La lettre juridique n°175 du 7 juillet 2005 : Droit financier

[Focus] Alternext (3), marché organisé : vers un nouveau "syndrome du hors cote" ?

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N6336AII

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le 07 Octobre 2010

Dernier en date des marchés créés par Euronext, Alternext offre, depuis le 17 mai 2005, ses services aux petites et moyennes entreprises (PME) de la zone Euro et a, à cette fin, été doté de règles de fonctionnement qui permettent un accès simplifié, à un coût réduit, aux offres d'investissement. Marché des petites valeurs, il s'inscrit, toutefois, dans une perspective plus vaste, concernant la création d'un marché de capitaux européen unifié. C'est à ce titre qu'il est soumis a des exigences spécifiques, tant en matière d'information que de contrôle des abus de marché. Sans doute est-il, par ailleurs, né sous de bons auspices car, dès sa création, il a dû faire l'objet d'un intérêt particulier de la part de la puissance publique, sans doute parce qu'il offre la double perspective, d'une part, d'offrir de nouvelles sources de financement pour les PME françaises et, d'autre part, d'attirer nombre de sociétés européennes sur la place de Paris. L'annonce, le 20 juin dernier, de l'introduction de mesures fiscales spécifiques à l'investissement dans les PME, conçues explicitement pour inciter le public à investir sur Alternext, atteste, ainsi, du potentiel qu'il présente au plan économique. Pour autant, au-delà de l'aspect conjoncturel de ces dispositions, les innovations juridiques vont bien plus avant que ce seul aspect fiscal. En effet, selon les termes mêmes d'Euronext, Alternext est un marché "régulé". Comment interpréter ce terme ? S'agit-il d'une nouvelle catégorie juridique de marché susceptible de conduire à reconsidérer à la fois l'étagement normatif des règles boursières et la nature des sujétions qui y sont applicables (I) ? Il est difficile d'en juger au premier abord si on s'en réfère à l'organisation contemporaine des marchés, telle qu'elle ressort du cadre posé successivement par la directive sur les services d'investissement (DSI) (directive 93/22/CEE du Conseil du 10 mai 1993 concernant les services d'investissement dans le domaine des valeurs mobilières N° Lexbase : L7726AUP) et par la loi de modernisation des activités financières (MAF) (loi n° 96-597 du 2 juillet 1996 de modernisation des activités financières N° Lexbase : L5893A4Z). Face à l'opposition marchés réglementés/marchés de gré à gré, Alternext prend une place particulière dans l'organisation des marchés boursiers car il présente des caractéristiques hybrides, puisqu'il se trouve -dans une certaine mesure- indirectement placé sous le contrôle de la puissance publique tout en obéissant à un fonctionnement contractuel. Marché organisé, s'il en est, on peut s'interroger sur les implications qu'emportera son fonctionnement quant aux relations juridiques qui s'établiront à l'occasion des opérations (II). Par certains aspects, d'ailleurs, ces incertitudes rappellent celles qui ont marqué le fonctionnement du hors cote dans l'organisation boursière antérieure à la loi MAF.

I - Place d'Alternext dans l'organisation contemporaine des marchés

La place d'Alternext dans l'organisation des marchés, bien qu'étant amenée à évoluer à mesure de l'intégration future des opérations dans un espace européen unifié, impose d'adopter une analyse conforme aux données du droit positif, c'est-à-dire celui qui ressort des dispositions de la loi MAF et de la DSI de 1993 (A). Pour autant, cette analyse théorique est impuissante à traduire la complexité de la pratique boursière (B) qui obéit à une logique propre, détachée des exigences strictement juridiques de l'encadrement des marchés.

