Jurisprudence : Cass. QPC, Conclusions, 25-10-2023, n° 23-14.147

Cass. QPC, Conclusions, 25-10-2023, n° 23-14.147

A83732RK

Référence

Cass. QPC, Conclusions, 25-10-2023, n° 23-14.147. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/105408946-cass-qpc-conclusions-25102023-n-2314147
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AVIS DE Mme ROQUES, AVOCATE GÉNÉRALE RÉFÉRENDAIRE

Arrêt n° 2090 du 25 octobre 2023 (B) – Chambre sociale Pourvoi n° 23-14.147 (QPC) Décision attaquée : Cour d'appel de Versailles du 20 octobre 2022 CSE Procter & Gamble Amiens, venant aux droits de la délégation du personnel du comité d'entreprise de la société Procter & Gamble Syndicat Force Ouvrière P & G Amiens Syndicat CGT P & G Amiens C/ SAS Procter & Gamble Holding France SASU société Procter & Gamble France et diverses autres sociétés Procter and Gamble ainsi que leurs CSE Société Procter & Gamble International Opérations SARL Ondal France et le syndicat CFDT Chimie énergie Picardie

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Avis sur une question prioritaire de constitutionnalité

1. Faits et procédure Le groupe Procter and Gamble a pour activité la production et la distribution de produits d'hygiène de la maison et de soins corporels. Il emploie 110.000 collaborateurs répartis dans 70 pays.

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L'organisation du groupe repose sur trois catégories de sociétés : - la société Procter and Gamble International Opérations, établie en Suisse, qui exerce les fonctions stratégiques et détient les actifs, - la SAS Procter and Gamble Holding France qui détient les actions de toutes les sociétés ayant leur siège social en France, - ces dernières étant réparties entre celles qui ont la charge des activités de fabrication des produits et celles qui en assurent la distribution. Jusqu'en juillet 2016, cette dernière catégorie était composée de cinq sociétés. A cette date, la SARL Ondal a été cédée à un autre groupe. Les sociétés françaises1 sont unies par un accord de participation de groupe qui a été conclu entre elles et le comité d'entreprise du groupe. Se fondant sur un rapport d'analyse réalisé par un cabinet d'expert-comptable, le comité d'établissement Comité Social et Economique (ci-après désigné CSE) Procter and Gamble, venant aux droits du comité d'entreprise et de sa délégation du personnel, le syndicat FO Procter and Gamble Amiens et le syndicat CGT Procter and Gamble Amiens ont estimé que les contrats conclus entre la société suisse et les sociétés françaises opéraient au profit de la première des transferts de bénéfices réalisés par les secondes ce qui avait pour conséquences de faire apparaître sur les comptes annuels de celles-ci «de faibles résultats » et ainsi de priver leurs salariés d'une partie de leurs droits au titre de la réserve spéciale de participation (ci-après désignée RSP). Par actes des 28 novembre 2017 et 10 octobre 2018, ils ont, avec le syndicat CFDT Chimie Energie Picardie, fait assigner la société suisse et toutes les sociétés françaises du groupe, en ce comprise la SARL Ondal France, devant le tribunal judiciaire de Nanterre aux fins notamment de : - voir déterminer le calcul de la participation due pour la période non prescrite, - et de voir déclarer nulles, ou à titre subsidiaire, inopposables, les clauses de rémunération des contrats de façonnage et de commissionnaire. Par jugement contradictoire rendu le 22 mai 2020, le tribunal judiciaire de Nanterre a notamment déclaré irrecevable leur action. Le CSE Procter and Gamble, le syndicat FO Procter and Gamble Amiens et le syndicat CGT Procter and Gamble Amiens ont interjeté appel de la décision. Devant le conseiller chargé de l'instruction du dossier, ils ont présenté une question prioritaire de constitutionnalité (ci-après QPC) qui, par ordonnance du 2 décembre 2021, a été rejetée. Dans un arrêt rendu par défaut du 20 octobre 2022, la cour d'appel de Versailles a confirmé le jugement entrepris. Cet arrêt a fait l'objet d'un pourvoi de la part du CSE et des deux organisations syndicales. 1

