La lettre juridique n°701 du 8 juin 2017 :

[Textes] L'ordonnance du 4 mai 2017 sur l'agent des sûretés : entre précisions et oublis

Réf. : Ordonnance n° 2017-748 du 4 mai 2017, relative à l'agent des sûretés (N° Lexbase : L1669LEK)

Lecture: 9 min

N8618BW4

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Textes] L'ordonnance du 4 mai 2017 sur l'agent des sûretés : entre précisions et oublis. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/41239125-textes-l-ordonnance-du-4-mai-2017-sur-l-agent-des-suretes-entre-precisions-et-oublis
Copier

par Gaël Piette, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, Directeur scientifique des Encyclopédies "Droit des sûretés" et "Droit des contrats spéciaux"

le 08 Juin 2017

La loi n° 2007-211 du 19 février 2007, instituant la fiducie (N° Lexbase : L4511HUM), a créé un article 2328-1 dans le Code civil (N° Lexbase : L2525IB7), qui énonce que "toute sûreté réelle peut être constituée, inscrite, gérée et réalisée pour le compte des créanciers de l'obligation garantie par une personne qu'ils désignent à cette fin dans l'acte qui constate cette obligation" (1). Il s'agissait ainsi de permettre aux praticiens, sur le fondement du droit français, de recourir à la technique de l'agent des sûretés. Particulièrement utile dans les pools bancaires, pour l'octroi de crédits syndiqués, ce mécanisme était jusqu'alors ignoré de notre droit.
L'article 2328-1 a cependant fait l'objet de critiques (2). Il faut dire qu'il est difficile de prétendre encadrer un mécanisme tel que celui de l'agent des sûretés en un seul texte, de trois lignes. Le texte apparaissait trop restrictif et de nombreuses questions demeuraient en suspens. En outre, l'article 2328-1 souffrait de la comparaison avec le droit OHADA. Le nouvel Acte uniforme des sûretés (AUS) de 2011 consacre en effet des dispositions détaillées à l'agent des sûretés (art. 5 à 11) (3).
L'article 2328-1 du Code civil n'étant pas d'une grande utilité, les praticiens préféraient recourir à des mécanismes étrangers, avec les incertitudes que ceux-ci engendrent lorsqu'une quelconque reconnaissance est demandée à une juridiction française (4).
La loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (5), en son article 117, habilitait le Gouvernement à légiférer par voie d'ordonnance pour "clarifier et moderniser" la technique de l'agent des sûretés. Cette loi énonçait également, en quatre points, les règles que l'ordonnance devrait établir. Il est d'ailleurs permis de se demander si une ordonnance était vraiment nécessaire : la loi du 9 décembre 2016 aurait certainement pu faire le travail elle-même.
Un délai de 10 mois était accordé pour la prise de l'ordonnance. Une fois n'est pas coutume, l'ordonnance survint bien avant l'expiration du délai, puisqu'elle a été signée le 4 mai 2017, telle une sorte de cadeau d'adieu de la part du Gouvernement Cazeneuve.
L'ordonnance n° 2017-748 du 4 mai 2017 relative à l'agent des sûretés abroge l'article 2328-1 du Code civil, et crée sept articles (C. civ., art. 2488-6 N° Lexbase : L2192LEW à 2488-12) dans le Code civil (6). Il résulte de cette ordonnance des textes à la fois plus larges (I) et plus précis (II) que le précédent, même s'il est possible de relever certains oublis (III). I - Une extension du mécanisme de l'agent des sûretés

Par rapport à l'ancien article 2328-1, l'ordonnance du 4 mai 2017 réalise une extension du mécanisme de l'agent des sûretés à deux points de vue.

D'une part, les nouveaux textes ne sont pas limités aux sûretés réelles. L'article 2328-1 commençait en précisant que "Toute sûreté réelle [...]", et était situé dans le titre du Code civil consacré à cette catégorie de sûretés (titre II du livre IV). A l'inverse, les nouveaux textes sont l'objet d'un titre III dans le livre IV, spécialement créé pour l'occasion, et entièrement consacré à l'agent des sûretés. L'article 2488-6 commence en énonçant que "Toute sûreté ou garantie [...]", ce qui, à l'évidence, ne limite plus ce mécanisme aux sûretés réelles. La mission de l'agent des sûretés pourra donc également porter sur des sûretés personnelles, notamment sur des cautionnements (7), et sur d'autres techniques, dont la qualification de sûreté ne nous semble toujours pas acquise : droit de rétention (8), clause de réserve de propriété (9), etc.. Une telle extension est certainement inspirée du droit OHADA (AUS, art. 5).

