Jurisprudence : CA Colmar, 23-09-2011, n° B 08/05186, Confirmation partielle



CS/CW
MINUTE N° 673/11
Copies exécutoires à
Maître ...
Maîtres ...,
RICHARD-FRICK
& CHEVALLIER-GASCHY
Le 23 septembre 2011
Le Greffier
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS COUR D'APPEL DE COLMAR
DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE - SECTION B
ARRÊT DU 23 septembre 2011 Numéro d'inscription au répertoire général 2 B 08/05186
Décisions déférées à la Cour jugements du 19 avril 1999 et du 30 septembre 2008 du TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE de STRASBOURG

APPELANTE, demanderesse et INTIMÉE sous II B 5765/08
Madame Fatma Z épouse Z
demeurant
STRASBOURG
(aide juridictionnelle totale n° 09/138 du 19/01/2009 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de COLMAR)
représentée par Maître SPIESER, avocat à COLMAR
INTIMÉS
- défendeur et APPELANT sous II B 5765/08
1 - Monsieur Chahrokh Y Y
demeurant 1 rue des Tonneliers
67000 STRASBOURG
représenté par Maîtres ..., ... & CHEVALLIER-GASCHY, avocats à COLMAR
plaidant Maître Jean-Louis ..., avocat à STRASBOURG
- partie intervenante
2 - La C.P.A.M. de STRASBOURG
prise en la personne de son représentant légal
ayant son siège social
STRASBOURG
assignée à personne morale le 23 mars 2009
non représentée

COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 15 avril 2011, en audience publique, devant la Cour composée de
Monsieur Adrien LEIBER, Président
Madame Clarisse SCHIRER, Conseiller
Monsieur Olivier DAESCHLER, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier ad hoc, lors des débats Madame Astrid DOLLE
ARRÊT Réputé contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
- signé par Monsieur Adrien LEIBER, Président et Madame Astrid DOLLE, greffier ad hoc, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Ouï Monsieur Adrien LEIBER, Président de Chambre en son rapport,
* * *
Le 23 mai 1995, Madame Fatma Z née le 17 décembre 1952 a été opérée par le Docteur Y Y d'une intervention combinée de la cataracte et du glaucome de l'oeil gauche, oeil porteur d'une forte myopie.
Cette intervention sera suivie de complications à savoir l'apparition d'un décollement de rétine ayant nécessité une nouvelle opération le 21 août 1995 pratiquée par le Docteur
MEYER, praticien hospitalier à la Clinique Ophtalmologique des Hôpitaux Universitaires de STRASBOURG et l'apparition d'épisodes récidivants d'uvéité et d'effusion uvéale.
L'évolution sera marquée par la perte la vision de l'oeil gauche et l'apparition d'une phtise progressive ayant conduit à l'éviscération de l'oeil gauche le 12 mars 2002.
Madame ... a saisi le Tribunal de grande instance de STRASBOURG dès mars 1996 d'une action dirigée contre le Docteur Y Y et le Docteur Jean ... désigné par ordonnance du Juge de la mise en état du 12 mai 1997, invité notamment dans la mission qui lui était confiée à fournir tous éléments permettant au Tribunal de statuer sur la responsabilité du Docteur Y Y, a déposé son rapport le 1er septembre 1997.

Par jugement du 19 avril 1999, le Tribunal de grande instance de STRASBOURG a dit que le Docteur Y Y a manqué à son devoir d'information antérieurement à l'intervention par lui pratiquée sur Madame ... le 23 mai 1995 et a dit qu'il devra, en conséquence, l'indemniser des conséquences de la complication survenue, renvoyant par ailleurs l'affaire à la mise en état, l'état de Madame ... n'étant pas consolidé au vu des conclusions de l'expert judiciaire et les parties étant invitées à se prononcer sur un retour du dossier à l'expert.
La C.P.A.M. de STRASBOURG est intervenue dans la procédure.
Par ordonnance du 7 février 2000, le Juge de la mise en état du Tribunal de grande instance de STRASBOURG, constatant la nécessité de procéder à un examen de révision, a ordonné le retour du dossier à l'expert, le Docteur ... qui a déposé son rapport le 18 avril 2000.
