Jurisprudence : CA Douai, 18-05-2015, n° 14/06594

CA Douai, 18-05-2015, n° 14/06594

A3408NI3

Référence

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République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 1 SECTION 1 ARRÊT DU 18/05/2015
***
N° de MINUTE 311/2015
N° RG 14/06594
Décision (N° )
rendue le 12 Septembre 2014
par le Bâtonnier de l'Ordre des Avocats d'ARRAS
REF MZ/VC

APPELANTE
SELAS JURINORD prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
Ayant son siège social

ARRAS
Régulièrement convoquée par lettre recommandée avec accusé de réception
Représentée et assistée par Me Bernard MEURICE, avocat au barreau de LILLE
INTIMÉ
Monsieur Jérôme Y
né le ..... à DOUAI (59500)
Demeurant

WAVRIN
Régulièrement convoqué par lettre recommandée avec accusé de réception
Représenté et assisté par Me Mario CALIFANO, avocat au barreau de LILLE
EN PRÉSENCE DE X X X X X X X XXX
DE DOUAI
Représentée par Monsieur Jean-Louis ..., Avocat Général

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ Maurice ZAVARO, Président de chambre
Dominique DUPERRIER, Conseillère Bruno POUPET, Conseiller
GREFFIER LORS DES DÉBATS Delphine VERHAEGHE
DÉBATS à l'audience publique du 16 Février 2015, après rapport oral de l'affaire par Maurice ...
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 18 Mai 2015 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Monsieur Maurice ZAVARO, Président, et Delphine VERHAEGHE, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***
M. Y a été engagé par la société Jurinord en qualité d'avocat, le 8 avril 2008, un contrat de travail ayant été signé le 21 mai 2008.
Le 11 février 2004, dans le contexte de la cession des parts sociales du cabinet, il saisissait madame le bâtonnier du barreau d'Arras statuant en matière prud'homale d'une difficulté relative à son temps de travail et à sa rémunération.

Par décision du 12 septembre 2014 le bâtonnier d'Arras constatait des manquements graves imputables à la société Jurinord à la réglementation de la durée du travail, des heures supplémentaires et des repos compensateurs. Il prononçait la résiliation du contrat de travail aux torts de l'employeur et, notamment, condamnait celui-ci à payer
- 64 622,37 euros à titre de rappel de salaire à compter du 13 février 2009, plus 6 462,24 euros pour les congés ;
- 6 090,21 euros au titre des repos ;
- 20 250 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, plus 2 025 euros pour les congés;
- 8 100 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement ;
- 40 500 euros en réparation du préjudice causé par un licenciement sans cause réelle ni sérieuse;
- 40 500 euros à titre d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé..
*
La SELAS Jurinord rappelle qu'un cadre dirigeant n'est pas concerné par la réglementation de la durée du travail et que le salarié, qui exerce des responsabilités dont l'importance implique une grande indépendance dans son emploi du temps, qui est habilité à prendre des décisions largement autonomes et dont la rémunération se situe au niveau des plus élevées de l'entreprise, doit être considéré comme un cadre dirigeant.
Elle en déduit que la demande en paiement d'heures supplémentaires, avec toutes ses conséquences légales, n'est pas fondée et que les réclamations à ce titre ne peuvent justifier la résiliation judiciaire du contrat de travail. Elle conteste par ailleurs que les conditions de la cession du cabinet puissent davantage légitimer cette mesure.
Elle conclut en conséquence au rejet des prétentions de l'intimé.
M. Y conclut à la confirmation de la décision déférée sauf à porter l'indemnisation du préjudice causé par la rupture à 81 000 euros et à solliciter 6 750 euros pour manquement aux règles du licenciement. Il sollicite en outre la délivrance de bulletins de salaires rectifiés pour tenir compte de la décision, sous astreinte, ainsi que 4 500 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.