D'autre part, la convention d'agent des sûretés n'est plus liée à la convention de crédit. L'article 2328-1 précisait in fine que l'agent des sûretés est une personne que les créanciers désignent dans l'acte qui constate l'obligation garantie. Le contrat principal devait donc identifier et désigner l'agent des sûretés. Dorénavant, plus aucune indication n'est fournie par les textes sur le moment de la désignation de l'agent des sûretés. Le mécanisme y gagne assurément en souplesse : les créanciers pourront désigner l'agent dès la conclusion du comtat principal, comme auparavant, mais ils pourront également choisir de différer cette désignation.

II - Des textes plus précis que l'ancien article 2328-1

Les précisions apportées par les nouveaux textes sont nombreuses.

La première concerne la nature de l'agent des sûretés. La doctrine s'interrogeait sur cette question. Devait-on y voir un mandataire ? Ou plutôt un commissionnaire ? Le fait que l'article 2328-1 ait été créé par la loi relative à la fiducie faisait-elle de l'agent des sûretés une variété particulière de fiduciaire ? Les nouveaux textes ne prennent pas véritablement parti, mais l'article 2488-6 précise que l'agent agit en son nom propre, ce qui exclut la qualification de mandataire. En traitant de l'agent des sûretés dans un titre qui lui est réservé, et en le dotant d'un régime à peu près complet, il y a lieu de penser que l'ordonnance du 4 mai 2017 en fait un mécanisme sui generis. Ceci dit, la parenté avec la fiducie est particulièrement marquée, même si une différence irréductible existe entre les deux : tandis que le patrimoine fiduciaire suppose une cession fiduciaire, c'est-à-dire un transfert au fiduciaire, le patrimoine affecté à la mission de l'agent peut se composer de droits transférés à l'agent, mais aussi et surtout de sûretés constituées par l'agent lui-même et sur lesquelles il n'y a pas, par hypothèse, de transfert lors de la conclusion du contrat.

Ce même article 2288-6 précise que l'agent est titulaire des sûretés, ce qui exclut implicitement qu'il soit titulaire des créances. Même si la question a pu être posée (10), la réponse est cohérente : les créanciers demeurent titulaires de leur créance, l'agent des sûretés n'est titulaire que de la sûreté.

L'article 2288-6 apporte enfin une précision importante : les droits et biens sur lesquels porte la mission de l'agent sont "un patrimoine affecté à celle-ci, distinct de son patrimoine propre". Il y a donc, à l'instar de la fiducie, création d'un patrimoine d'affectation. Ce patrimoine se composera pour l'essentiel de sûretés, mais peut également contenir des biens : tel sera notamment le cas lorsque l'agent a perçu les fruits du bien grevé (par exemple en matière de gage immobilier).

Les pouvoirs et missions de l'agent des sûretés ne sont pas modifiés : l'agent prend, inscrit, gère, et réalise les sûretés. A ce sujet, il convient de préciser que si certaines sûretés ont été conclues avec dépossession, l'agent des sûretés assumera les obligations d'entretien et de conservation du bien grevé, qui incombent en principe au créancier.

L'article 2488-7 (N° Lexbase : L2198LE7) fixe la forme de la convention d'agent des sûretés. A peine de nullité, le contrat doit être écrit, et doit mentionner la qualité de l'agent des sûretés, l'objet et la durée de sa mission, et l'étendue de ses pouvoirs. Bien évidemment, cette dernière mention devra être rédigée avec le plus grand soin, afin d'encadrer les pouvoirs de l'agent, sans pour autant le brider excessivement. C'est à cette occasion que le contrat devra, par exemple, préciser si l'agent est totalement maître de la réalisation ou non, c'est-à-dire s'il peut librement choisir entre vente forcée et attribution du bien, ou s'il doit se conformer à des instructions émanant du créancier concerné.

