La lettre juridique n°808 du 9 janvier 2020 : Sociétés

[Textes] Nouvelles règles relatives aux politiques de rémunération des dirigeants de sociétés cotées issues de l'ordonnance n° 2019-1234 et du décret n° 2019-1235 du 28 novembre 2019

Réf. : Ordonnance n° 2019-1234 du 27 novembre 2019, relative à la rémunération des mandataires sociaux des sociétés cotées (N° Lexbase : L6994LT9) ; décret n° 2019-1235 du 27 novembre 2019, portant transposition de la Directive (UE) 2017/828 du 17 mai 2017, modifiant la Directive 2007/36/CE en vue de promouvoir l'engagement à long terme des actionnaires (N° Lexbase : L6905LTW)

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[Textes] Nouvelles règles relatives aux politiques de rémunération des dirigeants de sociétés cotées issues de l'ordonnance n° 2019-1234 et du décret n° 2019-1235 du 28 novembre 2019. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/56028671-textes-nouvelles-regles-relatives-aux-politiques-de-remuneration-des-dirigeants-de-societes-cotees
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par Philippe Emy, Maître de conférences à l’Université de Bordeaux

le 08 Janvier 2020

La loi du 9 décembre 2016, relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi «Sapin 2» (loi n° 2016-1691 N° Lexbase : L6482LBP), a bouleversé les principes régissant la rémunération des dirigeants de sociétés cotées. Cette petite révolution fut la conséquence directe d’un scandale, à savoir l’augmentation de la rémunération de son président par le conseil d’administration de Renault, alors que l’assemblée générale s’était préalablement prononcée contre. Le législateur, contraint de réagir, ajouta un amendement à la loi «Sapin 2» en introduisant en droit français un principe de say on pay. Trois ans plus tard, le législateur remet le sujet de la rémunération des dirigeants sociaux sur le métier, cette fois sans rapport direct avec les récentes tribulations de l’ancien dirigeant de Renault. Il s’agit en effet de transposer en droit français les articles 9 bis et 9 ter de la Directive 2007/36/CE du 11 juillet 2007, concernant l'exercice de certains droits des actionnaires de sociétés cotées (N° Lexbase : L9363HX3), dans leur rédaction issue de la Directive 2017/828 du 17 mai 2017 (N° Lexbase : L7431LEX). La législation issue de la loi du 9 décembre 2016 respectait l’esprit du droit de l’Union européenne. Dans les deux systèmes, il s’agit d’appliquer aux rémunérations des dirigeants des sociétés cotées un système de say on pay. Le système mis en place par la loi «Sapin 2» faisait intervenir l’assemblée des actionnaires à l’occasion d’un vote préalable (ex ante) sur la politique de rémunération et d’un vote a posteriori (ex post) concernant le versement des éléments fixes, variables et exceptionnels composant la rémunération totale. Bien que la Directive ne soit pas d’harmonisation maximale, une modification du droit français s’avérait malgré tout nécessaire afin de respecter scrupuleusement les modalités techniques imposées par le droit européen. L’article 198 VI de la loi «PACTE» du 22 mai 2019 (loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 N° Lexbase : L3415LQK) habilita le Gouvernement à effectuer cette transposition par voie d’ordonnance ainsi qu’à créer un dispositif unifié et contraignant encadrant la rémunération des dirigeants des sociétés cotées [1]. Il faut dire qu’un certain nombre d’incertitudes et de lacunes avaient été repérées dans notre droit positif. Notamment, la coexistence, à côté du système de say on pay, de l’application du régime des conventions réglementées, en application des articles L. 225-42-1 (N° Lexbase : L9602LQP) et L. 225-90-1 (N° Lexbase : L9603LQQ) du Code de commerce, aux «engagements correspondant à des éléments de rémunération, des indemnités ou des avantages dus ou susceptibles d'être dus à raison de la cessation ou du changement de ces fonctions, ou postérieurement à celles-ci», générait une complexité dont on pouvait faire l’économie.

