La lettre juridique n°277 du 18 octobre 2007 : Contrats et obligations

[Le point sur...] Quelques observations sur le jeu de la condition suspensive dans les contrats préparatoires

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par David Bakouche, Professeur agrégé des Facultés de droit

le 01 Novembre 2013

Les prix du marché de l'immobilier expliquent, sans doute, qu'il soit devenu assez habituel que les contrats préparatoires qui, comme leur nom l'indique, préparent le contrat définitif, soient conclus sous condition suspensive, le plus souvent sous condition de l'obtention par le débiteur d'un prêt lui permettant le financement de l'opération envisagée. Ainsi la plupart des promesses de vente, synallagmatiques ou unilatérales, sont-elles conclues sous conditions. Et, logiquement, afin, notamment, de ne pas voir sa responsabilité engagée pour avoir commis une faute en octroyant un crédit manifestement excessif eu égard au patrimoine de l'emprunteur, le banquier qui estime les capacités financières de celui-ci insuffisantes refusera de lui accorder le prêt sollicité, ce qui, donc, aura pour effet d'empêcher la réalisation d'une vente sous condition suspensive, précisément sous condition de l'octroi d'un prêt (cf. l’Ouvrage "Contrats spéciaux" N° Lexbase : E2099EYE et N° Lexbase : E2107EYP). L'article 1168 du Code civil (N° Lexbase : L1270ABN) dispose, en effet, faut-il même le rappeler, que "l'obligation est conditionnelle lorsqu'on la fait dépendre d'un événement futur et incertain, soit en la suspendant jusqu'à ce que l'événement arrive, soit en la résiliant, selon que l'événement arrivera ou n'arrivera pas", et l'article 1176 (N° Lexbase : L1278ABX) précise que, "lorsqu'une obligation est contractée sous la condition qu'un événement arrivera dans un temps fixe, cette condition est censée défaillie lorsque le temps est expiré sans que l'événement soit arrivé". Encore faut-il que la non réalisation de la condition ne soit pas due à la faute de l'emprunteur ou, plus largement, du débiteur lui-même qui n'aurait, par exemple, pas sollicité le prêt nécessaire à la vente. Ainsi l'article 1178 du Code civil (N° Lexbase : L1280ABZ) dispose-t-il que "la condition est réputée accomplie lorsque c'est le débiteur, obligé sous cette condition, qui en a empêché l'accomplissement". C'est l'hypothèse sans doute la plus fréquente en jurisprudence, où l'on se demande si la défaillance de la condition doit être considérée comme le fait du débiteur. Un arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation en date du 12 septembre dernier, à paraître au Bulletin, et ici même commenté, nous avait d'ailleurs permis d'y insister (1). On avait ainsi pu constater, dans une hypothèse où le débiteur de la condition avait, certes, bien demandé à son banquier un prêt, sans pour autant que les caractéristiques du prêt demandé correspondent exactement à celles de la promesse de vente assortie de la condition suspensive, que la Cour avait, semble-t-il, fait une lecture assez souple de l'article 1178 du Code civil, alors que certaines décisions avaient, au contraire, nettement affirmé qu'il appartient à l'emprunteur de démontrer qu'il a sollicité un prêt exactement conforme aux caractéristiques définies dans la promesse de vente (2), si bien, par exemple, qu'il a été jugé que l'emprunteur avait commis une faute en demandant un prêt supérieur à celui prévu dans la promesse de vente (3). En l'espèce, s'appuyant sur des considérations d'ordre économique, la Cour avait considéré que, quand bien même le prêt demandé n'aurait pas tout à fait respecté les caractéristiques définies dans la promesse de vente, il aurait en tout état de cause été refusé par l'établissement de crédit, si bien que la défaillance de la condition ne devait pas être imputée au débiteur. Mais d'autres hypothèses se rencontrent également en jurisprudence, sur lesquelles on aimerait à présent revenir.

