La lettre juridique n°402 du 8 juillet 2010 : Avocats/Honoraires

[Evénement] Conclusion des Etats généraux sur l'aide juridictionnelle

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par Anne-Laure Blouet Patin, Directrice de la rédaction

le 07 Octobre 2010

A la fin de cette journée de "mobilisation cérébrale" du 25 juin 2010, le Président du Conseil national des barreaux, Thierry Wickers, présente d'emblée le problème de l'aide juridictionnelle sous la forme d'une équation à trois inconnues : d'abord, l'engagement de l'Etat, sachant que le Président de la République précisait, la veille, que l'Etat ne pouvait pas être mis à contribution ; ensuite, la réforme de la procédure pénale, sachant que le calendrier en est désormais parfaitement inconnu et que l'une des questions centrales connaîtra son dénouement au terme d'une question prioritaire de constitutionnalité sur les modalités de la garde à vue ; enfin, l'articulation entre les fonds publics et les fonds privés, sachant que, fondamentalement, un prélèvement sur la sphère privée ou sur les deniers publics est un prélèvement sur la richesse de la Nation et que la gestion de ces fonds ne pourrait être que publique, le contrôle de l'aide légale ne pouvant incomber à un opérateur privé. Demeurent, enfin, la question de l'agenda de Lisbonne et la conformité des modalités d'accès au droit au regard de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme... En attendant, cette journée aura permis à Vincent Potié, rapporteur général et membre du conseil de l'Ordre du barreau de Lille de proposer une synthèse des réflexions menées au sein des sept ateliers de la journée (le financement de l'aide juridictionnelle ; pour une garantie de qualité ? ; quelles perspectives pour la future défense pénale ? ; l'aide juridictionnelle en droit comparé ; déjudiciarisation et accès au droit ; les groupes de défense ordinale ; stratégie d'action face aux pouvoirs publics) ; synthèse dont voici les principaux extraits.
I - Le droit comparé de l'aide juridictionnelle

Le constat fait par cet atelier est qu'il n'y a pas de système satisfaisant pour les confrères des barreaux étrangers. Les revendications s'orientent vers :

  • l'extension services juridiques octroyés sous aide juridictionnelle ;
  • et une véritable rémunération de l'avocat.

A - Services juridiques octroyés sous aide juridictionnelle

La Belgique, l'Angleterre et l'Italie connaissent un système offrant des services juridiques similaires aux nôtres. Aux USA, un droit constitutionnel fédéral prévoit l'assistance en matière pénale exclusivement, de sorte que l'aide juridictionnelle civile dépend des politiques locales.

B - Rémunération ou défraiement de l'avocat

Italie : il existe un système de tarification des honoraires d'avocat de sorte que la rémunération de l'avocat en secteur assisté ou privé est la même. Mais le système d'aide juridictionnelle semble peu utilisé. Le budget dédié à l'aide juridictionnelle est peu important.

Belgique : le système est très proche du nôtre, mais la dotation d'une enveloppe globale forfaitaire se retrouve répartie au prorata du nombre de personnes qui auront bénéficié de cette aide juridictionnelle.

Angleterre : le système est panaché. Devant les petites juridictions, il est prévu une rémunération forfaitaire en fonction des dossiers et du nombre d'heures. Devant la High court, on se dirige vers une véritable rémunération. Le budget de l'aide juridictionnelle y est dix fois plus élevé qu'en France. L'assurance protection juridique est en développement.

Etats-Unis d'Amérique : l'aide légale est confiée à 80 % à des avocats salariés et à 20 % à des avocats libéraux, pour un tarif horaire de 75 dollars sans limitation de nombre d'heures.

C - Contrôle de qualité

Grande-Bretagne : une commission d'aide juridique composée de fonctionnaires d'Etat vérifie la qualité de la prestation de l'avocat. Les confrères se désengagent progressivement de ce secteur aidé du fait des tracasseries administratives.

Belgique : le Bureau d'aide judiciaire est composé d'avocats opérant un contrôle de l'effectivité et de la qualité de la prestation lors de la remise du rapport de clôture annexé au mémoire de demande d'honoraires.

Italie : le contrôle par le juge se borne, à la liquidation de mémoire d'honoraires présenté, à son adéquation au tarif existant

II - Pour une garantie de qualité ?

Il s'agit d'une exigence qui ne peut pas être réservée aux seuls dossiers traités sous aide juridictionnelle, même si, en pareil cas, ce sont des fonds publics qui sont engagés.

Il ne s'agit pas de créer des contraintes complémentaires, mais de précipiter l'évolution de la profession vers la publicité fonctionnelle et la contractualisation des relations avec le client.

