La lettre juridique n°710 du 7 septembre 2017 : Contrats et obligations

[Jurisprudence] De l'interdépendance de la location financière à la faute anéantissant l'ensemble contractuel par caducité

Réf. : Cass. com., 12 juillet 2017, deux arrêts, n° 15-23.552, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A6548WMH) et n° 15-27.703, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A6550WMK)

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par Hervé Causse, Professeur, Université Clermont Auvergne (CMH, EA 4232), Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Droit bancaire" et Gwenaëlle Mage, Chargée d'enseignements, Doctorante, Université Clermont Auvergne, Centre Michel de l'Hospital (EA 4232)

le 07 Septembre 2017

1. Les montages contractuels, qui donnent des ensembles contractuels, d'abord vus comme des groupes de contrats (1), sont toujours à la mode. Dans deux arrêts du 12 juillet 2017, la Cour de cassation réaffirme le principe de l'interdépendance des contrats d'un ensemble contractuel comprenant une location financière et envisage son anéantissement fautif (2). Ces montages permettent de réaliser des opérations économiques complexes qu'un seul contrat spécial ne permettrait pas. Ils véhiculent l'idée d'opérations savantes et ingénieuses profitables à leurs participants. Les montages restent néanmoins à l'état de nébuleuse juridique : si leur régime juridique existe, il est discret ou fait de règles éparses et jurisprudentielles. La question primordiale, sans laquelle l'ensemble contractuel ne serait rien, est celle de son unité. Si divers contrats forment un ensemble contractuel, ou que l'analyse pousse à le dire, c'est qu'il a une certaine unité. Celle-ci provient par définition des liens entre les contrats. Ainsi, à supposer qu'il existe, l'existence nette de l'ensemble contractuel suggère une interdépendance entre certains des contrats le composant. Or, l'interdépendance existe le plus clairement qui soit quand les contrats sont indivisibles. La Cour de cassation le prouve en faisant usage, dans des circonstances variées et anciennes, de l'expression "ensemble contractuel indivisible". 2. Les contrats en cause, souvent des contrats spéciaux (dépôt, mandat, vente, bail...), conçus par nature de part et d'autres, sont cependant unis par certaines clauses, les parties n'ignorant rien de ce que les autres stipulent. L'idée d'indivisibilité traduit alors une sorte de "à la vie à la mort" : un contrat naît pour lui et pour l'autre, aussi la mort de l'un d'eux voudrait impliquer la mort de l'autre. On comprend alors que l'indivisibilité soit devenue un phare dans l'océan de la pratique contractuelle, alors même que le concept voire la règle de droit commun demeurait sommaire et énigmatique en droit positif (3). Quand les ensembles contractuels posent des problèmes et que l'on entend les faire reconnaître, l'argument le plus fort est celui de l'indivisibilité et la règle -logique ?- qui semble en découler, celle du "à la vie à la mort". L'idée a sa traduction en jurisprudence (4). Il en est encore question avec les deux arrêts commentés qui imposent un préalable.

3. Le terme moderne d'interdépendance suggère l'existence dans la dépendance de contrats identifiés. Celui d'indivisibilité l'évoque aussi mais avec un excès d'unité entre des contrats qui ont chacun leur identité. La location financière et le crédit-bail sont deux montages contractuels qui font naître une situation d'interdépendance contractuelle, la jurisprudence a préféré ce dernier terme, la loi aussi.

La location financière est un peu restée la soeur cachée du crédit-bail (5). Elle s'en distingue pourtant pour deux raisons. D'abord, le crédit-bail dispose d'un régime juridique dans le Code monétaire et financier, tandis que la location financière est seulement identifiée au titre des opérations connexes aux opérations de banque. Voilà qui explicite la profession bancaire et sans définition ou régime contractuel de la "location simple" selon la terminologie de la loi (C. mon. fin., art. L. 311-2, 6° N° Lexbase : L2511IXB). Ensuite, contrairement au crédit-bail qui est un mode d'acquisition de biens, la location financière a sa finalité propre : elle sert à obtenir la seule jouissance de biens dont l'obsolescence rapide réduit l'intérêt d'un achat.

