Jurisprudence : Cass. soc., Conclusions, 02-10-2024, n° 23-12.702

Cass. soc., Conclusions, 02-10-2024, n° 23-12.702

A98656BY

Identifiant européen : ECLI:FR:CCASS:2024:SO00961

Identifiant Legifrance : JURITEXT000050316318

Référence

Cass. soc., Conclusions, 02-10-2024, n° 23-12.702. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/112300725-cass-soc-conclusions-02102024-n-2312702
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Abstract

Le salarié ne peut prétendre au paiement d'une indemnité pour un préavis qu'il est dans l'impossibilité d'exécuter. Viole, par fausse interprétation, l'article 69 de la convention commune La Poste France Télécom, la décision qui alloue au salarié une indemnité de préavis alors que cet article ne prévoit pas le versement d'une telle indemnité dans le cas de la rupture du contrat de travail en raison de l'inaptitude du salarié consécutive à une maladie ou un accident non professionnel

AVIS DE Mme ROQUES, AVOCATE GÉNÉRALE RÉFÉRENDAIRE

Arrêt n° 961 du 2 octobre 2024 (B) – Chambre sociale Pourvoi n° 23-12.702⚖️ Décision attaquée : Conseil des prud'hommes de Nevers du 27 décembre 2022 La SA La Poste C/ Mme [N] [R] _________________

1. Faits et procédure Mme [N] [R] (la salariée) a été embauchée par la société La Poste (l'employeur) le 29 janvier 2011, dans le cadre d'un contrat à durée indéterminé. Du 28 décembre 2017 au 31 octobre 2020, elle a été placée en congé maladie. Elle a, ensuite, été placée en invalidité de 2e catégorie. Le 7 janvier 2021, elle a subi une visite médicale de reprise au terme de laquelle le médecin du travail l'a déclarée inapte à son poste en précisant que son état de santé faisait obstacle à tout reclassement dans un emploi. Elle a été licenciée pour inaptitude avec impossibilité de reclassement le 8 mars 2021. Par requête en date du 23 mars 2022, elle a saisi le conseil des prud'hommes de Nevers aux fins, notamment, de condamnation de son employeur à lui verser une

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somme au titre de l'indemnité de préavis, prévue par la convention collective applicable, ainsi qu'à lui remettre un bulletin de salaire rectifié. Par jugement contradictoire et en dernier ressort du 27 décembre 2022, le conseil des prud'hommes a fait droit aux demandes de la salariée à ces titres. C'est la décision attaquée par l'employeur. Il soutient que les juges du fond ont violé l'article 69 de la convention collective applicable en considérant qu'outre un délai spécifique de préavis, ce texte prévoyait un droit à indemnité compensatrice, lorsque le premier n'est pas exécuté. Il considère également que les premiers juges ont méconnu les dispositions de l'article L. 2251-1 du code du travail🏛 et de l'article 69 précité en estimant que ce dernier contenait des dispositions plus favorables au code du travail🏛 en prévoyant l'indemnisation d'un préavis pour les salariés licenciés pour inaptitude d'origine non professionnelle avec impossibilité de reclassement. En réplique, la salariée soutient que ces arguments sont irrecevables car contraires aux arguments présentés par l'employeur devant les juges du fond. Elle ajoute qu'en tout état de cause, ils ne sont pas pertinents puisque l'interprétation de la convention collective par les juges du fond n'est pas critiquable.

2. Discussion et avis sur la recevabilité des moyens présentés hauteur de cassation La salariée soutient que les arguments présentés par l'employeur sont contraires à la thèse développée par lui devant les juges du fond. Selon elle, ce dernier n'a jamais soutenu que l'article 69 de la convention collective applicable ne contenait aucune disposition relative à l'indemnité compensatrice de préavis et à ses modalités de paiement. Elle ajoute qu'il indiquait, au contraire, que cet article précise « les conditions de versement de l'indemnité compensatrice de préavis en reprenant les dispositions de l'article L. 1234-5 du code du travail🏛, c'est-à-dire en excluant le cas de faute grave ou de force majeure du bénéfice de cette indemnité de préavis en cas de licenciement pour motif personnel. » Dans plusieurs arrêts, la Cour de cassation a énoncé qu'une partie est irrecevable à présenté à hauteur de cassation un moyen contraire à ses prétentions ou à ses écritures devant les juges du fond1. Toutefois, dans les espèces en question, les demandeurs au pourvoi présentaient soit des moyens contraires aux demandes qu'ils avaient formées devant les juges du fond 2, soit des moyens incompatibles avec la thèse développée devant la cour d'appel3. 1

Voir en ce sens Soc., 23 juin 1988, pourvoi n° 85-44.158⚖️, Bulletin 1988 V N° 383, Com., 13 janvier 1987, pourvoi n° 85-13.997⚖️, Bulletin 1987 IV N° 15 ou 2e Civ., 14 mars 1990, pourvoi n° 89-10.505⚖️, Bulletin 1990 II N° 60