SUR CE
Sur la qualification de M. Y
L'article L3111-2 du code du travail prévoit que les cadres dirigeants ne sont pas soumis aux dispositions des titres II et III de ce code, relatifs à la réglementation de la durée du travail. Il ajoute que 'sont considérés comme cadres dirigeants les cadres auxquels sont confiées des responsabilités dont l'importance implique une grande indépendance dans l'organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou établissement.'
La décision déférée considère que M. Y n'est pas cadre dirigeant en relevant qu'il ne participait pas de manière effective à la direction du cabinet Jurinord
L'appelant conteste tant cette argumentation que cette affirmation. Sur le premier point il fait valoir qu'il n'y a pas lieu d'introduire un critère complémentaire de reconnaissance de la qualité de cadre dirigeant.
Mais l'article L3111-2 du code du travail étant consacré aux 'cadres dirigeants', ce n'est pas ajouter aux critères énumérés à la suite du principe posé par ce texte que de dire qu'il ne s'applique qu'aux cadres qui dirigent effectivement.
Sur le second point, il soutient que l'intimé participait à la direction de l'entreprise, cette notion devant nécessairement être examinée concrètement, à l'aune de sa taille et de son activité, sans se confondre avec un pouvoir de cogestion. Il invoque notamment une proposition de discussion des conditions de développement du cabinet, voulue agressive, des exigences en termes de formation, des préconisations relatives à une procédure d'ouverture, de suivi et de classement des dossiers.
Une telle intervention ponctuelle, dans le contexte de l'évolution du cabinet conditionnée par sa cession, ne saurait caractériser un rôle dirigeant effectif dont la décision déférée retient justement qu'elle n'est pas établie au vu des éléments communiqués.
Il convient en conséquence de confirmer la décision déférée en ce qu'elle a dit que M. Y n'était pas cadre dirigeant.
Sur la rémunération forfaitaire
L'appelant soutient qu'à défaut de reconnaissance de la qualité de cadre dirigeant au salarié, les stipulations contractuelles prévoyant une rémunération forfaitaire ont vocation à s'appliquer. Il rappelle que la rémunération a été convenue en tenant compte des sujétions particulières imposées par l'exercice de la profession d'avocat, et que le contrat précise que 'compte tenu de ces modalités, la présente rémunération a un caractère forfaitaire.'.
Il convient d'observer que, même si l'on considère qu'une telle formule édictait une convention de forfait, la rémunération en cause est fixée dans un cadre annuel, ce que l'article L3121-38 du code du travail prohibe en ce qu'il dispose que 'la durée du travail de tout salarié peut être fixée par une convention individuelle de forfait en heures sur la semaine ou sur le mois'. Par ailleurs une telle convention, pour être licite, doit déterminer le nombre d'heures supplémentaires entrant dans la rémunération, ce qu'il ne fait pas en l'espèce.
La décision déférée sera donc confirmée en ce qu'elle a écarté la clause contractuelle invoquée par l'employeur. La rémunération doit donc être considérée comme rétribuant la durée légale du travail de sorte que c'est a juste titre qu'il a été jugée que les heures supplémentaires étaient dues.
Sur la créance salariale
Le bâtonnier de l'ordre des avocats d'Arras a retenu une créance de 64 622,37 euros au titre des heures supplémentaires à compter du13 février 2009, plus 6 090,21 euros au titre des repos compensateurs.
La SELAS Jurinord conteste l'affirmation du salarié relative à ses heures de travail et soulève la prescription triennale de ses demandes.
L'article L3245-1 du code du travail prescrit, depuis le 17 juin 2013, que l'action en paiement du salaire se prescrit par trois ans à compter de la connaissance du fait permettant de l'exercer. Il est constant que cette prescription était de 5 ans avant le 17 juin 2013. Dans la mesure où l'intéressé avait connaissance de tous les éléments lui permettant d'exercer son action dès l'origine, celle de M. Y, qui l'a exercée le 11 février 2014 et qui est salarié depuis le 12 mai 2006, est prescrite pour toute la période antérieure au 11 février 2009 dès lors qu'à cette date la prescription était de 5 ans. L'intervention au 17 juin 2013 d'un délai raccourci a eu pour effet, non de modifier rétroactivement le délai de prescription qui s'imposait au salarié avant cette date, mais de faire courir un nouveau délai de 3 ans, dans la limite du délai antérieur. Cet événement est donc en l'espèce sans effet.
Pour étayer sa demande, le salarié verse aux débats des fiches de temps que l'employeur considère comme non probantes au motif qu'y sont mentionnées des périodes de travail 'non imputables', à un client déterminé en vu de sa facturation, suivant le salarié.
L'employeur estime au contraire que les temps notamment de recherche de documentation étant facturables, ces durées non imputables ne correspondent à rien autre qu'à une variable d'ajustement pour arriver à une réclamation uniforme de 45 heures hebdomadaires de travail.