À savoir la SAS Procter & Gamble Holding France SAS, la SASU Procter & Gamble France, la société Procter & Gamble Amiens, la société Procter & Gamble Blois, la société P&G Health France, venant aux droits et obligations de la société Procter & Gamble pharmaceuticals France et, jusqu'en juillet 2016, la SARL Ondal France

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Par mémoire séparé, ils ont présenté une QPC formulée comme suit : « L'article L. 3326-1 du code du travail méconnaît-il les droits et libertés que la Constitution garantit, notamment les articles 4 et 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 et les articles 6 et 8 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, en ce qu'il interdit de remettre en cause le bénéfice net d'une entreprise après l'attestation du commissaire aux comptes ou de l'inspecteur des impôts, même en cas de fraude, et qu'il prive ainsi les salariés ou leurs représentants de toute voie de recours permettant de contester utilement le calcul de la réserve de participation et qu'il conduit au surplus à neutraliser les accords passés au sein de l'entreprise dans le cadre de la détermination de la réserve de participation ? » A hauteur de cassation, la société Ondal France a conclu à la non-transmission de cette QPC.

2. Discussion et avis Aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : “Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé”. L'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel précise les conditions requises pour qu'une question prioritaire de constitutionnalité puisse être transmise au Conseil constitutionnel. Je ne reprendrai pas tous les textes mais rappellerai uniquement qu'aux termes de l'article 23-2, « La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux. [...] ». Et, l'article 23-5 précise notamment que « Le Conseil d'Etat ou la Cour de cassation dispose d'un délai de trois mois à compter de la présentation du moyen pour rendre sa décision. Le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité dès lors que les conditions prévues aux 1° et 2° de l'article 23-2 sont remplies et que la question est nouvelle ou présente un caractère sérieux. »

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I- Sur la recevabilité de la QPC

La question de la recevabilité pouvait se poser, comme le développe Mme le rapporteur Sommé dans son rapport, au regard du dernier alinéa de l'article 126-7 du code de procédure civile qui dispose qu'« En cas de décision de refus de transmission, l'avis aux parties précise que celle-ci ne peut être contestée qu'à l'occasion d'un recours formé contre une décision tranchant tout ou partie du litige. » En effet, dans la présente espèce, la déclaration de pourvoi n'a été formée que contre l'arrêt de la cour d'appel de Versailles du 20 octobre 2022, ayant tranché les demandes au fond, et non contre la décision du conseiller chargé de l'instruction du 2 décembre 2021 qui a rejeté la QPC. La chambre n'est donc pas saisie d'un pourvoi contre la décision de rejet de la QPC qui est définitive. Or, les critères de transmission d'une QPC sont très similaires devant les juges du fond et la Cour de cassation. Toutefois, les dispositions de l'alinéa 1er de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 précitée, prévoient que « Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat ou la Cour de cassation. Le moyen est présenté, à peine d'irrecevabilité, dans un mémoire distinct et motivé. Il ne peut être relevé d'office. » Ainsi, je considère qu'une nouvelle QPC peut être déposée à hauteur de cassation si celle-ci n'est pas parfaitement identique à celle présentée devant les juges du fond. Dans notre espèce, la QPC examinée par le conseiller en charge de l'instruction du dossier contestait la constitutionnalité de l'article L. 3326-1 du code du travail et, parmi les multiples textes à valeur constitutionnelle invoqués, figuraient l'article 16 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 et le paragraphe 8 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, qui sont aussi invoqués à hauteur de cassation. Toutefois, comme l'a souligné ce magistrat, « les demandeurs à la question prioritaire de constitutionnalité, tout en se référant à des textes de valeur constitutionnelle ne visent pas, pour chacun d'eux, en quoi l'article L. 3326-1 du code du travail y serait précisément contraire et porterait atteinte aux droits et libertés constitutionnellement garantis. »2, ce qui aurait pu justifier que cette QPC soit déclarée irrecevable. Par ailleurs, bien qu'elle conteste la même disposition légale et son interprétation, la QPC déposée à hauteur de cassation, par mémoire distinct et motivé, n'est pas rédigée 2