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Dans notre espèce, l'employeur soutenait devant les premiers juges que l'article 69 de la convention collective applicable ne trouvait pas à s'appliquer car : - les dispositions de l'article L. 1226-4 du code du travail🏛, relatives au licenciement pour inaptitude d'origine non professionnelle avec impossibilité de reclassement, ne prévoient pas le paiement d'une indemnité compensatrice de préavis, - le texte conventionnel ne déroge pas à ces dispositions. Selon lui, l'article 69 ne fait que renvoyer aux prévisions de l'article L. 1234-5 du code du travail4. A hauteur de cassation, il soutient que cet article ne s'applique pas car il ne prévoit pas l'indemnisation du préavis non effectué (premier argument), il ne peut s'analyser en une norme plus favorable que la loi qui exclut toute indemnisation du préavis non fait par le salarié licencié pour inaptitude d'origine non professionnelle avec impossibilité de reclassement (second argument). Il me semble donc que, même si la thèse soutenue n'est pas tout à fait identique à celle présentée devant les premiers juges, elle n'est pas non plus totalement contradictoire. En effet, il est toujours soutenu que l'article 69 en question ne déroge pas aux dispositions du code du travail et ne s'applique donc pas aux licenciements pour inaptitude d'origine non professionnelle et impossibilité de reclassement. C'est pourquoi, je considère que les arguments soutenus devant les juges du fond et à hauteur de cassation ne sont pas incompatibles et que les seconds doivent être déclarés recevables. sur l'interprétation France Telecom

donner

l'article 69 de la convention commune La Poste -

L'article L. 1226-4 précité dispose que : « Lorsque, à l'issue d'un délai d'un mois à compter de la date de l'examen médical de reprise du travail, le salarié déclaré inapte n'est pas reclassé dans l'entreprise ou s'il n'est pas licencié, l'employeur lui verse, dès l'expiration de ce délai, le salaire correspondant à l'emploi que celui-ci occupait avant la suspension de son contrat de travail. Ces dispositions s'appliquent également en cas d'inaptitude à tout emploi dans l'entreprise constatée par le médecin du travail. 2

Comme par exemples, un employeur qui reprochait aux juges du fond de n'avoir pas condamné le salarié à lui rembourser diverses sommes trop-perçues alors qu'il avait uniquement demandé que s'opère une compensation entre les sommes à la charge du salarié et celles qu'il lui devait (arrêt de la chambre du 23 juin 1988) ou un exépoux qui reproche au jugement de divorce d'avoir confirmé les mesures concernant l'enfant commun sans statuer sur l'autorité parentale, alors que lui-même avait sollicité cette confirmation devant les juges du fond (arrêt de la 2e chambre civile du 14 mars 1990) 3

Cas de demandeurs au pourvoi qui reprochent aux juges du fond d'avoir admis, comme mode de preuve de la propriété d'un bien, des « présomptions de fait » alors que ce point n'était pas contesté devant les juges du fond et qu'il était simplement soutenu que ces présomptions n'étaient pas graves, précises et concordantes (arrêt de la chambre commerciale du 13 janvier 1987) 4

Qui excluent tout paiement d'une indemnité compensatrice de préavis en cas de licenciement pour faute grave

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En cas de licenciement, le préavis n'est pas exécuté et le contrat de travail est rompu à la date de notification du licenciement. Le préavis est néanmoins pris en compte pour le calcul de l'indemnité mentionnée à l'article L. 1234-9. Par dérogation à l'article L. 1234-5, l'inexécution du préavis ne donne pas lieu au versement d'une indemnité compensatrice. » Ainsi, pour des raisons bien comprises tenant à l'impossibilité physique du salarié à exécuter un préavis, ce texte prévoit que le contrat de travail est rompu dès la notification du licenciement au salarié et qu'il n'a, de ce fait, pas droit à l'indemnité compensatrice de préavis. En revanche, celui-ci doit être pris en compte lors du calcul de l'indemnité légale de licenciement, notamment pour déterminer l'ancienneté du salarié. Dans notre espèce, la salariée se prévaut de l'article 69 de la convention commune La Poste-France Télécom applicable aux agents contractuels de droit privé, intitulé «PREAVIS DE LICENCIEMENT OU DE DEMISSION », qui prévoit ce qui suit : - « Après la période d'essai, le délai du préavis réciproque en cas de démission ou de licenciement pour un motif autre que la faute grave ou la force majeure est fixé [selon des modalités précisées dans un tableau]. A la demande de l'agent contractuel, l'exploitant peut dispenser celui-ci d'effectuer tout ou partie du préavis. Pendant la durée du préavis, l'agent contractuel a droit à deux heures d'absence par jour, cumulables, pour chercher un autre emploi. Ces heures sont rémunérées. » Les parties s'opposent sur le sens à donner à ce texte. Les juges du fond ont, tout comme la salariée, estimé que ces dispositions dérogeaient au code du travail et instauraient le droit pour tout salarié, dont le licenciement ne repose ni sur une faute grave, ni sur un cas de force majeure, à un délai de préavis avant la rupture du son contrat de travail et donc à une indemnité compensatrice, en cas de non-exécution de celui-ci. L'employeur soutient que ce texte n'a pas vocation à déroger aux dispositions de l'article L. 1226-4 du code du travail. Il ajoute qu'en tout état de cause, il ne prévoit aucune modalité de règlement de cette indemnité compensatrice. Se pose donc la question de savoir si l'article 69 précité doit s'analyser comme une dérogation aux dispositions de l'article L. 1226-4 du code du travail, en ce qu'il ouvrirait droit à une indemnité compensatrice de préavis aux salariés licenciés pour inaptitude d'origine non professionnelle et impossibilité de reclassement ? Il a été expressément rappelé, dans un arrêt du 25 mars 2020 5, qu'« une convention collective, si elle manque de clarté, doit être interprétée comme la loi, c'est à dire d'abord en respectant la lettre du texte, ensuite en tenant compte d'un éventuel texte législatif ayant le même objet et, en dernier recours, en utilisant la méthode téléologique consistant à rechercher l'objectif social du texte.» 5