Cette distinction de finalité est juridiquement traduite. Dans le crédit-bail, le bailleur s'engage unilatéralement à vendre le bien au crédit-preneur au terme de la période de location. Cet engagement est exclu des opérations de location financière (6). Le bailleur est, et restera pour l'avenir, le seul propriétaire de la chose louée et supportera logiquement les risques de perte ou de détérioration de la chose. La location financière est une location ! Son appellation courante tient au fait qu'il s'agissait d'une activité pratiquée par des banques ; pour exercer ce métier, l'établissement (ou un autre commerçant puisque l'opération n'est pas dans le monopole bancaire) devait au préalable acheter le bien alors qu'il n'entendait jamais le voir ni l'entretenir : la location n'a qu'un caractère financier. L'opération singe une opération de crédit. Le type de biens meubles loué importe peu : un photocopieur, un système de détection des intrusions... une armoire à cuillères aurait dit  Boris Vian La problématique juridique reste la même.

4. Le montage classique suppose en pratique l'intervention d'au moins trois personnes. Un prestataire s'engage par un premier contrat à réaliser des prestations de services telles que l'installation, la mise en service, l'entretien ou le dépannage de matériels auprès d'un client -dit parfois bénéficiaire ou destinataire, termes que la loi ne consacre pas-. Le terme "client" permet de mieux saisir le montage. Ce client, pour ne parler plus que de lui, sera partie à deux contrats. En effet, en guise de financement du matériel, le prestataire de services lui propose qu'une autre société lui loue le matériel au lieu de l'acheter. Cet autre professionnel, bailleur, conclura la location du matériel. La prestation de service est conclue entre le premier professionnel et le client. Le premier professionnel peut être celui qui vend le matériel au bailleur, mais cela ne semble pas compter dans les arrêts étudiés. Que les deux contrats soient liés explicitement ou implicitement, ils font naître une situation d'interdépendance contractuelle puisqu'ils concourent, au moins pour le client, à la réalisation d'une opération unique.

5. Le contentieux est dense mais c'est timidement que la réforme du droit des contrats du 10 février 2016 (ordonnance n° 2016-131 N° Lexbase : L4857KYK) fait entrer la notion d'interdépendance contractuelle dans le Code civil (7). Dans une section consacrée aux sanctions de la formation du contrat, l'alinéa 2 de l'article 1186 (N° Lexbase : L0892KZ3) prévoit que la disparition, pour quelque raison que ce soit, d'un contrat d'un ensemble contractuel emporte caducité des contrats qui concourraient à la réalisation de la même opération. Saluons la disposition qui clôt le débat portant sur la sanction de l'interdépendance contractuelle. Le droit nouveau guide et conforte le juge même pour les contrats auxquels la réforme ne s'applique pas alors qu'elle consacre l'ensemble contractuel et la caducité, notions bien connues en doctrine et jurisprudence. Les deux arrêts de la Chambre commerciale du 12 juillet 2017 réaffirment le principe de l'interdépendance et de la caducité et envisagent, dans ce jeu, l'éventuel préjudice du cocontractant subissant la caducité.

6. Dans les deux espèces, un prestataire avait conclu avec un client, pour une durée déterminée, un contrat de prestations de services -maintenance de photocopieurs dans un cas, surveillance électronique dans l'autre-. Pour une durée analogue, le client finance (si on peut dire) (8) la mise à disposition du matériel par le contrat de location conclu avec une autre société. Avant leur terme, et les arrêts ne relèvent aucune inexécution contractuelle, les clients décident de résilier les locations. Les bailleurs se font alors payer l'indemnité de résiliation anticipée qui leur est conventionnellement due. Les clients prennent alors acte de la fin des contrats de prestation de services. Mais les prestataires entendent alors, à leur tour, se faire payer l'indemnité de résiliation anticipée, ce que les clients refusent. Ces derniers invoquent l'indivisibilité des deux contrats et donc la caducité des prestations de services à raison des résiliations des locations. Les cours d'appel de Bordeaux (9) et de Nancy (10) les condamnent cependant à payer, la première en déniant la situation d'interdépendance, la seconde en la reconnaissant et en jugeant qu'il s'en suivait une seconde résiliation justifiant le paiement de l'indemnité. Les pourvois posent la question de savoir l'effet de la disparition d'un premier contrat et si, dans cette circonstance, l'indemnité de résiliation anticipée du second contrat est due par le client à l'origine de l'anéantissement de l'ensemble contractuel.