Voir pour des décisions déclarant des QPC irrecevable pour ce motif 2e Civ., 16 mai 2013, pourvoi n 13-40.007, Soc., 19 novembre 2014, pourvoi n° 14-16.669, Bull. 2014, V, n° 270, Soc., 15 novembre 2018, pourvoi n 1840.034 ou Soc., 9 février 2022, pourvoi n° 21-40.027

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exactement dans les d'inconstitutionnalité.

mêmes

termes

et

soulève

d'autres

arguments

Il me semble qu'il est possible de considérer que cette seconde QPC est nouvelle et donc recevable. Il convient, dès lors, de déterminer si elle doit être ou non transmise au Conseil constitutionnel.

II - Sur la transmission ou non de la QPC au Conseil constitutionnel La saisine du Conseil Constitutionnel peut avoir lieu lorsque les questions posées contestent la constitutionnalité de dispositions législatives applicables au litige dont une juridiction a été saisie, que ces dispositions n'ont pas déjà fait l'objet d'une déclaration de constitutionnalité et que les questions posées sont nouvelles ou présentent un caractère sérieux. Les deux premières conditions me semblent remplies, ce qui n'est pas contesté par le seul défendeur constitué. De même, il est constant que la question posée n'est pas nouvelle puisqu'elle ne porte pas sur des textes ou principes constitutionnels dont le Conseil n'a jamais fait application. Reste donc à déterminer si la QPC posée présente un caractère sérieux. Les demandeurs au pourvoi et à la QPC invoquent : - les articles 4 et 16 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen3, sur le fondement desquels a été consacré le droit à un recours juridictionnel effectif, - ainsi que les paragraphes 6 et 8 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 19464, qui garantissent la liberté syndicale et le droit des salariés à participer à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises. Ils soutiennent que l'article L. 3326-1 du code du travail, et l'interprétation qui en est faite par la chambre, est inconstitutionnel car il prive « les personnes intéressées » de tout recours effectif contre l'attestation de l'inspecteur des impôts ou du commissaire aux comptes, et par là même de tout recours contre « la fraude de l'entreprise en matière de participation ». Ils estiment également que, puisque le principe de la participation des salariés aux bénéfices réalisés par leur employeur est prévu par la loi et peut être précisé dans des accords d'entreprise, interdire tout recours contre cette attestation, quand bien même 3

Le premier de ces textes prévoit que « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi. » , tandis qu'aux termes du second, « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution. » 4

Qui énoncent que « Tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l'action syndicale et adhérer au syndicat de son choix. » ainsi que « Tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises. »

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une fraude aurait pu être commise pour minorer les montants qui y sont portés, revient à porter atteinte à la « substance même du droit à la détermination collective du travail » puisque les employeurs peuvent prendre des décisions leur permettant d'échapper à leurs obligations au titre de la RSP, sans crainte de voir celles-ci remises en cause. L'argumentaire des demandeurs à la QPC repose donc, à titre principal, sur la privation d'un droit à un recours effectif. En effet, c'est parce qu'ils estiment que les salariés ou leurs représentants (institution représentative du personnel ou organisations syndicales) en sont privés, qu'ils soutiennent qu'il y a une atteinte à la liberté contractuelle, garantie par l'article 4 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, et aux engagements pris par des accords d'entreprise ainsi qu'au droit des salariés de participer à la gestion des entreprises. Les développements qui suivent porteront donc essentiellement sur le droit à un recours effectif et la privation invoquée en l'espèce.