A - Place d'Alternext dans la division duale : marchés de gré à gré et marchés réglementés

Il faut rechercher la genèse de la structuration juridique des marchés dans l'aboutissement des négociations DSI qui avait débouché, à l'issue de ce qu'il faut désormais considérer comme un compromis, sur une organisation autour de deux structures : les marchés réglementés et les marchés de gré à gré. Ces derniers, en principe, n'auraient dû être fondés que sur la seule volonté des opérateurs, alors que, pour les premiers, la directive posait, en principe, qu'il s'agissait de marchés placés sous la tutelle des Etats membres, faisant l'objet d'un "fonctionnement régulier", formalisé par un encadrement par des "règles de marché".

Dans sa dernière rédaction, en date de 2003 (loi nº 2003-706 du 1er août 2003 de sécurité financière N° Lexbase : L3556BLB), l'article L. 421-1 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L2568DKC), qui transpose ce principe, formalise le contrôle étatique par le mécanisme de la reconnaissance "de la qualité de marché réglementé d'instruments financiers [...] décidée par arrêté du ministre chargé de l'Economie sur la proposition de l'Autorité des marchés financiers". Quant aux conditions de fond, celles-ci figurent, désormais, à l'article L. 421-3 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L6380DI7), qui dispose que "pour être reconnu comme marché réglementé, un marché d'instruments financiers doit garantir un fonctionnement régulier des négociations. Doivent notamment être fixées par les règles de ce marché, établies par l'entreprise de marché définie à l'article L. 441-1 (N° Lexbase : L3163G9Z), les conditions d'accès au marché et d'admission à la cotation, les dispositions d'organisation des transactions, les conditions de suspension des négociations d'un ou plusieurs instruments financiers, les règles relatives à l'enregistrement et à la publicité des négociations. Ces règles sont approuvées par l'Autorité des marchés financiers".

Or, la création d'Alternext répondant au souci de créer un marché dont l'accès et les règles de fonctionnement devaient être adaptées aux PME, sa structure pouvait difficilement adopter le statut de marché réglementé, ce dernier étant soumis à des contraintes très rigoureuses impossibles a priori -notamment au plan financier- à respecter pour des petites entreprises. Le rejet de cette solution aurait donc dû, en théorie, aboutir à faire d'Alternext un marché de gré à gré.

Les analyses de la doctrine ont, sur ce point, été quasi-unanimes, l'année de l'adoption de la loi MAF, le choix offert se résumant, selon celle-ci, en une organisation binaire : "il n'y aura plus d'un point de vue juridique et pratique que deux catégories de marchés : les marchés réglementés et les marchés de gré à gré" (J.-G. d'Hérouville, Les marchés réglementés et de gré à gré, in : La modernisation des activités financières, dir. Th. Bonneau, éd. Joly 1996, n° 80). Au surplus, il apparaît que les opérations de gré à gré devaient constituer le droit commun boursier, le caractère réglementé des opérations relevant de l'exception : "tous les marchés qui ne sont pas réglementés sont de gré à gré ; et seuls sont considérés comme réglementés, ceux des marchés qui auront auparavant été reconnus comme tels". (H. de Vauplane et S. Amadou, Marchés boursiers réglementés et marchés de gré à gré, Dictionnaire Joly Bourse, n° 18).

On sait, toutefois, que cette division juridique n'était, dès cette époque, pas satisfaisante : la scission entre marchés placés sous le contrôle et la tutelle de l'Etat et marchés fondés exclusivement sur le droit des obligations correspondait, certes, à une summa divisio abstraite dans laquelle certains ont pu voir l'illustration de l'opposition traditionnelle entre droits objectifs et subjectifs. Elle laissait peu de place, cependant, à l'expansion des marchés et à la garantie en toute occasion de la sécurité de l'investisseur. Cette dichotomie répondait, par ailleurs, à une logique contestable développée à l'origine par certains négociateurs communautaires, à savoir réserver les marchés de gré à gré aux professionnels et offrir aux épargnants la sécurité des marchés réglementés, logique qui s'est rapidement vue confrontée à trois obstacles majeurs :

