En effet, le cumul demeure toujours envisageable à la condition de démontrer l'existence, entre les deux artistes, d'un lien de subordination. Dans ces conditions, ce contrat de travail viendrait se superposer à un autre contrat de travail conclu entre la société organisatrice et l'artiste par application de la présomption de l'article L. 762-1 du Code du travail.

Pour éviter cette situation, la Chambre sociale de la Cour de cassation aurait pu exclure toute possibilité d'établir un lien de subordination entre les différents artistes d'un numéro à compter du moment où une relation de travail peut être présumée à l'égard de la société organisatrice. Ce n'est pourtant pas le choix qui a été effectué et l'on peut parfaitement imaginer les conséquences ubuesques auxquelles pourrait mener, dans cette situation, l'établissement de deux contrats de travail pour le même objet. Ainsi, par exemple, chaque employeur serait tenu de verser une rémunération distincte à l'artiste salarié pour une même prestation.

Même s'il ne peut en aucun cas s'agir là d'une justification, il faut, néanmoins, constater que cette solution s'accorde finalement assez bien avec les conditions particulièrement exceptionnelles qui guident l'établissement des contrats de travail d'artistes salariés. Ainsi, rappelons que le contrat de travail des artistes d'un même numéro peut être un contrat de travail "collectif", un seul contrat étant établi pour l'ensemble de la troupe sans qu'il soit toujours nécessaire que l'ensemble des artistes ait signé ces contrats.

Contrats de travail à plusieurs salariés, cumul de contrats de travail possible pour une même prestation, le droit du travail appliqué aux artistes de spectacle s'affiche décidément bien comme une oeuvre originale !


(1) V. nos obs., Les frontières encore floues du salariat, Lexbase Hebdo n° 268 du 12 juillet 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N7835BBS).
(2) Le texte offre une liste non exhaustive des activités qui permettent de considérer que le travailleur est un artiste de spectacle. Il s'agit, notamment, de l'artiste lyrique, de l'artiste dramatique, de l'artiste chorégraphique, de l'artiste de variétés, du musicien, du chansonnier, de l'artiste de complément, du chef d'orchestre, de l'arrangeur-orchestrateur et, pour l'exécution matérielle de sa conception artistique, du metteur en scène.
(3) C. trav., art. L. 763-1 (N° Lexbase : L6817ACH).
(4) C. trav., art. L. 781-1 (N° Lexbase : L6860AC3).
(5) C. trav., art. L. 761-2 (N° Lexbase : L6790ACH).
(6) Cass. soc., 20 novembre 1985, JCP éd. E, 1986, I, 15578, n° 1, obs. B. Teyssié.
(7) Cass. soc., 4 janvier 1990, n° 86-45.681, M. Gimenez c/ M. Pontac (N° Lexbase : A1362AAP).
Décision

Cass. soc., 3 octobre 2007, n° 06-40.449, M. Frédéric Schulz, FS-P+B (N° Lexbase : A6608DYE)

Cassation (CA Paris, 18ème ch., sect. D, 3 janvier 2006, n° 05/04595, Melle Agnès Lacroix c/ M. Frédéric Schulz N° Lexbase : A4687DPB)

Textes visés : C. trav., art. L. 121-1 (N° Lexbase : L5443ACL) et L. 762-1 (N° Lexbase : L5342ACT).

Mots-clés : artistes de spectacle ; présomption de salariat ; limites de la présomption.

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