Le Docteur ... n'ayant pas répondu à tous les points de sa mission, une nouvelle expertise a été confiée au Professeur Henry ... le 28 juin 2001 lequel indiquera, en mars 2002, que l'éviscération envisagée n'étant alors pas réalisée, l'examen de Madame ... devait être reporté six mois après cette intervention, date qui correspondait, sauf complications, à la consolidation des lésions.
Le dossier était finalement retourné au Professeur ... sur ordonnance du Juge de la mise en état du 28 novembre 2002 et celui-ci déposait un pré-rapport le 17 mars 2003 qui deviendra le rapport définitif en juillet 2003.
Ce rapport ne tenant pas compte d'un dire de Maître ..., conseil de première instance de Madame ... que l'expert déclarait ne pas avoir reçu et la victime ayant subi une nouvelle intervention le 14 octobre 2003, le Juge de la mise en état ordonnait un nouveau retour du dossier au Professeur ... aux fins d'actualisation de ses conclusions au vu de ces éléments.
Le Professeur Henry ... établissait un nouveau rapport actualisé daté du 15 octobre 2004.
Par un second jugement en date du 30 septembre 2008, le Tribunal de grande instance de STRASBOURG procédant à l'évaluation du préjudice, a condamné le Docteur Y Y à payer, avec exécution provisoire, à Madame Fatma Z une somme de 16.977,55 euros, déduction faite de la provision précédemment allouée de 7.622,45 euros et à la C.P.A.M. de STRASBOURG celle de 22.970,49 euros.
Le Tribunal a en outre condamné le Docteur Y Y à payer à Madame ... sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile la somme de 5.000 euros et à la C.P.A.M. de STRASBOURG celle de 1.000 euros sur le même fondement.

Le 28 octobre 2008, Madame ... a interjeté appel du jugement du 30 septembre 2008 (procédure 2 B 5186/08).
Le 28 novembre 2008, Monsieur Y Y a interjeté appel des deux jugements du 19 avril 1999 et du 30 septembre 2008 (procédure 2 B 5765/08).
Ces deux procédures d'appel ont été jointes par le Conseiller de la mise en état le 30 mars 2009 sous le numéro 2 B 5186/08.
Par ordonnance du 10 juin 2009, le Conseiller de la mise en état a refusé de disjoindre les deux procédures et a déclaré irrecevable l'appel formé par le Docteur Y Y contre le jugement du 19 avril 1999.
Cette ordonnance a été déférée à la Cour par Monsieur Y Y le 24 juin 2009.
La Cour, par arrêt du 12 février 2010 a infirmé l'ordonnance rendue le 10 juin 2009 par le Conseiller de la mise en état en ce qu'il a déclaré irrecevable l'appel interjeté par Monsieur Y Y à l'encontre du jugement du 19 avril 1999 du Tribunal de grande instance de STRASBOURG, et a déclaré cet appel recevable.
Madame ..., dans ses conclusions récapitulatives du 8 novembre 2010 reçues au greffe le 10 novembre 2010 a demandé à la Cour
sur l'appel du jugement du 30 septembre 2008
- de la déclarer recevable et bien fondée en son appel
- avant dire droit, d'ordonner une nouvelle expertise et de lui réserver le droit de chiffrer son préjudice après communication du nouveau rapport d'expertise
- en tout état de cause de lui allouer une provision complémentaire de 5.000 euros
- dans l'hypothèse où il n'était pas fait droit à sa demande de contre-expertise, de chiffrer son préjudice comme suit
- frais médicaux et assimilés 18.866,10 euros
- I.T.T. 1.394,68 euros
- préjudice matériel 7.000,00 euros
- dépenses de santé futures 2.775,82 euros
- préjudice professionnel 3.500,00 euros
- déficit fonctionnel temporaire 52.523,25 euros
- pretium doloris temporaire 7.000,00 euros
- préjudice esthétique temporaire 5.000,00 euros
- déficit fonctionnel permanent 25.000,00 euros
- souffrances endurées permanentes 5.000,00 euros
- préjudice esthétique permanent 7.000,00 euros
- préjudice d'agrément 8.000,00 euros
- préjudice moral 8.000,00 euros
total 182.559,85 euros
dont à déduire
- le montant revenant à la C.P.A.M. - 22.970,49 euros