L'ordonnance n° 2019-1234 du 28 novembre 2019 et l’article 1er du décret n° 2019-1235 daté du même jour mettent en place un régime unifié qui s’appliquera à toutes les rémunérations [2]. Ce nouveau régime est d’abord caractérisé par un champ d’application plus étendu que ne l’était celui issu de la loi «Sapin 2» (I). La procédure du say on pay mise en place reste quant à elle très proche de l’ancien régime, même si quelques changements voient le jour. D’une part, le conseil d’administration doit élaborer une politique de rémunération qui devra être approuvée dans un vote ex ante par l’assemblée des actionnaires (II). D’autre part, la loi organise des délibérations postérieures portant sur les rémunérations (III).

I - Domaine d’application du nouveau régime

L’objectif de l’ordonnance est de créer un régime unifié applicable à la détermination des rémunérations des dirigeants dans les sociétés cotées. Cela passe par la disparition des régimes spécifiques et par la redéfinition du domaine du système du say on pay.

Les sociétés visées. Le nouveau régime s’applique aux sociétés dont les actions -et non plus les titres, transposition oblige- sont admises aux négociations sur un marché réglementé.

La véritable nouveauté par rapport au régime établi par la loi «Sapin 2» tient à l’extension et à l’adaptation du mécanisme aux sociétés en commandite par actions. C’est une nouvelle fois le droit européen qui exigeait cette modification. L’article L. 226-8 du Code de commerce (N° Lexbase : L7136LTH) a été réécrit et les articles L. 226-8-1 (N° Lexbase : L7137LTI) et L. 226-8-2 (N° Lexbase : L7138LTK) du même code ont été créés afin d’appliquer un régime quasi-identique à celui des sociétés anonymes. La différence essentielle tient à l’équilibre des pouvoirs spécifique à cette forme sociale, c’est-à-dire à la présence de commandités et de deux sortes de dirigeants, les gérants et les membres du conseil de surveillance. Les associés commandités délibèrent à l’unanimité sur la politique de rémunération concernant les gérants, après avis consultatif du conseil de surveillance. Les statuts peuvent cependant prévoir une décision prise à la majorité des commandités ou même la compétence du conseil de surveillance. Le conseil de surveillance est quoiqu’il arrive compétent pour établir la politique de rémunération applicable à ses membres. La politique de rémunération des gérants et des membres du conseil de surveillance doit ensuite faire l'objet d'un projet de résolution soumis à l'approbation de l'assemblée générale ordinaire et à l'accord des commandités donné, sauf clause contraire, à l'unanimité.

Les rémunérations visées. L’objectif ici recherché est de soumettre toutes les rémunérations quelles qu’elles soient au mécanisme de say on pay. Cela comprend tout d’abord toutes les composantes de la rémunération, fixes et variables.

Il faut également soumettre à la procédure les engagements correspondant à des éléments de rémunération, des indemnités ou des avantages dus ou susceptibles d'être dus à raison de la prise, de la cessation ou du changement de leurs fonctions ou postérieurement à l'exercice de celles-ci. Il s’agit bien évidemment des golden hellos, parachutes dorés, indemnités compensatrices d’une clause de non-concurrence ou encore pensions versées par la société. Jusqu’ici, ces éléments étaient soumis au régime des conventions réglementées. Les articles L. 225-42-1 et L. 225-90-1 ont été abrogés afin de soumettre ces rémunérations exceptionnelles au seul régime commun. La simplification est évidemment la bienvenue.

Afin d’éviter toute discussion, les textes spécifiques à certaines rémunérations prévoient désormais expressément leur soumission au régime du say on pay. Ainsi en est-il de la répartition par le conseil d’administration des anciens «jetons de présence» [3], des rémunérations exceptionnelles accordées pour les missions ou mandats confiés à des administrateurs [4], de la rémunération du président du conseil d’administration [5], de la rémunération du directeur général et des directeurs généraux délégués [6], de la rémunération des membres du conseil de surveillance [7] et enfin de la rémunération des membres du directoire [8].