Soc., 25 mars 2020, pourvoi n° 18-12.467⚖️

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Dans sa note explicative relative à l'arrêt d'Assemblée plénière du 23 octobre 2015, pourvoi n° 13-25.279⚖️, la Cour de cassation avait précisé que l'interprétation d'un accord collectif « ne doit pas avoir pour effet d'en modifier la portée, ni de lui conférer une utilité en remplacement de celle qu'elle présentait lors de sa conclusion et qu'elle a pu perdre par suite de l'évolution législative et jurisprudentielle ». La chambre exerce un contrôle lourd de l'interprétation faite par les juges du fond soit en l'approuvant, soit « après avoir substitué sa propre interprétation à celle erronée des juges du fond, [en] censurant leur décision au visa de la disposition conventionnelle dont le sens a été violé »6.

Comme le relève M. Leperchey dans son rapport, elle a déjà eu à trancher une question identique dans des espèces mettant en œuvre d'autres conventions collectives. Sans prétendre à une analyse exhaustive, il me semble que l'on peut déduire de sa jurisprudence que : - elle admet d'une convention collective puisse prévoir le paiement d'une indemnité compensatrice de préavis à un salarié licencié pour inaptitude d'origine nonprofessionnelle avec impossibilité de reclassement7, au nom du principe de faveur, - mais elle exige que les dispositions de la convention collective soient explicites sur ce point, c'est-à-dire qu'elles prévoient le paiement de cette indemnité dans le cas de figure qui nous intéresse et non qu'elles se bornent « à réglementer la durée du préavis en cas de rupture du fait de l'employeur »8. A mon sens, le texte qui vous est soumis ne prévoit ni dans son principe, ni dans ses modalités le paiement de cette indemnité, y compris pour les salariés licenciés pour des raisons qui ne sont pas liées à leur état de santé. En outre, si le cas du licenciement pour inaptitude d'origine non-professionnelle avait été envisagé par les auteurs du texte, il me semble qu'auraient nécessairement été incluses des dispositions dérogatoires à celles qui prévoient, par principe, l'exécution du préavis, sauf demande de dispense acceptée par l'employeur, ainsi que la possibilité offerte au salarié exécutant son préavis de s'absenter quelques heures par jour pour rechercher un autre emploi, qui sont difficilement compatibles avec la situation d'un salarié déclaré définitivement inapte à son poste et dont le reclassement est exclu par le médecin du travail.

C'est pourquoi, je considère que la seule mention « pour un motif autre que la faute grave ou la force majeure » n'est pas suffisante pour considérer que l'article 69 de la convention collective en question déroge aux dispositions de l'article L. 1226-4 précité

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Cf. Chronique de M. J-Y Frouin intitulée « L'interprétation des conventions et accords collectifs de travail » publiée à la RJS du mois de mars 1996. 7

Voir par exemple Soc., 23 novembre 1994, pourvoi n° 91-41.888⚖️, Bulletin 1994 V N° 305, Soc., 21 juin 1995, pourvoi n° 92-43.347⚖️, Bulletin 1995 V N° 203 ou Soc., 9 octobre 2001, pourvoi n° 98-45.791⚖️, Bull. 2001, V, n° 310 8

Soc., 9 octobre 1996, pourvoi n° 93-43.587⚖️ ou Soc., 18 juin 1997, pourvoi n° 94-42.325⚖️, Bulletin 1997, V, n° 230

5

et accorde une indemnité compensatrice de préavis aux salariés licenciés pour inaptitude d'origine non professionnelle et impossibilité de reclassement. Pour toutes ces raisons, et puisqu'il n'est pas fait mention d'autres prévisions de cette convention qui viendraient préciser ou amender cet article 69, je considère que les juges du fond en ont fait une interprétation inexacte.

Je suis donc d'avis de casser la décision.

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