L'information des tiers s'opère de manière similaire à la fiducie : l'agent qui agit es qualité doit expressément faire mention de cette qualité (C. civ., art. 2488-8 N° Lexbase : L2197LE4). Cette disposition sera par exemple utile dans le cas de l'information annuelle de la caution : c'est l'agent qui informera la caution, avant le 31 mars, du montant de la dette au 31 décembre de l'année précédente. Or, cette information devant émaner du créancier (C. mon. et fin., art. L. 313-22 N° Lexbase : L7564LBR), il est nécessaire que la caution soit renseignée sur la qualité de la personne qui l'informe en lieu et place du créancier.

L'article 2488-9 (N° Lexbase : L2196LE3) accorde deux droits importants, et fondamentaux pour l'efficacité du mécanisme, à l'agent des sûretés. Il peut agir en justice pour défendre les intérêts des créanciers, et procéder aux déclarations de créances nécessaires en cas de procédure collective, sans avoir à justifier d'un mandat spécial. L'agent n'a ainsi pas besoin de requérir un mandat spécial de la part de chaque créancier avant d'engager une action en justice ou de déclarer une créance.

Les trois dernières précisions sont librement inspirées du régime de la fiducie. La première d'entre elles précise le degré de cloisonnement du patrimoine d'affectation : ce patrimoine ne peut être saisi que par les titulaires de créances nées de sa gestion ou de sa conservation (sous réserve des droits de suite et des hypothèses de fraude) et l'ouverture d'une procédure collective envers l'agent des sûretés n'a aucun effet sur le patrimoine d'affectation (C. civ., art. 2488-10 N° Lexbase : L2195LEZ). Il s'agit là de la transposition des articles 2024 (N° Lexbase : L6520HWE) et 2025 (N° Lexbase : L6521HWG) du Code civil.

La deuxième envisage le cas d'une faute grave de l'agent ou de l'ouverture d'une procédure collective à son encontre, en reconnaissant la possibilité pour l'un des créanciers de demander la désignation d'un agent des sûretés provisoire, ou le remplacement de l'agent (C. civ., art. 2488-11 N° Lexbase : L2194LEY).

Enfin, la dernière précision tient à la responsabilité de l'agent : celui-ci, en cas de faute, est responsable sur son patrimoine propre (C. civ., art. 2488-12 N° Lexbase : L2193LEX).

III - Les oublis

Le premier oubli concerne les mentions requises dans l'acte constitutif (C. civ., art. 2488-7). Le texte ne vise ni l'identité des créanciers concernés, ni les obligations garanties. C'est indéniablement source de souplesse, puisque l'acte originel n'aura pas à être modifié en cas de remplacement d'un créancier par un autre (par l'effet d'une subrogation par exemple) ou si l'obligation vient à être modifiée ultérieurement à la constitution de l'agent des sûretés.

La souplesse ne doit cependant pas dériver en imprécision. Au regard des pouvoirs étendus dont peut être investi l'agent, il apparaît gênant qu'aucune identification des créanciers et des créances concernés ne soit imposée dans l'acte constitutif. L'AUS de l'OHADA prévoit expressément ces mentions dans l'acte (art. 6, 1° et 2°).

Le deuxième oubli de l'ordonnance du 4 mai 2017 tient à l'absence d'obligation de reddition de comptes à la charge de l'agent des sûretés. Peut-on imaginer, dans un tel contrat, que l'agent n'ait aucun compte à rendre aux créanciers pour le compte desquels il agit ? Le mandataire a une obligation de reddition de comptes (C. civ., art. 1993 N° Lexbase : L2216ABP), tout comme le fiduciaire (C. civ., art. 2022, al. 1er N° Lexbase : L2241IBM) ou l'agent des sûretés en droit OHADA (AUS, art. 6, 5°). Cet oubli laisse à penser qu'aucune obligation de reddition de comptes n'existe. Et même si l'on estimait qu'une telle obligation est sous-jacente à ce type de contrat, imposer à l'acte constitutif de fixer les modalités de cette reddition (périodicité, éléments pertinents d'information, etc.) aurait été utile.

Un troisième oubli qui nous semble regrettable est celui de l'extinction du contrat d'agent des sûretés. Certes, l'article 2488-11 envisage une hypothèse particulière, lorsque l'agent commet une faute grave ou fait l'objet d'une procédure collective. Mais qu'en est-il des autres causes d'extinction ? Il est permis de supposer que le décès de l'agent (s'il est une personne physique, ce que rien n'interdit même si cela devrait être relativement rare) met un terme au contrat (qui est fortement teinté d'intuitus personae).