- le premier obstacle a été constitué par l'apparition dans les Etats membres de marchés non officiels ou semi-officiels auparavant appelés "organisés". Ces derniers étaient caractérisés, dans l'ancien système, de gestion étatique de la bourse par différents critères : l'absence de tutelle directe de la puissance publique, une structuration autour de règles d'admission et de fonctionnement, et/ou le contrôle des autorités de marché. En France, d'ailleurs, le marché hors cote fournissait une parfaite illustration de ce type d'encadrement plus ou moins informel des opérations réalisées sur des valeurs moyennes ;
- le deuxième obstacle s'est traduit par l'impossibilité de traiter au plan de l'encadrement normatif, la sécurité de l'investisseur de façon unique. L'épargnant n'est assimilable à un consommateur et si certains particuliers s'avèrent parfois désarmés face à la complexité des opérations financières, d'autres sont suffisamment avertis -au sens juridique- pour mesurer toutes les conséquences de leurs choix de placement. Aux premiers répond le souci d'accorder la protection des marchés réglementés, mais les seconds peuvent prétendre à s'engager, en toute connaissance de cause, dans des opérations sur le marché de gré à gré ;
- le troisième obstacle ressort d'un constat pragmatique, qui tient à la fois à la mesure de l'accroissement de la qualité de la régulation boursière et à la force du droit des obligations. L'évolution des marchés boursiers vers une organisation de plus en plus détachée des contraintes étatiques a, en effet, permis de confirmer que, depuis la loi MAF, les gestionnaires de marché étaient en mesure de sécuriser le fonctionnement des opérations boursières sur des fondements contractuels, et ce, sous la garantie du renforcement du contrôle des autorités de marché.

B - Place d'Alternext dans la pratique boursière : les incertitudes liées au caractère organisé du marché

Ainsi, si la doctrine a pu enseigner un temps qu'il n'y aurait plus que deux catégories de marché après la loi de modernisation des activités financières, il s'agissait plus d'une analyse du régime juridique applicable aux marchés qu'à une analyse de la nature de ces derniers. Très vite, en effet, la disparition du marché hors cote (H. Hovasse, Suppression du marché hors-cote, RD bancaire et financier, n° 65, janvier-février 1998, p. 2) a mis en évidence les lacunes de l'organisation de la cote qui ne pouvait offrir de structure d'accueil pour les entreprises moyennes. Un marché, comparable sous certains aspects à l'ancien marché des valeurs moyennes, a donc été créé sous la dénomination de "Marché libre", dénomination qui permettait de souligner sa nature contractuelle. Toutefois, en dépit de ce que suggérait cette appellation, son organisation présentait une structuration incontestable puisqu'il était doté de règles, de procédures d'admission, qu'il était intermédié et que, de surcroît, sa gestion était assurée par la Société des Bourses française qui devait, plus tard, donner naissance à Euronext.

Au demeurant, les auteurs ne s'y étaient pas trompés dès 1996 : la structuration des opérations boursières, faisant fi de la logique juridique, ne pouvait s'accommoder longtemps d'une division pouvant apparaître comme étant arbitraire face à la réalité économique. En atteste cette opinion émise dès après le vote de la loi MAF, selon laquelle "diverses initiatives privées de réglementation sont apparues, et se multiplieront probablement sur les marchés de gré à gré, tendant à transformer certains compartiments de ces marchés en marchés organisés, susceptibles de concurrencer les marchés réglementés nationaux" (J.-G. d'Hérouville, op. cit., n° 89).

Alternext vient donc opportunément compléter l'activité du marché libre sous une forme à la fois plus structurée pour le grand public et résolument orientée vers le financement des PME européennes. Sa création semble démontrer que la véritable structure des marchés boursiers s'oriente, comme mécaniquement, dans le sens d'une architecture triptyque, entre marchés réglementés, organisés et de gré à gré, ce qui n'est pas sans poser des problèmes pratiques qu'il convient maintenant de souligner.

La question est, ainsi, celle du rattachement d'Alternext à la catégorie intermédiaire des marchés organisés, conclusion à laquelle la doctrine se rattachait auparavant majoritairement s'agissant du marché hors cote.