- la provision versée - 7.622,45 euros
solde dû 151.966,91 euros
- de condamner Monsieur Y Y à lui payer la somme de 151.966,91 euros avec les intérêts au taux légal à compter de la demande
- de confirmer le jugement entrepris s'agissant de l'article 700 du Code de procédure civile et des frais de première instance
- de rejeter l'appel de Monsieur Y Y
- très subsidiairement, de dire que le pourcentage d'indemnisation proposé par Monsieur Y Y est insuffisant et qu'il ne saurait être inférieur à 60 %
sur l'appel du jugement du 19 avril 1999
- de déclarer Monsieur Y Y irrecevable en son appel, subsidiairement mal fondé et l'en débouter
- de condamner Monsieur Y Y aux entiers dépens d'appel et à lui payer 6.000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle expose
- que le Docteur Y Y a acquiescé au jugement de 1999
- que le Docteur Y Y a omis de faire effectuer des analyses concernant la recherche du groupe HLA avant de pratiquer l'opération, cette faute engageant sa responsabilité
- qu'il a en outre reconnu avoir manqué à son devoir d'information
- que depuis l'opération désastreuse du Docteur Y Y, elle subit des chutes fréquentes, un état dépressif chronique, des souffrances quotidiennes, la perte de son travail en tant qu'assistante maternelle
- qu'elle a été classée invalide catégorie 2 de la Sécurité Sociale
- qu'elle sollicite une contre-expertise, le Professeur ... n'ayant pas répondu à toutes les questions
- qu'une nouvelle intervention chirurgicale a été nécessaire au niveau des paupières pour favoriser la bonne tolérance de la prothèse oculaire en 2008.
Monsieur Chahrokh Y Y a conclu dans ses derniers écrits du 10 janvier 2011
sur l'appel de Madame ... à l'encontre du jugement du 30 septembre 2008
- rejeter la demande de nouvelle expertise
- débouter Madame ... de sa demande de provision complémentaire
sur appel incident
- dire et juger que Madame ... ne peut prétendre qu'à une fraction des postes de préjudice subis
- fixer cette fraction à 20 %
- réduire en conséquence les prétentions de Madame ... et de la C.P.A.M. DU BAS-RHIN
en tout état de cause
- réduire très sensiblement les prétentions de Madame ...
- condamner l'appelante aux dépens
- déclarer l'arrêt à intervenir commun à la C.P.A.M. DU BAS-RHIN
sur son appel contre le jugement du 19 avril 1999
- le recevoir en son appel
- infirmer les décisions entreprises
- dire et juger qu'il n'a pas commis de faute et n'a pas manqué à son devoir d'information à l'égard de sa patiente, Madame ...
- en conséquence, débouter Madame ... de l'intégralité de ses demandes - subsidiairement,
- dire et juger que si le défaut d'information devait être retenu à son encontre, Madame ... ne peut prétendre qu'à un préjudice forfaitaire de principe qu'il appartient à la Cour d'arbitrer
- condamner Madame ... aux dépens des deux instances et à lui payer une indemnité de 2.500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Il expose
- que l'indication opératoire destinée à traiter la cataracte et l'hypertension oculaire dont se trouvait atteinte Madame ... était parfaitement justifiée ; que l'opération réalisée le 23 mai 1995 a été conforme aux techniques de l'époque
- qu'il a donné une information simple, intelligible et loyale à sa patiente et lui a indiqué que le résultat serait limité sur le plan de l'acuité visuelle, compte tenu de l'amblyopie myopique préexistante
- que subsidiairement, le défaut d'information ne peut conduire qu'à l'indemnisation d'un préjudice lié à la perte de chance à l'exclusion du préjudice né du risque réalisé ; que cette indemnisation est nécessairement forfaitaire et symbolique
- que Madame ... ne produit aucun élément médical nouveau sur le plan ophtalmologique permettant de considérer que les conclusions du Professeur ... ne seraient plus d'actualité.
La C.P.A.M. de STRASBOURG, assignée le 23 mars 2009, n'a pas constitué avocat.

