AVIS DE M. GAMBERT, AVOCAT GÉNÉRAL
Arrêt n° 259 du 12 mars 2025 (FS-B) –
Chambre sociale Pourvoi n° 23-22.756⚖️ Décision attaquée : 29 septembre 2023 de la cour d'appel d'Aix-enProvence M. [R] [D] C/ la société Laboratoires Arkopharma _________________
Faits et procédure Les faits et la procédure sont exposés dans le rapport auquel il convient de se reporter.
Pourvoi A l'appui de leur pourvoi les salariés demandeurs développent deux moyens. Le premier moyen commun aux 23 pourvois contestent le motif économique du licenciement retenu, à savoir une réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité. Le second moyen commun aux 8 pourvois n° K 23-22 756, A 23-22 770, N 23-22 758, B 23-22 771, C 23-22 772, D 23-22 773, D 23-23 049 et E 23-23 050, soutient que le retrait du véhicule de fonction pendant le congé de reclassement cause nécessairement un préjudice au salarié.
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L'employeur défenseur au pourvoi principal forme également un pourvoi incident commun aux 7 dossiers n° J 23-22.755, P 23-22.759, S 23-22.762, W 23-22.766, X 23-22.767, Y 23-22.768 et D 23-22.980. Par un moyen unique, il soutient que les salariés ne peuvent conserver le bénéfice des avantages en nature dont ils bénéficiaient pendant la durée du congé de reclassement qui excède le préavis.
Discussion I - Sur les moyens du pourvoi principal A - L'appréciation du motif économique du licenciement 1- Les principes Selon l'
article L.1233-3 du code du travail🏛, dans sa rédaction applicable au litige (antérieure à l'entrée en vigueur, le 1er décembre 2016, de la
loi n° 2016-1088 du 8 août 2016🏛) : « Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques. Les dispositions du présent chapitre sont applicables à toute rupture du contrat de travail à l'exclusion de la rupture conventionnelle visée aux articles L.1237-11 et suivants, résultant de l'une des causes énoncées au premier alinéa. ». Il ressortait de ce texte deux motifs de licenciement : les difficultés économiques et les mutations technologiques. Au fil du temps, la jurisprudence de la Cour en a ajouté deux autres : - la réorganisation de l'entreprise effectuée pour sauvegarder la compétitivité de l'entreprise ou du secteur d'activité du groupe auquel elle appartient, - et la cessation d'activité définitive et totale. Ces solutions jurisprudentielles bien acquises ont été intégrées par le législateur dans le texte actuel de l'article L.1233-3 du code du travail qui prévoit désormais quatre catégories de causes justificatives d'un licenciement économique. Pour l'appréciation du bien-fondé du licenciement pour motif économique consécutif « A une réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité », il appartient au juge de vérifier l'existence d'une menace pesant sur la compétitivité de l'entreprise ou du secteur d'activité du groupe auquel elle appartient à la date du licenciement.
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La réorganisation est ici mise en œuvre à titre préventif, elle n'est pas subordonnée à l'existence de difficultés économiques à la date du licenciement mais certains éléments démontrent que sa compétitivité est menacée et que sa situation sera compromise à l'avenir si des mesures ne sont pas prises ; « il ne peut être reproché à l'employeur d'avoir anticipé des difficultés économiques prévisibles et mis à profit une situation financière saine pour adapter ses structures dans les meilleures conditions à l'évolution technologique de ses produits et de son environnement concurrentiel » (Soc. 11/01/2006, n° 04-46.223 ;
Soc. 11/01/2006, n° 05-40.976⚖️). Il faut cependant que la compétitivité de l'entreprise soit toujours menacée à la date du licenciement ce qui n'est pas incompatible avec une augmentation du chiffre d'affaires et une amélioration ponctuelle du résultat (