A - Une Charte nationale de qualité doit être élaborée par les instances nationales sur concertations des ordres, complétée par des chartes locales, contribuant à réaffirmer l'engagement collectif de qualité, que les avocats interviennent ou non dans le cadre de l'aide juridictionnelle.

B - Une convention individuelle est signée avec le client et a pour objectif de garantir conventionnellement la qualité des prestations fournies par l'avocat et la collaboration du client à la mise en oeuvre de sa procédure. Elle a pour objet, également, d'assurer la transparence de la rémunération de l'avocat intervenant en aide juridictionnelle. Elle vise, enfin, à informer le justiciable des différentes voies de recours dont il dispose.

C - Cette qualité passe par une formation initiale et continue :

  • formation à l'aide juridictionnelle et aux conventions d'honoraires à la sortie de l'école, formation gratuite au profit des avocats intervenant au titre de l'aide juridictionnelle les deux premières années, et pour ceux intervenant dans le cadre des "protocoles article 91" (permanence pénale) ;
  • mise en place des chèques-formation au profit de tous les avocats intervenant au titre de l'aide légale leur permettant d'accéder aux formations de qualité dans leurs domaines d'intervention.

D - La qualité de la prestation doit être contrôlée selon les règles légales actuelles par le Bâtonnier de l'Ordre. Compte tenu des spécificités de la profession et notamment de sa nécessaire liberté, il n'est pas envisageable de déléguer cette fonction à une administration ou un magistrat.

III - Le financement de l'aide juridictionnelle

L'aide juridictionnelle est un devoir régalien de l'Etat. La crise économique actuelle ne doit pas faire perdre de vue la nécessité d'un abondement financier. Le besoin de financement est communément évalué à 1 milliard d'euros (budget actuel 300 millions d'euros). Le projet gouvernemental de renforcement de la relation aide juridictionnelle /assurance protection juridique nécessite que soient rappelés les principes suivants :

  • pas de désengagement de l'Etat de son devoir régalien ;
  • pas de privatisation au travers de la protection juridique ;
  • une protection juridique subsidiaire ;
  • liberté de l'honoraire de l'avocat et direction du procès par celui-ci.

Comme autres sources de financement, il est envisagé une taxe sur les contrats d'assurance, sur les contrats bancaires, sur les baux immobiliers, sur les contrats de location, sur les actes soumis à enregistrement,  et sur les jeux. Une taxe sur l'ensemble des décisions de justice ne recueille pas une position majoritaire et un prélèvement sur le montant des amendes pénales est illusoire. L'atelier écarte, en revanche, la participation des avocats et l'idée d'un ticket modérateur.

La réflexion sur l'opportunité d'une autorité indépendante de gestion du financement de l'aide juridictionnelle n'a pas été menée à son terme et devra être reprise.

IV - Quelles perspectives pour la nouvelle défense pénale ?

Les principes qui gouvernent la gestion de l'aide juridictionnelle dans la défense pénale doivent absolument respecter :

  • le caractère contradictoire des débats à tous les stades de la procédure ;
  • l'égalité des armes ;
  • la continuité de la défense ;
  • une justice unique (et non justice de classe et de masse à deux vitesses).

Le projet de réforme du Code de procédure pénale, dans la lignée des réformes de ces dix dernières années, consacre l'accroissement des pouvoirs du parquet lié étroitement à l'exécutif, à peine contrebalancé par de très théoriques droits de la défense (aux stades de la garde à vue et de l'enquête), dont le coût n'a pas été chiffré et alors que l'objectif affiché de cette réforme est de "rationnaliser" les finances de la justice. Or, la présence de l'avocat est, dans une telle configuration d'évitement du juge, la seule garantie, pour le citoyen, d'une procédure équitable. Cette réforme, qui doit être amendée, a pour corolaire indispensable l'accroissement des pouvoirs et fonctions de l'avocat, et donc une modification profonde des modes de rémunération à l'aide juridictionnelle, avec :

  • une réévaluation du montant de l'UV -23 euros à l'heure actuelle, son montant est dérisoire- ;
  • la création de grilles de rémunération comme méthode d'évaluation du travail de l'avocat sur la base d'un forfait correspondant aux diligences minimales accomplies dans chaque dossier (instruction, audience), assorti de majorations (délimitées dans leur nombre ou dégressives) correspondant au travail réellement accompli par chaque avocat dans chaque dossier ;
  • l'extension des "protocoles article 91" (permanences pénales), qui permettent d'assurer une défense de qualité en organisant une permanence d'avocats compétents, rémunérés à la mesure de leur travail grâce aux dotations supplémentaires accordées sous réserve des spécificités locales.

