La lettre juridique n°650 du 7 avril 2016 : Avocats

[Jurisprudence] Nouveau Code des marchés publics : l'assouplissement des obligations des acheteurs à propos d'une grande partie des services juridiques

Réf. : CE 2° et 7° s-s-r., 9 mars 2016, n° 393589, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5450QYI)

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par Vincent Corneloup, Docteur en droit, Avocat associé, spécialiste en droit public, DSC Avocats

le 07 Avril 2016

La Directive européenne 2014/24/UE du 26 février 2014, sur la passation des marchés publics (N° Lexbase : L8592IZA) exclut de son champ d'application les prestations juridiques liées, de près ou de loin, à l'activité de représentation, notamment contentieuse. Il est toutefois parfaitement possible aux Etats membres d'être plus restrictifs et de continuer d'imposer la soumission de toutes les activités juridiques à une réglementation nationale des marchés publics. C'est l'optique qu'a retenu le Gouvernement français dans le cadre de l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics (N° Lexbase : L9077KBS) et validée par le Conseil d'Etat dans un arrêt du 9 mars 2016. Mais le Gouvernement n'a finalement pas maintenu le régime de publicité et de mise en concurrence qui prévalait sous l'égide du code de 2006, applicable jusqu'au 31 mars 2016, et qui imposait les mêmes obligations pour tous les types de services juridiques. Ainsi, le décret n° 2016-360 du 25 mars 2016, relatif aux marchés publics (N° Lexbase : L3006K7H), ne prévoit que des obligations minimales de publicité et de mise en concurrence pour les services juridiques de représentation par un avocat.

La soumission des services juridiques au Code des marchés publics a ainsi fait l'objet d'une valse-hésitation (I) qui trouve un terme, au moins momentané, dans le nouveau code, à travers une fine distinction (II) entre les services juridiques liés à l'activité de représentation et les services juridiques de consultation stricto sensu.

I - La soumission des services juridiques au Code des marchés publics : histoire d'une valse-hésitation

Sans doute symbole de la difficulté de concilier l'intuitu personae qui s'attache à de nombreuses prestations fournies par les avocats, c'est une valse-hésitation qui, de code en code, a soumis plus ou moins les services juridiques à la réglementation des marchés publics depuis environ deux décennies (A). C'est la même valse-hésitation, poussée à son paroxysme, à laquelle l'on a assisté lors de l'élaboration du nouveau Code des marchés publics, dans le cadre de la transposition de la Directive du 26 février 2014 (B).

A - Au fil des Codes des marchés publics depuis 1998

C'est la Directive 92/50/CEE du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services (N° Lexbase : L7532AUI), qui a prévu, pour la première fois, la mise en concurrence des prestations juridiques. Pour transposer cette disposition de la Directive, le code issu du décret n° 98-111, du 27 février 1998, modifiant le Code des marchés publics, en ce qui concerne les règles de mise en concurrence et de publicité des marchés de services (N° Lexbase : L3814HPX) assujettissait donc les marchés de "services juridiques" au régime des marchés négociés après mise en concurrence préalable.

Cette première soumission des prestations juridiques au Code des marchés publics allait toutefois être de courte durée puisque le Conseil d'Etat, dans un arrêt d'Assemblée du 9 avril 1999 (CE, 9 avril 1999, n° 196177 N° Lexbase : A3909AX3) jugeait cette disposition illégale mais uniquement faute pour le gouvernement d'avoir édicter les prescriptions nécessaires pour que les marchés relatifs à une représentation en justice soient conclus et exécutés dans des conditions respectant les principes essentiels de la profession d'avocat. L'intérêt de cet arrêt n'est toutefois pas dans cette censure mais dans l'affirmation qu'aucun principe "ne fait obstacle à ce que les contrats conclus entre un avocat et une collectivité publique pour la représentation en justice de celle-ci doivent être précédés d'une procédure de mise en concurrence préalable".

Dès lors, le Gouvernement français pouvait prévoir, dans le décret n° 2001-210 du 7 mars 2001, portant Code des marchés publics (N° Lexbase : L7289ARE), que tous les services juridiques devaient être mis en concurrence mais, conformément à la Directive de 1992, uniquement par le biais d'une définition des prestations par référence à des normes ainsi qu'à l'envoi d'un avis d'attribution. Dans son arrêt d'Assemblée du 5 mars 2003 (CE 7 s-s., 3 septembre 2008, n° 290398 N° Lexbase : A0992EAY), le Conseil d'Etat jugeait ces nouvelles dispositions parfaitement légales.

