La lettre juridique n°643 du 11 février 2016 : Urbanisme

[Jurisprudence] Le périmètre de protection des monuments historiques ou la quadrature du cercle ?

Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 20 janvier 2016, n° 365987, 365996, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5758N4Z)

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par Arnaud Le Gall, Maître de conférences en droit public, Université de Caen Normandie et Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Droit de l'urbanisme"

le 11 Février 2016

L'arrêt rendu le 20 janvier 2016 par le Conseil d'Etat retiendra l'attention à plus d'un titre. En plus de rappeler certains aspects très pratiques de l'application du principe du contradictoire et des obligations qui en découlent pour le juge et les parties, il opère une clarification partielle et inédite touchant aux modalités d'appréciation du fameux périmètre de protection de 500 mètres instauré autour des monuments historiques par la loi du 31 décembre 1913, relative aux monuments historiques. En l'occurrence, une société civile immobilière abritant un cabinet médical avait, pour réaliser une extension du cabinet, sollicité plusieurs autorisations d'urbanisme qui lui avaient été accordées : le maire de Strasbourg lui avait délivré le 4 septembre 2007 un permis de démolir, suivi, le 14 septembre 2007 d'un permis de construire qui avait fait l'objet d'un permis modificatif du 21 mai 2008. L'arrêt n'apporte pas de précisions sur la nature de la construction ni sur son ampleur, les deux permis de construire ayant été contestés sur le fondement de la procédure de délivrance par les propriétaires de la parcelle voisine.

On en profitera pour rappeler que les recours des particuliers ne peuvent plus guère aujourd'hui émaner que des plus proches voisins du projet, la jurisprudence et le Code de l'urbanisme ayant récemment réduit de manière très significative les possibilités d'agir contre les autorisations d'urbanisme, sous le prétexte de limiter le volume des recours. L'article L. 600-1-2 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L4348IXC), dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2013-638 du 18 juillet 2013, relative au contentieux de l'urbanisme (N° Lexbase : L4499IXW), soumet désormais l'intérêt pour agir des particuliers à la condition que la construction, l'aménagement ou les travaux soient de nature "à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance du bien qu'elle détient ou occupe régulièrement".

Le Conseil d'Etat en conclut qu'il appartient au requérant "de préciser l'atteinte qu'il invoque pour justifier d'un intérêt lui donnant qualité pour agir, en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d'affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de son bien". De son côté, le défendeur, s'il entend contester l'intérêt à agir du requérant, doit "apporter tous éléments de nature à établir que les atteintes alléguées sont dépourvues de réalité". Le juge de l'excès de pouvoir doit alors "former sa conviction sur la recevabilité de la requête au vu des éléments ainsi versés au dossier par les parties, en écartant le cas échéant les allégations qu'il jugerait insuffisamment étayées mais sans pour autant exiger de l'auteur du recours qu'il apporte la preuve du caractère certain des atteintes qu'il invoque au soutien de la recevabilité de celui-ci" (1).

En l'occurrence, les requérants reprochaient aux deux permis de construire d'avoir été délivrés sur le fondement d'un avis irrégulier de l'architecte des bâtiments de France, ce dernier n'ayant pas pris en compte la visibilité du projet depuis la cathédrale de Strasbourg. Les premiers juges avaient écarté le moyen mais la cour administrative d'appel (2) y avait fait droit.

La cour avait rejeté le recours dirigé contre le permis de démolir au motif qu'il n'était pas établi que le garage devant être détruit était visible depuis la cathédrale. En revanche, l'architecte n'avait pas pris en compte la visibilité du projet depuis la plate-forme de la cathédrale, alors même que la hauteur du projet résultant du permis modificatif devait atteindre treize mètres quarante au milieu d'immeubles d'une hauteur de moyenne de huit mètres. Ecartant une pièce produite par la société pétitionnaire après la clôture de l'instruction, et tendant à établir l'absence de visibilité du projet depuis la plate-forme de la cathédrale, la cour, estimant que la visibilité était établie et que, par conséquent, l'avis de l'architecte des bâtiments de France avait été rendu dans des conditions irrégulières, avait donc annulé le permis de construire initial et le permis modificatif. Saisi d'un pourvoi en cassation dirigé contre cette décision par la SCI pétitionnaire, le Conseil d'Etat, après avoir confirmé le bien-fondé de la décision de la cour de ne pas réouvrir l'instruction, a également précisé les conditions de visibilité d'un projet depuis un bâtiment classé au sens des articles L. 621-31 (N° Lexbase : L6069ISL) et L. 621-30-1 (abrogé en 2012) du Code de l'urbanisme.

