Jurisprudence : CA Riom, 05-07-2022, n° 20/00175, Infirmation partielle


05 JUILLET 2022


Arrêt n°

CV/SB/NS


Dossier N° RG 20/00175 - N° Portalis DBVU-V-B7E-FLNY


[M] [U]


/


S.A.R.L. ITM

Arrêt rendu ce CINQ JUILLET DEUX MILLE VINGT DEUX par la QUATRIEME CHAMBRE CIVILE (SOCIALE) de la Cour d'Appel de RIOM, composée lors des débats et du délibéré de :


M. Christophe RUIN, Président


Mme Claude VICARD, Conseiller


Mme Frédérique DALLE, Conseiller


En présence de Mme Séverine BOUDRY greffier lors des débats et du prononcé



ENTRE :


M.U[M] [U]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représenté par Me Jacques VERDIER, avocat au barreau D'AURILLAC


APPELANT


ET :


S.A.R.L. ITM prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représentée par Me Barbara GUTTON PERRIN de la SELARL LEXAVOUE, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND et par Me Philippe ISOUX de la SELARL CABINET PH. ISOUX, avocat au barreau de TOULOUSE


INTIMEE


Après avoir entendu Mme VICARD, Conseiller en son rapport, les représentants des parties à l'audience publique du 09 Mai 2022, la Cour a mis l'affaire en délibéré, Monsieur le Président ayant indiqué aux parties que l'arrêt serait prononcé, ce jour, par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450 du code de procédure civile🏛.



FAITS ET PROCÉDURE :


La SARL ITM (Ingénierie Transport Meuble) est une entreprise de services, dont le siège social se trouve en région toulousaine, ayant pour activité la livraison, le montage et l'installation de meubles et d'électroménagers pour le compte de différentes grandes enseignes.


M. [M] [U] a été engagé le 22 novembre 2016 par la SARL ITM en qualité de chauffeur livreur au sein de l'agence d'[Localité 3], sous contrat de travail à durée indéterminée à temps complet, régi par la convention collective des transports routiers.


Par courrier recommandé du 19 mars 2018, U. [U] a réclamé à la SARL ITM le règlement de la totalité de ses heures supplémentaires, soit 405,23 heures pour la période du 16 janvier 2017 au 28 février 2018.


Le 3 mai 2018, la SARL ITM a convoqué M. [U] à un entretien préalable à licenciement fixé au 15 mai suivant.


Le salarié ayant été placé en arrêt de travail du 4 mai au 2 juin 2018, il n'a pu se rendre à cet entretien au siège de l'entreprise.


Par lettre recommandée du 5 juin 2018, l'employeur a notifié à U. [U] son licenciement pour motif personnel, une attitude agressive et injurieuse à l'égard de l'employeur lui étant notamment reprochée.


Le 29 octobre 2018, U. [U] a saisi le conseil de prud'hommes d'Aurillac en contestation de son licenciement et paiement de diverses sommes tant au titre de l'exécution que de la rupture du contrat de travail.



Par jugement du 30 décembre 2019, le conseil de prud'hommes d'Aurillac a :

- dit que le licenciement de U. [U] était fondé sur une cause réelle et sérieuse ;

- débouté U. [U] de l'intégralité de ses demandes ;

- débouté la SARL ITM de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile🏛 ;

- laissé à chacune des parties la charge de ses propres dépens.


Le 27 janvier 2020, U. [U] a interjeté appel de ce jugement qui lui a été notifié le 6 janvier 2020.


La procédure d'appel a été clôturée le 11 avril 2022 et l'affaire appelée à l'audience de la chambre sociale du 09 mai 2022.



PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :


Aux termes de ses dernières écritures notifiées le 28 septembre 2020, U. [U] conclut à la réformation du jugement déféré en toutes ses dispositions et demande à la cour de :

- condamner la SARL ITM à lui payer les sommes suivantes:

* 4.611,71 euros à titre de rappel de salaire sur heures supplémentaires, outre 461,17 euros au titre des congés payés afférents;

* 2.000 euros à titre de dommages et intérêts pour dépassement du temps de travail légal;

* 1.000 euros à titre de dommages et intérêts pour organisation tardive de la visite médicale d'embauche;

- dire que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse;

- condamner la SARL ITM à lui payer la somme de 3.214 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- condamner la SARL ITM à lui payer la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile🏛 et ce, en sus des entiers dépeUs.