A/ Sur le droit à un recours effectif A plusieurs reprises5, le Conseil constitutionnel a eu l'occasion de préciser la teneur et l'étendue de ce droit. Dans une décision du 9 avril 1996, au visa de l'article 16 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, il a énoncé « qu'il résulte de cette disposition qu'en principe il ne doit pas être porté d'atteintes substantielles au droit des personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une juridiction »6. Dans son commentaire de cette décision, le Conseil précise que « Cette rédaction ménage toutefois la possibilité de réglementer le droit d'accès à un tribunal ainsi consacré, notamment par l'édiction de règles de recevabilité des recours sous réserve que ces règles ne portent pas une atteinte "substantielle" à ce droit. La condition d'"effectivité" du recours s'inscrit, quant à elle, dans le droit fil de la jurisprudence réaliste du Conseil constitutionnel pour qui un droit ou une liberté n'est protégé que lorsque les conditions de son exercice effectif sont remplies ; elle se fait également l'écho de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme selon laquelle l'article 6 de la convention consacre un "droit d'accès effectif à la justice" afin que soit assurée "une protection réelle et efficace" du justiciable. » Comme l'explicite M. Thierry-Serge Renoux, « Le droit à un recours juridictionnel, pour être effectif, comme tout droit fondamental, suppose que le justiciable puisse avoir accès non pas au tribunal de son choix, mais à la juridiction compétente eu égard à la nature et à l'objet du litige à trancher. Certes, comme tout droit fondamental, le droit au 5

Voir notamment Décision n° 93-325 DC du 13 août 1993, pagragraphe 64 à 66, Décision n° 93-335 DC du 21 janvier 1994, parag. 4, et Décision n° 96-373 DC du 9 avril 1996, parag. 83 à 85 6

Voir, notamment, décision 96-373 DC du 9 avril 1996 précitée et décision 2018-763 du 8 mars 2018, paragraphe 16

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recours juridictionnel ne saurait être limité et absolu. Mais, outre d'abord le fait qu'elles doivent être issues de la loi, compétente pour fixer les garanties d'exercice des libertés publiques (art. C34), ces limites doivent avoir pour objet d'assurer la conciliation nécessaire de droits fondamentaux antagonistes. La sécurité juridique peut être l'une de ces limites, mais certainement pas la seule. Elle constitue au demeurant un argument d'une grande ambiguïté car si l'excès de recours nuit à la sécurité juridique, l'absence de toute voie de recours altère tout autant cette sécurité juridique car elle laisse applicable et sans sanction un acte ou une situation dont l'illégalité a été démontrée par d'autres voies. »7 Ayant rappelé ce principe, dans une décision DC n°2018-761 du 21 mars 2018, le Conseil constitutionnel a, dans le commentaire8 de celle-ci, explicité le contrôle qu'il opère lorsqu'est contestée la constitutionnalité d'un texte au motif qu'il porterait atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif. Il indique notamment que la limitation des possibilités de recours peut être justifiée par des objectifs d'intérêt général, comme celui d'assurer la sécurité juridique des actes passés. Le Conseil fait également mention de l'intérêt d'une bonne administration de la justice, tenant à la difficulté de prouver certains faits pour remettre en cause certains actes. Il ajoute que ces droits, que le législateur a entendu protéger, doivent être mis en balance avec la privation de recours qu'il a prévu, en s'attachant au caractère limité ou non de la restriction prévue et à la possibilité de contester les actes par d'autres voies de droit. Il convient donc, conformément à ce qu'a pu énoncer le Conseil constitutionnel dans ses décisions, de déterminer si l'article L. 3326-1, et l'interprétation qui en est faite par la chambre, privent les justiciables intéressés, que sont notamment les institutions représentatives du personnel, les organisations syndicales ou les salariés, de tout recours effectif contre l'attestation délivrée par l'inspecteur des impôts ou le commissaire aux comptes et, en cas de réponse positive, si cette privation est justifiée ainsi que proportionnée au regard des droits qu'elle entend ainsi protéger.

B/ Les dispositions contestées privent-elles les salariés et/ou leurs représentants de tout recours effectif contre l'attestation prévue par l'article L. 3326-1 du code du travail ? 

une absence de recours contre l'attestation prévue par la loi et précisée par la jurisprudence.