SUR CE
Vu les décisions entreprises ;
Vu les conclusions des parties auxquelles il est expressément renvoyé pour plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens invoqués devant la Cour ;
Vu l'ordonnance de clôture du 9 mars 2011 ;
Attendu que, statuant sur requête en déféré du Docteur Y Y, la Cour d'Appel de céans a infirmé l'ordonnance du Conseiller de la mise en état du 10 juin 2009 et a déclaré recevable l'appel du Docteur Y Y contre le jugement du 19 avril 1999 ;
que ce point étant définitivement jugé, c'est dès lors à tort que Madame ... persiste dans ses conclusions d'irrecevabilité d'appel ;
* * *
Attendu que Madame ... a été opérée le 23 mai 1995 par le Docteur Y Y de la cataracte et d'un glaucome dont son oeil gauche, fort myope (acuité visuelle de 1/10) était porteur ;
que des complications sont très rapidement survenues après l'opération, à savoir un décollement de rétine pour lequel elle a été opérée par le Docteur ... dans le service ophtalmologique des Hospices Civils de STRASBOURG le 21 août 1995 et la survenance d'épisodes intermittents d'inflammation oculaire associés à des épisodes intermittents d'effusion uvéale de cet oeil, pathologie ayant progressivement évolué vers d'une part la perte de vision de l'oeil gauche, la quasi-cécité ayant été constatée par le Docteur ..., premier expert judiciaire nommé dès son premier examen du 19 juin 1997 et d'autre part l'atrophie du globe oculaire apparue dès 2001 (cf. certificat
du Docteur ... du 1er juin 2001) qui conduira au vu des pièces médicales produites et ainsi qu'il résulte des rapports d'expertise du Professeur ... à son éviscération en mars 2002 avec mise en place d'une prothèse dont la mauvaise mobilité a nécessité une nouvelle intervention chirurgicale au niveau de la cavité orbitaire gauche qui présentait un creux palbébral supérieur majeur, en octobre 2003, suivie de la mise en place d'une prothèse provisoire puis définitive en mars 2004 ;
Attendu que le Docteur ..., invité à fournir tous éléments techniques de nature à permettre à la juridiction saisie de se prononcer sur la responsabilité du Docteur Y Y a conclu que les soins prodigués par le Docteur Y Y étaient conformes aux données de la science, aux règles de l'art et à la pratique médicale en vigueur au moment de l'intervention du 13 mai 1995 ;
qu'il n'a émis aucune critique concernant l'indication opératoire qu'il a considérée comme justifiée, l'intervention elle-même et le suivi post-opératoire ;
que si Madame ... soutient que l'intervention ne se justifiait pas, une telle critique n'apparaît pas fondée au vu des conclusions du Docteur ... qui ne sont contredites par aucune pièce médicale contraire ;
qu'en outre si Madame ... reproche au Docteur Y Y de ne pas avoir, avant l'intervention, procéder à la recherche du groupage HLA B 27 dont la présence a été découverte ultérieurement et qui est le témoin d'une prédisposition génétique à la survenue d'uvéites aigues, le fait que cette investigation n'ait pas été menée ne saurait constituer une faute de la part du Docteur Y Y en l'absence de tout contexte clinique, dès lors que Madame ... n'avait jamais présenté une quelconque manifestation d'uvéite antérieurement et que cette pathologie est une complication exceptionnelle qui atteint moins de 1 % des opérés de la cataracte ou du glaucome
Attendu que Madame ... reproche enfin au Docteur Y Y un déficit d'information et de renseignements ;
Attendu que, si le Docteur Y Y expose avoir satisfait à son devoir d'information, force est de constater qu'il ne prétend nullement avoir informé Madame ... du risque grave consistant en la survenance d'un syndrome d'effusion uvéale, pathologie pouvant entraîner la cécité de l'oeil et son atrophie amenant à l'éviscération ;
que le fait qu'il s'agisse d'une complication exceptionnelle qui atteint moins de 1 % des opérés de la cataracte ou du glaucome, ne le dispensait pas de cette information qu'il devait d'autant plus donner que l'intervention en l'espèce était double ;
que les seules précisions qu'il donne dans ses conclusions quant à l'information fournie sont celles relatives au gain visuel que Madame ... pouvait espérer après l'intervention dont il avait indiqué qu'il serait limité compte tenu de l'amblyopie myopique préexistante ;
que cette information était insuffisante ce d'autant que Monsieur Y Y ne démontre pas davantage avoir informé Madame ... d'un risque de décollement de la rétine, complication survenue très rapidement, en lien direct avec l'intervention et dont aucun élément médical figurant au dossier ne permet de dire qu'elle était imprévisible ;
qu'il convient dans ces conditions de retenir la faute du Docteur Y Y dans son obligation d'information ;
que cette faute ayant privé Madame ... de donner un consentement ou un refus éclairé à l'intervention, il y a lieu de l'indemniser des conséquence des complications survenues résultant de l'acte chirurgical non constitué de façon éclairée ;
Attendu qu'il résulte du rapport d'expertise judiciaire du Professeur ...
