Le Quotidien du 17 décembre 2021 : Droit pénal général

[Brèves] Interdiction du cumul de qualifications lors de poursuites concomitantes : la Chambre criminelle limite le champ d’application du principe

Réf. : Cass. crim., 15 décembre 2021, n° 21-81.864, FP-B (N° Lexbase : A17417GL)

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N9832BYS

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par Adélaïde Léon

le 22 Décembre 2021

► Au terme d’un arrêt riche de détails sur les motifs de l’infléchissement de sa jurisprudence, la Chambre criminelle maintient le principe de l’interdiction du cumul des qualifications lors de poursuites concomitantes applicable à la déclaration de culpabilité tout en limitant son champ d’application.

Rappel des faits. À l’issue d’une information judiciaire, un individu est renvoyé devant le tribunal correctionnel notamment des chefs de faux et usage de faux pour avoir falsifié deux attestations notariées ainsi qu’un certificat de dépôt fiduciaire et usage desdits faux.

Il est également poursuivi du chef d’escroquerie pour avoir, en employant des manœuvres frauduleuses, en l’espèce notamment en produisant les fausses attestations notariales ainsi que le faux certificat de dépôt fiduciaire visant à établir la solvabilité de l’acquéreur, trompé des individus pour les déterminer à vendre leurs parts dans la société sans réelle garantie de recevoir paiement de l’intégralité du prix de vente.

Les juges du premier degré ont déclaré l’intéressé coupable de ces infractions et l’ont condamné à deux ans d’emprisonnement ainsi qu’à dix ans d’interdiction de gérer.

Le prévenu, le procureur de la République et certaines parties civiles ont formé appel de cette décision.

En cause d’appel. La cour d’appel a condamné le prévenu pour faux et usage, escroquerie, banqueroute et abus de biens sociaux, à trois ans d’emprisonnement et une interdiction définitive de gérer. Elle jugeait que les délits en présence sanctionnent la violation d’intérêts distincts et comportent des éléments constitutifs différents.

L’intéressé a formé un pourvoi contre l’arrêt d’appel.

Moyens du pourvoi. Il était fait grief à la chambre correctionnelle de s’être ainsi prononcée alors que les faits qui procèdent de manière indissociable d’une action unique caractérisée par une seule intention coupable ne peuvent donner lieu, contre le même prévenu, à deux déclarations de culpabilité de nature pénale, fussent-elles concomitantes. En l’espèce, le prévenu estimait que les infractions de faux et usage de faux et celle retenue d’escroquerie procédaient, de manière indissociable d’une action unique caractérisée par une seule intention coupable. Il reprochait dès lors à la cour d’appel d’avoir violé le principe « ne bis in idem ».

Décision. La Chambre criminelle rejette le pourvoi.

Rappel du cadre général de règlement des conflits de qualification. Après avoir rappelé l’objectif de « ne bis in idem » et les textes garantissant ce principe, la Cour évoque la règle qu’elle a même dégagée afin d’établir un cadre général de règlement des conflits de qualification permettant d’assurer le même traitement aux personnes poursuivies pour un comportement répréhensible sous plusieurs qualifications, que ce soit à l’occasion d’une même procédure ou lors de procédures successives. Elle reproduit ainsi le principe posé le 26 octobre 2016 selon lequel des faits qui procèdent de manière indissociable d’une action unique caractérisée par une seule intention coupable ne peuvent donner lieu, contre le même prévenu, à deux déclarations de culpabilité de nature pénale, fussent-elles concomitantes (Cass. crim., 26 octobre 2016, n° 15-84.552, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A3230SCM).

Limites de la règle prétorienne. La Cour concède toutefois les limites du cadre général dégagé par elle.

Ainsi, en novembre 2018, la Chambre criminelle avait en effet jugé que les droits de la partie civile ne peuvent être exercés que par les personnes justifiant d’un préjudice résultant de l’ensemble des éléments constitutifs de l’infraction visée à la poursuite (Cass. crim., 21 novembre 2018, n° 17-81.096, FP-P+B N° Lexbase : A0164YNE). Or, l’application de la règle établie le 26 octobre 2016 peut conduire à ce que « certains plaignants, qui étaient recevables à se constituer partie civile pour l’un des faits poursuivis, ne puissent obtenir réparation en l’absence de préjudice en relation avec la seule qualification retenue ».

Par ailleurs, la règle prétorienne empêche le juge de prononcer une peine complémentaire sanctionnant une infraction non retenue, ce qui l’empêche, selon la Cour, d’individualiser la peine.

Enfin, la Cour affirme sans détour que le choix d’une seule qualification ne permet pas toujours d’appréhender l’action délictueuse dans toutes ses dimensions, l’abandon d’une des qualifications en présence pouvant avoir pour conséquence « d’occulter un intérêt auquel l’action délictueuse a porté atteinte ou une circonstance de cette action ». À cet égard, la Chambre criminelle rappelle qu’elle a d’ores et déjà infléchi sa jurisprudence dans des hypothèses où seul le cumul des chefs de poursuite permet d’appréhender l’action délictueuse dans toutes ses dimensions (Cass. crim., 16 avril 2019, n° 18-84.073, FS-P+B+I N° Lexbase : A2854Y9L et Cass. crim., 31 mars 2020, n° 19-83.938, F-D N° Lexbase : A90253KH).