L’attribution à un mandataire social d'options donnant droit à la souscription ou à l'achat d'actions [9] et l’attribution d’actions gratuites [10] doivent également être prévues et encadrées par la politique de rémunération.

Enfin, en cas de nomination aux fonctions de président du conseil d’administration, de directeur général, de directeur général délégué ou de membre du directoire d'une personne liée par un contrat de travail à la société, les dispositions du contrat correspondant à des éléments de rémunération, des indemnités ou des avantages dus ou susceptibles d'être dus à raison de la cessation ou du changement de ces fonctions, ou postérieurement à celles-ci, ou des engagements de retraite, sont également soumises au régime [11].

Les rémunérations interdites. Lorsque la politique de rémunération prévoit le versement d’une indemnité en contrepartie d’une clause de non-concurrence post-contractuelle, ce versement est exclu dès lors que l’intéressé fait valoir ses droits à la retraite [12].  

Les dirigeants visés. Les administrateurs n’étaient pas soumis aux exigences du système mis en place par la loi «Sapin 2». Le nouveau régime s’appliquera non seulement aux dirigeants exécutifs mais également aux administrateurs. Il existe certes des distinctions, notamment concernant le domaine de l’évaluation ex post de la rémunération de certains dirigeants. Il n’en demeure pas moins que, sur ce point, il y a une extension.

II - Etablissement de la politique de rémunération

Alors que la loi faisait jusqu’ici référence aux principes et critères de détermination, de répartition et d'attribution des rémunérations, elle se réfère désormais aux termes beaucoup plus clairs et consensuels de «politique de rémunération». Le régime de cette politique de rémunération est présenté à l’article L. 225-37-2 du Code de commerce (N° Lexbase : L7132LTC), entièrement réécrit pour l’occasion. Le conseil d’administration doit élaborer un projet de résolution de politique de rémunération, qui devra ensuite être approuvé par l’assemblée générale ordinaire des actionnaires.

Détermination de la politique de rémunération par le conseil d’administration. C’est le conseil d’administration -ou le cas échéant le conseil de surveillance [13]- qui est compétent pour définir cette politique de rémunération. Ainsi, bien que l’assemblée des actionnaires soit amenée à délibérer sur cette question, l’initiative et la détermination du contenu de cette politique demeure une prérogative propre du conseil d’administration. La détermination comme l’attribution des éléments de délibération dépendent donc d’une délibération du conseil d'administration. Pour cette raison, la loi décide que, lorsque le conseil d’administration se prononce sur une rémunération au bénéfice de son président, du directeur général ou d'un directeur général délégué, ces derniers ne peuvent prendre part ni aux délibérations, ni au vote [14].

Selon la loi, cette politique se doit d’être conforme à l'intérêt social de la société, de contribuer à sa pérennité et de s’inscrire dans sa stratégie commerciale. Il faut se rappeler que la Directive du 17 mai 2017 a été prise «en vue de promouvoir l’engagement à long terme des actionnaires» et fait quant à elle référence à une pérennité à «long terme». On perçoit bien ici le souci contemporain de lutter contre la gestion à court terme de nombreuses sociétés et de promouvoir l’intérêt social compris comme l’intérêt de la personne morale dépassant les intérêts des seuls associés. Il n’est pas certain, au-delà de la bonne volonté affichée, que cela ait des répercussions juridiques ou économiques. On présente parfois à tort le système du say on pay comme un moyen de lutter contre les rémunérations excessives versées aux dirigeants. Or, le court-termisme tient souvent plus aux exigences des actionnaires qu’aux velléités des dirigeants sociaux. Les actionnaires, notamment les fonds de pension anglo-saxons et autres hedge funds, sont prêts à rémunérer grassement les dirigeants si ces derniers leur procurent une forte rentabilité à court terme. Les termes employés par la loi pourront-ils permettre au juge de contrôler certaines politiques de rémunération encourageant une gestion court-termiste de la société ? On voit mal la Cour de cassation ouvrir cette boîte de Pandore.