- que le décollement de rétine et le syndrome d'effusion uvéale sont en lien direct et certain avec l'intervention du 23 mai 1995 ; que l'éviscération est également en lieu direct et certain avec les complications
- que l'évolution prévisible de la fonction visuelle de l'oeil gauche amblyope porteur d'une cataracte et d'un glaucome aurait abouti sans intervention à la perte fonctionnelle de l'oeil mais en l'absence d'intervention l'évolution n'aurait pas abouti à une éviscération
- que l'incapacité médicalement justifiée va du 24 mai 1995 au 10 janvier 1996, du 12 mars 2002 au 12 mai 2002 et du 16 octobre 2003 au 16 novembre 2003
- que la date de consolidation est fixée au 31 mars 2004, date à laquelle a été fournie la prothèse définitive
- que le déficit fonctionnel permanent en rapport avec les faits est de 9 %, le déficit antérieur de 16 % étant désormais de 25 %
- que malgré son incapacité permanente partielle, Madame ... est physiquement et intellectuellement apte à reprendre les activités professionnelles qu'elle exerçait avant l'intervention
- que le pretium doloris est de 4/7 et le préjudice esthétique de 3/7 ;
Attendu que le Professeur ... ayant répondu à l'ensemble des questions posées après réponse aux dires des parties et retour du dossier suite à la nouvelle intervention sur le plan ophtalmologique survenue en octobre 2003 et après consultation de l'entier dossier médical de Madame ..., la Cour rejette la demande de contre-expertise de Madame ... qui ne fait la preuve d'aucun élément médical nouveau en rapport avec l'intervention du 23 mai 1995 survenu depuis le dépôt par le Professeur ... de son rapport d'expertise actualisé en février 2005 établissant une aggravation ou une absence de consolidation ; que ses critiques contre le rapport du Professeur ... ne sont pas fondées au vu des pièces médicales qu'elle produit, ce rapport constituant dès lors une base valable d'évaluation de ses préjudices ;
qu'aucun élément du dossier ne permettant de connaître le délai d'évolution prévisible de la pathologie oculaire de Madame ... en l'absence d'intervention, c'est l'ensemble des complications et de leurs conséquences survenues dans les suites directes et immédiates de l'intervention pratiquée par le Docteur Y Y qui doivent être indemnisées ;
1. sur les frais médicaux et assimilés
Attendu que le montant de 18.866,10 euros au titre des frais médicaux, pharmaceutiques et d'hospitalisation exposés par la C.P.A.M. pendant les périodes d'incapacité temporaire et celui de 2.275,82 euros représentant le montant capitalisé des frais futurs que l'organisme social sera amené à débourser ne sont pas critiqués, la disposition du jugement entrepris du 30 septembre 2008 relative à la créance de la Caisse n'étant pas remise en cause ;
2. le préjudice matériel
Attendu que Madame ... met en compte un montant forfaitaire de 7.000 euros couvrant des frais de prothèse oculaire et de consultation restés partiellement à sa charge, des frais de transport et d'aide ménagère qu'elle a dû exposer ;
Attendu que Madame ... ne produit aucun décompte précis de ses frais ; que les pièces qu'elle produit ne sont pas toutes exploitables et ne permettent pas toujours d'établir un lien entre les dépenses qu'elles constatent et l'intervention de 1995 ; que dans ces conditions la Cour confirme le montant de 2.000 euros retenu par les premiers Juges ;
3. les pertes de gains pendant les périodes d'I.T.T.
