La lettre juridique n°774 du 28 février 2019 : Commercial

[Focus] Les magasins de CBD, chanvre et cannabis interdits d’inscription au registre du commerce

Réf. : CCRCS, avis n° 2018-012, 19 décembre 2018 (N° Lexbase : X5035BGL)

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N7828BX9

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par Yann Bisiou, Maître de conférences en droit privé et sciences criminelles, CORHIS EA 7400, Université Paul Valéry Montpellier 3

le 27 Février 2019

Dans un avis n° 2018-12 du 19 décembre 2018, publié le 22 janvier 2019, le Comité de coordination du registre du commerce et des sociétés (CCRCS) propose, de fait, de refuser l’inscription des entreprises ayant pour objet la commercialisation de produits dérivés du cannabis dont ceux qui contiennent du cannabidiol (CBD), une substance qui n’est pas classée comme stupéfiant.

 

Le CCRCS invite en effet les greffiers à exiger la présentation du contrat de gérance liant le débitant de tabac à l’Etat si les produits commercialisés sont composés même partiellement de tabac et, dans tous les cas, pour toutes les entreprises ayant «une activité liée à des opérations relatives à des produits dérivés du cannabis, autrement appelé chanvre», à exiger la production de l’autorisation délivrée par le directeur général de l’ANSM. Or, le premier document n’est pas nécessaire, tandis que le second n’existe pas, tout simplement.

 

Pour rendre cet avis le comité s’est fondé sur les articles L. 3512-1 (N° Lexbase : L1755K8I), R. 5132-74 (N° Lexbase : L9002K3S) et R. 5132-75 (N° Lexbase : L9001K3R) du Code de la santé publique, textes qui ne concernent pas les dérivés du chanvre et le cannabidiol. L’article L. 3512-1 et le décret n° 2010-720 du 28 juin 2010 (N° Lexbase : L6375IM3) cités par le Comité sont relatifs aux tabacs dits «manufacturés». Il n’y a pas de tabac manufacturé dans les produits contenant du CBD. En revanche, il peut y avoir de la nicotine lorsque le produit vendu est destiné au vapotage. Dans ce cas, ce sont les articles L. 3513-1 (N° Lexbase : L1706K8P) et suivants du Code de la santé publique relatifs au vapotage qui sont applicables. Et ces produits ne font pas l’objet d’une distribution exclusive par les buralistes. Il n’est donc pas nécessaire de disposer d’un contrat de gérance de débit de tabac pour les commercialiser.

 

Quant aux articles R. 5132-74 et R. 5132-75 du Code de la santé publique, ils concernent les médicaments classés comme substances vénéneuses et comme stupéfiants. Des dispositions spéciales prévues par l’article R. 5132-86 du même code (N° Lexbase : L9825IWS) s’appliquent au cannabis et à ses dérivés. Elles prévoient une dérogation pour «la culture, l'importation, l'exportation et l'utilisation industrielle et commerciale de variétés de cannabis dépourvues de propriétés stupéfiantes ou de produits contenant de telles variétés». En effet, à la différence de la plupart des stupéfiants, le cannabis fait l’objet d’un commerce légal dans le cadre de la Politique agricole commune (Règlement n° 1308/2013 du 17 décembre 2013 N° Lexbase : L0485I3D). Le principe «specialia generalibus derogant» aurait dû inciter le CCRCS à privilégier ces règles plus précises qui ne prévoient pas d’autorisation individuelle délivrée par le directeur de l’ANSM. Il suffit que l’exploitant utilise une des variétés de cannabis inscrites au catalogue européen ou autorisées par des arrêtés comme celui du 22 août 1990 (arrêté portant application de l'article R. 5132-86 du Code de la santé publique pour le cannabis N° Lexbase : L2568LM3) ou celui du 19 février 2018 (arrêté modifiant le Catalogue officiel des espèces et variétés de plantes cultivées en France (semences de lin et chanvre) N° Lexbase : L3861LIT) pour que son activité soit légale. Les exploitants seront donc incapables de produire le document exigé par le Comité au risque de se voir refuser leur inscription au RCS ou, pour les entreprises déjà inscrites, d’en être radiées en vertu du pouvoir de contrôle permanent des greffiers sur le registre (C. com., art. R. 123-101 N° Lexbase : L9854HYM).