Le dispositif de participation obligatoire des salariés aux résultats de leur entreprise a été introduit par l'ordonnance n°67-693 du 17 août 1967 relative à la participation des salariés aux fruits de l'expansion des entreprises. 7

Article sur « Le droit au recours », revue française de droit constitutionnel, juillet-septembre 1996, p.6 à8 8

Voir page 11 et suivantes

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Dans son article 12, ce texte prévoyait que le montant du bénéfice net et celui des capitaux propres, qui constituaient deux des paramètres à prendre en compte dans le calcul des sommes dues au titre de la participation, « sont établis par une attestation de l'inspecteur des impôts. Ils ne peuvent être remis en cause à l'occasion des litiges nés de l'application de la présente ordonnance. » La possibilité que cette attestation soit établie par un commissaire aux comptes a été introduite par l'article 18 de l'ordonnance n° 86-1134 du 21 octobre 1986 relative à l'intéressement et à la participation des salariés aux résultats de l'entreprise et à l'actionnariat des salariés, sans qu'il soit possible pour autant de la contester. Ces textes ont ensuite été intégrés dans le code du travail, aux articles L. 442-1 et suivants, devenus avec la recodification de 2008 les articles 3321-1 et suivants. L'article L. 3322-1 du code du travail énonce que la participation a « pour objet de garantir collectivement aux salariés le droit de participer aux résultats de l'entreprise. » L'article L. 3324-1 du code du travail fixe ces modalités de calcul de la RSP qui est assise sur le bénéfice net réalisé par une entreprise, après clôture de son exercice comptable9. Le bénéfice net est toujours établi par une attestation, prévue par l'article L. 3326-1 du code du travail. Cette disposition, d'ordre public absolu10, dispose ce qui suit : « Le montant du bénéfice net et celui des capitaux propres de l'entreprise sont établis par une attestation de l'inspecteur des impôts ou du commissaire aux comptes. Ils ne peuvent être remis en cause à l'occasion des litiges nés de l'application du présent titre. Les contestations relatives au montant des salaires et au calcul de la valeur ajoutée prévus au 4° de l'article L. 3324-1 sont réglées par les procédures stipulées par les accords de participation. A défaut, elles relèvent des juridictions compétentes en matière d'impôts directs. Lorsqu'un accord de participation est intervenu, les juridictions ne peuvent être saisies que par les signataires de cet accord. Tous les autres litiges relatifs à l'application du présent titre sont de la compétence du juge judiciaire. » Avant une décision du Tribunal des conflits du 11 décembre 2017, les juridictions administratives étaient compétentes pour trancher les contestations relatives à Ce texte donne une définition plus précise de ce qu'il faut entendre par bénéfice net, en précisant ce qui doit y être inclus ou en être déduit. 9

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Voir Soc., 18 février 2016, pourvoi n° 14-12.614, 14-12.637, 14-12.615, 14-12.638, 14-12.616, 1412.639, 14-12.617, 14-12.640, 14-12.618, 14-12.641, 14-12.619, 14-12.642, 14-12.621, 14-12.644, 1412.620, 14-12.643, 14-12.622, 14-12.645, 14-12.623, 14-12.646, 14-12.624, 14-12.647, 14-12.625, 1412.648, 14-12.626, 14-12.649, 14-12.627, 14-12.650, 14-12.628, 14-12.651, 14-12.629, 14-12.652, 1412.630, 14-12.653, 14-12.631, 14-12.654, 14-12.632, 14-12.655, 14-12.633, 14-12.656, 14-12.634, 1412.635, 14-12.636, Bull. 2016, V, n° 41

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l'attestation émanant d'un inspecteur des impôts ; les juridictions de l'ordre judiciaire l'étaient pour examiner celles dirigées contre l'attestation établie par un commissaire aux comptes. Or, la jurisprudence du Conseil d'Etat n'était pas tout à fait identique à celle de la chambre. Devant les juridictions administratives, il était possible d'exercer un recours pour excès de pouvoir contre une attestation établie par un inspecteur des impôts au cours duquel pouvait être discutée l'interprétation faite par l'administration des règles propres à la RSP s'agissant du calcul du bénéfice net11. Dans ce cadre, ces juridictions appréciaient la légalité de l'attestation délivrée et pouvaient en prononcer l'annulation. Par ailleurs, le Conseil d'Etat avait admis que des salariés, un comité d'entreprise et/ou des organisation syndicales puissent agir pour obtenir l'annulation d'une attestation, interjeter appel ou former un pourvoi contre les décisions des juridictions administratives annulant de telles attestations ou intervenir à l'instance12.