M. [U] soutient que le relevé du logiciel produit par l'employeur et dont les données sont faussées, ne correspond pas à la durée réelle de travail; que l'accord de modulation sur l'année du temps de travail en date du 29 novembre 2001 mentionné dans son contrat de travail et dont se prévaut l'employeur ne lui a jamais été transmis; qu'en outre, cet accord n'a jamais été déposé à la DIRECCTE; qu'enfin, l'employeur n'a jamais fourni le calendrier prévisionnel indicatif devant être établi en début de modulation.


Il fait ensuite valoir qu'il a effectué, à de nombreuses reprises, des semaines de plus de 48 heures de travail, notamment lors de l'année 2017 et sur des périodes rapprochées; que cette durée de travail excessive lui a causé un préjudice en altérant sa santé mais aussi en troublant sa vie familiale.


Il avance qu'il a passé la visite médicale d'embauche plus de huit mois après son recrutement; qu'ayant été victime d'un accident du travail juste avant son embauche par la SARL ITM et son poste s'avérant très physique, l'organisation tardive d'une visite médicale lui a causé un préjudice.


S'agissant enfin de son licenciement, il conteste avoir tenu des propos grossiers ou insultants à l'encontre de son employeur, qui lui reproche surtout d'avoir réclamé le paiement de ses heures supplémentaires. Il fait valoir qu'aucun grief n'est formulé sur ses compétences professionnelles, ni qu'aucune volonté de nuire auprès des autres salariés ou de la clientèle n'est démontrée. Il conclut que les griefs invoqués par l'employeur dans la lettre de licenciement ne sont nullement démontrés et qu'en tout état de cause, ils ne sauraient justifier un licenciement.


Aux termes de ses écritures notifiées le 3 juillet 2020, la SARL ITM conclut à la confirmation du jugement déféré en toutes ses dispositions ainsi qu'à la condamnation de U. [U] à lui payer la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile🏛 et ce, en sus des entiers dépens de l'instance.


La SARL ITM rétorque, s'agissant des heures supplémentaires, qu'un accord d'aménagement et de réduction du temps de travail mettant en place un dispositif de modulation sur l'année a été conclu au sein de l'entreprise le 29 novembre 2001; que le temps de travail s'apprécie ainsi, non pas dans le cadre de la semaine civile mais dans le cadre de l'année, avec lissage de la rémunération.


Elle objecte qu'il est impossible que U. [U] ait réalisé les heures supplémentaires réclamées, compte tenu de la faible activité de l'antenne d'[Localité 3] et de l'absence de toute réclamation du coéquipier accomplissant exactement le même travail que lui; que le détail des livraisons effectuées produit aux débats démontre que le salarié n'a pas réalisé les heures supplémentaires sollicitées.


Sur la visite médicale d'embauche, l'intimée affirme n'être nullement responsable du retard du service de santé au travail et indique avoir respecté ses obligations en effectuant la déclaration unique d'embauche le 21 novembre 2016. Elle ajoute que M. [U] ne justifie d'aucun préjudice, relativement à la tardiveté de sa visite médicale.


La SARL ITM fait enfin valoir qu'elle a tout fait pour tenter de pacifier les relations avecUM. [U], alors que sa demande en paiement d'heures supplémentaires était parfaitement abusive et déloyale; que le salarié s'est montré agressif et insultant à l'encontre du gérant.


Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile🏛, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.



MOTIFS DE LA DECISION :


1°- Sur l'exécution du contrat de travail :


* Sur le rappel de salaires sur heures supplémentaires et congés payés afférents:


Selon l'article L. 3121- 27 du code du travail🏛, la durée légale de travail effectif des salariés à temps complet est fixée à trente-cinq heures par semaine, soit 151,67 heures par mois.