Contenu précis de la politique de rémunération. Sur le principe, la politique de rémunération se doit de décrire toutes les composantes de la rémunération fixe et variable et d’expliquer le processus de décision suivi pour sa détermination, sa révision et sa mise en œuvre [15]. Cette exigence de précision formulée dans l’ordonnance se trouve renforcée par des dispositions particulièrement détaillées issues du décret [16]. Il est impossible ici de reprendre de façon exhaustive toutes les informations que le conseil d’administration sera chargé de présenter. Certaines concernent l'ensemble des mandataires sociaux. C’est le cas par exemple de l’exposé du processus de décision suivi pour déterminer les rémunérations, ce qui comprend, par exemple, les mesures permettant d'éviter les conflits d'intérêts, l’éventuelle intervention d’un comité de rémunération ou encore les méthodes d'évaluation appliquées pour déterminer dans quelle mesure il a été satisfait aux critères de performance prévus pour les rémunérations variables. D’autres informations doivent être indiquées pour chaque mandataire social pris individuellement. Il s’agit notamment de la description des éléments fixes, variables et exceptionnels composant la rémunération totale et les avantages de toute nature accordés au mandataire, ainsi que des engagements pris par la société elle-même ou par toute société contrôlée ou qui la contrôle et correspondant à des éléments de rémunération, des indemnités ou des avantages dus ou susceptibles d'être dus à raison de la cessation ou d'un changement de fonctions, ou postérieurement à celles-ci.

Approbation par l’assemblée générale des actionnaires. Si le conseil d’administration possède en la matière un pouvoir d’initiative, c’est bien à l’assemblée des actionnaires qu’il revient de valider la politique de rémunération des mandataires sociaux. L’assemblée générale ordinaire, statuant dans les conditions de l’article L. 225-98 du Code de commerce (N° Lexbase : L2380LRL), est compétente [17]. La Directive exige qu’une telle consultation des actionnaires ait lieu lors de chaque modification importante et, en tout état de cause, au moins tous les quatre ans. La loi française est plus exigeante dans la mesure où elle continue à exiger de consulter les actionnaires «chaque année et lors de chaque modification importante dans la politique de rémunération». Cela signifie que, si la politique de rémunération ne change pas d’une année sur l’autre, l’assemblée générale devra tout de même se prononcer.

Caractère contraignant du vote des actionnaires. Les sociétés ne peuvent verser de rémunération à leurs dirigeants que conformément à une politique de rémunération approuvée par l’assemblée générale. Il en découle qu’aucune rémunération, de quelque nature que ce soit, ne peut être déterminée, attribuée ou versée par la société si elle n'est pas conforme à la politique de rémunération approuvée par l’assemblée. En conséquence, tout versement, attribution ou engagement effectué ou pris contrairement à la politique de rémunération est atteint de nullité. La loi ne prévoit pas quel type de nullité doit ici être appliqué. A priori, il faudrait opter pour une nullité relative, dans la mesure où seule la société doit ici être protégée. Cependant, retenir une qualification d’ordre public de protection s’avérerait contre-productif, dans la mesure où la société -par l’intermédiaire de ses représentants- risquerait fort de ne pas invoquer la nullité et pourrait renoncer à ce droit une fois acquis. Le risque de conflit d’intérêts et de contournement de la loi est évident, et il serait dès lors pertinent de retenir une qualification qui interdise toute régularisation d’une atteinte à la politique de rémunération, quitte à retenir une nullité absolue en l’absence d’action ut singuli. S’agissant de l’action en nullité, cela permettrait à toute personne ayant un intérêt à agir -comprendre en pratique tout associé- de demander le prononcé de la nullité. Si l’on considère que le droit de demander la nullité appartient bien à chaque actionnaire, le vote ex post ne peut pas valoir régularisation, même si cette volonté de régulariser est expressément manifestée par l’assemblée. On le voit, la question est loin d’être tranchée.