Qu'en est-il actuellement ? Nous avons évoqué la distinction retenue, tant au plan communautaire qu'au plan du droit interne : en principe, en dehors du marché de gré à gré, les marchés sont réglementés, c'est-à-dire placés sous la tutelle de l'Etat, ce qui entraîne, au plan normatif, l'approbation des règles de marché par la puissance publique, cette approbation étant destinée à leur conférer une valeur normative. A ce titre, les règles de marchés réglementés s'inscrivent indiscutablement dans une hiérarchie des normes, leur place dans cette hiérarchie devant être appréciée en considération de la place qu'occupe l'arrêté ministériel qui "reconnaît" le marché réglementé et valide ses règles, les insérant ainsi dans ce qu'on représente traditionnellement -à tort ou à raison- depuis Kelsen comme une pyramide des règles de droit.

Cette représentation a toutefois ses limites, ainsi qu'en atteste la doctrine qui a souligné à maintes reprises la difficulté à reconnaître la force normative des règles d'un marché non réglementé dont les sujétions (on peut raisonnablement penser que la qualification de "normes" doive être écartée) s'apparentent à des réglementations privées. Sans nul doute, ces règles sont obligatoires pour ceux qui les acceptent, notamment comme c'était le cas pour le marché libre à l'occasion de leur admission en tant que membre du marché et comme c'est maintenant le cas pour Alternext. Qu'en est-il, toutefois, lorsque ces règles n'ont pas été acceptées et qu'une opération se déroule pourtant sur le marché ? Qu'est-il susceptible d'advenir, en outre, lorsque les règles du marché entrent en conflit avec d'autres règles ? Doit-on, dans ce dernier cas, risquer de traiter différemment les acteurs du marché en dérogeant aux règles privées pour appliquer à un opérateur ou une opération des normes extérieures quitte à risquer d'introduire une inégalité de traitement entre les investisseurs ou les intermédiaires ? Qu'en est-il des sanctions ?

Ces interrogations peuvent se résumer en une double question : quelle est la valeur des réglementations boursières privées et comment doit-on traiter les conflits de règles ? Ces différentes questions ne sont pas nouvelles puisqu'on peut en retrouver les racines dans l'histoire même de la bourse, lorsque, dès le début du XIXème siècle, se sont constituées spontanément, en marge des marchés officiels, ce que l'on a appelé les opérations de "coulisse" (P.-J. Lehman, Histoire de la bourse, Puf 1997, coll. "Que sais-je ?", p. 19). Il apparaît, toutefois, que des modifications récentes des règles boursières ont eu pour objet de répondre à ces préoccupations et de lever ainsi, pour les praticiens, certaines incertitudes. Rien ne démontre, cependant, que les solutions apportées seront suffisantes pour résoudre tous les problèmes qui seront susceptibles de se poser.

II - Conséquences juridiques de la reconnaissance des systèmes multilatéraux de négociation organisés

Le lancement du marché Alternext coïncide avec la création d'une nouvelle catégorie de structure juridique : les systèmes multilatéraux de négociation "organisés" (A), qui prennent cette dernière qualité à trois conditions : l'approbation des règles du système par l'AMF, l'adoption d'un mécanisme de garantie de cours et l'application des dispositions relatives aux abus de marché. Pour autant, la création de ce nouveau type de structure laisse subsister des ambiguïtés quant à sa nature et quant à la place que ses règles sont susceptibles de prendre dans la réglementation boursière (B).

A - Les systèmes électroniques de négociation "organisés", nouvelle catégorie de marché ?