Dans le Code des marchés publics, issu du décret n° 2006-975 du 1er août 2006 (N° Lexbase : L4612HKZ), qui, plusieurs fois modifiés, aura tout de même perduré jusqu'au 31 mars 2016, les prestations juridiques allaient être réunifiés sous le régime unique de la procédure adaptée, qu'il s'agisse ou non d'activités contentieuses, ces dernières ne se distinguant plus que par l'absence de transmission au préfet (à propos des services juridiques, le Code de 2006 reprenait en grande partie les dispositions du décret n° 2005-1008 du 24 août 2015, transposant la Directive 2004/18/CE du 31 mars 2004, venu modifier le code de 2004 qui initialement reproduisait les dispositions de celui de 2001).

B - Dans le cadre de la transposition de la Directive du 26 février 2014

La Directive 2014/24/UE du 26 février 2014, sur la passation des marchés publics (N° Lexbase : L8592IZA), est revenue sur les disposions de celles de 2004 à propos des services juridiques et a prévu, à son article 10, qu'elle ne s'applique pas aux marchés de services ayant pour objet, soit la représentation d'un client par un avocat dans le cadre d'un arbitrage, d'une consultation ou d'une procédure devant une juridiction ou une autorité publique, soit le conseil juridique fourni par un avocat en vue de la préparation d'une telle procédure ou "lorsqu'il existe des signes tangibles et de fortes probabilités que la question sur laquelle porte le conseil fera l'objet d'une procédure". L'activité de représentation, au sens le plus large, est ainsi exclue des marchés publics par la Directive.

Mais le Gouvernement français n'a pas entendu suivre la Directive sur ce point et a souhaité maintenir l'obligation d'une mise en concurrence pour l'ensemble des services juridiques. C'est ainsi que, par l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 (N° Lexbase : L9077KBS), il s'est abstenu d'exclure les prestations de représentation telles que définies par la Directive. Cette ordonnance a alors fait l'objet d'un recours devant le Conseil d'Etat de la part notamment du Conseil national des barreaux.

Le Conseil d'Etat, dans son arrêt du 9 mars 2016, a rejeté cette requête en jugeant que "si les Etats membres ne peuvent, dans le cadre de la transposition de cette Directive, instituer des obligations de publicité et de mise en concurrence moins contraignante que celles qu'elle prévoit, hors les cas où elle ouvrirait elle-même une telle faculté, il leur est possible de décider de soumettre aux dispositions prises pour sa transposition des marchés qu'elle exclut de son champ d'application ou de prévoir, pour des marchés qui entrent dans son champ d'application, des règles plus contraignantes que celles qu'elle définit, dès lors que la soumission à ces règles est compatibles avec le respect du droit de l'Union européenne".

Cette solution n'est en rien une surprise : en matière de transposition, il est parfaitement possible d'aller au-delà des exigences des Directives, à condition de ne pas violer le droit de l'Union européenne (TPIUE, 14 mai 2014, aff. T-198/12 N° Lexbase : A1093ML3). Or, en l'espèce, comme le note le Conseil d'Etat, aucune règle ou principe ne s'oppose à la mise en concurrence des prestations de représentation d'un client par un avocat. En elle-même, une telle mesure n'est pas non plus discriminatoire puisque tous les avocats, de tous les Etats membres, sont alors soumis au même régime pour les prestations à effectuer dans un seul et même pays.

Mais nonobstant cette décision du Conseil d'Etat qui lui permettait de maintenir strictement sa position et de reconduire les obligations de publicité et de mise en concurrence qui prévalaient sous l'égide du code de 2006, par l'article 29 du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016, relatif aux marchés publics, le Gouvernement a finalement décidé, à propos des services juridiques liées à la représentation, de n'imposer aux acheteurs publics que de définir "librement les modalités de publicité et de mise en concurrence en fonction du montant et des caractéristiques du marché public".