L'article L. 3121- 28 précise que 'toute heure accomplie au delà de la durée légale hebdomadaire ou de la durée considérée comme équivalente est une heure supplémentaire qui ouvre droit à une majoration salariale ou, le cas échéant, à un repos compensateur équivalent.'


Selon l'article L. 3171-4 du code du travail🏛, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.


Il résulte de ces dispositions qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées ci-dessus. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.


En l'espèce, le contrat de travail de M. [U] prévoit en son article 4 une durée hebdomadaire moyenne de travail de 35 heures, 'réparties selon l'organisation du travail en vigueur au sein de l'entreprise et plus particulièrement selon l'accord d'annualisation du 29 novembre 2001.'


Le contrat stipule également que 'le cas échéant, des heures supplémentaires pourront toutefois être demandées au salarié en fonction des nécessités de l'entreprise et dans le cadre des dispositions légales et conventionnelles. U. [U] pourra également être amené à effectuer des heures supplémentaires lorsque la bonne marche de l'entreprise l'exigera. Il est expressément convenu que la répartition hebdomadaire ou mensuelle de la durée du travail de U. [U] pourra être modifiée en fonction des nécessités liées au bon fonctionnement de l'entreprise.'


A l'appui de sa demande en paiement des heures supplémentaires qu'il déclare avoir accomplies entre les 12 janvier 2017 et 04 mai 2018, le salarié produit aux débats les relevés horaires de chaque journée de travail sur la


période considérée, faisant ainsi apparaître le nombre d'heures de travail quotidiennement réalisées.


Il ressort de ces documents que le salarié a effectué :

- 10 heures supplémentaires entre les 12 janvier et 15 février 2017

- 159 heures supplémentaires entre les 1er mars et 31 août 2017

- 137,45 heures supplémentaires entre les 05 septembre et 23 décembre 2017

- 29 heures supplémentaires entre les 09 janvier et 04 mai 2018.


Ces éléments sont suffisamment précis et détaillés pour permettre à l'employeur de les discuter et d'y répondre utilement.


Or, force est de constater que la SARL ITM, pourtant tenue d'assurer le contrôle des heures de travail effectuées, ne produit aucun document individualisé de décompte du temps de travail dU M. [U].


Elle verse uniquement aux débats le relevé moyen d'heures de travail d'une équipe de deux personnes rapporté au nombre et à la nature des livraisons effectuées entre les mois de janvier et octobre 2017. Ce calcul moyen d'heures de travail par un logiciel, ne permet pas de déterminer le temps réel de travail de M. [U].


Force est par ailleurs de constater que ce document, pointant l'ensemble des livraisons effectuées chaque jour, ne fait pas apparaître d'incohérences majeures dans les fiches individuelles horaires produites par le salarié et tend même plutôt à les corroborer.


Ainsi, à titre d'exemple, le salarié indique avoir accompli:

- en semaine 14, le 05 avril 2017, 10 heures de travail

- en semaine 16, les 19 et 20 avril 2017, respectivement 11h15 et 1h30 de travail


Or, les relevés de l'employeur font état de :

- 10 livraisons le 05 avril 2017

- 9 livraisons le 19 avril 2017

- 2 livraisons seulement le 20 avril 2017


De même, les semaines comptabilisant le plus grand nombre d'heures travaillées déclarées par le salarié correspondent aux semaines mentionnant la 'moyenne heure' la plus élevée sur le relevé fourni par l'employeur.


Ainsi, en semaine 27 :

- Relevé employeur : moyenne de 40,50 heures

- Relevé salarié : 45 heures


En semaine 30:

- Relevé employeur : moyenne de 47,50 heures

- Relevé salarié : 54,75 heures


Pour dénier l'existence d'heures supplémentaires, la SARL ITM objecte tout d'abord que M. [R], le coéquipier de M. [U], n'a pour sa part jamais revendiqué le paiement de telles heures.


L'absence de toute réclamation de ce salarié qui, dans son attestation, ne conteste pas l'existence d'heures supplémentaires dont il accepte le lissage sur l'année, ne saurait suffire à démontrer le mal fondé des réclamations de M. [U].