Soc.19/01/2022, n°19-24.913⚖️). En revanche, la seule volonté de l'employeur de privilégier le niveau de rentabilité de l'entreprise, ses performances financières ne peut constituer un motif économique justifiant le licenciement (Soc. 3/11/2011, n°10-21.337 ; Soc. 5/03/2014, n°1225.035). C'est sur l'employeur que pèse la charge de prouver la réalité du risque pesant sur la compétitivité et la nécessité de procéder à une réorganisation de l'entreprise au moment où il licencie. Les juges du fond doivent donc s'attacher à caractériser les menaces qui pèsent sur la compétitivité de l'entreprise ou du secteur d'activité du groupe ainsi que la nécessité de prendre des mesures d'anticipation afin de préserver l'emploi . Il ne peut se borner à énoncer " des motifs d'ordre général " (Soc. 4/07/2012, n°1113.493). Dès lors qu'ils ont procédé à ces recherches, l'appréciation de la réalité du motif économique relève de leur pouvoir souverain, la Cour de cassation n'exerçant en principe qu'un contrôle de motivation de la décision. Enfin, sachant que la liberté d'entreprendre est un droit de valeur constitutionnelle, s'il incombe aux juges du fond de vérifier l'adéquation entre la situation économique de l'entreprise et les mesures affectant l'emploi ou le contrat de travail envisagées par l'employeur, ils ne peuvent se substituer à ce dernier quant aux choix qu'il effectue dans la mise en œuvre de cette réorganisation quand ils ne sont pas dus à une faute (
Soc. 8/07/2009, n° 08-40.046⚖️). Il ne leur appartient pas davantage d'arbitrer entre les différentes possibilités de réorganisation envisagées par l'employeur (
Soc. 20/06/2007, n° 05-45.924⚖️ ).
2- Application au cas présent En l'espèce, pour justifier le motif économique à l'origine des mesures de réorganisation décidées par l'employeur consistant à modifier les contrats de travail des attachés commerciaux, la cour d'appel expose que la société allègue d'une menace pesant sur sa compétitivité liée à une baisse significative de ses parts de marché réalisé dans le circuit officinal de France métropolitaine.
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La cour indique les éléments de preuve qui l'ont convaincu de cette dégradation, elle souligne l'importance du chiffre d'affaires généré par les ventes réalisées dans les pharmacies et constate que cette dégradation n'a pas été compensée, au niveau du groupe, par l'activité des autres filiales européennes dont le chiffre d'affaires a diminué entre 2011 et 2016. Elle rapporte les causes présentées par la société à l'origine de cette perte de compétitivité et précise que ces éléments sont étayés par des preuves qui ne sont pas contredites. Elle souligne que l'augmentation du chiffre d'affaires en 2015 était le résultat d'un effet volume lié à la forte croissance du secteur d'activité dans son ensemble, que cette tendance n'écarte pas pour autant la menace pesant sur la compétitivité du groupe Arkopharma liée à la diminution de ses parts de marché en France conduisant à l'affaiblissement de sa position au niveau de son secteur d'activité. Elle rappelle enfin que le juge ne peut pas se substituer à l'employeur quant aux choix des mesures de réorganisation, ni arbitrer entre les différentes possibilités de réorganisation envisagées. Ce faisant les juges du fond, exerçant leur pouvoir souverain d'appréciation des éléments de preuve qui leur ont été rapportés, ont caractérisé les menaces qui pesaient sur la compétitivité de l'entreprise et la nécessité de prendre des mesures d'anticipation afin de préserver l'emploi. Ils ont établi la réalité du motif économique ayant justifié le licenciement. Avis de rejet du premier moyen du pourvoi principal.
B - Le sort du véhicule de fonction pendant le congé de reclassement
1 - Le congé de reclassement Le congé de reclassement a été créé par la loi n° 2002-73 de modernisation sociale du 17 janvier 2002, puis modifié par les
lois du 28 juillet 2011🏛, du 14 juin 2013, du 8 août 2016 et du 14 décembre 2020. Il est prévu par les
articles L. 1233-71 et suivants du code du travail🏛. Il constitue un droit pour les salariés licenciés pour cause économique lorsqu'ils travaillent pour une entreprise ou un groupe employant au moins mille salariés à condition que l'entreprise ne soit pas en redressement ou en liquidation judiciaire. Il a pour objet de permettre au salarié de bénéficier d'actions de formation et des prestations d'une cellule d'accompagnement des démarches de recherche d'emploi destinées à favoriser son reclassement professionnel. Pendant la durée de ce congé, le salarié est dispensé de toute activité au service de l'employeur pour se consacrer aux formations dont il bénéficie et/ou à ses démarches de recherche d'emploi. Malgré la dispense de travail accordée au salarié, le lien contractuel avec l'employeur est maintenu. La rémunération, diminuée, reste à la charge de l'employeur et les droits à indemnisation du chômage, qui pourraient survenir à l'échéance du congé, ne sont pas amputés.