Il faut enfin signaler que l’ordonnance a usé d’une option offerte par la Directive et permet au conseil d'administration, en cas de circonstances exceptionnelles, de déroger à la politique de rémunération si cette dérogation est temporaire, conforme à l'intérêt social et nécessaire pour garantir la pérennité ou la viabilité de la société.

Quelles rémunérations appliquer en l’absence d’approbation par l’assemblée générale du projet de politique de rémunération ? L’assemblée est en droit de rejeter le projet de résolution soumis par le conseil d’administration. Une question se pose nécessairement : dans la mesure où le contenu de la politique de rémunération ne peut être initié que par le conseil d’administration, comment rémunérer les dirigeants en l’attente d’une délibération de l’assemblée validant la politique proposée par le conseil d’administration ? Les solutions proposées par la loi «Sapin 2» sont ici globalement maintenues. Tout d’abord, si antérieurement au refus de l’assemblée, une politique de rémunération avait déjà été a approuvée, elle continue à s'appliquer. Mais le conseil d'administration est alors tenu de soumettre à l'approbation de la prochaine assemblée générale un projet de résolution présentant une politique de rémunération révisée et indiquant de quelle manière ont été pris en compte le vote des actionnaires et, le cas échéant, les avis exprimés lors de l'assemblée. Ensuite, dans l’hypothèse où aucune politique de rémunération n’avait été précédemment approuvée, la rémunération des dirigeants doit être déterminée conformément à la rémunération attribuée au titre de l'exercice précédent ou, à défaut, conformément aux pratiques existant au sein de la société. Là encore, le conseil d'administration est tenu de soumette à l'approbation de la prochaine assemblée générale des actionnaires, un projet de résolution présentant une politique de rémunération révisée en précisant de quelle manière ont été pris en compte le vote des actionnaires et les avis exprimés lors de l'assemblée générale.

Publicité de la politique de rémunération. Cette politique doit d’abord être accessible aux actionnaires, ce qui justifie sa présentation dans le rapport annuel sur le gouvernement d’entreprise. La transposition du nouvel article 9 ter de la Directive 2007/36/CE du 11 juillet 2007 a imposé de réécrire l’article L. 225-37-3 du Code de commerce (N° Lexbase : L7131LTB), texte qui détaille les informations relatives aux rémunérations des mandataires sociaux qui doivent être inscrites dans le rapport sur le gouvernement d’entreprise. Cet article avait déjà fait l’objet d’ajouts substantiels dans la loi «PACTE» du 22 mai 2019. Les informations auparavant exigées sont désormais clarifiées et précisées alors que de nouvelles informations en rapport avec la politique de rémunération ont été ajoutées par l’ordonnance, notamment la manière dont cette politique contribue aux performances à long terme de la société et la façon dont les critères de performance ont été appliqués. Ces informations sont importantes : elles vont permettre aux actionnaires d’apprécier a posteriori comment la politique de rémunération qu’ils ont approuvée a été mise en œuvre par le conseil d’administration. Et ils pourront éventuellement manifester leur mécontentement à travers un vote ex post qui sera examiné un peu plus loin.

Ces informations ne sont pas réservées aux seuls actionnaires : elles doivent également être mises gratuitement à disposition du public sur le site internet de la société pour une durée de dix ans [18].

La Directive et ses textes de transposition font par ailleurs en sorte de protéger un certain nombre de données de nature personnelle et familiale concernant les dirigeants concernés.