I - Une confirmation de la jurisprudence en matière de réouverture d'instruction

Que ce soit à force d'intoxication aux séries américaines ou pour d'autres obscures raisons, les parties (et certains avocats) sont loin d'avoir compris l'économie de la procédure administrative contentieuse, laquelle ne fonctionne pas à coup de lapins que l'on sort du chapeau au dernier moment. Les juges sont de plus en plus en plus confrontés à des mémoires ou à des productions de pièces de dernière minute, voire déposées après la clôture de l'instruction comme dans la présente affaire, productions qui sont, assez fréquemment, motivées par le simple souhait d'avoir le dernier mot, ce qui n'est d'aucun effet devant la juridiction administrative. Le Code de justice administrative prévoit pourtant des dispositions assez claires à cet égard et la pratique du contentieux montre qu'il convient, le plus souvent, de profiter de la requête introductive d'instance ou du premier mémoire en réplique pour produire tous les moyens et les pièces utiles. Attendre les dernières communications n'est généralement d'aucune utilité et s'avère même parfois assez contre-productif vis-à-vis du magistrat instructeur.

L'article R. 611-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3096ALA) précise ainsi que, si la requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes, en revanche, "les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux". La clôture de l'instruction, qu'elle intervienne par le biais de l'ordonnance prévue par l'article R. 613-1 (N° Lexbase : L7293KHL) ou par l'application du délai de trois jours francs prévu par l'article R. 613-2 (N° Lexbase : L5878IGS), met un terme aux échanges de pièces et de mémoires, l'article R. 613-3 (N° Lexbase : L3134ALN) précisant que "les mémoires produits après la clôture de l'instruction ne donnent pas lieu à communication et ne sont pas examinés par la juridiction".

Il reste que ces dispositions ne répondent pas entièrement à l'ensemble des circonstances susceptibles de surgir. Afin de répondre à la problématique des productions postérieures à la clôture de l'instruction, le Conseil d'Etat a donc formulé des règles plus précises que l'arrêt du 20 janvier 2016 vient confirmer dans le considérant n° 3 qui énonce "que, devant les juridictions administratives et dans l'intérêt d'une bonne justice, le juge a toujours la faculté de rouvrir l'instruction, qu'il dirige, lorsqu'il est saisi d'une production postérieure à la clôture de celle-ci ; qu'il lui appartient, dans tous les cas, de prendre connaissance de cette production avant de rendre sa décision et de la viser ; que, s'il décide d'en tenir compte, il rouvre l'instruction et soumet au débat contradictoire les éléments contenus dans cette production qu'il doit, en outre, analyser ; que, dans le cas particulier où cette production contient l'exposé d'une circonstance de fait ou d'un élément de droit dont la partie qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction et qui est susceptible d'exercer une influence sur le jugement de l'affaire, le juge doit alors en tenir compte, à peine d'irrégularité de sa décision".

Ce faisant, l'arrêt reprend une jurisprudence antérieure et assez récente.

Il en ressort, tout d'abord, qu'une production postérieure à la clôture de l'instruction ne peut plus être ignorée : le juge a toujours l'obligation d'en prendre connaissance et de la viser dans le jugement, que cette production le conduise, ou non, à rouvrir l'instruction. Cette obligation entre en conflit avec la lettre de l'article R. 613-3 qui doit conduire le juge à écarter tout ce qui est produit après la clôture. Toutefois, cette contradiction entre les deux règles, qui n'est pas apparente, se justifie par le régime élaboré par le Conseil d'Etat car, dès lors que le juge peut être amené à tenir compte d'une telle pièce, le contrôle de la procédure exercé, notamment, par le juge de cassation, impose que la décision mentionne cette production dans les visas, faute de quoi le juge de cassation ne serait pas en mesure de contrôler la régularité de la procédure.

