La lettre juridique n°253 du 22 mars 2007 : Contrats et obligations

[Jurisprudence] Les restitutions consécutives à l'annulation du contrat constituent-elles un préjudice réparable ?

Réf. : Cass. civ. 1, 27 février 2007, n° 05-21.677, Mutuelle du Mans assurances (MMA) IARD, F-P+B (N° Lexbase : A4150DUA)

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le 07 Octobre 2010

La question de savoir si les restitutions réciproques auxquelles sont tenues les parties après le prononcé de la nullité d'un contrat peuvent constituer un préjudice indemnisable se pose assez fréquemment en pratique. Un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 27 février 2007, à paraître au Bulletin, d'une grande netteté dans sa solution, permet précisément d'y revenir. En l'espèce, par acte sous seing privé dressé avec le concours d'une société d'avocats, des époux avaient cédé les parts qu'ils détenaient dans une société. Or, l'acquéreur, contestant le bilan de référence, avait, en application de la clause compromissoire prévue à l'acte, saisi la juridiction arbitrale, laquelle, statuant en amiable compositeur, avait annulé la cession. C'est dans ce contexte que les vendeurs ont engagé une action en responsabilité contre la société d'avocats.

La cour d'appel de Rennes a accueilli leur demande et retenu, pour condamner la société d'avocats et son assureur à indemniser les époux au titre de la perte du prix de cession qu'ils ont dû restituer, que l'annulation de la cession et la restitution corrélative du prix avaient pour cause directe la faute de l'avocat.

Cette décision est cassée, sous le visa de l'article 1147 du Code civil (N° Lexbase : L1248ABT), la première chambre civile de la Cour de cassation affirmant, en effet, dans un attendu de principe, "qu'en se déterminant ainsi, alors que les restitutions réciproques consécutives à l'annulation du contrat instrumenté ne constituent pas, en elles-mêmes, un préjudice indemnisable que le rédacteur d'actes peut être tenu de réparer, la cour d'appel a violé le texte susvisé". La solution mérite d'être approuvée.

Sans doute l'avocat est-il, en sa qualité de rédacteur d'actes, tenu d'une obligation d'information et de conseil, dont l'inexécution constitue une faute ouvrant droit à réparation. Les illustrations de cette source de responsabilité sont d'ailleurs tellement nombreuses qu'on ne peut en donner ici que quelques-unes : ainsi a-t-il été jugé qu'il manque à son obligation de conseil s'il ne vérifie pas l'état des inscriptions et la valeur de la garantie stipulée au profil du prêteur (1), s'il n'attire pas l'attention sur l'absence de garantie de remboursement (2), sur les conséquences financières d'un licenciement en raison de l'existence d'une clause de non-concurrence (3) ou sur les incidences fiscales de l'opération projetée (4) ; sa responsabilité est encore engagée s'il omet, dans une reconnaissance de dette, l'indication du taux contractuel des intérêts dans la mention requise par l'article 1326 du Code civil (N° Lexbase : L1437ABT) (5).

D'une manière générale, l'intermédiaire professionnel, négociateur et rédacteur d'un acte, est tenu de s'assurer que se trouvent réunies toutes les conditions nécessaires à l'efficacité juridique de la convention (6). Et la jurisprudence, qui se montre rigoureuse en la matière, décide que les compétences personnelles du client ne dispensent pas le rédacteur d'acte de son devoir de conseil (7). Tout cela est parfaitement entendu. Encore faut-il, pour que la responsabilité puisse être mise en oeuvre, que le demandeur qui invoque la faute du rédacteur d'acte, en l'espèce donc que le vendeur qui invoque la faute de l'avocat, démontre avoir réellement subi un préjudice. Or, à l'évidence, tel n'était pas le cas dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt de la première chambre civile du 27 février dernier.

La nullité consiste, nul ne l'ignore, dans l'anéantissement rétroactif de l'acte en raison d'un vice affectant sa formation. Lorsque la nullité est prononcée, l'acte est ainsi non seulement privé d'effets pour l'avenir, mais ses effets passés, pour peu qu'il y en ait eu, sont eux aussi remis en cause : l'acte nul est censé n'avoir jamais existé. Dans ces conditions, et puisque la nullité postule que les choses soient remises en l'état où elles se trouvaient au moment de la formation de l'acte, on comprend parfaitement que le prononcé de la nullité suppose que les parties procèdent à la restitution des prestations déjà effectuées. Or, comme l'avait déjà affirmé la Cour de cassation, l'obligation de restitution du vendeur après annulation ou, même, résolution du contrat ne constitue pas un préjudice indemnisable (8), ce qui s'explique par le fait que l'obligation de restitution n'est pas, par elle-même, un préjudice, et ce parce que le vendeur récupère, en contrepartie, le bien vendu (9). Au reste, la restitution seulement partielle du prix doit être analysée de la même manière. Elle correspond, en effet, au rééquilibrage d'un contrat dépourvu initialement de contrepartie suffisante, ce qui exclut tout préjudice lié à la restitution. D'ailleurs, dans une espèce dans laquelle un vendeur avait été condamné à une restitution partielle du prix prévue à l'article 1644 du Code civil (N° Lexbase : L1747ABC), la Cour de cassation avait énoncé que cette restitution "ne constitue pas en elle-même un préjudice indemnisable" (10). C'est encore la même logique qui permet d'expliquer que la jurisprudence ait pu considérer, se référant à la garantie d'éviction de l'article 1638 du Code civil (N° Lexbase : L1740AB3), que "l'exécution de cette garantie, conséquence de l'engagement librement souscrit par les parties au contrat, ne saurait constituer un préjudice que le notaire instrumentaire pourrait être tenu d'indemniser" (11). En effet, comme on l'a justement fait remarquer, "l'indemnité" à laquelle fait référence l'article 1638 s'analyse moins en une réparation qu'en une restitution de la partie du prix payé en trop : la prétendue "indemnité" correspond, en réalité, à la réduction du prix objet de l'action estimatoire dans la garantie des vices cachés (12).

