TA Dijon, du 30-03-2023, n° 2300700
A39509MA
Référence
Par une requête, enregistrée le 16 mars 2023, M. A C, représenté par Me Mauguere, demande au tribunal :
1°) de condamner in solidum le centre hospitalier de Cosne-Cours-sur-Loire et le centre hospitalier de Nevers à lui verser une somme globale de 657 358,92 euros ;
2°) de mettre solidairement à la charge du centre hospitalier de Cosne-Cours-sur-Loire et du centre hospitalier de Nevers une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu le code justice administrative.
1. M. C, qui a subi un infarctus du myocarde le 5 février 2016, alors qu'il était âgé de 44 ans, demande au tribunal de condamner in solidum le centre hospitalier de Cosne-Cours-sur-Loire et le centre hospitalier de Nevers à lui verser une somme globale de 657 358,92 euros en réparation des différents préjudices qu'il estime avoir subis en raison des fautes qu'il reproche à ces établissements hospitaliers d'avoir commises lors de sa prise en charge.
2. Aux termes de l'article L. 113-1 du code de justice administrative🏛 : " Avant de statuer sur une requête soulevant une question de droit nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges, le tribunal administratif ou la cour administrative d'appel peut, par une décision qui n'est susceptible d'aucun recours, transmettre le dossier de l'affaire au Conseil d'Etat, qui examine dans un délai de trois mois la question soulevée. Il est sursis à toute décision au fond jusqu'à un avis du Conseil d'Etat ou, à défaut, jusqu'à l'expiration de ce délai ".
3. D'une part, aux termes de l'article R. 222-1 du code de justice administrative🏛 : " () les présidents de formation de jugement des tribunaux () peuvent, par ordonnance : () 4° Rejeter les requêtes manifestement irrecevables, lorsque la juridiction n'est pas tenue d'inviter leur auteur à les régulariser ou qu'elles n'ont pas été régularisées à l'expiration du délai imparti par une demande en ce sens () ". L'article R. 612-1 du même code🏛 dispose : " Lorsque des conclusions sont entachées d'une irrecevabilité susceptible d'être couverte après l'expiration du délai de recours, la juridiction ne peut les rejeter en relevant d'office cette irrecevabilité qu'après avoir invité leur auteur à les régulariser. () La demande de régularisation mentionne que, à défaut de régularisation, les conclusions pourront être rejetées comme irrecevables dès l'expiration du délai imparti qui, sauf urgence, ne peut être inférieur à quinze jours. La demande de régularisation tient lieu de l'information prévue à l'article R. 611-7 ". Selon l'article R. 611-7 de ce code🏛 : " Lorsque la décision lui paraît susceptible d'être fondée sur un moyen relevé d'office, le président de la formation de jugement ou le président de la chambre chargée de l'instruction en informe les parties avant la séance de jugement et fixe le délai dans lequel elles peuvent, sans qu'y fasse obstacle la clôture éventuelle de l'instruction, présenter leurs observations sur le moyen communiqué () ".
4. D'autre part, aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative🏛 : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. / Lorsque la requête tend au paiement d'une somme d'argent, elle n'est recevable qu'après l'intervention de la décision prise par l'administration sur une demande préalablement formée devant elle () ". Il résulte de ces dispositions qu'en l'absence d'une décision de l'administration rejetant une demande formée devant elle par le requérant ou pour son compte, une requête tendant au versement d'une somme d'argent est irrecevable et peut être rejetée pour ce motif même si, dans son mémoire en défense, l'administration n'a pas soutenu que cette requête était irrecevable, mais seulement que les conclusions du requérant n'étaient pas fondées. En revanche, les termes du second alinéa de l'article R. 421-1 du code de justice administrative n'impliquent pas que la condition de recevabilité de la requête tenant à l'existence d'une décision de l'administration s'apprécie à la date de son introduction. Cette condition doit être regardée comme remplie si, à la date à laquelle le juge statue, l'administration a pris une décision, expresse ou implicite, sur une demande formée devant elle. Par suite, l'intervention d'une telle décision en cours d'instance régularise la requête, sans qu'il soit nécessaire que le requérant confirme ses conclusions et alors même que l'administration aurait auparavant opposé une fin de non-recevoir fondée sur l'absence de décision.