III - Les délibérations postérieures portant sur les rémunérations

Les dispositions qui suivent ne dépendent que très partiellement du droit européen et sont pour l’essentiel un ajout du législateur français. Elles renforcent le contrôle des actionnaires, au risque, selon certains, d’alourdir inutilement la procédure. Dans le droit fil de la loi «Sapin 2», l’ordonnance exige que l’assemblée générale annuelle se saisisse de la question des rémunérations et procède à des délibérations spécifiques concernant les rémunérations attribuées à certains dirigeants. Dorénavant, elle exige également une délibération sur les éléments présentés dans le rapport sur le gouvernement d’entreprise.

Délibérations spécifiques relatives aux rémunérations versées à certains dirigeants. L’approbation de la politique de rémunération ne permet pas de déterminer précisément les rémunérations totales qui seront finalement versées aux mandataires sociaux. Certains éléments de rémunération sont affectés d’une incertitude tenant par exemple aux résultats de la société. Pour cette raison, l’assemblée des associés est amenée à se prononcer une seconde fois sur les rémunérations, une fois l’exercice concerné arrivé à son terme. L’article L. 225-100, III du Code de commerce (N° Lexbase : L7151LTZ) reprend ici un mécanisme identique à celui qui s’appliquait depuis la loi «Sapin 2». Des délibérations distinctes sont imposées pour certains dirigeants : le président du conseil d'administration ou du conseil de surveillance, le directeur général, les directeurs généraux délégués, les membres du directoire, le président du directoire et ou le directeur général unique. Cela signifie qu’il n’est pas ici nécessaire de voter sur les rémunérations accordées aux administrateurs ou aux membres du conseil de surveillance, sur lesquelles il a été statué dans le cadre de la politique de rémunération.

La loi opère une distinction entre les rémunérations qui ont déjà été versées et celles, variables ou exceptionnelles qui ne l’ont pas encore été. La rédaction du texte a évolué depuis la loi «Sapin 2» et on peut en déduire que toutes les rémunérations variables ou exceptionnelles versées aux dirigeants visés ne peuvent être versées qu’après leur approbation par l’assemblée. Cependant, les choses ne sont pas si claires puisque l’article L. 225-37-3, 3°, relatif à la politique de rémunération, fait référence à une possible clause de restitution de rémunérations variables. Quoiqu’il en soit, un vote négatif devrait bien entendu conduire à restituer les rémunérations. Si l’assemblée ne valide pas ces rémunérations une fois celles-ci déterminées, alors elles ne pourront pas être versées. Le caractère certain de ces créances n’est donc acquis qu’une fois cette délibération ex post acquise. La loi ne semble exiger qu’une délibération spéciale pour chaque dirigeant concerné, mais rien n’interdit de délibérer pour chaque dirigeant au sujet de chaque rémunération spécifique. Même si la loi conduit à délibérer sur toutes les rémunérations, il n’en demeure pas moins que les rémunérations qui ne sont ni variables, ni exceptionnelles, c’est-à-dire les rémunérations fixes, ne peuvent être remises en cause par un vote négatif.

Délibération unique relative aux informations présentées dans le rapport sur le gouvernement d’entreprise. L’article L. 225-100, II du Code de commerce innove ici en exigeant que l’assemblée statue sur un projet de résolution portant sur les informations mentionnées au I de l'article L. 225-37-3 du même code. Il s’agit des informations relatives aux rémunérations versées aux différents dirigeants en application de la politique de rémunération qui doivent être détaillées dans le rapport sur le gouvernement d’entreprise. Par principe, ce rapport a été remis aux actionnaires avant la tenue de l’assemblée générale annuelle. C’est donc l’occasion pour eux de se manifester et éventuellement de faire savoir au conseil d’administration leur désaccord quant au résultat de la politique de rémunération. On sait que, même si la politique de rémunération doit être approuvée par l’assemblée générale, la détermination de son contenu revient toujours au conseil d’administration. Et ce dernier pourrait traîner des pieds avant de prendre en compte les desideratas des actionnaires.