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En application de l'
article L. 1233-72 du code du travail🏛 dans sa version applicable au litige : « Le congé de reclassement est pris pendant le préavis, que le salarié est dispensé d'exécuter. Lorsque la durée du congé de reclassement excède la durée du préavis, le terme de ce dernier est reporté jusqu'à la fin du congé de reclassement. Le montant de la rémunération qui excède la durée du préavis est égal au montant de l'allocation de conversion mentionnée au 3° de l'article L. 5123-2. Les dispositions des articles L. 5123-4 et L. 5123-5 sont applicables à cette rémunération. » S'agissant de la rémunération, l'
article R.1233-32 du code du travail🏛 précise que : « Pendant la période du congé de reclassement excédant la durée du préavis, le salarié bénéficie d'une rémunération mensuelle à la charge de l'employeur. Le montant de cette rémunération est au moins égal à 65 % de sa rémunération mensuelle brute moyenne soumise aux contributions mentionnées à l'article L. 54229 au titre des douze derniers mois précédant la notification du licenciement. Il ne peut être inférieur à un salaire mensuel égal à 85 % du produit du salaire minimum de croissance prévu à l'article L. 3231-2 par le nombre d'heures correspondant à la durée collective de travail fixée dans l'entreprise. Il ne peut non plus être inférieur à 85 % du montant de la garantie de rémunération versée par l'employeur en application des dispositions de l'
article 32 de la loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000🏛 relative à la réduction négociée du temps de travail. Chaque mois, l'employeur remet au salarié un bulletin précisant le montant et les modalités de calcul de cette rémunération. » Il résulte de ces textes : - que les titulaires d'un congé de reclassement demeurent des employés de l'entreprise jusqu'à l'issue de ce congé ; - et que pendant la période du congé qui excède la durée du préavis, la rémunération spécifique allouée au salarié constitue un revenu de remplacement et non pas un salaire, elle n'est pas soumise à la taxe sur les salaires prévue par l'
article 231 bis D du code général des impôts🏛, en vertu de l'
article L.5123-5 du code du travail🏛 auquel renvoie l'article L.1233-72 (cf. Supra). Vous en avez déduit que le congé de reclassement n'est pas légalement assimilé à une période de temps de travail effectif et que son indemnisation n'ouvre pas droit à congés payés (
Soc. 07/11/2018, n°17-18.936⚖️ ;
Soc. 23/05/2017, n°16-12.369⚖️ ;
Soc.01/06/2022, n°20-16.404⚖️).
2 - Le préavis. Concernant le préavis, l'
article L.1234-5, al 1 et 2, du code du travail🏛🏛🏛 dispose : «Lorsque le salarié n'exécute pas le préavis, il a droit, sauf s'il a commis une faute grave, à une indemnité compensatrice. L'inexécution du préavis, notamment en cas de dispense par l'employeur, n'entraîne aucune diminution des salaires et avantages que le salarié aurait perçus s'il avait
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accompli son travail jusqu'à l'expiration du préavis, indemnité de congés payés comprise.». Le préavis, même lorsqu'il n'est pas travaillé, est assimilé à un temps de travail effectif. L'indemnité compensatrice de préavis est soumise au régime juridique du salaire tant en ce qui concerne les garanties (superprivilège, insaisissabilité) que les cotisations sociales. Le salaire à payer est le salaire brut que le salarié aurait perçu s'il avait travaillé pendant la durée du délai congé ; les heures supplémentaires doivent être prises en compte dans la base de calcul de l'indemnité compensatrice de préavis dans la mesure où elles constituaient un élément stable et constant de la rémunération (
Soc 20/04/2005, n°04-45.683⚖️). Il comprend les compléments de rémunération qui figurent sur le bulletin de paie. Le salarié doit bénéficier des augmentations de salaire qui peuvent prendre effet pendant le délai-congé. En application de ce texte, vous jugez que : « l'inexécution du préavis n'entraîne aucune diminution des salaires et avantages que le salarié aurait perçus s'il avait accompli son travail jusqu'à l'expiration du préavis, indemnités de congés payés comprises » (
Soc.28/09/2022, n°21-11.042⚖️). En conséquence, le véhicule de fonction, qui constitue un avantage en nature, ne peut être retiré pendant la durée du préavis que le salarié est dispensé d'exécuter (
Soc. 8/03/2000, n° 99-43.091⚖️ ;
Soc.24/03/2021, n°19-18.930⚖️).