La chambre a, quant à elle, énoncé que les demandes tendant à remettre en cause le montant du bénéfice net ou des capitaux propres « établis par une attestation de l'inspecteur des impôts ou du commissaire aux comptes » étaient irrecevables que l'action soit intentée par un salarié13, par une institution représentative du personnel (ciaprès désignée IRP) et/ou des organisations syndicales14. Par ailleurs, les juges du fond ne peuvent remettre en cause les montants figurant dans une telle attestation, en se fondant sur des pièces produites par les parties, si celle-ci n'a pas fait l'objet d'une rectification15. Ils peuvent, cependant, ne pas tenir compte des attestations non parfaitement établies, notamment qui ne mentionnent pas les informations prévues par les articles L. 442-13 et R. 442-22 alinéa 1 (devenu l'article D. 3325-1)16. 11

Voir en ce sens CE, 26 janvier 1990, n° 60197, 60249 et 66675

Voir la décision précitée ; le Conseil d'Etat était notamment saisi d'un recours, émanant de salariés et d'un syndicat, dirigé contre la décision d'un tribunal administratif ayant annulé plusieurs attestations; il avait, par ailleurs, énoncé que « le comité central d'entreprise de la société "Socea-Balency (SOBEA)" a intérêt à l'annulation du jugement attaqué par la requête n° 60 249 ; qu'ainsi, son intervention tendant à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de ladite requête est recevable » 12

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Voir Soc., 11 mars 2009, pourvoi n° 08-41.140, Bull. 2009, V, n° 80

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Voir par exemple Soc., 7 novembre 2001, pourvoi n° 00-12.216 (Second moyen), Soc., 8 décembre 2010, pourvoi n° 09-65.810, Bull. 2010, V, n° 288, Soc., 10 janvier 2017, pourvoi n° 14-23.888, Bull. 2017, V, n° 4 ou Soc., 28 février 2018, pourvoi n° 16-17.994, Bull. 2018, V, n° 37 15

Voir notamment Soc., 11 mars 2009, pourvoi n° 08-41.140, Bull. 2009, V, n° 80 et Soc., 8 décembre 2010, pourvoi n° 09-65.810, Bull. 2010, V, n° 288 Cf. Soc., 30 janvier 2013, pourvoi n° 12-11.875, Bull. 2013, V, n° 26 pour une attestation d'un commissaire aux comptes « qui ne comporte aucune information sur le montant des capitaux propres ni 16

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Dans le dernier état de sa jurisprudence, la chambre a énoncé que « le montant du bénéfice net devant être retenu pour le calcul de la réserve de participation qui avait été certifié par une attestation du commissaire aux comptes de la société dont les syndicats ne contestaient pas la sincérité ne pouvait être remis en cause dans un litige relatif à la participation, quand bien même l'action des syndicats était fondée sur la fraude ou l'abus de droit invoqués à l'encontre des actes de gestion de la société »17.