Ensuite, et en tout état de cause, le juge demeure toujours libre de prononcer la réouverture de l'instruction à la faveur de la production d'une pièce ou d'un nouvel écrit produit après la clôture. Très logiquement, et en application du principe du contradictoire, il doit prononcer la réouverture de l'instruction s'il décide de tenir compte de cette pièce, ce qui implique de soumettre la production au débat contradictoire entre les parties. La notion de "tenir compte" n'implique pas nécessairement que le juge fasse droit aux conclusions de l'auteur de la production : la généralité des termes employés par le Conseil d'Etat laisse entendre que le juge qui entend écarter un élément ou un moyen contenu dans cette production se trouve dans l'obligation de prononcer la réouverture. Là encore, cette interprétation large permet au juge de cassation d'exercer son contrôle sur les décisions des juges du fond.

Enfin, gradation supplémentaire, lorsque l'élément nouveau qui est produit ne pouvait l'être avant la date de la clôture, et qu'il est susceptible d'exercer une influence sur le jugement de l'affaire, le juge est, non seulement dans l'obligation de rouvrir l'instruction et de soumettre cet élément au débat contradictoire, mais doit, également, en tenir compte dans sa décision. Là encore, le fait de "tenir compte" de l'élément en question ne signifie pas qu'il emporte nécessairement la décision du juge. Le caractère tardif de la production ne doit pas être imputable à la partie qui en est l'auteur : les garanties apportées au contradictoire par cette jurisprudence n'ouvrent pas une session de rattrapage au profit des étourdis ou des incompétents. Par conséquent, aussi importante soit-elle sur le fond, une production qui aurait pu être réalisée avant la clôture de l'instruction ne peut ouvrir droit à la réouverture des débats contradictoires. La solution est rigoureuse et s'applique, même lorsque la production est de nature à établir le respect du délai de recours contentieux et par conséquent, lorsqu'elle est susceptible d'exercer une influence sur le jugement de l'affaire (3).

Cette jurisprudence a déjà fait l'objet de plusieurs applications.

Un requérant avait soulevé des éléments nouveaux dans le cadre d'une note en délibéré, éléments qui avaient été analysés par l'arrêt. Toutefois, la cour n'avait pas communiqué la note en délibéré produite en réponse par l'administration et avait repris à son compte l'argumentation exposée dans cette réplique, sans pour autant rouvrir l'instruction. En s'abstenant de prononcer la réouverture de l'instruction et en fondant sa décision sur des éléments non soumis au débat contradictoire, la cour a donc irrégulièrement statué (4).

Une décision du juge pénal rendue après la clôture de l'instruction, et qui ne pouvait donc être produit avant cette clôture par le requérant, constitue une circonstance nouvelle susceptible d'exercer une influence sur le jugement du litige, alors même que la décision en question n'est pas revêtue de l'autorité de la chose jugée. Le juge ne peut donc régulièrement statuer sans avoir préalablement rouvert l'instruction afin de pouvoir tenir compte, après l'avoir visé et analysé, du mémoire faisant état de l'arrêt rendu par le juge pénal (5).

La production, par une note en délibéré, d'un nouvel avis de l'autorité administrative, susceptible de permettre, dans les conditions prévues par la jurisprudence, la régularisation d'un permis de construire par un permis modificatif, constitue une circonstance nouvelle que le pétitionnaire n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction, et qui est susceptible d'exercer une influence sur le jugement de l'affaire. La cour qui s'abstient d'en tenir compte et de rouvrir l'instruction statue donc à l'issue d'une procédure irrégulière (6).

