Lexbase Droit privé n°623 du 3 septembre 2015 : Arbitrage

[Jurisprudence] L'exequatur en France d'une sentence rendue à l'étranger en matière administrative : vers un ordre arbitral international ?

Réf. : Cass. civ. 1, 8 juillet 2015, n° 13-25.846, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7869NME)

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par Dominique Vidal, Professeur émérite, CREDECO GREDEG UMR 7321 CNRS/UNS

le 08 Septembre 2015

La structure législative française de séparation entre le droit public et les juridictions administratives, d'une part, et le droit privé et les juridictions de l'ordre judiciaire, d'autre part, est-elle opposable au régime de l'exequatur en France d'une sentence arbitrale rendue à Londres ? Tel est l'enjeu direct de ce contentieux, que l'on abordera d'abord sous cet aspect pratique (I). Mais cet arrêt du 8 juillet 2015 soulève des enjeux théoriques, ou si l'on préfère, des questions de principe considérables, et lui donne une solution et plus encore une motivation remarquables qui en font un grand arrêt de droit de l'arbitrage (II). I - La solution directe : compétence judiciaire pour l'exequatur d'une sentence rendue à l'étranger

Les faits de l'espèce sont clairement rapportés par la décision. Un syndicat mixte de gestion d'aéroports avait conclu, avec une compagnie aérienne étrangère, divers contrats comportant une clause compromissoire. Une sentence est rendue à Londres, dont la compagnie demande l'exequatur en France, lequel est accordé par le président du TGI de Paris.

A - La décision attaquée et l'incompétence de l'ordre judiciaire

Sur recours du syndicat mixte, la cour d'appel de Paris (1) réforme le premier jugement, au motif que "l'article 1516 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2203IPB), édicté pour régler les compétences au sein de l'ordre judiciaire, est sans influence sur le principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires et qu'il n'appartient pas à la cour d'appel de se prononcer sur les voies par lesquelles les juridictions de l'ordre administratif sont susceptibles d'être saisies d'une demande d'exequatur d'une sentence rendue à l'étranger".

Cette affaire intervient dans le contexte juridique récemment assez controversé de l'arbitrage auquel est partie une personne morale de droit public. Pour s'en tenir à la question de l'exequatur, le Tribunal des conflits, dans une décision "INSERM" du 17 mai 2010 (2), considère que "le recours formé contre une sentence arbitrale rendue en France, sur le fondement d'une convention d'arbitrage, dans un litige né de l'exécution ou de la rupture d'un contrat conclu entre une personne morale de droit public français et une personne de droit étranger, exécuté sur le territoire français, mettant en jeu les intérêts du commerce international, fût-il administratif selon les critères du droit interne français, est porté devant la cour d'appel dans le ressort de laquelle la sentence a été rendue, conformément à l'article 1505 du Code de procédure civile, ce recours ne portant pas atteinte au principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires".

Mais le Tribunal des conflits considère "qu'il en va cependant autrement lorsque le recours, dirigé contre une telle sentence internationale dans les mêmes conditions, implique le contrôle de la conformité de la sentence aux règles impératives du droit public français relatives à l'occupation du domaine public ou à celles qui régissent la commande publique et applicables aux marchés publics, aux contrats de partenariat et aux contrats de délégation de service public ; que ces contrats relevant d'un régime administratif d'ordre public, le recours contre une sentence arbitrale rendue dans un litige né de l'exécution ou de la rupture d'un tel contrat relève de la compétence du juge administratif."

Autrement dit, le Tribunal des conflits institue un principe et une exception : le principe que l'exequatur de telles sentences relève de l'ordre judiciaire, et l'exception de la compétence administrative lorsque l'exequatur implique le contrôle de certaines questions sensibles de droit administratif.

Même si cette solution n'était pas dénuée d'une certaine rationalité, ou du moins d'une certaine explication (cf. infra, partie II), on ne pouvait concevoir de situation plus malcommode : le demandeur doit, en guise de question préalable, choisir entre les deux voies procédurales à raison de critères que, de toute façon, son contradicteur contestera. Dommage pour la célérité de l'exécution de la sentence.

