La lettre juridique n°619 du 2 juillet 2015 : Entreprises en difficulté

[Jurisprudence] Dispense de déclaration de l'indivisaire pour la créance résultant de la conservation ou de la gestion des biens indivis

Réf. : Cass. com., 2 juin 2015, n° 14-29.405, F-P+B (N° Lexbase : A2340NKU)

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par Christine Lebel, Maître de conférences HDR (CRJFC, EA 3225), UFR SJEPG (Université de Franche-Comté)

le 02 Juillet 2015

Lorsque liquidation d'une indivision et procédure collective d'un indivisaire se rencontrent, la situation, qui pourrait paraître claire à première vue, est en réalité une illusion d'optique, obligeant le juriste à mettre la blouse blanche afin de pourvoir étudier la situation avec minutie grâce aux lentilles grossissantes d'un microscope (électronique ?) de laboratoire (1) ! Preuve en est un arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 2 juin 2015
En l'espèce, des concubins ont acquis par moitié indivise un immeuble suivant acte notarié du 20 septembre 1993, moyennant le prix de 1 800 000 francs (environ 273 990 euros), qui a été financé par un prêt souscrit par le concubin. Après la séparation du couple, la concubine l'a assigné en ouverture de compte, liquidation et partage de l'indivision devant le tribunal de grande instance. Sur son autorisation, le bien a été adjugé au concubin pour le prix de 175 000 euros par jugement du 30 juin 2004, mais il n'a pas payé le prix. Courant 2006, la concubine, exerçant une profession indépendante, a déposé une déclaration de cessation des paiements. L'ouverture de son redressement judiciaire a été prononcée par jugement du 1er juin 2006. Sur folle enchère diligentée par le mandataire désigné dans la procédure collective, le bien a été adjugé à 425 000 euros. Par la suite, le notaire chargé d'établir les comptes de l'indivision a établi un procès-verbal de difficultés, puis le juge-commissaire, un procès-verbal de non conciliation. Par jugement du 25 mai 2010, le tribunal a considéré que l'indivision était redevable au concubin de la moitié du prix d'achat. En effet, les difficultés sont apparues quant à la détermination des créances du concubin sur l'indivision. Ce dernier a déclaré entre les mains du mandataire judiciaire la moitié de l'emprunt ayant servi à l'achat de l'immeuble et la moitié des travaux réalisés lors de cette acquisition. Ayant été déclarée tardivement, la créance a été rejetée par le mandataire et le juge-commissaire n'a pas relevé le concubin de la forclusion. Le plan de redressement de la concubine a été arrêté par jugement du 7 février 2008. Considérant que les créances contre l'indivision ne sont pas soumises à la procédure collective de l'un des indivisaires d'une indivision existant avant l'ouverture du redressement judiciaire, le concubin prétend ne pas avoir l'obligation de déclarer sa créance au passif de la procédure collective. Par un arrêt du 11 octobre 2012, la cour d'appel de Versailles (2), considérant que l'indivision existant entre les parties ne constitue pas une personne morale dotée de la personnalité juridique autonome, distincte de celle de ses membres, il s'ensuit que le concubin, en sa qualité d'indivisaire, devait déclarer sa créance au passif de la procédure collective ouverte à l'égard du co-indivisaire, la concubine, qu'il estimait débitrice de l'indivision. La cour d'appel ajoute que l'article 815-17 du Code civil (N° Lexbase : L9945HNN) ne dispense pas l'indivisaire qui entend exercer son droit de suite sur le bien indivis de respecter la procédure de déclaration de créance (3). Le concubin rédige un pourvoi. Sur le visa de l'article 815-17, alinéa 1er, du Code civil, la Cour de cassation censure la cour d'appel affirmant que l'indivisaire n'avait pas l'obligation préalable de déclarer sa créance afin de faire valoir ses droits qu'il détient de ce texte.

I - Des créances de l'indivision préexistante hors procédure collective

Etre ou ne pas être sous l'emprise de la procédure collective, telle est tout l'enjeu de ce type de contentieux concernant nombre de situations familiales dans lesquelles un débiteur, personne physique, est simultanément co-indivisaire. Il s'agit, d'une part, de l'indivision post-communautaire en cas de divorce ou de changement de régime matrimonial du débiteur marié, ou bien encore en cas de décès de l'un des conjoints. D'autre part, l'indivision est successorale en cas de survenance d'un décès d'un membre de la famille du débiteur sous procédure collective, voire en cas de décès du débiteur lui-même. Enfin, l'indivision est également un mode d'acquisition en commun pour un couple de concubin, comme en l'espèce. Toutefois, dans ce dernier cas, le périmètre de l'indivision est limité au bien acquis de manière indivise (4), le plus fréquemment un immeuble abritant le logement du couple concubin.

