Jurisprudence : CA Paris, 6, 7, 15-06-2023, n° 22/06511, Infirmation partielle


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 7


ARRET DU 15 JUIN 2023


(n° 344 , 10 pages)


Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/06511 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGBGH


Décision déférée à la Cour : Arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation en date du 25 mai 2022 - pourvoi n° P 20-19.596 ayant cassé partiellement en ses dispositions l'arrêt de la chambre sociale pôle 6, chambre 3 de la Cour d'appel de Paris en date du 30 juin 2020 - RG 18/12710 sur appel du jugement rendu par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY en date du 26 Septembre 201 - RG n° 17/00273.



DEMANDEUR SUR SAISINE APRÈS CASSATION

MonsieurAa[D] [N]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représenté par Me Olivier GADY, avocat au barreau de PARIS, toque : C1531


DÉFENDRESSE SUR SAISINE APRÈS CASSATION

Société ATELIER INTERIOR

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Audrey SCHWAB, avocat au barreau de PARIS, toque : L0056



COMPOSITION DE LA COUR :


En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile🏛🏛, l'affaire a été débattue le 30 Mars 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Guillemette MEUNIER, présidente de chambre, chargée du rapport et Monsieur Laurent ROULAUD, conseiller.


Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :


Madame Bérénice HUMBOURG, présidente de chambre

Madame Guillemette MEUNIER, présidente de chambre Monsieur Laurent ROULAUD, conseiller


Greffier, lors des débats : Madame Marie-Charlotte BEHR.


ARRET :

- CONTRADICTOIRE,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile🏛.

- signé par Madame Guillemette MEUNIER, présidente de chambre, Présidente de chambre et par Madame Marie-Charlotte BEHR, Greffière à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.



FAITS, PROC''DURE ET PR''TENTIONS DES PARTIES


La société Atelier Interior, qui emploie plus de onze salariés, a pour activité la conception, la fabrication et l'installation de cloisons amovibles pour des espaces professionnels.


M. [Aa] a été embauché par la société Atelier Interior par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 5 août 2013, en qualité de directeur de la programmation (statut Cadre b, coefficient 95).


Est applicable à la relation contractuelle la convention collective des cadres du bâtiment de la région parisienne.


Par courrier en date du 25 novembre 2014, la société Atelier Interior l'a convoqué à un entretien préalable au licenciement avec une mise à pied à titre conservatoire. L'entretien s'est tenu le 4 décembre 2014, en présence d'un conseiller de salarié.


Par courrier en date du 10 décembre 2014, M. [Aa] a été licencié pour insuffisance professionnelle.


Contestant le bien-fondé de son licenciement, il a saisi le Conseil de prud'hommes de Bobignyle 26 janvier 2015, lequel a par jugement contradictoire du 28 septembre 2018:

- dit que le licenciement de M. [D] [Aa] est dénué de cause réelle et sérieuse;

-a condamné la société SA Atelier Interior à lui payer les sommes suivantes:

10 000 euros de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat;

5000 euros au titre de la prime d'objectif de l'année 2014;

500 euros au titre des congés payés afférents;

1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile🏛;

-fixé la moyenne des salaires à 3 623,86 euros;

-débouté M. [D] [Aa] du surplus de ses demandes;

-débouté la société SA Atelier Interior de sa demande reconventionnelle;

-condamné la société SA Atelier Interior aux éventuels dépens de la présente instance.


M. [Aa] a interjeté appel de cette décision.


Par arrêt contradictoire en date du 30 juin 2020, la Cour d'appel de Paris a:

- confirmé le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a fixé le salaire de M. [Aa] à 3623, 86 euros mensuel brut;

Y ajoutant,

- fixé le salaire de M. [Aa] à 3750, 50 euros;

- ordonné la remise par la société Atelier Interior à M. [Aa] d'un bulletin de salaire récapitulatif et d'une attestation pôle emploi conforme au présent arrêt;

Vu l'article 700 du code de procédure civile,

-condamné la société Atelier Interior à payer à M. [Aa] en cause d'appel la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile;

- débouté les parties du surplus des demandes;

- laissé les dépens à la charge de la société Atelier Interior.