Sans revenir sur tous les commentaires auxquels a donné lieu cette décision, rappelons que le Comité français de l'arbitrage a objecté (3) que la compétence du juge administratif n'est pas d'ordre international, qu'on ne la retrouve pratiquement pas en droit comparé, qu'elle fait problème au regard des engagements internationaux de la France, et que la dualité de régime sera problématique et préjudiciable au droit français de l'arbitrage international.

C'est donc l'exclusivité de la compétence judiciaire en matière d'exequatur de sentences arbitrales qui était placée au centre du débat, et sur laquelle la Cour de cassation a pris une forte position dans l'arrêt commenté.

B - L'arrêt de censure et la compétence du TGI de Paris

En statuant ainsi, "alors que la Convention de New-York du 10 juin 1958, pour la reconnaissance et l'exécution des sentences arbitrales étrangères (N° Lexbase : L6808BHM), applicable à l'exequatur en France d'une sentence rendue à Londres, interdit toute discrimination entre les sentences étrangères et les sentences nationales ainsi que toute révision au fond, la cour d'appel a violé les textes susvisés constitutifs de l'ordre arbitral international".

Les textes visés sont la Convention de New-York du 10 juin 1958 pour la reconnaissance et l'exécution des sentences arbitrales étrangères (a) et l'article 1516 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2203IPB) (b).

a) La Convention de New-York

L'apport le plus remarquable de la Convention de New York est qu'elle rejette le système de la révision de la sentence (4). Elle restreint l'éventualité du refus d'exequatur à quelques cas limités, parmi lesquels ne figure ni la coloration administrative du contentieux, ni même l'implication de règles "sensibles" de droit administratif.

La Cour de cassation fait ici prévaloir la solution logique que prescrit, tout simplement, le respect des engagements internationaux, et, à ce titre, elle mérite une approbation sans réserve.

Ce qui ne veut pas dire qu'elle soit sans aucune difficulté du point de vue de la cohérence du système juridique français, dès lors que le Conseil d'Etat, est tenté de se reconnaître compétent pour statuer sur la demande d'exequatur d'une telle sentence arbitrale ; sans doute peut-on s'attendre à ce que le Tribunal des conflits soit à nouveau saisi de la question.

b) L'article 1516 du Code de procédure civile

Rappelons que l'article 1516 du Code de procédure, qui figure au titre II "L'arbitrage international" du livre quatrième que le Code de procédure civile consacre à l'arbitrage, dispose que "la sentence arbitrale n'est susceptible d'exécution forcée qu'en vertu d'une ordonnance d'exequatur émanant du tribunal de grande instance dans le ressort duquel elle a été rendue ou du tribunal de grande instance de Paris lorsqu'elle a été rendue à l'étranger".

Ce texte donnait lieu ici à deux visions antinomiques. Pour le défendeur à l'exequatur, il ne serait qu'un texte "de cuisine interne" à l'ordre judiciaire français, ne donnant que compétence territoriale au TGI de Paris, alors que sous le droit antérieur au décret n° 2011-48 du 13 janvier 2011, portant réforme de l'arbitrage (N° Lexbase : L1700IPN) dont il est issu, cette compétence territoriale n'était qu'une possibilité (quoiqu'elle fût privilégiée). Il fallait pour l'appliquer que l'ordre judiciaire fût au préalable et par ailleurs reconnu compétent, ce que ce texte n'avait ni pour objet, ni pour finalité de régir.

Pour le demandeur à l'exequatur, en revanche, il convient de prendre le texte au pied de la lettre et de considérer qu'il décide que l'exequatur de telles sentences relève de la compétence matérielle et territoriale du TGI de Paris.

C'est en ce second sens que statue l'arrêt commenté. Ici encore, il mérite approbation. L'article 1516 du Code de procédure civile prend place dans un chapitre dont on ne peut sérieusement douter que les dispositions revêtent un caractère stratégique d'organisation de l'arbitrage international ; assurément, il détermine une compétence matérielle.

Chacune de ces considérations techniques (Convention de New-York, C. pr. civ., art. 1516) pouvait suffire à fonder la cassation de la décision attaquée.

Il est donc remarquable que la Cour de cassation ait également, d'une manière inédite et quelque peu frappante, visé l'ordre arbitral international.