Il est également permis de penser que l'extinction des créances garanties, lorsqu'elle provoque l'extinction par voie accessoire des sûretés et garanties, met fin à sa mission.

Des difficultés pourraient cependant voir le jour. Par exemple, qu'en sera-t-il d'une créance garantie par une hypothèque rechargeable ? Lorsque la créance sera éteinte, le créancier n'aura plus cette qualité. Mais l'hypothèque rechargeable subsiste. Dans l'hypothèse où il n'y a plus d'autres créanciers, l'agent des sûretés, étant titulaire des sûretés, verra donc sa mission se poursuivre. Il se retrouvera dans une situation étonnante : agent des sûretés, titulaire d'une hypothèque rechargeable, mais sans aucun créancier au profit duquel la gérer...

Enfin, il aurait peut-être été utile de clarifier l'articulation entre le nouveau régime de l'agent des sûretés et certains textes existants. A titre d'illustration, qu'en est-il de l'article 2345 du Code civil (N° Lexbase : L1172HIA), aux termes duquel "lorsque le détenteur du bien gagé est le créancier de la dette garantie, il perçoit les fruits de ce bien et les impute sur les intérêts ou, à défaut, sur le capital de la dette" ? Dans l'hypothèse qui nous intéresse, le détenteur du bien gagé est l'agent des sûretés, et non le créancier. Faut-il déduire de ce texte, initialement pensé pour distinguer les gages avec et sans dépossession, que l'agent ne peut percevoir les fruits du bien grevé ? Une telle solution, incontestable au regard de la lettre du texte, serait bien peu opportune.


(1) Le terme "constituée" ayant été ajouté ultérieurement, par l'article 80 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 (N° Lexbase : L7358IAR).
(2) V. par exemple S. Laval, Pour une réforme de l'agent des sûretés, Dr. & Patr., avril 2016, p. 28 ; P. Nabet, Pour un agent des sûretés efficace en droit français, ou comment donner un effet utile à l'article 2328-1 du Code civil, D., 2010, p. 1901.
(3) P. Crocq, Les grandes orientations du projet de réforme de l'Acte uniforme portant organisation des sûretés, Dr. & Patr., 2010, n° 197, p. 58 ; G.-A. Likillimba, L'agent des sûretés en droit OHADA, RTDCom., 2012, p. 475.
(4) V. notamment, au sujet d'une dette parallèle, l'arrêt "Belvedere", Cass. com., 13 septembre 2011, n° 10-25.533, FS-P+B (N° Lexbase : A7460HXL), D., 2011, p. 2518, note L. d'Avout et N. Borga, Rev. crit. DIP, 2011, p. 870, note J.-P. Rémery ; A. Bordenave, Lexbase, éd. aff., 2011, n° 265 (N° Lexbase : N7797BSL). Adde, M. Attal, La reconnaissance des sûretés mobilières conventionnelles étrangères dans l'ordre juridique français, Defrénois, 2005.
(5) Tout un programme...
(6) Précisions que ces nouveaux textes n'entreront en vigueur que le 1er octobre 2017 (art. 4).
(7) Il est ainsi possible d'imaginer un agent des sûretés qui se chargera, par exemple, de l'information annuelle des cautions (C. mon. et fin., art. L. 313-22 N° Lexbase : L7564LBR).
(8) Rép. civ. Dalloz, V° Rétention, spéc. n° 15 et s.
(9) Que le Code civil ne qualifie pas expressément de sûreté, et qui nous semble ne pas mériter cette qualification, faute d'effet satisfactoire pour le créancier.
(10) S. Laval, préc. note 2.

newsid:458618

Cookies juridiques

Considérant en premier lieu que le site requiert le consentement de l'utilisateur pour l'usage des cookies; Considérant en second lieu qu'une navigation sans cookies, c'est comme naviguer sans boussole; Considérant enfin que lesdits cookies n'ont d'autre utilité que l'optimisation de votre expérience en ligne; Par ces motifs, la Cour vous invite à les autoriser pour votre propre confort en ligne.

En savoir plus