Attendu qu'il résulte du rapport d'expertise judiciaire du Professeur ... que les périodes d'incapacité temporaire médicalement justifiées vont
du 24 mai 1995 au 10 janvier 1996
du 12 mars 2002 au 12 mai 2002
et du 16 octobre 2003 au 16 novembre 2003 ;
Attendu qu'il n'est pas contesté que la C.P.A.M. de STRASBOURG a versé au titre de l'ensemble de ces périodes d'incapacité temporaire des indemnités journalières totalisant 1.328,57 euros ;
que Madame ... met en compte une perte nette de salaire de 613,97 euros pour le mois d'août 2002 et de 780,71 euros pour le mois de novembre 2003 ;
qu'elle expose que si son employeur lui a versé la totalité de son salaire en mars 2002 qui au vu de la fiche de paye qu'elle produit s'est élevé à 708,43 euros, elle n'a, au titre du mois d'avril 2002 perçu son salaire que du 1er au 4 avril 2002 ;
que si son bulletin du paye émanant de son employeur, la crèche parentale LA TROTTINETTE, atteste effectivement du paiement de la seule somme de 94,96 euros pour la période du 1er au 4 avril 2002, le décompte définitif de la créance de la C.P.A.M. de STRASBOURG du 16 novembre 2004 fait cependant ressortir que l'organisme social a versé pour le compte de Madame ... pour la période du 14 mars 2002 au 3 mai 2002 des indemnités journalières à hauteur de 805,29 euros ;
que Madame ... ne démontre dans ces conditions pas avoir subi la perte de salaire de 613,97 euros invoqué pour avril 2002 ;
Attendu que l'employeur de Madame ..., la crèche parentale LA TROTTINETTE atteste par ailleurs que Madame ... n'a pas travaillé du 13 octobre 2003 au 1er décembre 2003, qu'une subrogation partielle dans la perception des indemnités journalières a été demandée à la C.P.A.M. pour la période du 14 octobre 2003 au 31 octobre 2003 pendant laquelle Madame ... a bénéficié du maintien de son salaire (780,71 euros selon bulletin de paye d'octobre 2003) mais qu'aucun salaire ne lui a été payé en novembre 2003 ;
Attendu qu'il résulte du décompte de la C.P.A.M. du 16 novembre 2004 que les indemnités journalières versées du 17 octobre 2003 au 16 novembre 2003 se sont élevées à 523,28 euros à raison de 16,88 euros par jour pendant 31 jours ;
que sur la base d'un salaire mensuel de 780 euros perçu par Madame ..., sa perte de gains s'élève, pour la période du 1er au 16 novembre 2003 à la somme de 416 euros dont à déduire les indemnités journalières perçues au titre de cette période, soit 270,08 euros (16,88 euros x 16), soit un solde revenant à Madame ... de 145,92 euros arrondi à 146 euros ;
sur l'indemnisation du déficit fonctionnel temporaire
Attendu que Madame ... qui expose avoir été réopérée en 2008 sollicite une indemnisation jusqu'à cette date des troubles physiologiques subis à raison de 300 euros par mois, soit 49.800 euros ;
Mais attendu que les conclusions de l'expert judiciaire qui a arrêté la date de consolidation au 31 mars 2004 ne sont pas sérieusement remises en cause par les pièces médicales produites par Madame ... postérieures au 31 mars 2004, voire au dépôt du rapport d'expertise judiciaire du Professeur ..., dès lors qu'elles apparaissent soit étrangères à l'intervention du Docteur Y Y (fractures, gastrites ... ) ou ne font que démontrer l'existence d'un suivi sur le plan ophtalmologique avec nécessité d'adaptations prothétiques régulières sans démontrer une aggravation ou une absence de consolidation des lésions oculaires ; que la nature de l'intervention survenue fin 2008 n'est par ailleurs pas justifiée, la seule pièce produite étant un bulletin de sortie émanant de la Clinique ADASSA à STRASBOURG duquel il ressort que Madame ... y a été hospitalisée du 14 décembre 2008 au 16 décembre 2008 ;
