Jurisprudence : CAA Marseille, 7e, 25-04-2022, n° 20MA00012

CAA Marseille, 7e, 25-04-2022, n° 20MA00012

A124473H

Référence

CAA Marseille, 7e, 25-04-2022, n° 20MA00012. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/85483060-caa-marseille-7e-25042022-n-20ma00012
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Références

Cour administrative d'appel de Marseille

N° 20MA00012

7ème chambre
lecture du 25 avril 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société à responsabilité limitée (SARL) Austin et M. A B ont demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler la décision du 21 novembre 2017 par laquelle le préfet du Var les a mis en demeure de cesser toute exploitation de l'établissement " La Kima " dans un délai de trois semaines et de procéder au démontage du bâtiment l'abritant dans un délai de trois mois à compter de la réception de cette décision.

Par un jugement n° 1704863 du 7 novembre 2019, le tribunal administratif de Toulon a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 3 janvier 2020 sous le n° 20MA00012, la société Austin et M. B, représentés par Me Faure-Bonaccorsi, demandent à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulon du 7 novembre 2019 ;

2°) d'annuler la mise en demeure du 21 novembre 2017 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, le tribunal aurait dû attendre l'issue de la procédure de délimitation du domaine public maritime avant de statuer ;

- la décision en litige est insuffisamment motivée ;

- elle constitue une sanction qui aurait dû faire l'objet d'une procédure contradictoire en application de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration ;

- elle porte atteinte à une liberté publique au sens de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration dès lors qu'elle a pour effet de restreindre leur liberté d'entreprendre et la liberté du commerce et porte atteinte à leur intérêt patrimonial de jouir d'un bien au sens de l'article 1er du premier protocole additionnel de la convention européenne des droits de l'homme ;

- le préfet ne pouvait mettre en demeure l'exploitant de procéder au démontage du restaurant, sans en informer préalablement le propriétaire des lieux, en le mettant en mesure de faire valoir ses observations ;

- la décision contestée est erronée dès lors que l'établissement ne se trouve pas sur le domaine public maritime.

Par un mémoire en défense, enregistré le 25 novembre 2021, la ministre de la transition écologique et la ministre de la mer concluent au rejet de la requête de la société Austin et de M. B.

Elles font valoir que les moyens soulevés par la société Austin et M. B ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le premier protocole additionnel à cette convention ;

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Marchessaux,

- les conclusions de M. Chanon, rapporteur public ;

- et les observations de Me Faure-Bonaccorsi, représentant la SARL Austin et M. B.

Une note en délibéré présentée pour la SARL Austin et autre a été enregistrée le 14 avril 2022.

Une note en délibéré présentée par la ministre de la transition écologique a été enregistrée le 15 avril 2022.

Considérant ce qui suit :

1. La SARL Austin et son gérant M. B exploitent, depuis 2013, le restaurant de plage " La Kima " situé sur la plage de Port-Issol à Sanary-sur-Mer. Leur demande de renouvellement d'autorisation d'occupation temporaire du 23 janvier 2017 a fait l'objet d'une décision implicite de rejet. Le préfet du Var les a mis en demeure par un courrier du 21 novembre 2017 de cesser toute exploitation de l'établissement " La Kima " dans un délai de trois semaines et de procéder au démontage du bâtiment l'abritant dans un délai de trois mois. La société Austin et M. B relèvent appel du jugement du 7 novembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Toulon a rejeté leur demande tendant à l'annulation de cette décision du 21 novembre 2017.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Avant de statuer, les premiers juges n'avaient pas à attendre l'issue de la procédure de délimitation du domaine public maritime ordonnée par le jugement du 27 décembre 2018 du tribunal administratif de Toulon dès lors que la détermination de l'appartenance d'une dépendance au domaine public maritime est exclusivement fondée sur les critères prévus à l'article L. 2111-4 du code général de la propriété des personnes publiques que le juge doit appliquer.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

3. Aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / 1° Restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police ; / 2° Infligent une sanction ; / 3° Subordonnent l'octroi d'une autorisation à des conditions restrictives ou imposent des sujétions ; / 4° Retirent ou abrogent une décision créatrice de droits ; / 5° Opposent une prescription, une forclusion ou une déchéance ; / 6° Refusent un avantage dont l'attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l'obtenir ; / 7° Refusent une autorisation, sauf lorsque la communication des motifs pourrait être de nature à porter atteinte à l'un des secrets ou intérêts protégés par les dispositions du a au f du 2° de l'article L. 311-5 ; / 8° Rejettent un recours administratif dont la présentation est obligatoire préalablement à tout recours contentieux en application d'une disposition législative ou réglementaire. ".