L'employeur se prévaut ensuite d'un accord de modulation sur l'année du temps de travail daté du 29 novembre 2001, permettant de compenser les périodes dites de 'haute activité' avec celles de 'basse activité'.


Le salarié soutient que cet accord n'a pas été déposé auprès des services du ministre chargé du travail, conformément aux dispositions de l'article D.2231- 2 du code de travail🏛. Ces dispositions, créées en 2008, ne sont néanmoins pas applicables aux conventions et accords conclus avant cette date.


En revanche, l'employeur ne démontre ni même n'allègue, ainsi que le prévoit l'accord, avoir établi un calendrier prévisionnel indicatif en début de modulation, présentant les périodes hautes et basses d'activité et la répartition du travail pour chaque salarié sur les périodes d'activité.


Il s'ensuit que l'irrégularité de la mise en oeuvre de cet accord de modulation rend inapplicable aux salariés le décompte de la durée du travail dans un cadre autre qu'hebdomadaire.


Aussi, au regard des éléments d'appréciation mis à sa disposition, et notamment des tableaux de synthèse figurant dans les écritures de M. [U], comptabilisant sur la période considérée le nombre d'heures supplémentaires accomplies et précisant leur répartition quant à leur majoration, la cour fait entièrement droit aux demandes en paiement de rappels de salaires à hauteur des sommes réclamées comme suit :


- pour l'année 2017: 4.227,46 euros bruts pour 306,45 heures supplémentaires accomplies entre les 12 janvier et 23 décembre 2017


- pour l'année 2018: 384,25 euros bruts pour 29 heures supplémentaires accomplies entre les 09 janvier et 04 mai 2018;


La SARL ITM sera donc condamnée à payer à M. [U] la somme totale de 4.611,71 euros bruts à titre de rappels de salaire sur heures supplémentaires, outre celle de 461,17 euros bruts au titre des congés payés afférents.


Le jugement déféré sera en conséquence infirmé en ce qu'il a intégralement débouté le salarié de ces chefs de demande.


* Sur la demande en paiement de dommages et intérêts pour dépassement du temps de travail légal:


L'article L. 3121- 20 du code du travail🏛 prévoit qu'au cours d'une même semaine, la durée maximale hebdomadaire de travail est de quarante-huit heures.


La preuve du respect des seuils et plafonds prévus par le droit de l'Union européenne et des durées maximales de travail fixées par le droit interne incombe à l'employeur.


En outre, les dispositions précitées ayant pour objectif de garantir la sécurité et la santé des travailleurs par la prise d'un repos suffisant, le seul constat du dépassement de la durée maximale de travail, en ce qu'il prive le travailleur d'un tel repos, ouvre droit à réparation sans qu'il soit besoin de démontrer l'existence d'un préjudice spécifique (Soc., 26 janvier 2022, pourvoi n° 20-21.636⚖️).


En l'espèce, il ressort des relevés horaires quotidiens de M. [U] que ce dernier a travaillé:

- 49 heures au cours de la semaine 26

- 51h45 au cours de la semaine 29

- 54h45 au cours de la semaine 30

- 56h15 au cours de la semaine 31

- 50h30 au cours de la semaine 46


L'employeur ne produit aucun décompte individuel du temps de travail de U. [U] contredisant utilement ces éléments et justifiant du respect des durées maximales de travail prévues par le droit interne.


Aussi, la cour, constatant le dépassement de la durée maximale de travail et par infirmation du jugement entrepris, alloue au salarié la somme de 800 euros en réparation de son préjudice.


* Sur la demande en paiement de dommages et intérêts pour organisation tardive de la visite médicale d'embauche:


Aux termes de l'article R.4624-10 du code du travail🏛, dans sa rédaction applicable au litige, 'le salarié bénéficie d'un examen médical avant l'embauche ou au plus tard avant l'expiration de la période d'essai par le médecin du travail.(...)'


M. [U] soutient que la visite médicale est intervenue plus de huit mois après son embauche et sollicite la somme de 1.000 euros à titre de dommages et intérêts.