L'arrêté du 15 avril 2005 portant homologation des modifications du règlement général de l'Autorité des marchés financiers (N° Lexbase : L2817G8T) emporte, entre autres dispositions, création d'une nouvelle catégorie de structure : les systèmes électroniques de négociation "organisés". A ce titre, les dispositions qui les régissent et qui sont issues de l'arrêté du 15 avril 2005 emportent un certain nombre de conséquences concernant la nature des marchés qui méritent d'être soulignées. Elles conduisent, d'ores et déjà, à conclure à la nature hybride d'Alternext, double hybridité, d'ailleurs, puisque ce dernier est présenté fonctionnellement -c'est-à-dire à ses participants- comme un marché mais qu'il est, juridiquement, qualifié de système et que ses règles, bien que de nature contractuelle, s'insèrent dans une hiérarchie normative propre à la réglementation boursière. Ce caractère hybride peut s'illustrer en quatre points. Les trois premiers portent sur les systèmes multilatéraux de droit commun, le dernier, sur ceux qui prennent -comme c'est le cas d'Alternext- la qualité de systèmes organisés :

- il convient, en premier lieu, de souligner que dans le règlement général de l'AMF, la définition de ces "systèmes" n'est pas donnée explicitement mais se déduit, de façon indirecte, des termes de l'article 312-2   (N° Lexbase : L4083GUR) qui régit l'activité d'exécution d'ordres pour compte de tiers. Ce dernier dispose, en effet, qu'"exerce [...] une activité d'exécution d'ordres pour compte de tiers le prestataire de services d'investissement gérant un système multilatéral de négociation qui, sans avoir le statut de marché réglementé, apparie des intentions multiples d'achat et de vente portant sur des instruments financiers, conformément à des règles publiées, de telle sorte qu'il en résulte une transaction". On relèvera ainsi, d'une part, que le règlement général ne fait mention de la qualité de "marché" pour ces systèmes et, d'autre part, que leur définition que nous qualifierons de fonctionnelle se trouve réduite à sa plus simple expression : a) appariement des ordres portant sur des instruments financiers, b) conformité de cet appariement à des règles publiées, c) appariement débouchant sur une transaction. On ne trouve pas, ainsi, d'autres exigences fondamentales, ce qui traduit, à notre sens, une prudence de bon aloi face à l'évolution des techniques de transaction, le caractère flou de cette définition permettant a priori d'encadrer les évolutions futures de ces systèmes ;
- on relèvera, en deuxième lieu, que les règles des systèmes sont subordonnées au respect du règlement général de l'AMF qui prévoit, dans sa nouvelle rédaction en date du 15 avril 2005, que le fonctionnement de ces derniers est conditionné à la communication, par les prestataires de services d'investissement agréés pour le service d'exécution d'ordres pour compte de tiers ou les entreprises de marché qui envisagent de les gérer, d'un certain nombre d'informations (RG AMF, art. 521-1 N° Lexbase : L2816G7G). Entre autres données, et indépendamment de nombreuses caractéristiques purement techniques, les règles du système sont communiquées, ainsi que le dispositif mis en oeuvre pour assurer le contrôle du respect de ses règles par les participants. La catégorie d'instruments financiers concernés et les conditions que doivent remplir les émetteurs pour participer au système doivent également être mentionnés, toute donnée dont la conformité est, aux termes de l'article 512-2 du règlement général de l'AMF (N° Lexbase : L2758G7B), vérifiée par le régulateur qui peut demander la modification des règles ou l'adaptation des moyens qu'elle estime nécessaire. Cette vérification de la conformité au règlement suffit-elle pour conférer une portée normative à ces règles ? Nous pensons qu'il est permis d'en douter ;
- cette dernière remarque conduit à souligner un troisième point : celui de la nature contractuelle des relations entre Euronext et les membres des systèmes, non évoquée dans l'arrêté précité. Par un raisonnement a fortiori, on doit, en effet, conclure qu'aucun autre régime que le régime contractuel n'est applicable puisque c'est celui qui est imposé par la loi pour les marchés réglementés qui sont, eux, placés sous une tutelle de la puissance publique plus étroite que ne le sont les systèmes multilatéraux. On rappellera, à ce propos, les termes de l'article L. 421-9 in fine du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L9410DY8) qui dispose, pour les marchés réglementés que : "les relations entre une entreprise de marché et une personne mentionnée à l'article L. 421-8 (les membres du marché) sont de nature contractuelle". La consultation des règles de fonctionnement d'Alternext est enfin, sur ce point, suffisamment explicite : l'article 1.1.1, alinéa 4, dispose que "les présentes règles ont valeur contractuelle entre Euronext Paris et, à raison de leur fonction respective fixée par les présentes, les participants directs au marché". Nous ne saurions donc conclure à la qualification de réglementation privée pour les règles de fonctionnement des systèmes multilatéraux de transaction, même si ceux d'entre eux qui sont "organisés" obéissent, comme nous allons le voir, à une procédure d'approbation spécifique ;
- à ce titre, le quatrième et dernier point permet de souligner la dualité du statut des systèmes multilatéraux. Si les articles 521-1 et suivants du règlement général de l'AMF ne disposent que pour les systèmes alternatifs en général, l'arrêté du 15 avril 2005 a introduit une nouvelle notion, qui prend cette fois véritablement figure de statut : celui des "systèmes multilatéraux de négociation organisés". C'est là où le caractère hybride de ces systèmes prend tout son relief car, aux termes de l'article 525-1 du règlement général (N° Lexbase : L4083GUR), sont reconnus comme étant "organisés", les systèmes dont "les règles d'organisation sont approuvées par l'AMF à leur demande, qui se soumettent aux dispositions du livre VI relatives aux abus de marché et qui prévoient un mécanisme de garantie de cours".