7. Dans deux attendus de principe identiques, la Haute juridiction casse au motif que "les contrats concomitants ou successifs qui s'inscrivent dans une opération incluant une location financière sont interdépendants et que la résiliation de l'un quelconque d'entre eux entraîne la caducité, par voie de conséquence, des autres, sauf pour la partie à l'origine de l'anéantissement de cet ensemble contractuel à indemniser le préjudice causé par sa faute". Ils rappellent l'interdépendance contractuelle née de la location financière (I) et apprennent que la faute commise par la partie qui anéantit l'ensemble contractuel comptera (II).

I - L'interdépendance dans l'ensemble contractuel

8. La solution est légale et connue depuis longtemps en matière de crédit-bail (11) : le crédit dépend de la vente et vice-versa, en ce sens que la vente est conditionnée par le bail. La location financière étant le fruit de la seule liberté contractuelle, d'établissements agréés ou d'autres entreprises (12), la question se pose autrement. Le bailleur n'est pas censé avoir permis au preneur de choisir la chose achetée pour susciter une levée d'option. En effet, le preneur n'a pas vocation à devenir propriétaire au terme de la location. Pourtant, en pratique, il y a bien un montage commercial comparable à celui du crédit-bail, montage qui devient contractuel ; il s'agit pour le bailleur de fournir un produit qui satisfait pleinement le locataire qui aura pu le choisir. Ainsi, et malgré des hésitations (13), la Cour de cassation, en chambre mixte, a affirmé en 2013 que les contrats conclus pour une opération de location financière sont interdépendants (14). Elle le jugea sur la question précise de la validité des clauses de divisibilité que les professionnels avaient stipulées. L'attendu, de principe, est incisif : "les contrats concomitants ou successifs qui s'inscrivent dans une opération incluant une location financière sont interdépendants ; [...] sont réputées non écrites les clauses des contrats inconciliables avec cette interdépendance".

9. La richesse des notions d'indivisibilité et d'interdépendance a été soulignée en introduction. La Cour de cassation prend ici position en faveur de l'interdépendance et abandonne l'ancien article 1218 du Code civil (N° Lexbase : L1320ABI) notamment relatif à l'obligation indivisible ; la première chambre civile en faisait pourtant encore son visa dans l'une des espèces ayant justifié une Chambre mixte (15). Elle lui préfère désormais l'ancien article 1134 (N° Lexbase : L1234ABC) qui, par sa généralité, lui autorise l'emploi du terme d'interdépendance qui semble plus juste. Depuis lors, quand bien même les parties auraient -usant de leur liberté contractuelle- écarté ou simplement ignoré l'interdépendance contractuelle, le "lien économique" au coeur d'une location financière se double donc d'un "lien d'ordre juridique" (16). Les deux décisions du 12 juillet 2017 confirment que "les contrats concomitants ou successifs qui s'inscrivent dans une opération incluant une location financière sont interdépendants". L'alinéa 2 du nouvel article 1186 du Code civil, quoique non-applicable, soutient l'affirmation quasi-péremptoire (17) du principe d'interdépendance contractuelle dans la location financière. Ce dernier érige deux conditions propres à caractériser l'interdépendance contractuelle et donc l'ensemble contractuel. Elle est établie, en premier lieu, quand l'"exécution de plusieurs contrats est nécessaire à la réalisation d'une même opération" et, en second lieu, quand l'exécution d'un des contrats est "une condition déterminante du consentement d'une partie" à la conclusion des autres contrats. La location financière répond à ces deux conditions qui constituent de véritables critères. Aussi, la disparition d'un contrat implique-t-elle la caducité des autres.

10. Les arrêts du 12 juillet 2017 consacrent d'ores et déjà cette solution en jugeant que "la résiliation de l'un quelconque [des contrats] entraîne la caducité, par voie de conséquences, des autres". Avant cela, la Haute juridiction avait pourtant envisagé de multiples combinaisons mêlant nullité, résolution, résiliation ou encore caducité (18). Les solutions variaient selon le mode d'extinction du premier contrat à disparaître. Pour l'avenir, le nouvel article 1186 du Code civil dissipe les incertitudes. Pour les contrats pour lesquels le droit nouveau n'est pas applicable, sans solution légale claire, les juges du fond sont incités à choisir la caducité pour éviter une diversité de solutions selon que l'on serait ante ou post réforme. Suivant cette ligne de conduite, la jurisprudence ne fera sans doute plus dépendre du mode d'extinction du premier contrat la sanction applicable aux autres. Le nouvel alinéa se réfère en effet, sans distinction, à la disparition de l'un quelconque des contrats interdépendants ("[...] que l'un d'eux disparaît [...]"). Ce sera toujours la caducité, les contrats seront implacablement caducs.