 

Difficile d’expliquer de telles erreurs d’interprétation quand on connaît la composition du CCRCS (C. com., art. R. 123-86 N° Lexbase : L9839HY3), même si les esprits chagrins s’étonneront de la présence parmi les signataires de l’avis d’un membre du conseil d’administration de l’Association internationale des juristes du vin. Difficile également de justifier cet avis par des préoccupations de santé publique. L’OMS vient de rappeler que le cannabidiol n’est pas un stupéfiant et l’Organisation recommande de retirer de la liste des stupéfiants les extraits de cannabis et l’ensemble des produits contenant du cannabidiol et moins de 0,2 % de tétrahydrocannabinol (THC), le principe actif du cannabis [1].

 

Au-delà de ces incohérences, les conséquences pratiques de cet avis seront tout aussi impossibles à justifier. Les boutiques de CBD visées par le Comité ne seront pas les plus concernées. Généralement, ces commerces se sont ouverts sous des dénominations très vagues, «herboristerie», «vente de produits alimentaires», «compléments alimentaires» ou «produits cosmétiques». Les greffiers seront bien en peine d’y retrouver des dérivés du cannabis. Difficile également de trouver un lien avec le cannabis et ses dérivés dans la quarantaine de sociétés dont la raison sociale mentionne le « CBD ». Entre les Conseil en Business et Développement, les Carrières de la Belle Dame spécialisées dans la taille de l’ardoise, les magasins de dépannage et les commerces de bois, le cannabidiol est peu présent. Ce sont donc les centaines d’entreprises de la filière chanvre traditionnelle qui seront les plus visibles et les plus en danger. Inconséquent juridiquement, cet avis est aussi maladroit et rate la cible qu’il entendait viser.

 

Reste à en évaluer la portée. Le CCRS fait partie de ces instances aux prérogatives floues dont certains parlementaires souhaitent la suppression [2] et dont une partie de la doctrine considère qu’elles ajoutent à la confusion du droit commercial plutôt qu’elles ne le simplifient [3]. Ses avis sont interprétatifs, mais le code de commerce lui confère une mission d’harmonisation de l’application des dispositions législatives et réglementaires (art. R123-81 et A123-34 C. com) et ses avis publiés par le Ministère de la Justice sont repris par la doctrine comme par la jurisprudence [4]. Le CCRCS ayant, en outre, été saisi par le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce (CNGTC) il est probable qu’il s’impose rapidement dans toute la France. Gageons qu’alors, cette croisade, plus morale que juridique, du CCRCS contre les dérivés du cannabis, va susciter un contentieux abondant devant le juge administratif ou les juges commis à la surveillance du registre du commerce.

 

[1] OMS, Lettre du Directeur général, ECDD41, 24 janvier 2019

[2]   QE n° 82053 de M. Lionel Tardy, JOANQ 23 juin 2015, réponse publ. 19 avril 2016 p. 3444, 14ème législature (N° Lexbase : L8680K7M) et QE n° 9678 de M. Michel Zumkeller, JOANQ 13 novembre 2012, réponse publ. 18 juin 2013 p. 6450, 14ème législature (N° Lexbase : L3242KDG).

[3] B. Lecourt, La simplification du droit des affaires, D., 2015, p. 2240.

[4]  En dernier lieu, CA Paris, Pôle 5, 3ème ch., 11 avril 2018, n° 16/16297 (N° Lexbase : A8238XKC), CA Colmar, 28 mai 2018, n° 17/01265 (N° Lexbase : A5288XPK).

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