M. [Aa] a formé un pourvoi contre l'arrêt, la société Atelier Interior formant pourvoi incident.



Par arrêt en date du 25 mai 2022, la Cour de cassation a:

-cassé et annulé, mais seulement en ce qu'il déboute M. [Aa] de ses demandes de nullité du licenciement, de dommages-intérêts pour harcèlement moral, de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires et de la contrepartie obligatoire en repos outre les congés payés afférents sur ces sommes, l'arrêt rendu le 30 juin 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

-remis, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

-condamné la société Atelier Interior aux dépens ;

-En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejeté la demande formée par la société Atelier Interior et l'a condamnée à payer à M. [Aa] la somme de 3 000 euros;

-dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé.


Par déclaration de saisine notifiée par le RPVA le 23 juin 2022, M. [Aa] a saisi la cour d'appel de Paris d'un renvoi après cassation.



Dans ses dernières conclusions transmises par la voie électronique le 12 juillet 2022, M. [Aa] demande à la cour de :

- dire et juger M. [D] [Aa] recevable et bien fondé en son appel,

- fixer la moyenne des salaires à la somme de 3 750,50 euros;

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. [Aa] de ses demandes suivantes:

Dommages et intérêts pour licenciement nul à hauteur de 40 000 euros

Heures supplémentaires du 5 août 2013 au 30 septembre 2014 : 11 059,51 euros

Congés payés incidents : 1 105,95 euros

Contrepartie obligatoire en repos du 1er janvier au 30 septembre 2014 : 1 183,21 euros

Congés payés incidents : 118,32 euros

Dommages et intérêts pour harcèlement moral : 10 000 euros

Statuant à nouveau, et y ajoutant,

- dire et juger, que le licenciement de M. [Aa] est nul;

- condamner la SA Atelier Interior au paiement des sommes suivantes :

Dommages et intérêts pour licenciement nul à hauteur de 40 000 euros;

Heures supplémentaires du 5 août 2013 au 30 septembre 2014 : 11 059,51 euros ;

Congés payés incidents : 1 105,95 euros ;

Contrepartie obligatoire en repos du 1er janvier au 30 septembre 2014 : 1 183,21 euros ;

Congés payés incidents : 118,32 euros ;

Dommages et intérêts pour harcèlement moral : 10 000 euros;

Indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile : 3 000 euros;

- ordonner la délivrance d'une attestation pôle emploi et d'un bulletin de salaire récapitulatif conforme à l'arrêt à intervenir;

- condamner la SA Atelier Interior au paiement des intérêts légaux ainsi qu'au paiement des entiers dépens d'appel.


Dans ses dernières conclusions transmises par la voie électronique le 2 février 2023, la société Atelier Interior demande à la cour de:

-confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. [Aa] des demandes suivantes:

Dommages et intérêts pour licenciement nul : 40.000 euros

Heures supplémentaires du 5 août 2013 au 30 septembre 2014 : 11 059,51 euros

Congés payés incidents : 1 105,95 euros

Contrepartie obligatoire en repos du 1er janvier au 30 septembre 2014 : 1 183,21 euros

Congés payés incidents : 118,32 euros

Dommages et intérêts pour harcèlement moral : 10.000 euros

En conséquence,

-débouter M. [Aa] des demandes suivantes :

Dommages et intérêts pour licenciement nul : 40.000 euros

Heures supplémentaires du 5 août 2013 au 30 septembre 2014 : 11 059,51 euros

Congés payés incidents : 1 105,95 euros

Contrepartie obligatoire en repos du 1er janvier au 30 septembre 2014 : 1 183,21 euros

Congés payés incidents : 118,32 euros

Dommages et intérêts pour harcèlement moral : 10.000 euros

En outre,

-débouter M. [Aa] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions contraires et supplémentaires;

-condamner M. [Aa] à payer à la société Atelier Interior la somme de 7.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- condamner M. [Aa] aux entiers dépens dont distraction, pour ceux la concernant, au profit de la Selarl 2H Avocats prise en la personne de Maître [M] [B] et ce, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile🏛.


La Cour se réfère pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties à leurs conclusions conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile🏛.


L'instruction a été déclarée close le 15 février 2023.



MOTIFS DE LA DÉCISION


Sur les heures supplémentaires


Par application des dispositions de l'article L. 3171-4 du code du travail🏛, il incombe au salarié de présenter à l'appui de sa demande des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies pour permettre à l'employeur qui est tenu d'assurer le contrôle des horaires effectués par son salarié d'y répondre en produisant ses propres éléments.