Cette disposition réglementaire ne contrevient en rien à l'ordonnance du 23 juillet 2015 qui se contentait de ne pas exclure ce type de marchés du champ d'application du code, permet de se rapprocher de la ligne de la Directive transposée (tout en demeurant plus contraignant) et de faire droit aux revendications des organisations professionnelles des avocats.

Il convient maintenant d'examiner la distinction opérée par le nouveau Code des marchés publics au sein des services juridiques.

II - Les services juridiques dans le nouveau Code des marchés publics. Analyse d'une fine distinction

L'article 29 du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 prévoit précisément que :

"I. - à l'exception des articles 2, 4, 5, 12, 20 à 23, 30, 48 à 55, 60, 107, 108 et du titre IV de la présente partie, les dispositions du présent décret ne s'appliquent pas aux marchés publics de services juridiques suivants :

1° les services juridiques de représentation légale d'un client par un avocat dans le cadre d'une procédure juridictionnelle, devant les autorités publiques ou les institutions internationales ou dans le cadre d'un mode alternatif de règlement des conflits ;

2° les services de consultation juridique fournis par un avocat en vue de la préparation de toute procédure visée à l'alinéa précédent ou lorsqu'il existe des signes tangibles et de fortes probabilités que la question sur laquelle porte la consultation fera l'objet d'une telle procédure.

L'acheteur définit librement les modalités de publicité et de mise en concurrence en fonction du montant et des caractéristiques du marché public".

Toutes les activités en lien avec les services juridiques de représentation sont désormais exclues du "régime général" du Code des marchés publics (A). Le régime applicable à ce type de services est désormais assez léger (B).

A - L'exclusion de toutes les activités en lien avec l'activité de représentation du "régime général" du Code des marchés publics

L'exclusion ne concerne, tout d'abord, que les services réalisés par un avocat, aucun autre professionnel, du droit ou non, ne pouvant s'en prévaloir.

Ensuite, tous les services juridiques de représentation par un avocat sont exclus. Cette exclusion ne se limite pas au contentieux. En effet, le décret prévoit que la représentation concernée par l'exclusion peut être faite devant une juridiction, devant une autorité publique (autre qu'une juridiction donc) ou encore devant une institution internationale (qui peut être une juridiction et une autorité publique). La rédaction de la Directive est, à ce sujet, plus claire et complète puisque qu'elle vise les procédures "devant les juridictions ou les autorités publiques d'un Etat membre ou d'un pays tiers ou devant les juridictions ou institutions internationales". L'on notera ainsi que la représentation devant les juridictions ou les autorités publiques d'un autre Etat (membre ou non de l'Union européenne) paraît ne pas être exclue par le décret alors qu'elle l'est par la Directive.

Par ailleurs, que faut-il entendre par une autorité publique autre qu'une juridiction ? Un conseil de discipline ou un comité médical sont-ils des autorités publiques ? Une représentation d'une collectivité territoriale en dehors de tout contentieux devant l'autorité préfectorale ou devant un commissaire-enquêteur est-elle concernée par l'exclusion ? L'on serait tenté de répondre de façon positive compte-tenu du caractère général de la rédaction de l'article 29 du décret mais, nécessairement, certaines hypothèses devront être examinées par le juge administratif.

Les services juridiques de représentation par un avocat dans le cadre d'un mode alternatif de règlement des conflits sont également exclus. Là encore, la rédaction de la Directive est différente puisqu'elle vise plus précisément les activités menées dans le cadre d'un "arbitrage ou d'une conciliation". La rédaction plus générale du décret à ce sujet conduit toutefois à penser que ce sont bien tous les modes alternatifs de règlement des conflits, tels que définis dans la circulaire 6 avril 2011, relative au développement du recours à la transaction pour régler amiablement les conflits (N° Lexbase : L9314IPN), à savoir l'arbitrage, la conciliation mais aussi la médiation qui sont concernés, la différence entre la conciliation et la médiation étant plus une question de degré que de nature.

