Réf. : Cass. soc., 16 mai 2007, n° 06-40.496, Société Pebeco, FS-P+B (N° Lexbase : A2615DWR)
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le 07 Octobre 2010
Résumé
La clause du plan de cession selon laquelle le repreneur s'engage, pour la durée du plan de cession, à ne procéder à aucun licenciement sans l'autorisation préalable du tribunal de commerce ne concerne que les licenciements pour motifs économiques. Par suite, cette stipulation ne prive pas l'employeur de son pouvoir disciplinaire exercé sous le contrôle du juge prud'homal. |
1. Validité d'un engagement de maintien de l'emploi pris dans un plan de cession
Que l'on se situe avant ou après la loi du 26 juillet 2005, de sauvegarde des entreprises (loi n° 2005-845 N° Lexbase : L5150HGT), la cession de l'entreprise a toujours le même but : assurer le maintien d'activités susceptibles d'exploitation autonome, de tout ou partie des emplois qui y sont attachés et d'apurer le passif (C. com., art. L. 642-1 N° Lexbase : L9092HGT) (1).
Pour aller à l'essentiel (2), on se bornera à rappeler que la procédure d'élaboration du plan de cession débute nécessairement par le dépôt d'offres de reprise qui se doivent d'être sérieuses pour avoir des chances d'être retenues par le tribunal compétent. On constate, ce faisant, que la procédure d'élaboration du plan de cession est à la fois volontaire et judiciaire (v., en ce sens; C. Saint-Alary-Houin, ouvrage préc., § 928).
L'offre de cession doit comporter un certain nombre d'indications fixées par la loi, parmi lesquelles figurent le "niveau et [les] perspectives d'emploi justifiés par l'activité considérée" (C. com., art. L. 642-2 N° Lexbase : L3909HBE ; C. com., anc. L. 621-85 N° Lexbase : L6937AIR). Si le repreneur peut évidemment se contenter de respecter cette dernière exigence, rien ne l'empêche d'aller au-delà en s'engageant à maintenir un certain nombre d'emplois postérieurement à la cession (3). Un tel engagement, dont on aura compris qu'il est purement volontaire, ne saurait être pris à la légère. En effet, dès lors que le plan est arrêté par le tribunal, l'offre se mue en un engagement contraignant pour le cessionnaire (4).
Le plan de cession produit un effet obligatoire à l'égard du cessionnaire qui est, d'abord et avant tout, tenu de payer le prix convenu. Mais la cession ne se réduisant pas à une simple vente, le cessionnaire devra respecter les obligations complémentaires qui lui sont imposées par la loi ou, pour ce qui nous intéresse ici, par le plan. Plus précisément, il doit "exécuter, sous peine de résolution du plan, tous les engagements mis à sa charge par le plan et qu'il avait acceptés dans l'offre de cession : maintien de certains emplois, reprise de matériels, restructuration économique, etc." (C. Saint-Alary-Houin, op. cit., § 978).
Le plan de cession peut donc comporter un engagement de maintien de l'emploi par lequel le cessionnaire s'oblige, pour une durée déterminée, à ne procéder à aucun licenciement (5). Tel était le cas dans l'espèce commentée, la société cessionnaire s'étant engagée, pour la durée du plan de cession, à ne procéder à aucun licenciement sans l'autorisation préalable du tribunal de commerce. Si l'engagement de maintien de l'emploi est ici réel, ses modalités ont de quoi surprendre dans la mesure où le tribunal de commerce n'est, en aucune façon, compétent pour autoriser des licenciements postérieurement au jugement arrêtant le plan de cession. On ne peut, dès lors, que s'interroger sur la licéité de cette clause, à laquelle la Cour de cassation n'a rien trouvé à redire. Il faut dire que la question ne lui était pas posée. Il lui était uniquement demandé de se prononcer sur la portée de l'engagement de maintien de l'emploi.
2. Portée de l'engagement de maintien de l'emploi pris dans un plan de cession
Postérieurement à la cession, un salarié avait, en l'espèce, fait l'objet d'un licenciement pour faute grave de la part de son nouvel employeur. Pour décider que ce licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse, la cour d'appel saisie du litige a considéré que l'employeur avait méconnu son engagement de maintien de l'emploi.
On peut être, de prime abord, tenté d'approuver cette solution dans la mesure où la clause du plan de cession ne précisait pas quels étaient les licenciements concernés par l'engagement de maintien de l'emploi souscrit par le cessionnaire (6). Un tel raisonnement s'avère en réalité par trop simpliste. Ainsi que l'indique la Cour de cassation, "la clause du plan de cession ne pouvait concerner que les licenciements prononcés pour motif économique et ne privait pas l'employeur de son pouvoir disciplinaire exercé sous le contrôle du juge prud'homal".