Ainsi la jurisprudence a-t-elle eu à connaître du cas dans lequel l'obligé se garde bien de révéler à l'autre que la condition suspensive ne pourra se réaliser parce qu'elle a déjà défailli. La question s'était explicitement posée dans une affaire ayant donné lieu à un arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation en date du 31 mars 2005 (4). En l'espèce, une promesse de vente avait été conclue sous condition d'obtention d'un certificat d'urbanisme ou d'une note de renseignement d'urbanisme ne révélant aucune restriction significative susceptible de déprécier l'immeuble ou le rendre impropre à sa destination et sous condition de l'absence de servitude légale ou conventionnelle. Or, le bénéficiaire, ayant appris que le vendeur avait créé sur le fonds une servitude au profit du fonds voisin, avait finalement demandé l'exécution de la convention, donc la réalisation de la vente, renonçant ainsi à se prévaloir de la condition suspensive, mais avait sollicité en parallèle des dommages et intérêts sous la forme d'une réduction du prix. La Cour de cassation, pour rejeter cette demande, énonce que "les époux n'avaient pour seule alternative que de se prévaloir de la caducité de la promesse ou d'y renoncer et de poursuivre la vente aux conditions initiales, ce qu'ils avaient refusé", si bien qu'ils n'étaient pas fondés à demander la réalisation forcée de la vente moyennant la réduction du prix à titre de dommages et intérêts. L'arrêt enseigne donc, en traitant la question de la défaillance de la condition de façon purement objective, que le contrat est en quelque sorte à prendre ou à laisser pour le contractant en faveur duquel la condition avait été stipulée, sans qu'une renégociation ne soit concevable en considération de la bonne ou de la mauvaise foi de l'autre partie.

Une dernière hypothèse reste à envisager : celle de la prise en considération de la bonne ou de la mauvaise foi du promettant qui invoque la défaillance de son cocontractant dans la réalisation attendue de la condition suspensive. Un arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation du 14 septembre 2005 est, à cet égard, éclairant (5). En l'espèce, des époux promettent de vendre un immeuble donné à bail à des tiers auxquels ils ont délivré congé. Ils le font sous condition suspensive que la maison soit libérée au jour de la vente par acte authentique. Or, la condition ne s'étant pas réalisée dans le délai convenu, les promettants vendent le bien, moyennant un prix supérieur, à d'autres que leurs cocontractants. Ceux-ci les assignent, demandant, d'une part, la nullité de la vente et, d'autre part, que la vente soit à leur égard considérée comme parfaite. Les juges du fond avaient accueilli ces prétentions, faisant valoir que les promettants devaient soumettre leur nouvelle proposition à ceux auxquels ils avaient initialement promis de vendre et qui avaient été évincés par l'attitude inconséquente des locataires laissés en place. Leur décision est cependant cassée, sous le visa de l'article 1134, alinéa 3, du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC) : "en statuant ainsi, alors que l'obligation de bonne foi suppose l'existence de liens contractuels et que ceux-ci cessent lorsque la condition suspensive auxquels ils étaient soumis a défailli, la cour d'appel a violé le texte susvisé". Autrement dit, et c'est l'apport de l'arrêt, une fois la défaillance de la condition acquise, l'éventuelle mauvaise foi du promettant devient indifférente.


(1) Cass. civ. 3, 12 septembre 2007, n° 06-15.640, Mme Jeannine Grégoire, veuve Tournay, FS-P+B (N° Lexbase : A2167DYW) et nos obs., Promesse de vente immobilière et défaillance de la condition suspensive, Lexbase Hebdo n° 274 du 25 septembre 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N4965BCU).
(2) Voir, not., Cass. civ. 1, 13 novembre 1997, n° 95-18.276, M. Gabizon et autre (N° Lexbase : A0647ACX), Bull. civ. I, n° 310 ; Cass. civ. 1, 9 février 1999, n° 97-10.195, Epoux Dubuis c/ Epoux Herolt (N° Lexbase : A0167AUQ), Bull. civ. I, n° 50 ; Cass. civ. 1, 7 mai 2002, n° 99-17.520, M. Sylvain Lefebvre c/ M. Jean-François Segard, F-P (N° Lexbase : A6204AYG), Bull. civ. I, n° 124.
(3) Cass. civ. 3, 8 décembre 1999, n° 98-10.766, Société Pia c/ Epoux Guillard et autre (N° Lexbase : A5417AWK), Bull. civ. III, n° 240.
(4) Cass. civ. 3, 31 mars 2005, n° 04-11.752, M. Pascal Moreau c/ M. Frédéric Fernandez, FS-P+B (N° Lexbase : A4572DHS), RJDA 2005, n° 946, p. 807.

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