V - Les groupes de défense ordinale

Le pragmatisme est nécessaire : en effet, le premier constat est qu'il n'est pas possible de trouver de modalité commune de défense à tous les barreaux.

Les groupes de défense sont essentiellement efficaces et utiles dans les barreaux de grande importance numérique et où la demande de désignation d'un avocat est importante.

Il apparaît essentiel de d'appréhender le principe de la création des groupes de défense, non pas en terme de financement mais en terme de besoins des justiciables.

Dans les zones de "désert de défense", soit du fait de la matière (juge de proximité, droit au logement, TASS, etc.), soit du fait du secteur géographique, le groupe de défense est très efficace. L'usage des dispositions de l'article 29 de la loi prévoyant la conclusion entre le barreau et l'avocat de conventions d'exercice à temps partiel pour la défense en aide juridictionnelle est recommandé.

Le statut de l'avocat, salarié, vacataire ou libéral, importe peu ; le principe de liberté doit présider absolument les modalités d'exercice.

VI - Déjudiciarisation et accès au droit

La déjudiciarisation, dont l'objectif mis en avant est la simplification et la facilitation de l'accès au droit a trop souvent pour effet pervers une mauvaise application du droit et l'absence de défense pour les plus démunis privés du bénéfice de l'aide légale.

Constat : dans de nombreux domaines du droit, des situations ne sont pas, ou mal, prises en compte au titre de l'aide juridictionnelle. Domaines, rappelons le, que le juge n'a pas à connaître : en matière pénale notamment (ordonnance pénale, délégué du procureur, quatre premières classes de contraventions) ; en matière commerciale (accompagnement de l'entrepreneur dans le cadre des procédures collectives) ; en matière de droit des victimes (CRCI ; SARVI) ; en matière civile (la médiation familiale conventionnelle) ; l'acte d'avocat ; le contentieux administratif...

On constate une certaine forme de paradoxe où les procédures déjudiciarisées ne peuvent faire l'objet d'une "aide juridictionnelle" que s'il y a une saisine du juge in fine.

Il convient de développer la consultation juridique hors procédure prise en charge au titre de l'aide juridictionnelle. Qu'elle soit préalable ou à titre principal : la consultation c'est l'accès à l'information, au conseil, l'accès au conseil de l'avocat. C'est là toute la notion de consultation juridique.

L'accès au droit peut ne passer que par cela : une information, un conseil juridique. N'est-ce pas là l'un des objectifs de l'acte d'avocat ?

Il faut naturellement que cette consultation soit étendue et financée par l'aide juridictionnelle ou les CDAD. Il faudra prévoir naturellement l'extension de l'aide juridictionnelle pour tous les systèmes alternatifs au judiciaire qui seront préconisés à l'issue de ces consultations juridiques.

VII - Stratégie d'action face aux pouvoirs publics

L'atelier propose d'instaurer un rapport de force national relayé par les organes représentatifs de la profession, CNB, Conférence des Bâtonniers après concertation et mise au point d'une plate forme revendicative commune avec l'association des maires de France, l'union des CCAS, les associations de consommateurs et de locataires, les associations de défense d'étrangers, les syndicats professionnels sur la base de mots d'ordre nationaux.

Des actions judiciaires généralisées et médiatisées devant le tribunal administratif de l'ensemble des barreaux de France engageant la responsabilité de l'Etat pour non-respect de ses engagements et de ses devoirs sur le plan européen doivent être menées.

Le CNB doit saisir un avocat aux Conseils pour finaliser un projet de mise en cause de l'Etat (assignation au fond TGI, TA, Cour européenne des droits de l'Homme), en coordination par la Conférence des Bâtonniers du lancement des assignations.

Des actions ponctuelles, blocage de CRPC et de défense des mineurs, doivent être menées.

Enfin, il est nécessaire de mettre en place, sur le plan national, une cellule de lobbying prête à répondre à un débat parlementaire sur la réforme pénale et sur la réforme de l'aide juridictionnelle.

L'atelier prévoit, ainsi, l'agenda suivant :

  • demande d'envoi à tous les avocats hors Paris par le CNB du rapport de la commission aide juridictionnelle et de la résolution ;
  • demande d'un rapport d'étape par le CNB pour le 15 octobre 2010 à l'ensemble des barreaux ; parallèlement, mise en oeuvre par l'ensemble des barreaux dès le mois de septembre de concertations avec les représentants des justiciables (associations des maires, CCAS, associations de consommateurs et de locataires, syndicats professionnels) et d'annonces d'actions ponctuelles (grève du CRPC, de l'assistance des mineurs et des coordinations art. 91, etc.).

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