En revanche, un simple mémoire de l'administration fiscale produit après la clôture et qui se borne à reprendre les moyens déjà développés dans les écrits précédents ne justifie aucunement une réouverture de l'instruction. Le juge doit donc se contenter d'en prendre connaissance et de le viser pour constater qu'il n'apporte rien de nouveau (7). De même, le juge n'a pas à communiquer un mémoire produit après la clôture d'instruction, qui ne contient aucun élément susceptible d'exercer une influence sur le jugement de l'affaire et n'a donc pas à rouvrir l'instruction (8).

Une conséquence originale de cette nouvelle jurisprudence est de conduire, par un moyen visant la légalité externe de la décision attaquée, le juge de cassation à apprécier la valeur au fond du moyen que les premiers juges ont considéré comme insuffisant pour "exercer une influence" sur leur décision. Dans le cadre d'un contentieux fiscal, une société avait invoqué, après la clôture, le moyen tiré de ce que les rémunérations de son président et de son directeur général devaient être exclues de l'assiette de la taxe sur les salaires dès lors que les dirigeants de sociétés n'ont pas la qualité de salarié au sens du droit du travail. La cour n'avait pas jugé nécessaire de rouvrir l'instruction suite à la production de ce mémoire. Le Conseil d'Etat confirme la légalité de la procédure suivie par la cour administrative d'appel, ce qui l'oblige à statuer sur le bien-fondé du moyen de fond invoqué par la société en relevant qu'il résulte des travaux parlementaires en cause "qu'en alignant l'assiette de la taxe sur les salaires sur celle des cotisations de Sécurité sociale, le législateur a entendu y inclure les rémunérations des dirigeants de sociétés visés à l'article L. 311-3 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L2819KRT) et notamment celles des présidents et dirigeants des sociétés par actions simplifiées" (9).

Le Conseil d'Etat a également précisé l'articulation de ce nouveau régime avec celui de l'acquiescement prévu par l'article R. 612-6 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3131ALK) en relevant "que, sous réserve du cas où postérieurement à la clôture de l'instruction le défendeur soumettrait au juge une production contenant l'exposé d'une circonstance de fait dont il n'était pas en mesure de faire état avant cette date et qui serait susceptible d'exercer une influence sur le jugement de l'affaire, le défendeur à l'instance qui, en dépit d'une mise en demeure, n'a pas produit avant la clôture de l'instruction est réputé avoir acquiescé aux faits exposés par le requérant dans ses écritures". Il appartient alors seulement au juge de vérifier que la situation de fait invoquée par le demandeur n'est pas contredite par les pièces du dossier (10).

Dans l'arrêt rapporté, le Conseil d'Etat confirme la régularité de la procédure suivie par la cour administrative d'appel, sur le simple fondement qu'aucun élément du dossier ne démontre pas que la société civile pétitionnaire n'aurait pas été en mesure de produire, avant la clôture de l'instruction, les photos par lesquelles elle entendait prouver que la construction projeté ne serait pas visible depuis la cathédrale de Strasbourg. Trop tard, donc...

II - Le centre du cercle de protection des monuments historiques

Le Code de l'urbanisme et le Code du patrimoine assurent une certaine protection des installations classées comme monument historique, même si les résultats concrets de cette procédure laisse parfois l'observateur un peu sceptique quant aux appréciations formulées par les architectes des bâtiments de France.

L'article L. 621-31 du Code du patrimoine soumet à autorisation toute modification des immeubles inscrits dans le périmètre de protection des monuments historiques : "Lorsqu'un immeuble est situé dans le champ de visibilité d'un édifice classé au titre des monuments historiques ou inscrit, il ne peut faire l'objet, tant de la part des propriétaires privés que des collectivités et établissements publics, d'aucune construction nouvelle, d'aucune démolition, d'aucun déboisement, d'aucune transformation ou modification de nature à en affecter l'aspect, sans une autorisation préalable".

L'article R. 425-1 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L6943I4W) précise que la protection est assurée en soumettant l'autorisation d'urbanisme à l'accord de l'architecte des bâtiments de France : le permis de construire, le permis d'aménager, le permis de démolir ou la décision prise sur la déclaration préalable tient alors lieu de l'autorisation prévue par le Code du patrimoine.