Il est pour le moins difficile d'aller à l'encontre d'une telle position. En effet, on ne peut, tout d'abord, nier que le droit des entreprises en difficulté ne s'intéresse au licenciement que dans la mesure où celui-ci revêt une cause économique. En conséquence, les licenciements visés par la clause du plan de cession ne peuvent effectivement être que des licenciements de cette nature. La Cour de cassation ne fait rien d'autre qu'interpréter la volonté des parties au contrat ou, pour être plus précis, la volonté de l'auteur de l'engagement unilatéral.
Au-delà, admettre que la clause du plan de cession vaut pour tout licenciement revient, d'une certaine manière, à considérer que l'employeur a complètement renoncé à son droit de licencier (7). Or, on sait que le caractère d'ordre public de ce droit interdit une telle renonciation et n'autorise que de simples aménagements.
Au final, l'employeur-cessionnaire restait donc titulaire de son pouvoir disciplinaire et était en mesure de licencier l'un des salariés repris pour faute grave, sous le contrôle du juge prud'homal.
Que se serait-il passé si l'employeur avait, en violation de son engagement, licencié un des salariés repris pour motif économique, sans l'autorisation du tribunal de commerce ? Ainsi que le laisse entendre la Cour de cassation, le licenciement aurait été, de ce simple fait, dépourvu de cause réelle et sérieuse. C'est alors dire que l'intervention du juge consulaire doit, ici, être assimilée à une véritable garantie de fond et non à une simple exigence de forme. Cette analyse, au demeurant parfaitement conforme à l'économie de la clause du plan de cession, démontre que celle-ci s'apparente très fort à une clause de garantie d'emploi stricto sensu (sur ces clauses, v. J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, Droit du travail, Précis Dalloz, 23ème éd., 2006, § 284).
Le non-respect de ces clauses produit d'ailleurs les mêmes effets : non seulement le licenciement est ipso facto dépourvu de cause réelle et sérieuse, mais le salarié peut, en outre, demander à l'employeur le versement de dommages-intérêts pour non-respect de l'engagement souscrit (8).
Reste alors l'épineuse question du licenciement pour motif économique autorisé par le tribunal de commerce, conformément à la clause du plan de cession. Ce licenciement est-il pour autant justifié ? A notre sens, dans la mesure où la loi ne prévoit nullement l'intervention du juge consulaire dans ce cas de figure, il est difficile de considérer que le juge prud'homal perd le pouvoir de contrôler la cause réelle et sérieuse du licenciement ainsi prononcé. Aussi, l'employeur souscrivant une clause de ce type aura-t-il tout intérêt à soigneusement motiver son licenciement en évitant de renvoyer purement et simplement à la décision du tribunal de commerce.
Relevons, pour conclure, que le non-respect par le cessionnaire d'un engagement de maintien de l'emploi pris dans le cadre du plan de cession peut entraîner la résolution pure et simple du plan de cession. Outre qu'elle permet au cessionnaire de s'en tirer à bon compte, une telle issue est critiquable dans la mesure où elle conduit au retour des contrats de travail au cédant (Cass. soc., 8 juin 1999, n° 97-12.731, M. Giffard c/ Société Gallien et autres, publié N° Lexbase : A0219AUN ; JCP éd. E, 2000, p. 128, obs. P.P.). Cette solution paraît, cependant, devoir être aujourd'hui écartée, compte tenu du fait que la loi du 26 juillet 2005 a fait basculer la cession dans le cadre de la liquidation judiciaire (v. en ce sens, A. Jacquemont, op. cit., § 798 in fine).
Gilles Auzero
Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
Décision
Cass. soc., 16 mai 2007, n° 06-40.496, Société Pebeco, FS-P+B (N° Lexbase : A2615DWR) Cassation (CA Angers, chambre sociale, 13 octobre 2005) Textes visés : C. trav., art. L. 122-40 (N° Lexbase : L5578ACL) ; C. trav., art. L. 122-43 (N° Lexbase : L5581ACP) ; ensemble les articles L. 621-64 (N° Lexbase : L6916AIY) et L. 621-29 (sic) (N° Lexbase : L6881AIP) du Code de commerce dans leur rédaction applicable au moment des faits. Mots-clefs : redressement judiciaire ; plan de cession ; clause de garantie d'emploi ; licenciement économique. Liens bases : ; . |
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