Il est de principe que le salarié peut prétendre au paiement des heures supplémentaires accomplies soit avec l'accord au moins implicite de l'employeur, soit s'il est établi que la réalisation de telles heures a été rendue nécessaire par les tâches qui lui ont été confiées.


Aux termes de l'article L3171- 4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail effectuées, l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.


Si la preuve des horaires de travail effectués n'incombe ainsi spécialement à aucune des parties et si l'employeur doit être en mesure de fournir des éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, il appartient cependant à ce dernier de fournir préalablement au juge des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies pour permettre à l'employeur, qui doit assurer le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en fournissant ses propres éléments.


Au soutien de sa demande, M. [Aa] produit, en s'appuyant sur son amplitude de travail journalière qu'il déduit de l'heure d'envoi de son premier mail et de l'heure d'envoi de son dernier mail quotidiens, un tableau qu'il a effectué sur la période comprise entre le 5 août 2013 et le 30 septembre 2014 et un décompte jour par jour de ses heures sur la même période dont il déduit qu'il en a accompli 337 heures supplémentaires.


L'analyse de ces documents fait ressortir que l'amplitude peut dépasser la durée hebdomadaire de travail fixée à 35 heures.


M. [Aa] verse également aux débats une attestation établie par M. [O] [P], ancien salarié, évoquant la ' forte présence de M. [P]' au sein de l'entreprise, ce qui implique un nombre conséquent d'heures effectives, ainsi que différents mails alertant sur les heures effectuées par d'autres salariés que lui.


Enfin, il tire de l'augmentation du chiffre d'affaires de la société la preuve de l'augmentation d'une charge de travail.


Hors cette attestation rédigée en termes généraux sur l'amplitude horaire du salarié, les mails qui ne s'appliquent pas à cette situation, les tableaux en ce compris le décompte de ses heures sont des éléments suffisamment précis pour permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.


L'employeur oppose qu'il n'a jamais demandé à M. [P] d'accomplir les heures supplémentaires. Il en veut pour preuve qu'elle répondait à sa réclamation en ces termes: ' nous ne comprenons pas votre demande d'heures supplémentaires alors que votre travail n'a pas évolué en volume et nous ne vous avons jamais demandé d'effectuer des heures supplémentaires. A aucun moment depuis la fin de la période d'essai, vous avez attiré notre attention sur une impossibilité d'accomplir vos tâches quotidiennes dans le cadre des horaires de l'entreprise'.


L'employeur fait encore valoir que M. [Aa] était soumis à une convention de forfait en jours et disposait donc de la plus grande autonomie.


La seule référence dans le contrat de travail à l'exercice par le salarié de ses fonctions selon les horaires en vigueur dans l'entreprise suivant 'l'accord d'entreprise signé le 23 décembre 1999" ne peut signifier la conclusion d'une convention de forfait jours, ce d'autant que les bulletins de salaire font état d'une rémunération pour 151, 66 heures par mois. Par ailleurs, l'employeur n'apporte aucune justification de l'existence d'un suivi de la charge de travail du salarié, De même, le fait que M. [Aa] a bénéficié d'une large autonomie n'est pas de nature à invalider sa demande pécuniaire ou à rendre matériellement inexact le nombre d'heures supplémentaires qu'il déclare avoir accompli.


L'employeur se réfère également à une attestation établie par Mme [Ab], ancienne directrice générale, qui témoigne de ce que M. [Aa] arrivait la plupart du temps à 9 heures et repartait à 17 heures avec une heure pour déjeuner.


Toutefois, l'employeur, qui ne produit aucun élément de contrôle de la durée de travail du salarié,ne saurait se suffire de cette attestation pour contredire les éléments apportés par le salarié.


Le principe de la réalisation d'heures supplémentaires non rémunérées est donc acquis.


Force est cependant de relever que le seul fait que le salarié ait envoyé un courriel aux heures indiquées ne signifie pas qu'il a travaillé sans discontinuer dans l'intervalle, étant observé que les tableaux qu'il produit se fondent sur les heures d'expédition de son premier mail et de son dernier mail quotidiens. En effet, s'agissant des mails traités le matin ou le soir, le salarié ne justifie ni de ce que l'employeur exigeait une réaction à des heures matinales ou tardives ni que la charge de travail qui lui était confiée exigeait une telle réponse à ces heures.