4. La mise en demeure en litige, qui se borne à rappeler à la SARL Austin qu'elle a pris la responsabilité d'occuper le domaine public maritime et d'exploiter l'établissement " La Kima " et diverses dalles le jouxtant pendant la saison balnéaire 2017 sans aucun droit ni titre l'y autorisant et que sa demande d'autorisation d'occupation temporaire du domaine public maritime formulée par courrier du 23 janvier 2017 a fait l'objet d'un refus implicite n'impose par elle-même aucune sujétion, la source des contraintes que la société appelante s'est vu obligée de respecter se trouvant dans le code général de la propriété des personnes publiques et dans les mentions de l'autorisation délivrée le 17 juin 2016. Ladite mise en demeure, qui constitue une simple mesure visant à la préservation de l'intégrité du domaine public maritime, n'entre ainsi dans aucune des catégories mentionnées au point 3 et n'avait donc pas à satisfaire aux exigences de motivation prévues par les dispositions de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration. En tout état de cause, cette décision comporte les éléments de droit et de fait qui la fondent et est donc suffisamment motivée.

5. Aux termes de l'article L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Les décisions mentionnées à l'article L. 211-2 n'interviennent qu'après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales. Cette personne peut se faire assister par un conseil ou représenter par un mandataire de son choix. / L'administration n'est pas tenue de satisfaire les demandes d'audition abusives, notamment par leur nombre ou leur caractère répétitif ou systématique. ".

6. Aucun principe n'impose à l'administration lorsqu'elle prend, dans l'intérêt du domaine public, une mesure qui ne revêt pas le caractère d'une sanction, de respecter une procédure contradictoire. En outre, comme dit au point 4, la décision contestée n'entrant dans aucune des catégories mentionnées par les dispositions de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration, y compris celle concernant les mesures qui restreignent l'exercice des libertés publiques, le préfet du Var n'avait pas davantage obligation d'informer préalablement le supposé propriétaire des lieux, en le mettant en mesure de faire valoir ses observations. Par suite, il y a lieu d'écarter le moyen tiré de ce que la mise en demeure contestée serait entachée d'illégalité faute d'avoir été précédée d'une telle procédure.

7. Aux termes de l'article L. 2111-4 du code général de la propriété des personnes publiques : " Le domaine public maritime naturel de l'État comprend : / 1 ° Le sol et le sous-sol de la mer entre la limite extérieure de la mer territoriale et, côté terre, le rivage de la mer. / Le rivage de la mer est constitué par tout ce qu'elle couvre et découvre jusqu'où les plus hautes mers peuvent s'étendre en l'absence de perturbations météorologiques exceptionnelles () ". Aux termes de l'article L. 2122-1 du code précité : " Nul ne peut, sans disposer d'un titre l'y habilitant, occuper une dépendance du domaine public d'une personne publique mentionnée à l'article L. 1 ou l'utiliser dans les limites dépassant le droit d'usage qui appartient à tous ". Aux termes de l'article L. 2132-3 du même code : " Nul ne peut bâtir sur le domaine public maritime ou y réaliser quelque aménagement ou quelque ouvrage que ce soit sous peine de leur démolition, de confiscation des matériaux et d'amende () ".

8. D'une part, il résulte de ces dispositions que le rivage de la mer fait partie du domaine public maritime naturel de l'Etat et ne peut appartenir à une propriété privée, sans que puisse y faire obstacle les actes de propriété dont sont susceptibles de se prévaloir les riverains. Par suite, ces derniers ne peuvent y édifier des ouvrages ou y réaliser des aménagements sans l'autorisation de l'autorité compétente de l'Etat, sous peine de poursuites pour contravention de grande voirie.

9. D'autre part, pour constater que l'infraction à caractère matériel d'occupation irrégulière du domaine public est constituée, le juge administratif doit déterminer, au vu des éléments de fait et de droit pertinents, si la dépendance concernée relève du domaine public. S'agissant du domaine public maritime, le juge doit appliquer les critères fixés par l'article L. 2111-4 du code général de la propriété des personnes publiques.