Garanties de l’infléchissement. Dans la perspective d’un infléchissement de sa jurisprudence, la Haute juridiction souligne dans un premier temps les conditions dans lesquelles la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) admet que des faits identiques puissent faire l’objet de poursuites successives. Ces poursuites doivent être prévisibles, unies par un lien matériel et temporel suffisamment étroit, s’inscrire dans une approche intégrée et cohérente du méfait en cause et permettre de réprimer les différents aspects de l’acte répréhensible. Elles ne doivent en revanche pas générer d’inconvénient supplémentaire pour la personne poursuivie ni conduire à lui faire supporter une charge excessive et se limiter à ce qui est strictement nécessaire au regard de la gravité de l’infraction (CEDH, 8 octobre 2020, Req. 67334/13, Bacjic c/ Croatie et CEDH, 31 août 2021, Req. 45512/11, Galovic c/ Croatie).

La Chambre criminelle invoque alors les dispositions de droit interne de nature à répondre aux exigences de la jurisprudence européenne.

La Haute juridiction relève ainsi qu’en prévoyant plusieurs qualifications applicables à un même fait, le législateur a entendu réprimer plusieurs aspects d’une action délictuelle de telle sorte que leur cumul au cours d’une même procédure permet d’appréhender cette action dans toutes ses dimensions. Ce cumul est par ailleurs prévisible dès lors que les différentes infractions sont définies par la loi. La Cour évoque ensuite successivement les règles d’encadrement du cumul des peines (C. pén., art. 132-3 N° Lexbase : L2106AMX et 132-7 N° Lexbase : L2045AMP) et l’article 485 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9916IQC) lequel prévoit l’obligation de motivation des peines principales et complémentaires en considération de critères intéressant autant les faits que l’auteur lui-même.

La Chambre criminelle estime dès lors que ces règles permettent de le prononcé de peines nécessaires, proportionnées et adaptées dans l’hypothèse ou plusieurs qualifications sont susceptibles de recevoir application à l’occasion d’une même poursuite et juge que sa jurisprudence d’octobre 2016 doit désormais être infléchie.

Formulation de l’infléchissement. La Cour juge ainsi que l’interdiction de cumuler les qualifications à l’occasion de la déclaration de culpabilité doit être réservée, ou à la situation dans laquelle la caractérisation des éléments constitutifs de l’une des infractions exclut nécessairement la caractérisation des éléments constitutifs de l’auteur, aux cas où un ou des faits identiques sont en cause et où l’on se trouve dans l’une des deux hypothèses suivantes :

  • l’une des qualifications, telles qu’elles résultent des textes d’incrimination, correspond à un élément constitutif ou une circonstance aggravante de l’autre, qui seule doit alors être retenue ;
  • l’une des qualifications retenues, dite spéciale, incrimine une modalité particulière de l’action répréhensible sanctionnée par l’autre infraction, dite générale.

En l’espèce, la Cour juge qu’aucun des cas pour lesquels elle réserve ici l’interdiction n’est en l’espèce constitué.

Enfin, on notera que, le même jour, la Chambre criminelle a rendu un arrêt dans lequel elle affirme que le principe ni bis in idem n'est pas d'ordre public (Cass. crim., 15 décembre 2021, n° 20-85.924, FP-B N° Lexbase : A17547G3).

Pour aller plus loin :

  • Avis de l'avocat général, arrêt n° 1387 du 15 décembre 2021 [en ligne].
  • Avis oral de l'avocat général, arrêt n° 1387 du 15 décembre 2021 [en ligne].
  • Chambre criminelle, Note explicative relative aux arrêts n° 1387 et 1390 du 15 décembre 2021 [en ligne].
  • v. R. Ollard, Concours de qualifications en matière pénale : la Cour de cassation consacre une conception large de l'unité de fait fondée sur une action indissociable par unité de but, Lexbase Droit privé, décembre 2016 (N° Lexbase : N5520BWD) ;
  • v. E. Gouesse et J. Dilmi, Cumul de l’homicide involontaire et de l’infraction à la réglementation relative à la sécurité des travailleurs : le principe ne bis in idem en peine, Lexbase Pénal, mai 2019 (N° Lexbase : N8909BXA) ;
  • v. S. Fucini, Le principe ne bis in idem ou la révolution des concours de qualifications, Lexbase Pénal, janvier 2020 (N° Lexbase : N1831BYH) ;
  • v. S. Fucini, Principe ne bis in idem : rejet du cumul de l’association de malfaiteurs et de la détention d’un dépôt d’armes, Lexbase Pénal, avril 2020 (N° Lexbase : N2926BYZ) ;
  • v. J.-C. Saint-Pau, Cumul concomitant de qualifications pénales : quels critères ?, Lexbase Pénal, juin 2019 (N° Lexbase : N9287BXA).

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