En matière d'indivision, l'impérialisme du droit des entreprises en difficulté cède le pas devant les règles du Code civil, sous certaines conditions, contrairement aux biens communs lors du partage de la communauté. En effet, dans cette seconde hypothèse, la masse des biens communs constitue un tout jusqu'à la liquidation et au partage de la communauté (5), ce qui explique pourquoi ils sont en principe dans le périmètre de la procédure collective ouverte à l'égard de l'un des conjoints. A l'opposé, le bien indivis est caractérisé par l'individualisation des droits de chaque indivisaire par l'intermédiaire de sa quote-part indivise. Celle-ci figure dans le patrimoine de chaque indivisaire tout en étant exclue du gage offert à ses créanciers car l'article 815-17 du Code civil ne leur permet pas de la saisir, mais seulement de demander le partage de l'indivision. Cette particularité permet d'expliquer le traitement spécial des biens indivis en cas d'ouverture d'une procédure collective à l'égard d'un indivisaire (6).

Dans un tel cadre, il est indispensable de déterminer quel est le périmètre de la procédure collective, autrement dit de s'interroger pour savoir si le bien indivis constitue ou non une partie de l'actif de celle-ci. En décortiquant l'article 815-17 du Code civil, on distingue les créanciers de l'indivision, d'une part, dont le droit de gage est énoncé au premier alinéa de ce texte, des créanciers d'un indivisaire, d'autre part, auxquels l'accès au bien indivis est interdit par les alinéas 2 et 3 de cette disposition légale. Ils ne peuvent que demander le partage du bien indivis. En l'espèce, l'indivision est survenue lors de l'acquisition de l'immeuble en 1993, bien avant l'ouverture du redressement judiciaire de la concubine, indivisaire, suivant jugement du 1er juin 2006. Dans ces conditions, le bien indivis est en dehors du périmètre de la procédure collective et n'est pas soumis à l'impérialisme des dispositions du livre VI du Code de commerce.

Cette règle a été élaborée progressivement en jurisprudence dans le silence du droit des entreprises en difficulté qui ne comporte aucune règle dérogatoire à celles énoncées dans le Code civil et plus spécialement à l'article 815-17. La solution n'est pas nouvelle. La Cour de cassation l'a précédemment formulée (7) et vient de la rappeler par l'arrêt du 2 juin 2015 par la censure de la décision des juges du fond. Ainsi, le créancier de l'indivisaire, lorsque l'indivision préexiste à la procédure collective, n'est pas soumis à la discipline collective des créanciers.

II - Des créances de l'indivision dispensées de la discipline collective des créanciers

Dans la mesure où le bien indivis est situé en dehors du périmètre de la procédure collective, le créancier de l'indivisaire n'est pas soumis à la discipline collective imposée, en principe, aux créanciers du débiteur en redressement judiciaire, comme en l'espèce, ou, plus généralement soumis à une procédure collective (8). Par conséquent, il n'est pas tenu d'avoir à déclarer entre les mains du mandataire de justice les créances qu'il détient contre le débiteur, co-indivisaire, lorsque la créance résulte de la conservation ou de la gestion de l'immeuble indivis.

En l'espèce, le concubin n'avait pas besoin de déclarer la moitié du prêt ayant servi à financier l'acquisition de l'immeuble indivis, ni le montant des travaux réalisés sur ce dernier ou bien encore les taxes et frais qu'il a réglés avant le 1er juin 2006, date de l'ouverture du redressement judiciaire. Ainsi, peu importe la date de naissance de la créance dès lors qu'elle est afférente à une indivision préexistante à l'ouverture de la procédure collective. Deux conditions cumulatives doivent être respectées : l'existence préalable de l'indivision et des créances nées d'une gestion régulière de l'indivision, autrement dit des créances de conservation ou de gestion du bien indivis (9). Ainsi, le tribunal ne peut rejeter ces dernières lors du compte de liquidation et du partage de l'indivision.

Dans l'hypothèse où le débiteur serait en liquidation judiciaire, les pouvoirs du liquidateur sont limités. Il pourrait seulement demander le partage de l'indivision par l'exercice des droits du débiteur dessaisi (10), car il bénéfice d'une action attitrée. Toutefois, en l'absence de passif non réglé dans le cadre de la liquidation judiciaire, la doctrine considère que cette solution jurisprudentielle devrait être adaptée car elle n'est fondée que sur les règles du Code civil, sans tenir compte du fait que l'action du liquidateur est réalisée exclusivement dans l'intérêt collectif des créanciers. En l'absence de passif impayé, ce dernier ne devrait plus pouvoir demander le partage en l'absence d'intérêt collectif persistant (11).