II - L'ordre arbitral international

La question d'un ordre juridique propre à l'arbitrage international, notamment indépendant des ordres juridiques étatiques, dépasse évidemment le cadre d'un tel commentaire. On ne peut cependant manquer, après avoir salué cette affirmation éclatante, d'en rappeler quelques intérêts (A), ni d'ailleurs d'en rappeler une exigence qui n'est pas sans rapport avec cette affaire (B).

A - Les intérêts d'un ordre arbitral international

L'ordre arbitral international ne figure ni au Code de procédure civile, ni généralement à l'index des meilleurs ouvrages ; pourtant, la notion est omniprésente en droit contemporain de l'arbitrage, du moins en pointillé ou de manière sous-jacente.

Le mérite de l'arrêt est d'en exprimer l'existence formelle, bien que la formule soit inappropriée à ce phénomène juridique dont tout révèle qu'il relève du droit substantiel, des règles matérielles ou des sources fondamentales du droit : sa nécessité, son apparition, son objet, sa finalité, ses manifestations.

Les manifestations et les besoins de la pratique enseignent qu'un ensemble relativement homogène d'acteurs juridiques (les acteurs de l'arbitrage international) est animé par des besoins spécifiques qui appellent des mécanismes dont l'origine et le contenu n'ont pas vocation, a priori, à figurer dans le contexte des ordres juridiques étatiques, encore moins à être contrariés par ces derniers.

La conjonction d'un domaine déterminé (les acteurs de l'arbitrage international), d'une attente légitime (l'organisation d'un mode de règlement efficace) et d'autorités reconnues (les arbitres internationaux) pour un règlement juridictionnel des différends (les sentences arbitrales) forme la matière d'un ordre juridique.

Cet arrêt suscitera assurément nombre de commentaires passionnants qui contribueront eux-mêmes, pour autant que la doctrine est source de droit, à en développer les potentialités et en ajuster les équilibres ; rappelons simplement ici quelques enjeux pratiques qui doivent plus ou moins à cette analyse et non des moindres : le développement de l'arbitrabilité, le principe de compétence-compétence, le principe de validité (a priori) de la convention d'arbitrage, l'admission définitive de la lex mercatoria, l'autonomie de la procédure et de la sentence arbitrale internationales, la conception déterritorialisée de l'arbitrage international, la circulation internationale des sentences arbitrales et désormais, la sentence entendue comme une décision de justice internationale.

C'est ainsi que "la sentence arbitrale internationale, qui n'est rattachée à aucun ordre juridique étatique, est une décision de justice internationale".

B - Ordre public et ordre arbitral international

Mais tout ordre juridique a besoin de repères.

Si le contrôle de l'ordre public en matière d'arbitrage international n'avait pas été limité en France à la portion congrue d'une violation flagrante, effective et concrète, il n'est pas impossible que le Tribunal des conflits n'aurait pas émis cette réserve, ni le Conseil d'Etat cette opposition à la compétence judiciaire pour l'exequatur des sentences arbitrales internationales rendues en matière administrative (6), et la difficulté de l'affaire commentée n'aurait pas eu lieu.

Cette affaire a donc le mérite supplémentaire de justifier le souhait que l'ordre public international retrouve, dans l'ordre arbitral international, la place qu'il n'aurait jamais dû perdre (7), ou bien celle qu'il pourrait éventuellement retrouver avec la prise en compte seulement, mais nécessairement, d'une violation "significative" (8).

Mais ceci est une autre histoire.