Ainsi, les systèmes organisés se différencient essentiellement sur trois points des systèmes stricto sensu, et ce, dans un sens qui rapproche leur fonctionnement de celui des marchés placés sous la tutelle de l'Etat. D'abord, la soumission aux règles relatives aux abus de marché place ces systèmes sous un contrôle de l'information et des opérations qui offrent des conditions de sécurité comparables -à défaut d'être équivalentes- à celui qui gouverne les marchés réglementés. On notera, au surplus, que les gestionnaires de marchés sont tenus -aux termes de l'article 525-6 du même règlement- d'alerter l'AMF sur les faits de nature à perturber le fonctionnement du système. Ensuite, la garantie de cours offre aux investisseurs une sécurité accrue proche de celle des marchés réglementés. Enfin, à la différence des systèmes multilatéraux de droit commun, ceux qui sont organisés doivent faire "approuver" leurs règles de fonctionnement par l'AMF, le système ne pouvant exercer d'activité tant que cette approbation n'est pas effective. On comparera utilement cette procédure avec celle qui concerne les systèmes multilatéraux de droit commun, sur lesquels l'AMF n'exerce qu'une sorte de magistrature morale, pour reprendre les termes qu'un auteur avait employé à propos de la défunte COB (M. Guillaumme-Hofnoung, Les actes juridiques de la COB, AJDA, 1982, p. 683). En effet, leur fonctionnement n'est pas subordonné, dans les textes du moins, à l'approbation de l'AMF.

Ces différentes remarques conduisent à envisager différentes hypothèses quant aux difficultés à faire coexister les règles qui gouvernent les systèmes organisés avec d'autres sujétions, qu'il s'agisse de celles qui sont susceptibles de s'attacher à certaines opérations ou de celles qui gouvernent l'exercice de certaines professions réglementées.

B - Les conflits potentiels entre les règles des systèmes électroniques de transaction et les sujétions juridiques externes aux systèmes

Indépendamment de la subordination des règles de fonctionnement des systèmes au règlement général de l'AMF, que nous avons évoquée précédemment, la nature contractuelle de la réglementation d'Alternext suppose que les règles de fonctionnement du marché puissent être écartées lorsqu'elles entrent en contradiction avec des dispositions d'ordre public. Sur ce point, toutefois, l'articulation entre les normes et les règles du droit boursier semble permettre d'écarter la plupart des incompatibilités potentielles. En effet et ce point a déjà été évoqué, les règles du système font l'objet d'un contrôle de conformité avec le règlement général de l'AMF, qui n'est pas sanctionné dans le cas des systèmes de droit commun, mais conditionne, pour les systèmes organisés, le début de toute activité. Quant au règlement général de l'AMF, même s'il s'insère de façon particulière dans la hiérarchie administrative en raison de la qualité d'autorité administrative indépendante de son auteur, il n'en demeure pas moins subordonné aux dispositions émanant du législateur, les compétences propres de l'AMF en matière réglementaire étant, par ailleurs, strictement définies par la loi.