11. Certaines plumes regrettent l'automaticité de la sanction qui, sous couvert de faire gagner les parties en prévisibilité, porte en elle le germe de la manipulation. M. Jean-Baptiste Seube fait ainsi remarquer que l'une des parties, spécialement le client, pourrait par opportunisme préférer résilier la prestation de services ; il obtiendrait la caducité de la location plutôt que de s'accorder avec le prestataire, qui, un instant défaillant, lui proposera une solution alternative (19).

Pourtant, dans l'une des espèces commentées, le juge d'appel (20) avait souligné l'attitude du client qui résilie la location pour rendre caduque la prestation. Le professionnel au procès, en plaidant sa cause, lui fait ainsi souligner que, selon lui, la location financière n'a pas vocation à disparaître la première. C'est donc, dans les arrêts commentés, la situation inverse qui est considérée comme anormale. En vérité, un débat sur l'ordre ou la logique de la disparition des contrats n'a peut-être pas lieu d'être. L'ensemble contractuel n'est-il pas un ensemble pour le tout ? C'est-à-dire pour chaque contrat !

L'interdépendance enthousiasme au plan théorique et conceptuel. Quand il faut, de façon cohérente et logique, en tirer les conséquences, elle inquiète. La difficulté de l'innovation surgit là. Certes il y a un risque de recherche d'une caducité malicieuse. Mais l'interdépendance ne peut pas être latérale (la disparition de la prestation anéantit la location) ; elle doit concerner tous les contrats. Les arrêts commentés fixent une limite à la manipulation de la règle : la partie qui commet une faute en anéantissant l'ensemble contractuel a vocation à indemniser le préjudice causé.

II - La faute dans l'ensemble contractuel interdépendant

12. Le caractère automatique de la sanction de caducité pose la question du comportement de la partie à l'initiative de l'anéantissement de l'ensemble contractuel. Les deux arrêts rapportés s'accordent sur le fait que les prévisions contractuelles fixant les indemnités pour résiliation anticipée de contrats à durée déterminée sont caduques. En effet, la Chambre commerciale juge que la sanction de caducité prive le contrat d'effet pour l'avenir et donc la clause d'indemnisation. L'arrêt rendu sur le pourvoi n° 15-27.703 est à cet égard le plus explicite : il juge que "la résiliation de l'un [des contrats] avait entraîné la caducité de l'autre, excluant ainsi l'application de la clause du contrat caduc stipulant une indemnité de résiliation". La caducité est la meilleure sanction de l'interdépendance contractuelle puisqu'elle vaut, par définition, extinction des "contrats qui voient disparaître un élément nécessaire à l'opération économique qu'ils réalisent" (21). L'exécution d'un ou de plusieurs contrats interdépendants étant devenue sans intérêt ou impossible, à raison de la disparition de l'un d'entre eux, toutes les clauses régissant l'exécution du ou des contrats caducs sont atteintes puisque les contrats tombent entièrement (22). La clause fixant l'indemnité de résiliation anticipée, qui prévoit les conséquences d'une faculté contractuelle, est une de ces clauses. Il est donc logique qu'en l'espèce le prestataire n'ait pu s'en prévaloir à la suite des résiliations des locations financières.

13. Couperet qui tombe automatiquement sur l'ensemble contractuel, la caducité est relativement brutale. Elle pourrait poser des questions de restitutions comme, dans ces montages, à la fin de la location (23) ; l'hypothèse est moins manifeste quand c'est un contrat de prestation qui est caduc. S'il y a lieu à restitutions, la caducité a un effet rétroactif. Il lui est sinon étranger (24). L'automaticité et cette rétroactivité laissent penser que la sanction de caducité a des effets radicaux. Pourtant, la Cour de cassation invite à la nuance : la clause pénale survit à la caducité du contrat (25). Plus que dans l'autonomie de la clause pénale, cette jurisprudence trouve davantage sa justification dans l'analyse de l'objet des deux types de clause. En premier lieu, alors que la clause de résiliation anticipée vise à résoudre une difficulté tenant à l'exécution du contrat, la clause pénale relève, quant à elle, de l'après-contrat. En second lieu, la clause de résiliation anticipée tombe en cas de caducité du contrat certainement parce qu'elle n'est pas, contrairement à la clause pénale, fondée par l'idée d'inexécution ou de faute. La "caducité fautive" est ainsi, si l'on peut dire, un concept antinomique dénoncé en doctrine (26).