Toutefois, l'employeur justifie avoir régularisé une déclaration préalable à l'embauche le 21 novembre 2016, soit la veille de la signature du contrat de travail.


Cette déclaration emporte à elle seule une demande d'examen médical d'embauche du salarié, pour la visite médicale obligatoire.


L'employeur ne disconvient que cette visite médicale n'a eu lieu que le 27 juillet 2017.


Cependant, par des motifs pertinents que la cour adopte, les premiers juges ont à bon escient considéré que la SARL ITM ne pouvait être tenue pour responsable du retard du service de santé au travail.


La preuve d'un manquement de l'employeur à ses obligations légales n'étant pas rapportée, la cour confirme en conséquence le jugement déféré en ce qu'il a débouté U. [U] de sa demande en paiement de dommages et intérêts.


2°- Sur la rupture du contrat de travail :


* Sur le bien- fondé du licenciement :


Tout licenciement doit être justifié par une cause réelle et sérieuse. Aux termes de l'article L. 1235-1 du code du travail🏛, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié. Ainsi, l'administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n'incombe pas spécialement à l'une ou l'autre des parties, l'employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables.


En l'espèce, la lettre de licenciement notifiée à U. [U] le 05 juin 2018 est libellée comme suit :


'Monsieur,


Par lettre en date du 02 mai 2018, je vous ai convoqué à un entretien préalable fixé au mardi 15 mai 2018 en fin de matinée.


Vous ne vous êtes pas présenté à cet entretien, en me prévenant par SMS.


Pour autant, je suis contraint de poursuivre la procédure engagée et ce pour les motifs ci-après.


Vous occupez au sein de notre société une fonction de chauffeur livreur.


Vous êtes affecté à notre agence d'[Localité 3].


Au début du mois de janvier 2018, alors que vous étiez en congés, vous m'avez contacté téléphoniquement pour m'indiquer que vous auriez réalisé, au cours de l'année 2017, 380 heures supplémentaires dont vous souhaitiez le paiement.


Je vous ai immédiatement fait part de mon incrédulité compte tenu de la sous-activité chronique dont souffre l'agence d'[Localité 3] et compte tenu, également, de ce que vous n'aviez informé personne.


Vous vous êtes immédiatement emporté en mettant en cause ma bonne foi.


Je vous ai demandé de rester courtois en m'engageant à procéder à des investigations pour faire la lumière sur cette situation tout à fait inédite et étonnante.


Vous m'avez alors menacé de contacter l'Inspection du Travail.


Je vous ai encouragé à faire ce que vous pensiez être le plus approprié n'ayant, pour ma part, rigoureusement rien à cacher et, par conséquent, aucune crainte particulière.


Nous nous sommes par la suite rencontrés à [Localité 3], en présence de votre responsable qui lui non plus, n'avait jamais été avisé de l'existence d'heures supplémentaires.


A cette occasion, vous m'avez remis un décompte manuscrit ainsi que les carnets verts pour la période allant de janvier à décembre 2017.


Je vous ai immédiatement fait observer que les documents fournis, à première vue, ne permettaient pas de retenir l'existence des heures supplémentaires réclamées.


Je vous ai néanmoins promis d'examiner tout ceci attentivement vous rappelant, tout de même, que j'avais moi-même, pendant des années, effectué le travail qui vous est confié et que je comprenais assez mal, compte tenu du nombre très faible de livraisons réalisées comment des heures supplémentaires pouvaient se présenter, a fortiori dans les proportions évoquées.


J'ai donc étudié votre décompte en procédant à des comparaisons avec nos autres antennes pour conclure, ainsi que je vous l'avais déjà indiqué, qu'il était absolument impossible que des heures supplémentaires aient été réalisées, à l'agence d'[Localité 3].


Nous nous sommes à nouveau rencontrés le 7 mars 2018 dans les locaux du magasin CONFORAMA.


Au préalable, j'avais échangé avec votre responsable d'antenne lequel m'a confirmé qu'il n'y avait eu aucun dysfonctionnement particulier sur l'antenne et qu'au contraire l'activité avait été très calme dans la période considérée.