De surcroît, dans son décompte au titre des heures accomplies, le salarié fait apparaître en déduction des heures de pause aléatoires qui ont été fixées à postériori. A titre d'exemple, M. [Aa] note pour 21 août 2013 un premier mail à 8 h 45 et un dernier mail 17 heures et retient en conséquence un écart de 8 h 15, et après déduction d'une pause (pièce 44) de 50 minutes déduit 0,25 d'heures supplémentaires. Le 26 août 2013, il aura fait une pause selon ses calculs d'environ 40 minutes etc.


Après avoir examiné les pièces fournies, la cour conclut que M. [Aa] a accompli des heures supplémentaires mais dans une moindre mesure que ce qu'il réclame. Il lui sera en conséquence alloué à ce titre la somme de 2990 euros outre 299 euros au titre des congés payés afférents.


Sur la contrepartie obligatoire en repos


M. [Aa] sollicite la condamnation de l'employeur au paiement de la contrepartie obligatoire en repos dès lors qu'il aurait dépassé le contingent fixé légalement à 220 heures.


Compte tenu des heures supplémentaires retenues, lesquelles ne dépassent pas le contingent annuel de 220 heures, la Cour rejette la demande du salarié de dommages et intérêts pour violation du droit au repos.


La cour confirme sur ce point le jugement entrepris.


Sur le harcèlement moral


Les actes dénoncés par M. [Aa] s'étant produits antérieurement à la loi du 8 août 2016🏛
, c'est le régime probatoire antérieur à cette réforme qui doit s'appliquer.


Il résulte de l'article L. 1152-1 du code du travail🏛 que le harcèlement moral est constitué dès lors que sont caractérisés des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de des conditions de travail susceptibles de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.


En application des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail🏛, dans leur version applicable au litige soit antérieurement au 8 août 2016, lorsque le salarié établit la matérialité de faits précis et concordants constituant selon lui un harcèlement, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral et dans l'affirmative il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.


En l'espèce, M. [Aa] soutient avoir été victime de harcèlement moral caractérisé par les méthodes de management autoritaires, le dénigrement, les menaces et les pressions de son président directeur général, M. [Ac].


Il fait plus précisément état du dénigrement de son travail par M. [Ac], de la remise en cause de ses compétences professionnelles en présence des autres collègues qui étaient en copie des courriels lui étant adressés et de ce qu'il était soumis à une pression intense et menacé de sanctions disciplinaires.


Il produit plus d'une vingtaine de mails adressés par M. [Ac] ou qu'il a adressés à celui-ci et dont il ressort pour les plus pertinents que :

- le 25 juin 2014 M. [Ac] se plaignait en ces termes 'faut -il que je m'en mêle moi aussi, deux cadres et un ancien de la maison cela ne suffit pas' Vous comprenez pas que cela évite les ruptures si fréquentes''Je vous préviens que c'est la dernière fois que je mets un commentaire sur ce sujet. [D] (M. [Aa])il est votre responsabilité de veiller à ce que mes ordres soient respectés ! Au prochain manquement je prendrai les dispositions qui s'imposent'.

- le 11 septembre 2014, M.[Ac] indiquait à plusieurs salariés dont M. [Aa]' en dehors du fait que je sois obligé de mettre mon nez dans cette affaire, ce qui m'agace et me force à poser des questions sur un ton insuffisamment doux (!) .. et. M. [Aa] lui répondait ' qu'il n'acceptait pas et n'accepterait jamais que qui ce soit me crie dessus comme vous l'avez fait toute à l'heure. C'est la 2 ème fois que cela se produit';

- le 11 septembre 2014, M. [Ac] lui répondait ' vous avez une mission, remplissez la, vos susceptibilités sont soit mal placées, soit intentionnelles; en aucun cas je n'accepterai d'un collaborateur à votre niveau qu'il ne remplisse pas la mission que je lui ai confiée. C'est la deuxième fois que je vous rappelle en quoi consiste votre mission. Je suis à votre disposition pour la clarifier une dernière fois si vous la souhaitez';

- le 21 septembre 2014, M. [Ac] lui demandait quelles étaient les mesures d'urgence qu'il avait décidé de prendre jugeant que ' l'information sans action, cela n'a que peu d'intérêt';

- le 22 septembre 2014, dans un mail adressé à M. [Aa] avec copie à deux autres salariés, il précisait lui avoir demandé des solutions, voir des actions passant par des choix 'pas un constat qui ne règle rien';