14. La caducité ne se fonde pas sur l'idée de faute, elle est un mécanisme technique attaché à tel ou tel point objectif. La caducité n'a rien à voir, directement, avec le comportement de l'une des parties à un ensemble contractuel. Pour prévenir un risque de manipulation, le juge ne doit pas entraver la caducité mais recourir à un concept directement opératoire, la faute. C'est pour cela que la Cour de cassation juge que "la partie à l'origine de cet anéantissement contractuel" doit, le cas échéant, "/indemniser le préjudice causé par sa faute". L'affirmation est heureuse : en technique, elle évite de pervertir la caducité ou ses effets ; en opportunité, elle est un avertissement à qui souhaiterait déjouer la force obligatoire des contrats. Cette dernière joue pour tous les contrats, fussent-ils interdépendants à raison d'un ensemble contractuel ! Heureuse, l'affirmation d'une possible faute est également déconcertante.

15. L'affirmation est déconcertante, et en premier lieu par sa simplicité qui donne du reste à l'attendu son autorité. Général, capital et subliminal, le terme "faute" impressionne et inquiète. A chercher en loge la perfection du système ainsi posé, on ne le trouvera probablement pas. Il est bien difficile d'imaginer les types et circonstances de faute qui pourront exister. La pratique et la jurisprudence donneront les attitudes malicieuses du client cherchant à violer ses engagements contractuels en recherchant la caducité.

Ce débat pourrait être moins difficile qu'on ne l'imagine. Ou bien le contrat qui est anéanti, et qui implique la caducité du ou des autres contrats, l'est à bon droit, ou bien il ne l'est pas. Dans la première hypothèse, il n'y a pas de faute, dans la seconde, oui. Quelle que soit l'intention du client, il sera difficile de juger que l'exercice d'une prérogative contractuelle, connue de tous dans tel ensemble contractuel, constitue une faute. Le demandeur supportera du reste la charge de la preuve de la faute. Il n'est même pas certain qu'il faille gloser sur la nature de la faute qui, dans son essence, serait alors... de nature (nécessairement) contractuelle ? Sauf à imaginer que le client mette le feu à l'installation, la provocation d'un incendie plaçant alors le débat sur le terrain pénal et délictuel. Le client pourrait ne pas être le seul en cause : un des professionnels pourrait aussi reprocher à l'autre d'avoir contribué, d'une façon ou d'une autre, à la fin du contrat emportant la caducité.

L'ensemble contractuel peut néanmoins rappeler le château de cartes. Automatique, la caducité, pourra être constatée rapidement par le juge du provisoire, en référé, ce qui libérera le client ; sa faute, elle, sera à démontrer devant le juge du fond. Dans les espèces commentées, le juge de renvoi pourra-t-il juger qu'il y a une faute ? La disparition du contrat de location et la caducité subséquente du contrat de prestations de services sont, dans les deux espèces, le résultat d'une résiliation anticipée. Aucune ne semble avoir été spécialement critiquée. Mais l'innovation jurisprudentielle pourrait les inspirer. En outre, l'une de ces résiliations est conventionnelle : l'appréciation de la faute du client imposera de tenir compte du comportement du second professionnel. S'il est poursuivi pour sa faute, le client devra assumer diverses difficultés de procédure. Il les connaît déjà. Notamment quand il tente de faire reconnaître une résiliation pour la faute d'un professionnel (son inexécution) pour se dégager d'un (premier) contrat. Le client doit assigner diverses parties, ce qui est lourd, et qu'il s'abstient souvent de faire (27).

16. Le client qui semblait hier prisonnier de l'ensemble contractuel l'est désormais nettement moins. S'il se libère d'un contrat, il se libère de tous les autres. Il le fera à l'avenir dans les conditions légales nouvelles imposant la connaissance de tous les contrats (28). Il restera à ce client à apprécier le risque de commettre une faute. La question de l'évaluation du préjudice sera la question suivante à régler.