que dès lors qu'il résulte des documents médicaux analysés par l'expert judiciaire que l'évolution a été marquée par des épisodes répétitifs d'effusion uvéale et des difficultés d'adaptation de la prothèse mise en place après éviscération de l'oeil gauche, il convient d'admettre que Madame ... a subi non seulement pendant les périodes d'I.T.T. retenues par l'expert judiciaire mais aussi jusqu'à la consolidation survenue le 31 mars 2004 des troubles dans ses conditions d'existence qui seront équitablement réparés par l'allocation d'une somme de 6.000 euros ;
sur le déficit fonctionnel permanent
Attendu que Madame ... critique le taux de 9 % retenu par l'expert judiciaire en lien avec l'intervention du Docteur Y Y ;
qu'elle évalue son préjudice à ce titre à 25.000 euros sur la base d'un taux d'I.P.P. de 25 % ;
que sa critique n'apparaît pas médicalement fondée et ne tient pas compte de son état antérieur, son oeil gauche étant, avant l'intervention de 1995, porteur d'une amblyopie secondaire à une forte myopie (1/10ème après correction) aggravée par la présence d'une cataracte dont les premières manifestations remontent à 1988 correspondant selon le Professeur ... à un déficit de 16 % ;
que ce poste de préjudice répare, outre le déficit fonctionnel au sens strict, les souffrances tant physiques que morales liées à l'atteinte séquellaire et les troubles dans les conditions d'existence ;
que si les pièces médicales produites par Madame ... démontrent qu'elle subit toujours des épisodes d'inflammation au niveau orbitaire nécessitant un suivi ophtalmologique régulier et la prescription de collyres lubrifiants et
anti-inflammatoires (cf. certificat du Docteur ..., ophtalmologiste du 10 janvier 2008 - pièce n° 76 de Maître ...), l'existence d'un lien de causalité direct et certain entre l'état dépressif dont elle se plaint, attesté par son médecin généraliste mais au titre duquel aucun document médical récent émanant d'un spécialiste n'est produit, et la cécité et l'énucléation de l'oeil gauche n'est pas démontré ;
Attendu que la Cour fixe dans ces conditions le préjudice résultant du déficit fonctionnel permanent de 9 % de Madame ... âgée de 51 ans en 2004 à 10.000 euros ;
sur le préjudice professionnel
Attendu que c'est par une juste appréciation des faits de la cause que le Tribunal a estimé que Madame ... ne justifiait pas avoir subi une perte d'emploi en rapport avec l'intervention de 1995 et les complications qui en sont résultées ou s'être trouvée, en relation avec ces faits, dans une situation dans laquelle ses difficultés pour trouver ou exercer un emploi étaient aggravées ;
qu'outre le fait que l'acuité visuelle de son oeil gauche était déjà très faible avant l'intervention de 1995, il résulte des propres pièces qu'elle produit qu'elle a été employée en qualité d'aide éducatrice pour le compte de la crèche parentale LA TROTTINETTE d'octobre 1999 à août 2005, ces pièces démontrant à elles-seules que l'intervention de 1995 et ses complications n'ont eu aucune incidence sur son parcours professionnel ;
sur les souffrances endurées jusqu'à la consolidation
Attendu que les complications survenues après l'intervention du 23 mai 1995 ont nécessité trois autres interventions chirurgicales, la première en août 1995 pour réparer le décollement de la rétine, la seconde en mars 2002 pour réaliser l'éviscération de l'oeil gauche et enfin, une réintervention en octobre 2003 en rapport avec un syndrome de rétractation de la cavité orbitaire avec mise en place d'une bille orbitaire ;
que Madame ... a dû faire face jusqu'à l'énucléation à des épisodes récidivants d'effusion uvéale, la réintervention en octobre 2003 démontrant les difficultés rencontrées dans l'adaptation de la prothèse mise en place après l'éviscération de l'oeil et les inconforts qui en sont nécessairement résultés ;
qu'elle démontre avoir eu besoin d'un soutien psychologique après l'énucléation et avoir consulté un psychiatre (cf. pièce n° 9 de Maître ...) ;
que l'expert judiciaire a évalué à 4/7 les souffrances endurées jusqu'à la consolidation ;
que la Cour fixe en conséquence à 7.000 euros le préjudice au titre des souffrances tant physiques que morales subies par Madame ... jusqu'à la consolidation ;