Je vous ai ensuite reçu pour vous faire part de mes conclusions, documents à l'appui.


Vous avez immédiatement adopté un ton très agressif à mon égard en m'accusant clairement d'avoir falsifié des saisies informatiques.


Souhaitant maintenir le dialogue, je vous ai proposé d'examiner les journées qui venaient d'être réalisées afin de vous permettre de vérifier, par vous-même, que les temps notés sur le logiciel étaient cohérents.


Nous avons ainsi procédé à des vérifications sur quelques journées permettant de corroborer l'absence totale d'heures supplémentaires.


Face à cette évidence, vous vous êtes emporté en me traitant de 'menteur'.


Face à la véhémence de vos propos, je vous ai demandé de vous calmer.


Cependant, vous n'avez rien voulu entendre, vous vous êtes levé et avez quitté le bureau en criant 'vous m'avez bien baisé la gueule mais je ne me laisserai pas faire'.


Ces propos, d'une rare violence, ont été proférés très bruyamment, au vu et au su des collaborateurs de notre client qui se trouvaient à proximité.


Je vous ai retrouvé sur le parking de CONFORAMA quelques minutes plus tard pour tenter, une fois encore, de nouer le dialogue en vous demandant comment vous pouviez justifier de tels dépassements de temps au regard de la faible activité.


Ici encore, vous avez refusé de répondre en vociférant de plus belle afin que tout le monde vous entende et en tenant des propos agressifs et malveillants.


Vous m'avez encore accusé de 'trafiquer' les chiffres afin de vous spolier.


Vous avez mis en doute ma conscience professionnelle, mon intégrité et mon honnêteté.


Vos propos et votre attitude ont dépassé tout ce qui peut être admis dans le cadre d'une relation professionnelle franche, ouverte et loyale.


Il est absolument impossible que vous ayez réalisé les heures supplémentaires dont vous revendiquez le paiement.


Quant bien même les auriez-vous réalisées (ce dont je doute fortement), il vous a été offert, à plusieurs reprises, la possibilité de vous expliquer, ce que vous avez catégoriquement refusé de faire en rejetant toutes les remarques qui vous étaient faites pour traiter votre interlocuteur et l'entreprise de menteurs.


Vous avez utilisé à l'égard de votre dirigeant des propos grossiers et particulièrement blessants.


A aucun moment, durant nos échanges, l'entreprise n'a eu vis-à-vis de vous de propos insultants.


Votre attitude est absolument contraire aux valeurs de l'entreprise et au respect qui doit présider les relations entre les personnes, quelle que soit leur fonction, même en cas de désaccord.


Je considère que vous avez très largement outrepassé ce qui peut être admis.


Pour l'ensemble des motifs ci-dessus, je suis au regret de vous notifier par la présente votre licenciement.


Ce licenciement prend effet dès la première présentation de cette lettre qui marque également le point de départ de votre préavis d'une durée d'un mois.(...)'


Il ressort des énonciations de la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, que M. [U] a été congédié pour avoir revendiqué abusivement le paiement d'heures supplémentaires et tenu des propos grossiers et insultants à l'encontre de son employeur.


Pour sa part, le salarié conteste formellement avoir tenu les propos qui lui sont prêtés et rétorque que ses réclamations quant au paiement de ses heures supplémentaires ne sauraient constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement.


Sur ce dernier point, les demandes en paiement d'heures supplémentaires formulées par un salarié constituent un droit, qui ne pourrait dégénérer en abus que dans des cas de mauvaise foi manifeste ou d'erreur grossière équipollente au dol.


Tel n'est pas le cas en l'espèce, la cour ayant fait droit aux demandes de U. [U] sur ce point.


S'agissant de la tenue de propos grossiers et insultants, contestés par le salarié, l'employeur produit uniquement aux débats l'attestation de M. [R] qui relate avoir constaté, à la suite d'un entretien le 07 mars 2018, 'que M. [U] et Y. [Y] avaient une altercation sur le parking de Conforama'.