17. La publicité faite à ces décisions par la Cour de cassation (P+B+R+I) instruit tous les opérateurs économiques qui font de la location comportant une vague idée de crédit. Dans ce cas, il y a des contrats préalables (achat pour louer, prestation de services pour utiliser ou entretenir la chose). Même concomitants en pratique, ces contrats concourent tous à réaliser la location, ils sont intellectuellement préalables. De ce point de vue, la jurisprudence a bien saisi la vie des affaires et spécialement la location financière. Il existe systématiquement un ensemble contractuel dont l'indivisibilité est fondamentalement initiée par la location. La jurisprudence précitée de 2013 de Chambre mixte est à raison confirmée. Elle rapproche la location financière du régime du crédit-bail, mais cette proximité est en vérité congénitale. La Cour de cassation innove sans décréter une solution sans fondement juridique ; l'interprétation des contrats et obligations ne peut ignorer l'ensemble contractuel.

18. La discussion peut être élargie en guise de conclusion. Les décisions du 12 juillet 2017 donnent du corps à l'interdépendance (sinon à l'indivisibilité), à l'ensemble contractuel et à la caducité dans un contexte financier. L'exemple peut inspirer de nouveaux cas d'interdépendance de contrats dans diverses opérations économiques. Ici, la location financière souligne la finalité économique de l'ensemble contractuel. L'un des contrats la révèle, malgré l'unité de l'opération et sa complexité juridique. Le juge du droit pourrait pareillement appliquer l'interdépendance au sein de certains ensembles contractuels. Les rédacteurs se souviendront que, pour comprendre la finalité économique de l'ensemble contractuel, hier encore, le juge identifiait dans le montage un "contrat principal" (29). Si la loi ne l'évoque pas et que l'expression formelle disparaît dans cette jurisprudence, elle pourrait encore contribuer à déterminer la finalité et donc la compréhension du montage. Or les opérations répétitives exigent d'être comprises et claires pour contribuer à l'exploitation durable de l'entreprise. La leçon de ces arrêts est peut-être que, nonobstant la caducité, seule la clarté contractuelle garantit la solidité d'un ensemble contractuel : le montage ne saurait échapper au juge.