La difficulté de ce mécanisme réside donc dans l'appréciation de la visibilité du projet du pétitionnaire. L'article L. 620-30-1 du Code du patrimoine précise simplement : "Est considéré [...] comme étant situé dans le champ de visibilité d'un immeuble classé ou inscrit tout autre immeuble, nu ou bâti, visible du premier ou visible en même temps que lui et situé dans un périmètre de 500 mètres".

L'accord de l'architecte des bâtiments de France ne peut être donné qu'à la suite de l'examen des atteintes que la construction projetée est susceptible de porter aux édifices classés ou inscrits dans le champ de visibilité desquels elle est envisagée. Toutefois, l'architecte peut délivrer un avis favorable en l'assortissant de prescriptions, relatives notamment aux couleurs, à la nature des matériaux ou à l'aménagement des lieux, afin de limiter, compenser ou supprimer les atteintes que la construction projetée serait susceptible d'apporter à l'édifice classé ou inscrit dans le champ de visibilité duquel elle est située (11).

Deux situations peuvent donc se présenter.

La première est celle de la co-visibilité de l'immeuble classé et de celui projeté par le pétitionnaire. Dans cette hypothèse, la question de la co-visibilité s'apprécie depuis tout lieu normalement accessible au public, ce qui recouvre principalement le domaine public et, selon la configuration des lieux, des lieux privés mais ouverts au public. La jurisprudence n'a pas précisé ce point et les décisions se limitent, le plus souvent, à évoquer des lieux de covisibilité, sans préciser leur nature ou leur localisation (12), les rares exemples plus précis faisant état d'une covisibilité depuis la voie publique (13). Il semble, en effet, difficile d'apprécier la co-visibilité d'un lieu fermé au public, comme un logement privé par exemple, dès lors que la réglementation de l'urbanisme relève d'une police administrative qui n'a pas vocation à régir les situations qui échappent à son domaine d'application.

Il faut également préciser que le seul fait que l'endroit d'où les deux immeubles sont en co-visibilité est lui-même dégradé au plan architectural ne peut suffire à justifier l'annulation d'un refus d'autorisation (14).

La seconde situation est celle de la visibilité du projet depuis l'immeuble protégé.

L'esprit de la législation vise à empêcher que le projet soumis à autorisation soit visible depuis cet immeuble, mais les termes ne précisent pas dans quelle condition cette visibilité doit être appréciée. Or, la visibilité du projet est nécessairement différente selon l'endroit de l'immeuble classé où l'on situe.

La jurisprudence a précisé que l'expression "périmètre de 500 mètres" doit s'entendre de la distance de 500 mètres entre l'immeuble classé ou inscrit et la construction projetée, le périmètre ayant donc pour centre l'immeuble protégé, ce qui est assez logique dans le cadre d'une protection tous azimuts (15). Par conséquent, toute la zone située à moins de 500 mètres d'un immeuble classé doit être regardée comme faisant l'objet d'une protection particulière au titre des monuments historiques, en sorte que le dossier joint à la demande de tout permis de construire dans cette zone doit comprendre une notice permettant d'apprécier l'impact visuel du projet, indépendamment de toute visibilité (16).

C'est à l'architecte des bâtiments de France qu'il appartient d'apprécier, sous le contrôle du juge, si un immeuble implanté à moins de 500 mètres d'un immeuble classé est ou non situé dans le champ de visibilité de ce dernier (17), appréciation qui ne doit pas reposer sur des faits matériellement inexacts (18).

Si l'application de l'article L. 621-25 relève bien entendu de l'erreur de droit (19), l'appréciation de la visibilité relève de l'appréciation souveraine des juges du fond, le Conseil d'Etat se limitant à contrôler une éventuelle dénaturation qui, en la matière, apparaît relativement facile à établir dès lors qu'elle est fondée, ce qui est loin d'être le cas de tous les griefs de dénaturation (20).