Dans sa décision du 11 décembre 2017, le Tribunal des conflits a énoncé ce qui suit: « Considérant qu'il résulte de ces dispositions que le législateur a entendu attribuer compétence à la juridiction judiciaire pour connaître des litiges relatifs à l'obligation, pour une entreprise employant habituellement au moins cinquante salariés, de mettre en oeuvre les dispositions du code du travail relatives à la participation des salariés aux résultats de l'entreprise ; qu'il n'en va autrement que pour les contestations relatives au montant des salaires et au calcul de la valeur ajoutée, qui relèvent de la compétence de la juridiction administrative ; que l'attestation établie par l'inspecteur des impôts, en application de l'article L. 442-13, alinéa 1er, du code du travail, ayant pour seul objet de garantir la concordance entre le montant du bénéfice déclaré à l'administration et celui utilisé par l'entreprise pour le calcul de la réserve spéciale de participation des salariés, elle n'a pas le caractère d'un acte administratif détachable du contentieux s'y rapportant ; que, dès lors, la demande en annulation de l'attestation rectificative du 12 janvier 2012 formée par la société ESSO SAF, qui tend à contester le montant du bénéfice net porté sur cette attestation, ressortit à la compétence de la juridiction judiciaire ; ». Les juridictions de l'ordre judiciaire sont désormais seules compétentes pour examiner toute contestation pour sur une attestation émise dans le cadre de la RSP. De ce fait, toute contestation, individuelle ou collective, ayant pour conséquence de remettre en cause le montant du bénéfice net ou des capitaux propres mentionné dans une attestation rédigée par un inspecteur des impôts ou un commissaire aux comptes est irrecevable, quand bien même elle serait fondée sur une fraude ou un abus de droit commis antérieurement, sauf si est invoquée et prouvée l'absence de sincérité de ce document. 

l'hypothèse de l'insincérité de l'attestation, seul cas de contestation possible

Si la chambre n'a pas été saisie de litiges portant sur une telle notion, son contraire, la sincérité, est définie ainsi : - « Authenticité, absence de trucage, de contrefaçon » ce qui renvoie à la fidélité des propos ou écrits avec la réalité ou ce que pense leur auteur, selon le dictionnaire Larousse,

sur celui de l'excédent net répartissable retenu et sur l'exercice auquel ces montants se rapportent » ou Soc., 5 mars 2014, pourvoi n° 12-29.315 17

Cf. Soc., 28 février 2018, pourvoi n° 16-50.015, Bull 2018, V, n° 36 et Soc., 6 juin 2018, pourvoi n° 16-24.566, 16-25.749

10

- « probité consistant en la révélation spontanée, par celui qui est en général seul à le connaître, d'un fait décisif ou au moins non négligeable pour celui qui l'ignore », par opposition au silence, secret, réticence ou dol, selon le « Vocabulaire juridique »18. Ainsi, pour qu'un recours contre une attestation aboutisse, il doit être établi, selon moi, que son auteur n'ignorait pas ou ne pouvait ignorer que les montants qu'il y a fait figurer étaient inexacts. Cela suppose soit la connaissance de la fausseté des montants indiqués, soit une légèreté blâmable ou une absence de vigilance ou de diligences de la part de ce dernier. Dans la première hypothèse, il me semble assez ardu pour la partie qui se prévaudrait de cette insincérité de l'établir en présence de professions qui sont soumises à des obligations déontologiques, notamment d'indépendance et de probité, faisant présumer une bonne foi de leur part. Dans le second cas de figure, cela induirait que l'auteur de l'attestation accomplisse un minimum de contrôles sur les données fournies par l'entreprise, voire sur les actes de gestion réalisés en amont qui ont pu avoir une influence sur ces chiffres. Or, cela n'entre pas dans la mission de l'inspecteur des impôts ou du commissaire aux comptes lorsqu'il établit cette attestation. En effet, comme l'a énoncé le Conseil d'Etat, « les attestations dont s'agit se bornent à établir la concordance entre les chiffres de la comptabilité présentée à l'administration et ceux utilisés pour le calcul de la réserve spéciale de participation »19. 

l'absence d'autres voies de droit offertes aux salariés ou pour faire valoir les droits des premiers

leurs représentants

Pour s'opposer à la transmission de cette QPC, l'un des arguments développés par le défendeur au pourvoi, mais également retenu par le juge du fond dans sa décision de non-transmission, tient au fait qu'il existe d'autres voies de droit soit pour obtenir la modification des données figurant dans cette attestation, voire prendre compte d'une éventuelle fraude commise par l'entreprise, soit pour obtenir réparation pour le préjudice éventuellement subi du fait de la minoration ou la privation de droits au titre de la RSP. -

sur la modification du bénéfice net par l'administration fiscale

Il est vrai que l'administration fiscale dispose d'un pouvoir général de contrôle des déclarations qui lui sont faites20 et peut, en se fondant notamment sur les textes