Ce seul témoignage, imprécis et peu circonstancié, ne permet pas d'établir la matérialité du second grief invoqué.


Aussi, la cour, par infirmation du jugement entrepris, dit que le licenciement de M. [U] n'est pas fondé sur une cause réelle et sérieuse.


* Sur la demande en paiement de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :


Pour les licenciements sans cause réelle et sérieuse notifiés à compter du 24 septembre 2017, l'article L.1235-3 du code du travail🏛 prévoit que si l'une ou l'autre des parties refuse la réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés dans un tableau différent selon que l'entreprise emploie habituellement plus de dix ou moins de onze salariés (barème Macron).


Le nouvel article L.1235-3 du code du travail🏛 définit des montant minimaux et maximaux d'indemnité de licenciement calculés en mois de salaire, en fonction de l'ancienneté et du nombre de salariés dans l'entreprise. Ainsi, dans les entreprises de 11 salariés ou plus, l'article L. 1235-3 prévoit que l'indemnité de licenciement varie de 1 à 20 mois de salaire brut suivant l'ancienneté dans l'entreprise, en fixant des montants minimaux et maximaux. Dans les entreprises de plus de 11 salariés, l'article L. 1235-3 fixe un régime d'indemnités minimales, qui oscillent de 1 à 20 mois de salaire brut suivant l'ancienneté dans l'entreprise, en fixant des montants minimaux et maximaux.


En l'espèce, M. [M] [U], âgé de 33 ans au moment de son licenciement, comptait 18 mois d'ancienneté au sein de la SARL ITM et percevait un salaire mensuel moyen brut de 1.607,70 euros.


Il n'est pas discuté que la SARL ITM employait plus de dix salariés au moment du licenciement.


En application de l'article L. 1235-3 du code du travail🏛 et au regard de son ancienneté, M. [U] peut prétendre à une indemnité de licenciement dont le montant est compris entre 1 et 2 mois de salaire mensuel brut, soit entre 1.607,70 et 3.215,40 euros bruts.


Compte tenu de son âge, de son ancienneté, d'un retour rapide à l'emploi après deux mois de chômage, la cour alloue au salarié la somme de 2.500 euros bruts à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.


Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a débouté le salarié de ce chef de demande.


3°- Sur les frais irrépétibles et dépens :


Les dispositions du jugement déféré relatives aux frais irrépétibles et dépens, qui n'ont fait l'objet d'aucune critique, seront confirmées.


La SARL ITM, partie qui succombe au sens de l'article 696 du code de procédure civile🏛, sera déboutée de sa demande en indemnisation de ses frais


irrépétibles et condamnée à payer à M. [U] la somme de 1.200 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code précité et ce, en sus de la charge des entiers dépens d'appel.



PAR CES MOTIFS,


La Cour, statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi,


Infirme le jugement déféré, sauf en ce qu'il a débouté M. [U] de sa demande en paiement de dommages et intérêts pour organisation tardive de la visite médicale d'embauche, débouté les parties de leur demande respective en indemnisation de leurs frais irrépétibles et laissé à chacune d'elles la charge de leurs dépens;


Statuant à nouveau sur les autres chefs,


Condamne la SARL ITM à payer à M. [M] [U] les sommes suivantes:

- 4.611,71 euros bruts à titre de rappels de salaire sur heures supplémentaires, outre 461,17 euros bruts au titre des congés payés afférents;

- 800 euros à titre de dommages et intérêts pour dépassement du temps de travail légal;


Dit que le licenciement de M. [U] est dépourvu de cause réelle et sérieuse;


Condamne en conséquence la SARL ITM à payer au salarié la somme de 2.500 euros bruts à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;


Y ajoutant,


Déboute la SARL ITM de sa demande en indemnisation de ses frais irrépétibles;


Condamne la SARL ITM à payer à M. [U] la somme de 1.200 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile🏛;


Condamne la SARL ITM aux entiers dépens d'appel;


Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.


Ainsi fait et prononcé lesdits jour, mois et an.


Le Greffier, Le Président,


S. BOUDRY C. A

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