En revanche, la loi ne mentionne pas les parties de l'immeuble classé qui doivent être prises en compte pour apprécier cette visibilité et la jurisprudence n'avait pas eu l'occasion de préciser ce point. C'est désormais chose faite avec l'arrêt du 20 janvier 2016 qui énonce "que la visibilité depuis un immeuble classé ou inscrit s'apprécie à partir de tout point de cet immeuble normalement accessible conformément à sa destination ou à son usage".

Le Conseil d'Etat impose donc à l'architecte des bâtiments de France d'opérer un contrôle, non pas tant subjectif que relatif. La visibilité sera donc établie, non en fonction de la pure situation topographique existant entre les deux immeubles, mais en fonction de l'objectif de la loi qui est de protéger l'aspect des bâtiments protégés, en fonction des vues que l'on peut avoir. Il ne faut donc pas prendre en considération une visibilité absolue mais relative puisqu'il faut se situer, pour apprécier cette visibilité, à partir de tout point de l'immeuble "normalement accessible conformément à sa destination ou à son usage".

Bien que sobre en apparence, la formule est assez obscure pour susciter des interrogations.

D'une part, l'accessibilité au lieu de visibilité s'apprécie selon un critère de "normalité". Rien n'est plus imprécis que ce concept de normalité. L'arrêt apporte une précision négative en ce qu'il affirme que le fait que la plate-forme d'où le projet était visible ait été accessible au public constitue une considération inopérante. Il faut en conclure que l'accessibilité du centre du périmètre ne se ne doit pas être appréciée par rapport au seul public.

A suivre le Conseil d'Etat, la visibilité doit donc être reconnue lorsque la partie de l'immeuble classé est accessible à toute personne qui a une raison légitime de s'y trouver. Par conséquent, cela inclut nécessairement le personnel qui peut y être employé pour son gardiennage ou son entretien. Toutefois, on peut s'interroger sur le rapport entre cette accessibilité et ce critère mou de normalité : si l'on conçoit parfaitement que des personnels chargés de l'entretien qui accèdent à des parties de l'immeuble fermées au public sont concernés, qu'en est-il, par exemple, des couvreurs qui viennent réparer un morceau de toiture ou de gouttière ou de maçons qui travaillent sur un mur extérieur préalablement échafaudé ? Ils ont accès à des parties de l'immeuble auxquelles personne d'autre n'a accès et, dans le cadre de leur activité, ces parties leur sont normalement accessibles. De plus, l'usage de l'immeuble impose qu'il soit entretenu régulièrement. Par conséquent, c'est la totalité de l'immeuble qui est concernée, ce que laisse d'ailleurs entendre l'usage de l'expression "tout point de l'immeuble".

L'expression "conformément à sa destination et à son usage", censée compléter la précédente, est également assez obscure. L'arrêt confirme le bien-fondé de l'analyse des juges d'appel dans les termes suivants : "en estimant que la visibilité depuis la cathédrale s'appréciait aussi à partir de sa plate-forme, située à soixante-six mètres de hauteur, la cour n'a ni commis d'erreur de droit ni inexactement qualifié les pièces du dossier soumis au juge du fond dès lors que cette plate-forme était accessible conformément à l'usage du bâtiment".

Toutefois, cette considération n'apporte aucun éclairage sur ce que peut être un point de bâtiment accessible conformément à son usage. Pour reprendre l'exemple de l'arrêt, l'usage et la destination de la cathédrale de Strasbourg, n'en déplaise à certains, sont exclusivement cultuels : bien qu'il s'agisse d'un monument aujourd'hui touristique, comme toutes les cathédrales, il n'a pas vocation à servir de perchoir pour les oiseaux et de point d'observation des alentours pour les touristes. Par conséquent, l'accès à cette plate forme ne présente aucun rapport avec l'exercice du culte catholique et les personnels d'entretien et de gardiennage qui bénéficient de cet accès ne font qu'exercer une activité nécessaire à la conservation de l'immeuble, mais sans aucun lien direct avec l'usage de ce dernier. Il en va de même, a fortiori, pour le public.

On notera d'ailleurs que le Conseil d'Etat s'est bien gardé de préciser les catégories de personnes qui sont concernées ni l'usage de la plate-forme en question : en quoi ladite plate-forme peut elle être considérée comme "accessible conformément à l'usage du bâtiment" ?