3 - La période du congé de reclassement qui excède le préavis. Selon l'article L. 1233-72 du code du travail, pendant la période du congé de reclassement le terme du préavis est reporté à la fin du congé, la relation contractuelle entre le salarié et l'employeur subsiste donc. Il ne s'agit pas ici d'une période de suspension du contrat de travail qui suppose une interruption momentanée qui se termine par la reprise du travail ou par la rupture du contrat, mais bien d'une prolongation de la relation contractuelle dont l'objet est désormais transformé. Durant cette période, si l'état de subordination subsiste, en revanche l'objet de la relation contractuelle qui se poursuit entre l'employeur et le salarié licencié ne consiste plus à fournir une prestation de travail en contrepartie d'une rémunération composée d'un salaire et de ses compléments. L'objet de la relation contractuelle consiste désormais dans un ensemble d'actions de formation et de prestations d'une cellule d'accompagnement auxquelles le salarié a l'obligation de participer avec en contrepartie le versement d'une allocation de reclassement spécifique. Cette allocation de remplacement du salaire et de ses compléments, dont le montant est au moins égal à 65% de la rémunération mensuelle brute moyenne des douze derniers mois, n'est pas soumise aux cotisations de sécurité sociale, ni à la taxe sur les salaires (Soc. 01/06/2022, n° 20-16.404). Dans la mesure où la loi prévoit le versement, pendant la durée du congé de reclassement excédant le préavis, d'une allocation correspondant à un pourcentage
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de la rémunération mensuelle brute soumise à contributions, le salarié ne peut plus prétendre au versement de son salaire habituel et au maintien des avantages en nature qui en sont le complément et dont le total constitue la rémunération brute mensuelle. Il ne peut plus conserver le véhicule de fonction et en revendiquer l'usage. 4 - Conclusion En conclusion, il découle, tant de la formulation de la loi que de son interprétation jurisprudentielle, que le préavis, même lorsqu'il n'est pas travaillé, est assimilé à un temps de travail effectif, mais qu'en revanche, la période du congé de reclassement qui excède la durée du préavis n'est pas assimilé à du travail effectif et que durant cette période la rémunération habituelle du salarié est supprimée pour être remplacée par une allocation spécifique qui n'a pas pour contrepartie la fourniture d'une prestation de travail. La Cour de cassation n'assimile donc pas la période de congé de reclassement à celle de préavis notamment en ce qui concerne les droits à congés et à rémunération. Au cas d'espèce, la cour d'appel retient de manière implicite que les salariés avaient droit au maintien des avantages en nature jusqu'à la fin du congé de reclassement mais rejette leur demande faute de préjudice. Si le rejet de la demande est justifié, c'est par un motif de droit erroné auquel il convient de substituer celui selon lequel les salariés n'ont pas droit au maintien des avantages en nature, qui sont les compléments de leur rémunération habituelle, durant la période du congé de reclassement qui excède la durée du préavis. Avis de rejet du second moyen du pourvoi principal par substitution de motifs.
- II - Sur le moyen du pourvoi incident
Concernant la demande indemnitaire pour rétention abusive du véhicule de fonction, comme nous l'avons développé supra il doit être retenu que pendant la période du congé de reclassement qui excède la durée du préavis les salariés ne peuvent pas prétendre au maintien des avantages en nature qui venaient en complément de leur salaire pour constituer leur rémunération. La rétention de leur voiture de fonction par les salariés pendant cette période est fautive et ouvre droit à réparation si l'employeur peut justifier l'existence d'un préjudice. Avis de cassation partielle dans les dossiers ayant fait l'objet de pourvois incidents de l'employeur.
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