(1) B. Teyssié, Les groupes de contrats, LGDJ, coll. "Bibl. dr. pr.", 1975. Pour une vue générale : Ph. Malaurie, L. Aynès, et P.-Y. Gautier, Droit des contrats spéciaux, Defrénois, 2016, p. 25, n° 11 ; Y. Buffelan-Lanore et V. Larribau-Terneyre, Droit civil, Les obligations, Dalloz, coll. "Sirey Université", 2016, p. 308, n° 971 et 972. Pour une analyse approfondie : S. Bros, L'interdépendance contractuelle, la Cour de cassation et la réforme du droit des contrats, D., 2016, p. 29.
(2) Sur ces arrêts, cf. not. D. Houtcieff, Lexbase, éd. priv., 2017, n° 709 (N° Lexbase : N9794BWN ; NDLR : les auteurs n'ont pas pu prendre connaissance de cette analyse avant la rédaction de leur étude) ; sur le principe de l'interdépendance et déjà au visa de l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC) : Cass. mixte, 17 mai 2013, deux arrêts, n° 11-22.768, P+B+R+I (N° Lexbase : A4414KDT) et n° 11-22.927, P+B+R+I (N° Lexbase : A4415KDU), B. Brignon, Lexbase, éd. aff., 2013, n° 345 ([N7796BTW]) ; D., 2013, p. 1658, obs. X. Delpech ; D., 2013, p. 1658, note D. Mazeaud ; RTDCiv., 2013, p. 597, note H. Barbier.
(3) Voyez l'ancien article 1218 du Code civil (N° Lexbase : L1320ABI).
(4) Pour un exemple de vie : Cass. civ. 1, 13 juin 2006, n° 04-15.456, F-P+B (N° Lexbase : A9399DPS), Bull. civ. I, n° 306, où un ensemble contractuel cause un contrat au prix dérisoire ; en revanche, pour un exemple de mort du contrat : Cass. civ. 1, 4 avril 2006, n° 02-18.277, FS-P+B (N° Lexbase : A9591DNK), Bull. civ. I, n° 190, p. 166 : "les deux conventions constituaient un ensemble contractuel indivisible, la cour d'appel en a déduit à bon droit que la résiliation du contrat d'exploitation avait entraîné la caducité du contrat d'approvisionnement, libérant la société des stipulations qu'il contenait ; qu'ainsi, la décision est légalement justifiée".
(5) H. Causse, Droit bancaire et financier, éd. Mare et Martin, 2016, p. 708, n° 1445.
(6) A. Ghozi, La location financière : des liaisons dangereuses ?, D., 2012, p. 2254 ; E. Le Quellenec, Le rejet par la chambre mixte de la clause de divisibilité dans les contrats de location financière, RLDI, 2013/95, n° 3160.
(7) Le droit commun des contrats était jusqu'alors gouverné par l'ancien article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC) qui faisait de toute convention valablement conclue une convention autonome. L'on retrouve désormais dans les articles 1186 (N° Lexbase : L0892KZ3) et 1189 (N° Lexbase : L0904KZI) du Code civil une référence expresse à l'interdépendance contractuelle puisque sont employées les formules "l'exécution de plusieurs contrats [...] nécessaire à la réalisation d'une même opération" ou de "plusieurs contrats concourent à une même opération". N. Dissaux et C. Jamin, Réforme du droit des contrats, du régime général de la preuve des obligations, D., 2016, p. 86.
(8) En effet, la location financière peut être discutée comme technique de financement ; on sait qu'elle n'est pas réservée à un type d'entité agréé par l'ACPR ; on ne peut donc pas qualifier comme le fait la cour d'appel de Nancy dans son arrêt du 8 avril 2015 (CA, Nancy, 8 avril 2015, n°14/01689 N° Lexbase : A2184NGY) la société Grenke Location d'organisme de financement, ce qui est équivoque avec le statut de banque ou de société de financement que cette société n'a pas.
(9) CA, Bordeaux, 30 septembre 2015, n°13/03466 (N° Lexbase : A8392NRA), qui donna lieu au pourvoi n°15-27.703.
(10) CA, Nancy, 8 avril 2015, n°14/01689, préc. , qui donna lieu au pourvoi n°15-23.552.
(11) Cass. mixte, 23 novembre 1990, n° 87-17.044 (N° Lexbase : A7656CIE), D., 1991. 121, note Ch. Larroumet ; RTDCiv., 1991, 325, obs. J. Mestre ; RTDCom., 1991, 440, obs. B. Bouloc ; JCP éd. G, 1991, II, 21642, note D. Legeais.
(12) Rappelons à ce sujet que la location financière n'est pas une activité réglementée et qu'elle ne suppose donc pas l'obtention d'un agrément pour s'exercer (H. Causse, De la location financière que tout commerçant peut pratiquer, JCP éd. E, 1246, 2017, n° 18, p. 34 et 35 ; Du critère de l'opération de crédit désignant les crédits et délimitant les opérations de banque, Lexbase, éd. aff., 2016, n° 490 N° Lexbase : N5570BW9, commentaire sous Cass. com., 2 novembre 2016, n° 15-10.274, F-D N° Lexbase : A9078SEX).