(1) CA Paris, 10 septembre 2013, n° 12/11596 (N° Lexbase : A8355KKN) ; Rev. arb., 2014, 153, note M. Laazouzi ; D., 2013, Panor., 2947, obs. Th. Clay.
(2) T. confl., 17 mai 2010, n° 3754 (N° Lexbase : A3998EXD), Rev. arb., 2010, 275 ; Mathias Audit, le nouveau régime de l'arbitrage des contrats administratifs internationaux (à la suite de l'arrêt rendu par le Tribunal des conflits dans l'affaire INSERM), Rev. arb., 2010, 253 ; Rev. arb., 2010, 275, concl. M. Guyomar ; Gaz. Pal., 23-27 mai 2010, 27, note M. Guyomar ; JCP éd. G, 2010, Act., 552, note Th. Clay ; D., 2010, 2633, note S. Lemaire ; RCDIP, 2010, 653, obs. M. Laazouzi ; JCP éd. G, 2010, 557, obs. E. Gaillard ; Journ. Intern. Arb., 2010, 1017 § 27, obs. D. Hascher et B. Castellane ; AJDA, 2010, 1564, obs. P. Cassia ; Clunet, 2011, 841, note E. Loquin ; D., 2010, Act., 1359, obs. X. Delpech ; D., 2010, Panor., 2330, obs. S. Bollée ; JCP éd. G, 2010, I, 644 § 5, obs. J. Ortscheidt ; JCP éd. G, 2010, I, 1101 § 7, obs. B. Plessix ; JCP éd. G, 2010, I, 1191 § 6, obs. Th. Clay ; D., 2010, 2944, obs. Th. Clay ; Procédures, 2010, 274, obs C. Nourissat ; Procédures, 2010, 299, obs S. Deygas ; Journ. Intern. Arb., 2010, 639, obs. S. Lazareff ; Journ. Intern. Arb., 2010, 717, note D. Foussard ; Journ. Intern. Arb., 2010, 877, note J. Ortscheidt ; RTDCom., 2010, 525, obs. E. Loquin ; LPA, 2011, n° 38, p. 13, obs. M. Raux ; Rev. dr. immob., 2010, 551, obs. S. Braconnier ; Revue juridique de l'économie publique, 2010, 40, note E. Paris.
(3) Avis du Comité français de l'arbitrage dans l'affaire "INSERM c/ Fondation Letten F. Saugstad", Rev. arb., 2010, 401.
(4) Eric Loquin, L'arbitrage du commerce international, Lextenso, 2015, n° 484, p. 403.
(5) CE 2° et 7° s-s-r., 19 avril 2013, n° 352750 (N° Lexbase : A4180KCS), Rev. jur. de l'éco. publique 2013, 47, concl. rapp. pub. G. Pelissier ; Gaz. Pal., 30 mai 2013, n° 150, p. 18, note M. Guyomar ; JCP éd. G, 2013, doctr., 748, note S. Lemaire ; Journ. Intern. Arb., 2013, 1083, obs. L. Jaeger et N. Chahid Nourai ; LPA, 2014, n° 20, p. 14, obs. A. Lapunzina-Veronelli ; AJDA, 2013, 1271, note X. Domino et A. Bretonneau ; D., 2013, panor., 2299, obs. S. Bollée ; D., 2013, Panor, 2947, obs. Th. Clay ; RTDCom., 2014, 326, obs. E. Loquin ; JCP éd. A, 2013, act., 388, obs. L. Erstein ; JCP éd. A, 2013, 2245, note H. Muscat ; JCP éd. A, 2013, 2330, note Cl. Blanchon ; JCP éd. 2013, doctr., 784, n° 7, obs. J. Ortscheidt ; JCP éd. G, 2013, doctr., 784, § 5, obs. J. Ortscheidt ; JCP éd. G, 2013, doctr., 1117, note G. Eveillard ; Gaz. Pal., 18 juin 2013, n° 169, p. 10, obs. B. Seiller ; D., 2013, 1069, obs. M.-C. de Montecler, et 1445, note P. Cassia ; Rev. arb., 2013, 761, note M. Laazouzi ; Dr. adm., 2013, 49, note F. Brenet ; Contrats-Marchés publ. 2013, 174, note P. Devillers ; RDI, 2013.362, obs. S. Braconnier ; Gaz. Pal., 30 juin-2 juillet 2013, p. 17, obs. D. Bensaude.
(6) D. Vidal, Droit français de l'arbitrage interne et international, Gualino, 2012, n° 802, p. 305.
(7) Idem, n° 793/801, p. 302 et s..
(8) Nos obs., sous Cass. civ. 1, 12 février 2014, n° 10-17.076, FS-P+B+I (N° Lexbase : A1262MEH), Rev. arb., 2014, p. 389.

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