En ce sens, la mise en oeuvre de l'ordre public boursier textuel se trouve garantie, en principe, par l'articulation des processus normatifs et réglementaires. La véritable interrogation porte, cependant, sur la soumission des règles contractuelles à un hypothétique ordre public virtuel, dont l'appréciation de la mise en oeuvre ressortirait au juge ou aux autorités de marché. La question est loin d'être exclusivement théorique car on en trouve une illustration dans la célèbre affaire OCP qui devait en 1993 susciter d'abondants commentaires de la doctrine (v. notamment, CA Paris, 27 avril 1993, JCP. 1993 éd. E, II, p. 457, note A. Viandier ; RJcom., 1993. p. 244, note Ch. Goyet ; Bull. Joly Bourse 1993, p. 396, n° 82 note P. Le Cannu). Nous rappellerons simplement que dans cette affaire, la cour d'appel de Paris avait décidé qu'une convention passée entre l'initiateur d'une offre publique d'achat et sa société cible -acte au demeurant licite- transgressait, cependant, la réglementation boursière dans la mesure où elle avait pour effet de fausser le libre jeu des offres et des surenchères. L'accord passé par les parties avait ainsi porté atteinte à "l'égalité dans la compétition" (A. Viandier, précité) sur le marché.

Devrait-on, dans la lignée de cette jurisprudence, admettre que certains principes boursiers, d'une essence supérieure, puissent justifier une limitation de la liberté contractuelle et, partant, autoriser une restriction au déroulement de certaines opérations ou paralyser l'application de règles de systèmes dont la nature est contractuelle ? La question nous semble encore ouverte tant, à l'époque, la majorité des auteurs avait vu, à travers cette décision, l'émergence d'un ordre boursier spécifique.

La nature contractuelle de la réglementation invite, par ailleurs, à s'interroger sur le traitement d'éventuelles contradictions entre les règles déontologiques et/ou de bonne conduite applicables aux intermédiaires agréés sur Alternext et les règles de fonctionnement de ce marché.

Les notions de règles de conduite, ou de bonne conduite, plus ou moins assimilées à la déontologie, sont, en effet, encore imprécises, ces règles étant parfois présentées comme un ensemble de prescriptions destinées à éviter l'application de règles juridiques en prévenant d'éventuels comportements répréhensibles, et ce, au moyen de l'instauration d'une discipline professionnelle assortie de sanctions.

En théorie, la solution à ce problème trouve sa réponse dans les prescriptions de la DSI qui a dressé une liste des principes applicables aux intermédiaires, principes qui ont été retranscrits le plus souvent à l'identique dans les législations des Etats membres. En l'espèce, l'esprit du texte était suffisamment explicite : ces règles devaient être obligatoires pour leurs destinataires. Il demeure que ce caractère obligatoire a été garanti au sein des Etats membres par des techniques fort différentes. Inscrits dans des textes de valeur normative pour l'essentiel, les principes communautaires ont, en effet, été matérialisés, à certaines occasions, à partir d'autres supports. Sans pouvoir prétendre à l'exhaustivité, nous soulignerons qu'en Allemagne, par exemple, une partie de ces règles relève de l'autodiscipline professionnelle (A. Pezard et G. Eliet, Droit et déontologie des activités financières en Allemagne, Montchrestien 1999) et, qu'en France, le respect de certaines d'entre elles repose -pour les personnes physiques- sur le caractère impératif du règlement intérieur d'entreprise.