Il reste que la portée de la position de la Cour de cassation doit être bien comprise. S'il est exact que les restitutions consécutives à l'annulation d'un contrat ne constituent pas un préjudice réparable, la Haute juridiction entend tout de même bien délimiter la portée de la solution en prenant soin de préciser que ce sont les restitutions réciproques consécutives à l'annulation considérées "en elles-mêmes" qui ne constituent pas un préjudice réparable. Il faut, en effet, comprendre que certaines circonstances autres que la restitution en tant que telle pourraient justifier une réparation, à supposer bien entendu qu'une faute puisse être imputée au cocontractant ou à un tiers, comme par exemple les frais que le vendeur aurait dû exposer, les revenus ou profits d'exploitation manqués ou encore la condamnation du vendeur à réparer un préjudice de l'acquéreur consécutif à la vente (13).

David Bakouche
Professeur agrégé des Facultés de droit


(1) Cass. civ. 1, 5 février 1991, n° 89-13.528, Mutuelles du Mans IARD c/ Mme veuve Delecroix et autres (N° Lexbase : A4419AH7), Bull. civ. I, n° 46.
(2) Cass. civ. 1, 14 janvier 1997, n° 94-16.769, M. Nugues c/ M. X et autre (N° Lexbase : A9933ABI), D. Aff. 1997, 309.
(3) Cass. civ. 1, 13 mars 1996, n° 93-20.578, Société Michel Niarquin c/ La Mutuelle du Mans et autre (N° Lexbase : A9463AB4), Bull. civ. I, n° 132.
(4) Cass. civ. 1, 9 novembre 2004, n° 02-12.415, M. Michel Donsimoni c/ Société d'expertise comptable BPERC, F-P+B (N° Lexbase : A8415DDZ), Bull. civ. I, n° 256.
(5) Cass. civ. 1, 24 juin 1997, n° 95-11.380, M. Menard c/ M. X et autre (N° Lexbase : A6535AHI), Bull. civ. I, n° 210.
(6) Cass. civ. 1, 17 janvier 1995, n° 92-21.193, Société Jourdain c/ Mme Niwinsky (N° Lexbase : A7949AGI), Bull. civ. I, n° 29.
(7) Cass. civ. 1, 7 juillet 1998, n° 96-14.192, Epoux Lichet c/ Cabinet X (N° Lexbase : A4535AG3), Bull. civ. I, n° 238.
(8) Voir not., en ce sens, Cass. civ. 1, 13 octobre 1999, n° 97-12.516, M. Marian Sluszarek c/ Société Hemera, société à responsabilité limitée (N° Lexbase : A7214CSY), RTDCiv. 2000, p. 124, obs. P. Jourdain.
(9) Comp., pour la demande de remboursement des améliorations apportées au fonds par le bénéficiaire d'un droit d'usage et d'habitation à la suite de l'annulation de la convention instituant ce droit, Cass. civ. 1, 10 mai 2005, n° 03-12.496, Me Jacques Roberge c/ M. Henri-François Vincent, FS-P+B (N° Lexbase : A2249DI7), Bull. civ. I, n° 203, JCP éd. G, 2006, I, 111, n° 1, obs. Ph. Stoffel-Munck.
(10) Cass. civ. 1, 16 janvier 2001, n° 98-15.048, M. Bernard Jourdan (N° Lexbase : A3192ARN), Bull. civ. I, n° 4, Rép. Defrénois 2001, p. 722, obs. J.-L. Aubert.
(11) Cass. civ. 1, 23 septembre 2003, n° 99-21.174, Société civile professionnelle (SCP) Christian Louf c/ M. Jean-Pierre Bourreau, FS-P (N° Lexbase : A6387C9G), Bull. civ. I, n° 189, RTDCiv. 2004, p. 99, obs. P. Jourdain.
(12) P. Jourdain, obs. préc.
(13) Sur la question, voir not. Guelfucci-Thibierge, Nullité, restitutions et responsabilité, LGDJ, 1992

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