Enfin, lorsque le tribunal de la procédure a adopté un plan, comme en l'espèce (12), il semble que l'inaliénabilité temporaire qui pourrait être décidée soit sans effet à l'égard du créancier de l'indivisaire, redevenu maître de ses biens, dès lors que les droits du créancier, comme l'a décidé la Cour de cassation dans un arrêt du 7 février 2012 (13). Selon cette décision, le co-indivisaire ne peut se voir opposer la disposition du plan prévoyant une inaliénabilité temporaire qui fait obstacle au droit de poursuite qu'il détient de l'article 815-17, 1° du Code civil, indépendamment de la publicité foncière de la mesure d'inaliénabilité temporaire. Par conséquent, l'effet erga omnes du plan (14) s'en trouve diminué d'autant.


(1) L.-C. Henry, Difficultés pratiques de l'indivision, Séminaires, AJDE "Personne physique et procédures collectives", Toulouse, 12 octobre 2012, Rev. proc. coll., 2013, Dossier 8, spéc. n° 1.
(2) CA Versailles, 1ère ch., 1ère sect., 11 octobre 2012, n° 10/07006 (N° Lexbase : A2078IUI).
(3) En outre, la cour d'appel considère que faute de déclaration les créances sont éteintes. Or, en l'espèce, le redressement judiciaire avait été prononcé après l'entrée en application des dispositions du livre VI du Code de commerce dans leur rédaction postérieure à la loi du 26 juillet 2005 (N° Lexbase : L5150HGT). Par conséquent, les créances non déclarées et non relevées de la forclusion ne pouvaient pas être éteintes, mais seulement inopposables à la procédure collective.
(4) Par opposition aux autres indivisions, dites universelles : M. Sénéchal, La vente des biens indivis en procédure collective, Rev. Lamy Dr. Aff., 2003, n° 60, p. 20.
(5) L. Antonini-Cochin, Régimes matrimoniaux et droit des entreprises en difficulté, in Entreprises en difficulté ss. dir. Ph. Roussel Galle, LexisNexis, 2012, coll. Droit 360°, p. 209.
(6) L.-C. Henry, préc. note 1. ; S. Delrieu, Indivision et Droit des entreprises en difficulté, in Entreprises en difficulté, préc. note 5, p. 259 ; S. Delrieu, Indivision et procédures collectives, Lextenso, 2010, t. 47, préface C. Saint-Alary Houin.
(7) Cass. com., 18 février 2003, n° 00-11.008, FS-P (N° Lexbase : A1801A7T), Bull. civ. IV, n° 21, Rev. proc. coll. 2003, p. 356, n° 4, obs. M.-P. Dumont, D., 2003, p. 1620, obs. P.-M. Le Corre, JCP éd. N, 2003, p. 1701, note F. Vauvillé ; Cass. civ. 1, 13 décembre 2005, n° 02-17.778, FS-P+B (N° Lexbase : A0332DMA), Bull. civ. I, n° 494, D., 2006, p. 302, obs. A. Lienhard, RJPF, 2006, p. 22, note F. Vauvillé ; Cass. com., 7 février 2012, n° 11-12.787, FS-P+B (N° Lexbase : A3562ICW), Le droit de poursuite des créanciers de l'indivision préexistante à l'ouverture de la procédure collective de l'un des indivisaires, Lexbase Hebdo n° 284 du 16 février 2012 - édition affaires (N° Lexbase : N0258BTQ), Gaz. Pal., 2 mai 2012, p. 24, obs. D. Voinot, JCP éd. N, 2012, 1170, note J.-P. Garçon, Rev. proc. coll., 2012, comm. 110 obs. M.-P. Dumont-Lefrand, Act. Proc. coll., 2012, comm. 76, obs. J.-J. Fraimout, Bull. Joly Entrep. en diff., 2012, p. 137, n° 3, obs. M. Sénéchal, LPA 5 juin 2012, p. 4, obs. L.-C. Henry ; Cass. com., 10 mai 2012, n° 11-13.284, F-D (N° Lexbase : A1283IL4), Bull. Joly Entrep. en diff., 2012, p. 214, obs. J.-P. Sortais, Rev. proc. 2012, comm. 110, obs M.-P. Dumont-Lefrand.
(8) Cass. civ. 1, 13 décembre 2005, n° 02-17.778, FS-P+B, préc. note 7 et les obs. préc..
(9) Cass. com., 21 janvier 2003, n° 00-13.952, FS-D (N° Lexbase : A7397A4Q).
(10) C. com., art. L. 641-9 (N° Lexbase : L7329IZH).
(11) F. Pérochon, Entreprises en difficulté, Manuel LGDJ, 9ème éd., 2012, n° 1095
(12) A la différence que le plan de redressement de la concubine ne contenait pas de mesure d'inaliénabilité temporaire dans la mesure où la débitrice avait sollicité le partage et la vente de l'immeuble avant de déclarer la cessation de ses paiements.
(13) Cass. com., 7 février 2012, n° 11-12.787, préc. note 7.
(14) C. com., art. L. 626-24 (N° Lexbase : L3300IC9).

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