Enfin, les services de consultation juridique fournis par un avocat sont également exclus lorsqu'ils sont réalisés "en vue de la préparation de toute procédure visée à l'alinéa précédent". C'est-à-dire qu'une consultation relative à la meilleure stratégie contentieuse à arrêter est nécessairement exclue. Dans la mesure où les procédures visées sont également celles menées devant les autorités publiques non juridictionnelles, l'on peut supposer qu'une consultation réalisée pour déterminer le mode opératoire à retenir devant un organisme consultatif de type conseil de discipline est également exclue. Mais en va-t-il de même pour une consultation relative à la manière d'éviter tout contentieux ? Rien n'est moins certain puisque l'une des finalités de tout conseil juridique n'est-elle pas d'éviter un contentieux ? Assurément, il ne s'agit alors pas d'une consultation menée "en vue de la préparation de toute procédure". Le décret, reprenant sur ce point strictement la rédaction de la Directive, étend toutefois l'exclusion aux situations dans lesquelles il "existe des signes tangibles et de fortes probabilités que la question sur laquelle porte la consultation fera l'objet d'une telle procédure". L'on peine à comprendre les hypothèses envisagées et surtout la mise en oeuvre de cette exclusion. En effet, n'est-ce pas uniquement lorsque la consultation est terminée que l'on peut déterminer s'il "existe des signes tangibles et de fortes probabilités" d'une procédure ? Ainsi, une consultation réalisée pour éviter tout contentieux ne sera pas, par principe, exclue... sauf si sa conclusion est qu'il semble bien difficile de ne pas s'exposer à une procédure. Mais il sera alors trop tard pour mettre en oeuvre l'exclusion ! Les éclairages du juge administratif sur cette obscure disposition seront les bienvenus.

B - Le régime spécifique aux activités liées aux services juridiques de représentation

Alors que sous l'égide du Code des marchés publics de 2006, les activités juridiques, prises dans leur ensemble, étaient soumises aux règles régissant les procédures adaptées, à compter du 1er avril 2016, les activités liées aux services juridiques de représentation ne sont plus soumises qu'à un régime allégé puisque les acheteurs doivent à leur propos définir "librement les modalités de publicité et de mise en concurrence en fonction du montant et des caractéristiques du marché public" et ne tenir compte que des articles suivants :

- décret n° 2016-360, art. 2 : détermination des règles applicables à certains organismes (la Banque de France ou la Caisse de dépôts par exemple) ;

- décret n° 2016-360, art. 4 : possibilité d'effectuer des consultations ou de réaliser des études de marché, de solliciter des avis ou d'informer les opérateurs économiques du projet et de ses exigences ;

- décret n° 2016-360, art. 5 : mise en place des mesures appropriées pour que la concurrence ne soit pas faussée par la participation à la procédure d'un opérateur économique qui aurait eu accès, en raison de sa participation à la préparation de cette procédure, à des informations ignorées des autres opérateurs ;

- décret n° 2016-360, art. 12 : respect des règles spécifiques à l'allotissement ;

- décret n° 2016-360, art. 20 à 23 : détermination de la valeur estimée du besoin ;

- décret n° 2016-360, art. 30 : réglementation des marchés publics négociés sans publicité ni mise en concurrence préalables ;

- décret n° 2016-360, art. 48 à 55 : présentation des candidatures, détermination des documents justificatifs et vérification des conditions de participation à la procédure ;

- décret n° 2016-360, art. 60 : réglementation des offres anormalement basses ;

- décret n° 2016-360, art. 107 : organisation d'un accès libre, direct et complet aux données essentielles de chaque marché conclu ;

- décret n° 2016-360, art. 108 : garde des pièces contractuelles et de celles relatives à la passation pendant 5 ans ;

- décret n° 2016-360, art. 109 à 142 (titre IV de la première partie du code) : exécution des marchés publics.

Ce qui signifie que pour les services juridiques de représentation, l'ensemble des règles de passation autres que celles mentionnées ci-dessus ne s'applique pas, notamment le chapitre IV fixant les règles générales (par exemple celles relatives à la mise à disposition du dossier de consultation, aux délais de remise des offres, aux variantes, aux critères de sélection, etc.) et le chapitre VIII fixant les règles relatives à l'achèvement du marché.

Par rapport au code de 2006 qui soumettait tous les services juridiques à l'ensemble des règles qu'il contenait en dehors de celles propres aux procédures formalisées, l'assouplissement n'est pas négligeable même si la France reste plus exigeante que la Directive du 26 février 2014. Désormais, les acheteurs publics seront libres de fixer les règles de publicité et de mise en concurrence qu'ils souhaitent pour ces services juridiques liés à une activité de représentation, à condition de tenir compte du montant et des caractéristiques du marché.

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