sur le préjudice esthétique
Attendu que Madame ... réclame un montant de 5.000 euros au titre du préjudice esthétique temporaire et 7.000 euros au titre du préjudice esthétique permanent ;
que l'expert judiciaire n'a fait aucune distinction selon les périodes envisagées, évaluant le préjudice esthétique de Madame ... à 3/7 ce qui justifie l'allocation d'une somme de 5.000 euros au vu des photographies produites ;
sur le préjudice d'agrément
Attendu que le préjudice d'agrément vise exclusivement à réparer le préjudice spécifique lié à l'impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique, sportive ou de loisirs ;
que Madame ... ne rapporte pas la preuve par les pièces qu'elle produit que les activités auxquelles elle se livrait avant 1995, notamment de tricot, de cuisine, de garderie d'enfants et d'animation lui sont devenues impossibles en raison des complications de l'intervention de 1995 ;
qu'alors que sa vision de l'oeil gauche était déjà très faible avant 1995, elle n'établit pas davantage que la cécité de cet oeil a modifié la pratique d'activités de loisirs telles que la promenade et le cinéma ;
qu'elle doit être déboutée de ses conclusions à ce titre ; sur le préjudice moral
Attendu que la question des souffrances morales a été examinée dans le cadre des souffrances endurées avant consolidation et du déficit fonctionnel permanent dont relève ce poste de préjudice ;
que toute demande d'indemnisation distincte au titre de ce poste de préjudice doit être rejetée ;
* * *
Attendu qu'il revient en définitive à Madame ... les sommes de 2.000 euros + 146 euros + 6.000 euros + 10.000 euros + 7.000 euros + 5.000 euros = 30.146 euros dont à déduire la provision versée non contestée de 7.622,45 euros, soit un solde dû de 22.523,55 euros ;
sur les frais et dépens
Attendu que l'issue du litige conduit la Cour, malgré l'exagération des demandes de Madame ..., à mettre les entiers dépens à la charge de Monsieur Y Y, en limitant toutefois le montant réclamé par Madame ... au titre de l'article 700 du Code de procédure civile à 3.000 euros, les frais et dépens de première instance étant par ailleurs confirmés ;

PAR CES MOTIFS
Vu l'arrêt de cette Cour du 12 février 2010 infirmant l'ordonnance rendue le 10 juin 2009 par le Conseiller de la mise en état en ce qu'il a déclaré irrecevable l'appel interjeté par Monsieur Y Y à l'encontre du jugement du 19 avril 1999 du Tribunal de grande instance de STRASBOURG et déclarant cet appel recevable,
CONFIRME le jugement entrepris du Tribunal de grande instance de STRASBOURG du 19 avril 1999 en tant qu'il a admis le défaut d'information de Madame ... engageant la responsabilité du Docteur Y Y et dit que le préjudice en résultant consiste en l'indemnisation des conséquences des complications survenues,
INFIRME le jugement entrepris du Tribunal de grande instance de STRASBOURG du 30 septembre 2008 en tant qu'il a condamné le Docteur Y Y à payer à Madame ... un solde d'indemnité de 16.977,55 euros (SEIZE MILLE NEUF CENT SOIXANTE DIX-SEPT EUROS ET CINQUANTE CINQ CENTIMES) avec intérêts légaux,
Et, statuant à nouveau
CONDAMNE Monsieur Y Y à payer à Madame Fatma Z un solde d'indemnité de 22.523,55 euros (VINGT DEUX MILLE CINQ CENT VINGT TROIS EUROS ET CINQUANTE CINQ CENTIMES), avec les intérêts au taux légal sur la somme de 16.977,55 euros (SEIZE MILLE NEUF CENT SOIXANTE DIX-SEPT EUROS ET CINQUANTE CINQ CENTIMES) à compter du 30 septembre 2008 et sur le solde à compter du présent arrêt,
CONFIRME le jugement entrepris du 30 septembre 2008 en ses autres dispositions, CONDAMNE le Docteur Y Y à payer à Madame ... la somme de 3.000 euros
(TROIS MILLE EUROS) au titre de l'article 700 du Code de procédure civile pour l'instance d'appel,
CONDAMNE Monsieur Y Y aux dépens d'appel. Le Greffier, Le Président,

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