Sous couvert de préciser les conditions d'application de la règle du périmètre de 500 mètres, l'arrêt pose donc plus de questions qu'il n'en résout.

Seule certitude, l'appréciation de la visibilité elle-même, étant par nature essentiellement d'ordre matériel, relève toujours de l'appréciation souveraine des juges du fond, l'arrêt précisant à ce sujet "qu'en se fondant, pour estimer que le projet de construction litigieux était visible depuis la plate-forme de la cathédrale de Strasbourg, sur une photographie de l'emplacement de la construction projetée et un rapport établi par un ingénieur-géomètre, la cour s'est livrée à une appréciation souveraine des éléments de fait produits devant elle, sans dénaturer les pièces du dossier qui lui étaient soumises". Le requérant ne peut ainsi utilement produire des pièces, mêmes nouvelles, en cassation (21). En revanche, le juge de cassation opère sur la question de détermination du point de visibilité un contrôle de la qualification juridique des faits et ne se limite donc pas au contrôle de la dénaturation : cette extension de son contrôle laisse donc la porte ouverte à de futures précisions.


(1) CE, 10 juin 2015, n° 386121 N° Lexbase : A6029NKI).
(2) CAA Nancy, 1ère ch., 13 décembre 2012, n° 11NC01245 (N° Lexbase : A8959I39).
(3) CE, 23 décembre 2014, n° 371035 (N° Lexbase : A8056M8U).
(4) CE, 25 février 2015, n° 365404 (N° Lexbase : A5143NCH).
(5) CE, 5 décembre 2014, n° 340943 (N° Lexbase : A9030M49).
(6) CE, 30 mars 2015, n° 369431 (N° Lexbase : A1157NGX).
(7) CE, 15 avril 2015, n° 368135 (N° Lexbase : A9505NG7).
(8) CE, 6 mai 2015, n° 366004 (N° Lexbase : A5824NH8).
(9) CE, 21 janvier 2016, n° 388676 (N° Lexbase : A5775N4N).
(10) CE, 23 décembre 2014, n° 364637 (N° Lexbase : A8046M8I).
(11) CE, 26 mars 2001, n° 216936 (N° Lexbase : A2280ATM).
(12) CE, 8 novembre 1991, n° 96650 (N° Lexbase : A2833ARD) ; CE, 11 juillet 1986, n° 60511 (N° Lexbase : A6519AME).
(13) CE, 4 novembre 1994, n° 103270 (N° Lexbase : A3425ASN).
(14) CE, 8 novembre 1991, n° 96650 (N° Lexbase : A2833ARD).
(15) CE, 14 octobre 1987, n° 73868 (N° Lexbase : A5869AP3) ; CE, 11 décembre 1987, n° 71482 (N° Lexbase : A6294APS) ; CE, 25 janvier 1989, n° 66471 (N° Lexbase : A2323AQ4) ; CE, 4 novembre 1994, n° 103270 (N° Lexbase : A3425ASN) ; CE, 10 juillet 1996, n° 136973 (N° Lexbase : A0195APW) ; CE, 7 juillet 2000, n° 203867 (N° Lexbase : A6573ATM).
(16) CE, 12 mars 2007, n° 275287 (N° Lexbase : A6791DU3).
(17) CE, 12 mars 2007, n° 275287, préc..
(18) CE, 11 décembre 1987, n° 71482, préc..
(19) CE, 28 décembre 2005, n° 284863 (N° Lexbase : A2017DMN).
(20) CE, 30 mars 2011, n° 331425 (N° Lexbase : A3742HMK) ; CE, 7 juillet 2000, n° 203867 (N° Lexbase : A6573ATM).
(21) CE, 27 octobre 2015, n° 374642 (N° Lexbase : A2289NUC) ; CE, 5 décembre 2012, n° 356964 (N° Lexbase : A4948IYW) ; CE, 9 juillet 2012, n° 329310 (N° Lexbase : A8381IQH).

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