(13) Alors que la première chambre civile de la Cour de cassation était plus favorable au maintien du contrat de location financière en cas d'anéantissement du contrat de prestations de services (Cass. civ. 1, 28 octobre 2010, n° 09-68.014, FS-P+B+I N° Lexbase : A7997GC8, Bull. civ. I, n° 213 ; D., 2010, p. 2703, obs. X. Delpech ; D. 2011, p. 566, note D. Mazeaud ; D., 2011, p. 622, chron. N. Auroy et C. Creton ; RTDCom., 2011, p. 400, obs D. Legeais ; Dr. & patr. 2011, n° 204, p. 72, note L. Aynès ; Defrénois, 2011, art. 39229-3, obs. J.-B. Seube ; JCP éd. G, 2011, n° 303, obs. C. Aubert de Vincelles ; RLDC, 2011/79, n° 4114, obs. G. Pignarre et L.-F. Pignarre), sa chambre commerciale n'hésitait pas à faire prévaloir que de tels contrats "constituent un ensemble contractuel complexe et indivisible" pour prononcer la caducité de l'un quelconque des contrats liés au contrat préalablement anéanti (Cass. com., 5 juin 2007, n° 04-20.380, FS-P+B N° Lexbase : A5470DWI, Bull. civ. IV, n° 156).
(14) Cass. mixte, 17 mai 2013, deux arrêts, n° 11-22.927 et n° 11-22.768, préc..
(15) Cass. civ. 1, 14 janvier 2010, n° 08-15.657, F-D (N° Lexbase : A2942EQZ).
(16) Ch. Larroumet et S. Bros, Traité de droit civil, Les obligations, Le contrat, t. 3, 8ème éd., Economica, 2016, n° 506, p. 499.
(17) Ce qui est noté : Lamy Droit du contrat, Lamy, n° 1469.
(18) Pour le prononcé d'une nullité faisant écho à la nullité du premier contrat, v. Cass. civ. 1, 1er octobre 1996, n° 94-18.876, publié (N° Lexbase : A8621ABW), Bull. civ. I, n° 335 ; Contrat, conc. consom., 1997, n° 1, p. 10, obs. L. Leveneur ; RTDCiv., 1997. p. 115, obs. J. Mestre ; RTDCom., 1997, p. 298, obs. M. Cabrillac. Pour un cas de résolution alors que le premier contrat a été résolu, v. Cass. civ. 1, 1er décembre 1993, n° 91-20.539 (N° Lexbase : A5330ABZ), JCP éd. G, 1994, II, 22325, note C. Jamin ; Defrénois, 1994, p. 823, obs. D. Mazeaud ; RTDCiv., 1994, p. 858, obs. J. Mestre. Pour un cas de résiliation suivant la résolution du premier contrat, v. Cass.. mixte, 23 novembre 1990, préc. Pour une caducité suivant la résiliation du premier contrat, v. Cass. com., 5 juin 2007, préc.
(19) J.-B. Seube, Pour un abandon de l'interdépendance des contrats concomitants ou successifs qui s'inscrivent dans une opération incluant une opération financière, RDC, 2015, n° 1, p. 58.
(20) CA Bordeaux, 30 septembre 2015, préc..
(21) G. Chantepie et M. Latina, La réforme du droit des obligations. Commentaire théorique et pratique du Code civil, D., 2016, n° 492, p. 411.
(22) L'alinéa 1er de l'article 1187 du Code civil (N° Lexbase : L0891KZZ) prescrit en effet que "la caducité met fin au contrat". Pour une analyse d'ensemble : J.-B. Seube, L'article 1186 du projet : la caducité, RDC, septembre 2015, n° 03, p. 769.
(23) L'alinéa 2 de l'article 1187 du Code civil dispose qu' "elle [la caducité] peut donner lieu à des restitutions dans les conditions prévues aux articles 1352 à 1352-9".
(24) N. Dissaux, Rép. civ., V° Contrat : formation, n° 263.
(25) Cass. civ. 3, 9 juin 2010, n° 09-15.361, FS-P+B (N° Lexbase : A1001E3H), Bull. civ. III, n° 114 ; Cass. com., 22 mars 2011, n° 09-16.660, F-P+B (N° Lexbase : A7594HI4), D. 2011, p. 2179, obs. X. Delpech ; en dernier lieu, Cass. civ. 2, 6 juin 2013, n° 12-20.352, F-D (N° Lexbase : A3183KGY), RDC, 2013, p. 826, obs. E. Savaux.
(26) R. Chaaban, La caducité des actes juridiques, Etude de droit civil, LGDJ, 2006 cité par A. Hontebeyrie, La clause pénale et la caducité du contrat, D., 2011, p. 2179.
(27) CA Paris, Pôle 4, 9ème ch., 6 juillet 2017, n° 15/03293 (N° Lexbase : A3911WMS) : impossibilité d'obtenir des indemnités ou la validation de la résiliation pour défaut de fonctionnement à défaut de mise en cause du fournisseur de ce matériel de standard téléphonique ; CA Paris, Pôle 1, 3ème ch., 4 juillet 2017, n° 17/06283 (N° Lexbase : A9032WL4) : contredit de la part du fournisseur pour plaider à domicile ; en revanche, dol dans l'ensemble contractuel est toujours attaché à la partie contractante ce qui n'est pas un problème de procédure mais de fond : CA Versailles, 29 juin 2017, n° 15/08954 (N° Lexbase : A2261WLC).
(28) L'alinéa 3 de l'article 1186 du Code civil prescrit que "la caducité n'intervient toutefois que si le contractant contre lequel elle est invoquée connaissait l'existence de l'opération d'ensemble lorsqu'il a donné son consentement".
(29) Cass. com., 4 novembre 2014, n° 13-24.270, FS-P+B (N° Lexbase : A9156MZ7), Bull. civ. IV, n°159.

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