- le 30 septembre 2014 M. [Ac] s'adressait à M. [Aa] un mail en ces termes (avec copie du mail à d'autres salariés): Vos ne manquez décidément pas de culot! Vous insinuez que je doive lire et agir au vu des infos de réception du dépôt' Pensez vous que ce soit dans les attributions du Président';

-le 22 septembre 2014 (avec copie du mail adressé à d'autres salariés) il lui reprochait l'organisation de réunions en concluant ' sincèrement vous pensez donc que je n'ai que cela à faire';

- le 23 septembre 2014 (avec copie du mail à une autre salariée) ' je vous ai dit que je refusais que vous colliez les unes aux autres des réunions. Visiblement vous ne tenez aucun compte de cette remarque .. Je ré -explique.....'.


M. [Aa] fait également référence à un mail adressé par M. [Ac] à M. [W], autre salarié, dont il était en copie aux termes duquel le président- directeur général évoque la possibilité de mettre en place un régime de sanctions 'si les choses ne rentrent pas dans l'ordre' et un mail qui ne lui était pas spécifiquement adressé dans lequel M. [Ac] met en garde des salariés d'une réaction violente de sa part 'si ses ordres n'étaient pas respectés'.


M. [P] atteste pour sa part de conditions de travail difficiles de 'par les changements constants d'orientation stratégiques, de brimades répétées envers les employés portant sur le travail, ou plutôt la façon de travailler' de la part de l'équipe dirigeante.


M. [Aa] produit ainsi des éléments s'agissant de la pression managériale exercée à son encontre par le Président directeur général et d'un certain dénigrement par la mise en copie de mails à d'autres salariés portant des reproches sur son travail et dont la matérialité est établie par les pièces ainsi citées.


M. [Aa] a été placé en arrêt maladie à compter du 2 octobre 2014 . Le médecin note dans l'avis d'arrêt de travail en date du 27 octobre 2014 que M. [Aa] souffre d'une dépression précisant ' harcèlement moral' qu'il n'est cependant pas à même de constater lui- même. Ces pièces médicales attestent cependant de la dégradation de l'état de santé dAa M. [N].


Les faits précités, pris dans leur ensemble avec les pièces médicales, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral.


Il appartient, dès lors, à l'employeur de démontrer que les mesures en cause sont étrangères à tout harcèlement moral et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.


La société Atelier Interior objecte que le contenu des courriels démontrent seulement qu'il arrive parfois à un dirigeant de PME de 'pousser un coup de gueule', ce qui a pu arriver avec M. [Aa] . Elle précise que les mails n'étaient pas spécialement dirigés contre MAa [N] , les excès d'humeur du président- directeur général étant dirigés non pas contre des individus mais à l'encontre de situations qu'il estime n'avoir pas été gérées correctement selon les instructions transmises aux cadres. Par ailleurs, il est difficile de ne pas être exaspéré par le comportement d'un collaborateur-cadre et occupant des fonctions de directeur, qui non seulement remonte des problèmes au lieu de les régler- qui plus est de façon incompréhensible- au point qu'il faut le réinterroger pour essayer de le comprendre ainsi que le relève en fait le contenu des mails cités.


Elle fait encore valoir que les manquements du salarié à ses obligations a généré des tensions avec le président-directeur général qui l'avait pourtant embauché et les reproches qui pouvaient concerner d'autres salariés ne procèdent que de l'exercice du pouvoir de direction de l'employeur.


Toutefois, il sera relevé que certains mails de reproches ont été adressés au salarié par le président -directeur général avec copie à d'autres salariés, ce qui caractérise l'utilisation d'un style de management décrit comme rugueux ou éruptif. Si la méthode était également appliquée aux autres salariés, il n'en demeure pas moins que les compétences de M. [Aa] ont été mises en cause à plusieurs reprises, les manifestations d'humeur du dirigeant, une utilisation disproportionnée de l'autorité, les menaces créant pour le moins un climat source de stress. L'employeur admet également que le salarié ne répondait pas à ses attentes, ce qui a généré de vives tensions. Toutefois, il ne conteste pas lui avoir crié dessus ainsi que le salarié a pu l'établir.


Pour démontrer que les faits qui lui sont imputés ne sont pas constitutifs de harcèlement et qu'ils sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, l'employeur verse aux débats des attestations de salariés vantant les qualités reconnues du président directeur général.