5. Comment concilier le principe selon lequel il n'appartient pas au juge d'inviter l'auteur d'une requête à régulariser un défaut de liaison du contentieux et la règle selon laquelle la liaison du contentieux peut intervenir à tout moment jusqu'à ce que le juge statue -points notamment rappelés par M. B dans ses conclusions rendues sur la décision n°427923 du Conseil d'Etat du⚖️ 23 septembre 2019- et quels sont les outils juridiques que le juge peut ou doit, d'office, mettre en œuvre '
6. Lorsque, comme en l'espèce, ni dans la requête, ni dans les pièces qui l'accompagnent, le requérant ne fait état de l'existence d'une décision, expresse ou implicite, de l'administration statuant sur une demande formée devant elle et tendant au versement d'une somme d'argent ou même de l'existence d'une telle demande, le juge peut-il considérer, au vu des seuls éléments du dossier, que l'administration n'a pas pris de décision refusant de verser une somme d'argent et qu'ainsi le contentieux n'a pas été lié pour l'application du second alinéa de l'article R. 421-1 du code de justice administrative ' Peut-il notamment estimer que, dans un tel cas, l'article R. 612-1 de ce code n'a en tout état de cause pas à être mis en œuvre dès lors que la notion d'" expiration du délai de recours " est inapplicable puisque, par définition, aucune décision de l'administration n'a permis d'enclencher ledit délai de recours ' Le juge peut-il alors décider que la requête est manifestement irrecevable et la rejeter directement par ordonnance sur le fondement du 4° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative '
7. Dans l'hypothèse mentionnée au point 6, le juge doit-il, au contraire, considérer que les conclusions tendant à la condamnation de l'administration au versement d'une somme d'argent doivent être regardées comme des conclusions entachées d'une irrecevabilité susceptible d'être couverte " en cours d'instance ", au prix d'une interprétation plus souple de l'article R. 612-1 du code de justice administrative ' Mais, dans ce cas, quel type d'" invitation à régulariser " le juge peut-il effectuer auprès du requérant ' Doit-il, alors même que le défaut de liaison du contentieux n'a en principe pas à faire l'objet d'une telle initiative de sa part, inviter le requérant à déposer une demande préalable ' Et, dans le cas où ce dernier produit la preuve qu'il a accompli une telle démarche, même postérieurement à l'introduction de la requête, le juge doit-il considérer que la requête est régularisée au sens de l'article R. 612-1 et qu'il ne peut plus la rejeter par ordonnance '
8. En cas de réponse négative aux deux dernières questions posées au point 7, le juge peut-il simplement inviter l'auteur de la requête à " régulariser " ses conclusions en lui demandant de produire la preuve de la " liaison du contentieux " ' A tout le moins, le juge peut-il ou doit-il s'assurer que l'absence de toute mention, au dossier, de l'existence d'une décision de l'administration ou d'une demande ne procède pas d'une simple omission matérielle et, dans ce cas, peut-il ou doit-il inviter le requérant à régulariser sa requête en produisant la décision expresse de l'administration ou, lorsque cette décision est implicite, la preuve du dépôt d'une demande indemnitaire '
9. En cas de réponse positive aux questions posées au point 8, si le requérant, à l'expiration du délai fixé par la mesure de régularisation, n'a pas produit les pièces demandées, le juge peut-il, sans commettre d'irrégularité, rejeter la requête par ordonnance, sur le fondement du 4° de l'article R. 222-1, en estimant que le requérant est réputé ne pas avoir effectué de demande indemnitaire et qu'ainsi celui-ci ne dispose pas, à la date à laquelle le juge statue, d'une décision de l'administration liant le contentieux '
10. En cas de réponse positive aux questions posées au point 8, dans le cas où le requérant produit la preuve qu'il a présenté une demande indemnitaire " récente " qui, lorsqu'elle est portée à la connaissance de la juridiction, n'a pas encore pu donner lieu à une décision implicite de rejet de la part de l'administration, le juge, même s'il n'y est pas tenu et que des considérations de bonne administration de la justice le conduiront, dans l'immense majorité des cas, à attendre la naissance d'une décision liant le contentieux, peut-il néanmoins, sans commettre d'irrégularité, décider de rejeter la requête, par ordonnance, sur le fondement du 4° de l'article R. 222-1, au motif qu'à la date à laquelle il statue, l'administration n'a pas pris de décision refusant de verser une somme d'argent '
11. Quelles que soient les réponses apportées aux points 6 à 10, de manière générale, et notamment lorsque le requérant a soumis au juge une requête " mixte " dans laquelle il présente, d'une part, des conclusions, recevables, tendant à l'annulation pour excès de pouvoir d'un acte administratif unilatéral et, d'autre part, des conclusions tendant à la condamnation de l'administration à lui verser une somme d'argent qui apparaissent irrecevables au motif que le contentieux n'a pas été lié, le président de la formation de jugement peut-il mettre en œuvre les dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, à une date proche de l'audience, en informant les parties de ce qu'une partie du jugement est susceptible d'être fondée sur un moyen, relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité des conclusions à fin de condamnation au motif que le requérant n'a pas présenté de demande tendant au paiement d'une somme d'argent et qu'il ne justifie donc pas que l'administration a pris une décision refusant de lui verser une somme d'argent ou, au contraire, doit-il obligatoirement mettre en œuvre les dispositions de l'article R. 612-1 '
12. Les questions de droit nouvelles posées aux points 5 à 11 de la présente décision présentent une difficulté sérieuse susceptible de se poser dans de nombreux litiges. Il y a lieu, par suite, en application de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, de surseoir à statuer sur la requête de M. C et de transmettre le dossier, pour avis, au Conseil d'Etat.
Article 1er : Le dossier de la requête de M. C est transmis au Conseil d'Etat pour examen des questions de droit mentionnées aux points 5 à 11.
Article 2 : Il est sursis à statuer sur la requête de M. C jusqu'à l'avis du Conseil d'Etat ou, à défaut, jusqu'à l'expiration du délai de trois mois à compter de la transmission du dossier prévue à l'article 1er.
Article 3 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par la présente décision sont réservés jusqu'en fin d'instance.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au président de la section du contentieux du Conseil d'Etat, à M. A C, au centre hospitalier de Cosne-Cours-sur-Loire, au centre hospitalier de Nevers et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Côte-d'Or.
Une copie de cette décision sera transmise, pour information, au ministre de la santé et de la prévention.
Fait à Dijon le 30 mars 2023.
Le président de la 3ème chambre,
L. Boissy
Article, R421-1, CJA Article, R222-1, CJA Article, R611-7, CJA Article, L113-1, CJA Article, R612-1, CJA Service hospitalier Réparation d'un préjudice Prise en charge Difficulté sérieuse Avis du conseil d'etat Expiration du délai Moyen relevé d'office Payement des sommes Conditions de recevabilité Régularisation d'une requête Opposition d'une fin de non recevoir Invitation à régulariser Demande préalable Décision expresse Dépôt de la demande Mesure de régularisation Décision implicite de rejet Acte administratif Caisse primaire d'assurance-maladie