La loi confère ici un moyen original d’aiguillonner un organe de direction peu réceptif aux attentes des actionnaires. Cette mesure n’est d’ailleurs pas exigée par la Directive, son article 9 ter imposant seulement un vote consultatif portant sur le rapport relatif à la rémunération des exercices les plus récents. En effet, en cas de vote contre le projet de résolution, les versements des rémunérations promises aux membres du conseil d’administration ou du conseil de surveillance -les anciens jetons de présence- sont suspendus jusqu’à ce que l’organe de direction soumette à l’assemblée une nouvelle politique de rémunération et qu’elle soit approuvée. Aussi longtemps qu’une nouvelle politique n’est pas approuvée par les actionnaires, les versements demeurent suspendus. L’arriéré sera versé une fois que l’assemblée aura approuvé une nouvelle politique de rémunération.

On sait que l’assemblée ne peut normalement pas revenir sur les rémunérations fixes accordées aux dirigeants exécutifs. La loi lui donne ici un levier intéressant pour faire pression sur les administrateurs, qui en majorité n’occupent pas dans le même temps un poste de dirigeant exécutif. Privés de toute rémunération, les administrateurs seront sans doute plus enclins à proposer une procédure de rémunération révisée en prenant en compte les exigences des actionnaires.

 

[1] Etude d’impact, projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises, p. 632 et s..

[2]  Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2019-1234 du 27 novembre 2019, relative à la rémunération des mandataires sociaux des sociétés cotées (N° Lexbase : Z245708X).

[3] C. com., art. L. 225-45 (N° Lexbase : L7144LTR).

[4] C. com., art. L. 225-46 (N° Lexbase : L7145LTS).

[5] C. com., art. L. 225-47 (N° Lexbase : L7146LTT).

[6] C. com., art. L. 225-53 (N° Lexbase : L7147LTU).

[7] C. com., art. L. 225-83 (N° Lexbase : L7149LTX) et L. 225-84 (N° Lexbase : L7150LTY).

[8] C. com., art. L. 225-63 (N° Lexbase : L7134LTE).

[9] C. com., art. L. 225-185 (N° Lexbase : L7152LT3).

[10] C. com., art. L. 225-197-1 (N° Lexbase : L7153LT4).

[11] C. com., art. L. 225-22-1 (N° Lexbase : L7143LTQ) et L. 225-79-1 (N° Lexbase : L7148LTW).

[12] C. com., art. R. 225-29-1, III (N° Lexbase : L0065LUX), R. 225-56-1, III (N° Lexbase : L0062LUT) et R. 226-1-1, III (N° Lexbase : L0063LUU).

[13] C. com., art. L. 225-82-2 (N° Lexbase : L7133LTD). Pour mémoire, en application de l’article L. 226-8-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L7137LTI), les associés commandités délibèrent à l’unanimité sur la politique de rémunération concernant les gérants, après avis consultatif du conseil de surveillance. Les statuts peuvent cependant prévoir une décision prise à la majorité des commandités ou même la compétence du conseil de surveillance. Le conseil de surveillance est seul compétent pour établir la politique de rémunération applicable à ses membres.

[14] C. com., art. L. 225-37-2, IV (N° Lexbase : L7132LTC).

[15] C. com., art. L. 225-37-2, I.

[16] C. com., art. R. 225-29-1 concernant les sociétés anonymes avec conseil d’administration, R. 225-56-1 concernant les sociétés avec directoire et conseil de surveillance, R. 226-1-1 concernant les sociétés en commandite par actions.

[17] Dans la société en commandite par actions, la politique de rémunération doit être approuvée par l'assemblée générale ordinaire et par une décision des commandités donnée, sauf clause contraire, à l'unanimité (C. com., art. L. 226-8-1 N° Lexbase : L7137LTI).

[18] C. com., art. R. 225-29-2, I (N° Lexbase : L0066LUY).

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