Il convient cependant de constater que, si les recherches effectuées pour une affaire déterminée sont évidemment susceptibles d'être facturées au client au bénéfice duquel cette recherche a été menée, on ne peut répartir entre les clients les travaux d'actualisation des connaissances et de formation, menés en dehors d'une affaire désignée. C'est pourquoi ces périodes 'non imputables' ne peuvent être écartées a priori. Les documents communiqués par le salarié, qui étayent sa demande en rappel de salaire, sont suffisamment précis pour ménager à l'employeur la possibilité d'une preuve contraire qu'il ne rapporte pas dès lors qu'il se contente de critiquer le principe de la demande.
Il convient donc de confirmer la décision déférée en ce qu'elle a retenue la créance salariale sur la base des prétentions, non utilement discutées, du salarié ainsi qu'en ce qu'elle a retenu des sommes complémentaires au titre des congés.
Elle sera également confirmée en ce qu'elle a indemnisé le préjudice causé par l'absence d'attribution de repos compensateurs, qui découlaient des heures supplémentaires effectuées.
Sur le travail dissimulé
La décision déférée sera en revanche infirmée en ce qu'elle a retenu une indemnité forfaitaire au titre du travail dissimulé. En effet l'article L8221-5 du code du travail prévoit que le fait pour l'employeur de se soustraire intentionnellement aux formalités relatives à la durée du travail caractérise le travail dissimulé.
Toutefois la non déclaration des heures supplémentaires procède en l'espèce d'une appréciation sur la qualité du salarié qui, même si elle était fausse, n'en était pas pour autant arbitraire au regard de l'argumentation développée. Cela suffit à écarter l'élément intentionnel sans lequel on ne peut parler de travail dissimulé au sens du code du travail.
Sur la résiliation du contrat de travail
Le non paiement par l'employeur des heures supplémentaires auxquelles le salarié avait droit caractérise un manquement de l'employeur à ses obligations contractuelles d'une gravité telle qu'elle justifie la résiliation du contrat de travail. La décision déférée sera donc confirmée sur ce point.
Sur ses conséquences
Les conséquences de la résiliation du contrat de travail ne sont pas discutées par l'employeur. Le salarié sollicite l'augmentation de la somme allouée à titre de dommages et intérêts ainsi que l'allocation de 6 750 euros au titre de la réparation du préjudice causé par le manquement aux règles de procédure du licenciement.
Sur les dommages et intérêts, le préjudice subi par le salarié a été justement apprécié par la décision déférée qui sera confirmée également sur ce point.
En ce qui concerne l'indemnité pour manquement aux règles de la procédure de licenciement, la résiliation judiciaire du contrat de travail produit les effets d'un licenciement sans cause réelle ni sérieuse. L'article L1235-2 du code du travail prévoit que si le licenciement d'un salarié survient sans que la procédure requise ait été observée mais pour une cause réelle et sérieuse, une indemnité qui ne peut être supérieure à un mois de salaire est due au salarié. Mais lorsque le licenciement est sans cause réelle ni sérieuse, l'article L1235-3 du même code ne prévoit pour le salarié qu'une indemnité globale qui ne peut être inférieure à 6 mois de salaire.
L'article L1235-5 de ce code réintroduit les dispositions relatives aux irrégularités de procédure prévues à l'article L. 1235-2 en cas de licenciement sans cause réelle ni sérieuse, mais seulement pour le licenciement d'un salarié ayant moins de deux ans d'ancienneté ou opéré dans une entreprise employant habituellement moins de onze salariés. Il est constant que l'effectif de la SELAS Jurinord est inférieur à 11 salariés et le manquement aux règles de procédure s'analyse en une méconnaissance des règles relatives à l'assistance du salarié, la demande est donc fondée en son principe. Toutefois le préjudice subi n'est que symbolique au regard des circonstances exposées ci-dessus et sera réparé par l'allocation de 1 000 euros.

PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme la décision déférée, sauf en ce qu'elle a condamné la SELAS Jurinord à payer à M. Y 40 500 euros à titre d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé ;
La réformant sur ce point et y ajoutant,
Déboute M. Y de sa demande au titre de l'indemnité forfaitaire de travail dissimulé;
Condamne la SELAS Jurinord à payer à M. Y 1 000 euros au titre du manquement aux règles de procédures du licenciement,
Ainsi que 3 000 euros au titre des frais irrépétibles ;
Ordonne la délivrance par la SELAS Jurinord de documents de fin de contrat conformes à la présente décision ;
Dit n'y avoir lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte ;
La condamne aux dépens d'appel.
Le Greffier, Le Président,
D. VERHAEGHE M. ...

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