Ces témoignages n'apportent cependant aucune explication objective concernant les faits précis dénoncés par le salarié. Ils sont en tout état de cause insuffisants pour contester utilement les pièces versées aux débats par M. [Aa] faisant état de la dégradation de ses conditions de travail et de sa santé en lien avec le comportement du dirigeant de la société.


Enfin, il n'est pas contesté que M. [Aa] a pu commettre des erreurs dans le cadre de son travail, ce qui illustrent les réponses faites par l'employeur. Cependant, il ne peut être observé que la manière dont M. [Ac] s'adresse à ses employés, et plus spécifiquement à M. [Aa], dépasse largement son pouvoir de direction et ne justifie pas ses emportements envers lui.


M. [Aa] a été exposé pendant plus d'un an à ce management qui n'a pas été sans conséquence sur son état de santé et ses conditions de travail.


Ainsi, à l'examen des pièces produites et des moyens débattus, la cour retient que l'employeur échoue à démontrer que les faits matériellement établis par la salariée sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement . Le harcèlement moral est donc établi.


Le jugement entrepris est infirmé de chef.


Au regard des conditions de travail précitées, qui ont participé à la dégradation de l'état de santé de M. [Aa] établie par les arrêts de travail produits, la société sera condamnée à lui payer la somme de 1 000 euros en réparation du préjudice en résultant.


Sur le licenciement


En application de l'article L.1152-3 du code du travail🏛, le licenciement intervenu à la suite de faits de harcèlement moral est nul.


M. [Aa] peut prétendre à des dommages et intérêts à raison de la nullité de son licenciement qui ne peuvent être inférieures aux salaires des six derniers mois avant l'arrêt de travail. En considération de son ancienneté (1 an 4 mois), de sa rémunération, de son âge (47 ans) au moment du licenciement et des circonstances de la rupture, de la période de chômage qui s'en est suivie, il convient d'accorder à M. [D] [Aa] une indemnité pour licenciement nul d'un montant de 24.000 euros.


Les sommes allouées produiront intérêt selon les modalités rappelées aux termes du dispositif.


Aux termes de l'article L 1235-4 du code du travail🏛, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé. Ce remboursement est ordonné d'office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l'instance ou n'ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.


Il convient en conséquence de faire application des dispositions de l'article L.1235-4 du code du travail et d'ordonner à l'employeur de rembourser à l'Antenne Pôle Emploi concernée les indemnités de chômage versées à l'intéressé depuis son licenciement dans la limite de trois mois de prestations.


Sur les autres demandes


La société Atelier Interior devra remettre à M. [Aa] les documents sociaux conformes au présent arrêt.


Partie perdante, elle sera condamnée aux dépens d'appel et à verser à M. [Aa] en application de l'article 700 du code de procédure civile la somme de 2000 euros. Elle sera pour sa part déboutée de sa demande.



PAR CES MOTIFS


La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,


Vu l'arrêt de la Cour de cassation en date du 25 mai 2022;


INFIRME le jugement déféré en ce qu'il a dit le licenciement de M. [Aa] dénué de cause réelle et sérieuse, a condamné la société Atelier Interior à lui verser 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive, en ce qu'il a débouté M. [Aa] de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral et de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires et des congés payés afférents;


CONFIRME le jugement pour le surplus;


STATUANT à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,


DIT que M. [D] [Aa] a été victime d'un harcèlement moral;


DIT que le licenciement de M. [D] [Aa] produira les effets d'un licenciement nul;


CONDAMNE la SA à payer à M. [D] [Aa] les sommes suivantes:

1000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par le harcèlement moral;

24.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul;

2990 euros brut à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires;

299 euros brut au titre des congés payés afférents;

2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile;


RAPPELLE que les créances salariales et assimilées produisent intérêts au taux légal à compter de la réception par la société de la convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation pour celles échues à cette date et à compter de leur exigibilité pour celles échues postérieurement,


RAPPELLE que les créances indemnitaires produisent intérêts à compter du présent arrêt,


ORDONNE à la SA Atelier Interior de remettre à M. [D] [Aa] une attestation Pôle Emploi et un bulletin de salaire récapitulatif conformément au présent arrêt,


ORDONNE à la SA Atelier Interior de verser à l'organisme concerné le montant des indemnités chômage versées à M. [D] [Aa] depuis son licenciement dans la limite de 3 mois de prestations ;


CONDAMNE la SA Atelier Interior aux dépens d'appel;


DEBOUTE les parties de toute autre demande.


La greffière, La présidente.

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