Le Quotidien du 5 juin 2020 : Construction

[Brèves] La preuve de l’absence de lien d’imputabilité entre ses travaux et le dommage permet au constructeur de s’exonérer de sa responsabilité civile décennale

Réf. : Cass. civ. 3, 14 mai 2020, n° 19-12.988, F-D (N° Lexbase : A06273M8)

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[Brèves] La preuve de l’absence de lien d’imputabilité entre ses travaux et le dommage permet au constructeur de s’exonérer de sa responsabilité civile décennale. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/58318341-breves-la-preuve-de-l-absence-de-lien-d-imputabilite-entre-ses-travaux-et-le-dommage-permet-au-cons
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par Juliette Mel, Docteur en droit, Avocat associé, Rome Associés, Chargée d’enseignements à l’UPEC et Paris Saclay, Responsable de la Commission Marchés de Travaux, Ordre des avocats

le 03 Juin 2020

► Bien que créancier de l’action en responsabilité civile décennale, il appartient au maître d’ouvrage d’établir le lien entre la prestation réalisée par le constructeur et le dommage ;

► cette règle probatoire ne contrevient pas au principe selon lequel tout constructeur d’un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître d’ouvrage, des dommages qui compromettent la solidité de l’ouvrage ou le rendent impropre à sa destination.

Voici l’essentiel à retenir de l’arrêt rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation, le 14 mai 2020 (Cass. civ. 3, 14 mai 2020, n° 19-12.988, F-D N° Lexbase : A06273M8)).

Ce n’est pas parce que le constructeur est présumé responsable des dommages de nature décennale que le maître d’ouvrage peut se borner à prouver l’existence de son préjudice et rien d’autre. Autrement dit, toute objective qu’elle soit, la responsabilité civile décennale des articles 1792 (N° Lexbase : L1920ABQ) et 1792-2 (N° Lexbase : L6349G9Z) du Code civil n’implique pas, per se, automatiquement la responsabilité du constructeur. A l’exigence de la preuve de la gravité du dommage s’ajoute celle de l’imputabilité. Autrement dit, le maître ou l’acquéreur de l’ouvrage, pour reprendre les termes de l’article 1792 précité, doit établir le lien entre le dommage, d’une part, et les travaux réalisés par le constructeur qu’il met en cause, d’autre part.

Ce lien d’imputabilité n’est pas présumé (Cass. civ. 3, 12 mai 2010, n° 09-12.722, FS-D N° Lexbase : A1652EXH). Mais la jurisprudence, par une approche in favorem à l’égard du maître d’ouvrage et/ou de l’acquéreur, se montre particulièrement large dans la compréhension de ce lien d’imputabilité. Si, le plus souvent, l’imputabilité résulte d’une faute du constructeur (Cass. civ. 3, 5 janvier 2017, n° 15-18.084, F-D N° Lexbase : A4843S3R), la jurisprudence admet aussi un rattachement des dommages en considération de l’activité elle-même du constructeur (Cass. civ. 3, 27 janvier 2015, n° 13-21.945, F-D N° Lexbase : A7100NA9). Inversement, l’absence de lien doit conduire à l’absence de responsabilité civile décennale du constructeur (pour exemple, Cass. civ. 3, 6 décembre 2006, n° 05-16.826, FS-D N° Lexbase : A8342DSR). Tel est notamment le cas pour les maîtres d’œuvre.

L’arrêt rapporté va encore plus loin et jette un doute sur la charge de cette preuve.

Dans cette espèce, un promoteur, depuis placé en liquidation judiciaire, a fait construire un groupe de deux immeubles partagés en lots vendus en l’état futur d’achèvement. Après la livraison des appartements, le syndicat des copropriétaires de la résidence (ci-après désigné le SDC) assigne, après expertise judiciaire, le promoteur, les intervenants à l’opération de construire, le notaire et leurs assureurs en indemnisation des préjudices liés à l’existence de désordres.

Le SDC fait grief à l’arrêt d’appel (CA Aix-en-Provence, 15 novembre 2018, n° 16/21523 N° Lexbase : A2798YL9) d’avoir rejeté sa demande formée à l’encontre de l’architecte au seul motif qu’il était tenu d’une mission complète de maîtrise d’œuvre. A bien comprendre, la mission de suivi du chantier impliquerait à elle seule la démonstration de ce lien d’imputabilité. Les juges d’appel avaient, au contraire, estimé que le SDC aurait dû démontrer que les travaux ayant occasionné des désordres de nature décennale avaient été réalisés pendant la mission de maîtrise d’œuvre de l’architecte.

La Haute juridiction censure. Il incombe au constructeur qui entend s’exonérer de la garantie décennale dont il est débiteur d’établir l’absence de lien entre le désordre constaté et son intervention.

Faut-il y voir un revirement de jurisprudence ? Ce serait aller trop loin. Il semble que cet arrêt soit particulier à la mission dite de suivi de chantier (DET) du maître d’œuvre. Aussi, dès lors qu’il est titulaire d’une telle mission et que les désordres surviennent en cours des travaux réalisés sous sa maîtrise d’œuvre, l’exigence du lien d’imputabilité serait rapportée. Mais le maître d’œuvre pourrait toujours, en application du droit commun, rapporter la preuve contraire.

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