10. Enfin, l'absence de délimitation administrative du domaine public maritime ne fait pas obstacle à ce que le juge administratif détermine dans le cadre de son office les limites entre le domaine public maritime et les propriétés privées.

11. Il ressort de ce qui a été dit aux points 8 à 10 que la circonstance, à la supposer même établie, que la parcelle où se situe le restaurant " La Kima " appartiendrait à un propriétaire privé et celle tirée de ce qu'aucun arrêté de délimitation n'a été pris malgré l'injonction ordonnée par le jugement du 27 décembre 2018 du tribunal administratif de Toulon sont sans incidence sur la détermination de l'appartenance d'une dépendance au domaine public maritime qui est exclusivement fondée sur les critères prévus à l'article L. 2111-4 du code général de la propriété des personnes publiques mentionnés au point 7.

12. Il ressort des pièces du dossier et plus particulièrement des planches photographiques prises les 11 janvier 2016, 21 novembre 2016 et 11 décembre 2017 que les dalles béton et le corps du bâtiment ont été régulièrement recouverts par les flots. En outre, selon les données Météo France, le 11 janvier 2016, le vent était de force 6 sur l'échelle de Beaufort, puis de force 7 la journée du 21 novembre 2016, et de force 5 le 11 décembre 2017. Ces indications ne sauraient ainsi caractériser en l'espèce des perturbations météorologiques exceptionnelles au sens du 1° de l'article L. 2111-4 du code général de la propriété des personnes publiques. La société Austin et M. B ne démontrent pas le contraire en se prévalant d'articles parus dans la presse locale concernant la journée du 11 janvier 2016. Si les requérants soutiennent qu'aucun élément du dossier n'établit que des travaux d'exondation ont été mis en œuvre pour implanter le restaurant en cause, les photos des lieux, en particulier celles prises en 1975 démontrent le contraire, le terrain d'assiette de la construction ayant été soustrait artificiellement à l'action des flots. Par ailleurs, la poursuite de l'exploitation de la dalle bétonnée incluse dans le domaine public maritime durant la saison 2017 est établie par les procès-verbaux de constats des 9 mai 2017 et 2 août 2017. Enfin, Il ne saurait y avoir de confusion entre la terrasse bétonnée se trouvant en contre bas du restaurant et ce dernier, ainsi qu'avec les terrasses adjacentes, dès lors que la dernière autorisation d'occupation temporaire accordée le 17 juin 2016 à la société Austin, vise les dalles bétonnées et le bâtiment à usage de restauration et de location de matelas parasols pour une surface de 281,5 m². Par suite, les constructions en litige sont implantées sur le domaine public maritime, en application des dispositions du 1° de l'article L. 2111-4 du code général de la propriété des personnes publiques,

13. D'une part, en vertu de l'article L. 2122-5 du code général de la propriété des personnes publiques, aucun droit réel ne peut être constitué sur le domaine public naturel. Ainsi, l'obligation faite aux appelants de libérer le domaine public maritime ne porte pas atteinte à leur intérêt patrimonial de jouir d'un bien. D'autre part, les dispositions précitées de l'article L. 2132-3 du code général de la propriété des personnes publiques, qui interdisent en principe l'édification ou le maintien d'aménagements ou de constructions non compatibles avec cette affectation publique et exposent celui qui y procède à la démolition de ses installations, ne portent pas d'atteinte excessive à la liberté d'entreprendre non plus qu'à la liberté du commerce et de l'industrie auxquelles le législateur a, lorsqu'elles s'exercent sur le domaine public maritime, fixé des bornes justifiées au regard de l'exigence constitutionnelle, résidant dans les droits et libertés des personnes à l'usage desquelles il est affecté, qui s'attache à la protection de ce domaine et que met en œuvre la nécessité d'obtenir une autorisation, nécessairement temporaire, pour l'occuper ou l'utiliser dans des limites dépassant le droit d'usage appartenant à tous.

14. Il résulte de tout ce qui précède que la société Austin et M. B ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon, a rejeté leur demande tendant à l'annulation de la mise en demeure du 21 novembre 2017.

Sur les frais liés au litige :

15. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ".

16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par la société Austin et M. B au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la société Austin et de M. B est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Austin, à M. A B et à la ministre de la transition écologique.

Délibéré après l'audience du 8 avril 2022, où siégeaient :

- M. Pocheron, président de chambre,

- Mme Ciréfice, présidente assesseure,

- Mme Marchessaux, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 25 avril 2022.

bb

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