La soumission aux règles de conduite ou de bonne conduite s'appuyant ainsi sur des fondements juridiques hétérogènes, on peut s'interroger sur la difficulté à traiter des conflits entre ces règles lorsque ces dernières sont de rang, de nature ou de contenus divers, d'autant qu'Alternext affiche résolument sa vocation à devenir un marché d'envergure internationale, ouvert donc a priori a nombre d'intermédiaires relevant d'ordres juridiques différents.

Un exemple pratique de ces difficultés vient d'ailleurs d'être évoqué par certains praticiens à la suite de la création, à l'occasion de la constitution d'Alternext, d'un nouveau type de prestataire de service : le listing sponsor dont les compétences entrent en concurrence avec les prestataires de service d'investissement, notamment pour l'admission des valeurs. Chargé d'accompagner la société qui demande l'introduction sur le marché, cet intermédiaire pourra être issu de cabinets d'audit, d'avocats ou de spécialistes en opérations de haut de bilan.

Or, ces intermédiaires -dont il convient de souligner que leur rôle, au-delà de l'introduction sur le marché et/ou de l'émission est de réaliser un suivi de l'émetteur sur le moyen terme- sont soumis à un ensemble de règles de conduite propres au marché Alternext. Parmi celles-ci figure, au rang des "obligations permanentes" évoquées à l'article 2.2 section 3, l'obligation, en cas de manquement par l'émetteur, "de le rappeler à ses obligations et de lui fournir le conseil nécessaire pour remédier au manquement". Dans ce cas, le listing sponsor est tenu de signaler "parallèlement à Euronext Paris la nature du manquement et les démarches entreprises en réaction". C'est sur ce point que la pratique s'interroge, nous semble t-il avec pertinence (sur ce point, lire G. Hippolyte, Altenext (2), engagements et obligations des Listings sponsors, Lexbase hebdo n° 175 du 7 juillet 2005 - édition affaires N° Lexbase : N6305AID) : qu'en sera-t-il, dans l'hypothèse où le listing sponsor aura la qualité d'avocat, du respect de ses obligations déontologiques et notamment du secret professionnel attaché à l'activité de conseil ? Ce conflit, semble-t-il inédit, entre la réglementation privée et la déontologie obligatoire pourrait éventuellement susciter les premières complications réglementaires qu'ait à connaître Alternext. Incidemment, l'histoire des marchés semble se répéter, qui rappelle par certains aspects l'imbroglio normatif -d'aucuns pourront y voir des délices doctrinaux- qui caractérisait le fonctionnement du hors cote.

Jean-Baptiste Lehnof
Maître de conférences à l'ENS-Cachan
Membre du centre de recherche de droit financier - Paris I (Panthéon-Sorbonne)


(1) Les enjeux de la réussite de ce marché sont de taille si l'on en juge par les chiffres avancés. Il est susceptible de s'adresser à plus de 1 million de petites et moyennes entreprises dans la zone Euro, 30 % d'entre elles se situant dans des Etats-membres couverts par Euronext à travers ses entreprises de marché filiales. Pour autant, Alternext est un marché français et revêt, à ce titre une importance particulière pour la puissance publique. C'est ainsi que, pratiquement un mois après sa création, le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, Thierry Breton, a annoncé le 20 juin dernier l'introduction de mesures dédiées aux petites et moyennes valeurs. Ces mesures fiscales porteront en principe, d'une part, sur une exonération des plus-values long terme pour les investisseurs institutionnels, et d'autre part, pour les particuliers, sur un élargissement du champ de la réduction de l'IRPP à hauteur de 25 % du montant investi. Euronext devait souligner, dans un communiqué daté du même jour, que ces mesures contribuaient à "créer un cercle vertueux où les allègements fiscaux accordés aux investisseurs renforcent l'attrait des sociétés cotées, la liquidité de leurs titres en bourse et leur capacité de levée de capitaux, accélérant en conséquence leur taux de croissance". Quant à la taille des sociétés concernées, les PME ont été définies comme ayant un effectif inférieur à 250 personnes et un chiffre d'affaire inférieur à 50 millions d'euros.

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