18

De Gérard Cornu, éd PUF

19

Voir CE 5 décembre 1984, n° 36337

20

En vertu notamment des dispositions des articles L10 et L45 du livre des procédures fiscales

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évoqués dans le mémoire en défense, ne pas tenir compte de certains actes passés par l'employeur21. D'ailleurs, le code du travail prévoit expressément la possibilité de changer, par une attestation rectificative, les données figurant dans une première attestation22. Toutefois, cette possibilité de contrôle et de rectification reste à l'initiative de l'administration fiscale ou de la société contrôlée, si elle conteste l'appréciation faite par la première. En revanche, les IRP ou les organisations syndicales ne peuvent contester auprès de l'administration fiscale l'assiette d'imposition de la société, voire certaines opérations décidées qui ont eu une incidence sur cette assiette. Tout au plus leurs représentants peuvent-ils être entendus lorsque certains manquements aux règles d'imposition sont suspectés23 puisque l'administration fiscale est en droit de procéder à l'audition de toute personne susceptible de lui fournir « des informations utiles à l'accomplissement de [sa] mission. »

-

sur une action en responsabilité contre le commissaire aux comptes

L'article L. 822-17 du code de commerce dispose en son premier alinéa que « Les commissaires aux comptes sont responsables, tant à l'égard de la personne ou de l'entité que des tiers, des conséquences dommageables des fautes et négligences par eux commises dans l'exercice de leurs fonctions. » Or, comme je l'ai indiqué plus haut, le commissaire aux comptes se borne à attester de la concordance des chiffres avancés par l'entreprise au titre du bénéfice net et des capitaux propres avec les données fiscales et comptables dont il a connaissance. La limitation de son intervention a une incidence sur l'étendue de sa responsabilité. Puisqu'il n'a pas à opérer de contrôle, il est difficile de lui reprocher une faute, autre qu'une erreur grossière. Il est également difficile de concevoir que sa faute puisse avoir un quelconque lien de causalité avec le préjudice subi par les salariés, qui consiste en une privation ou une diminution de leurs droits à RSP, puisque le commissaire aux comptes n'a pas à procéder à des investigations sur les informations que lui fournit l'entreprise. Par ailleurs, à supposer les conditions de mise en oeuvre de sa responsabilité remplies, l'action n'aboutirait qu'à une indemnisation des salariés pour les droits éludés, voire Tel que l'article L 64 du livre des procédures fiscales concernant les actes fictifs ou constitutifs d'un abus de droit en vue d'éluder ou d'atténuer ses charges fiscales 21

22

En vertu de l'article D 3325-4 du code du travail

Dont des manquements aux règles de l'article 57 du code général des impôts relatif aux transferts indirects de bénéfices par des sociétés situées sur le territoire français au profit de sociétés situées à l'étranger, qui contrôlent ou sont contrôlées par les premières 23

12

simplement pour une perte de chance, mais ne mettrait pas fin à l'éventuelle irrégularité à l'origine de cette minoration ou privation de sommes au titre de la RSP.

-

sur la contestation par les salariés ou leurs représentants d'actes de gestion antérieurs ayant eu une incidence sur le montant du bénéfice net de l'entreprise

Enfin, lorsque sont contestées des opérations ou actes décidés par la société24, les IRP et les organisations syndicales, portant la voie des salariés, ne disposent d'aucun recours pour les contester. En effet, comme le rappelait M. L'avocat général Weissmann, dans son avis sous l'arrêt du 18 février 2018, « le défaut de consultation du CE ne peut avoir pour conséquence que la suspension du projet faisant l'objet de l'obligation d'information, [...] ou une demande par ce dernier de dommages-intérêts en réparation de son préjudice. En aucun cas, l'employeur ne peut être privé de son droit à mettre en oeuvre sa politique de gestion en raison d'un défaut de consultation. » Tout au plus pourrait-on imaginer une action en responsabilité civile dirigée contre la société en réparation du préjudice subis par ses salariés du fait de certaines de ses décisions. Mais tout comme cela a été dit pour celle dirigée contre le commissaire aux comptes, cette action n'aurait pour objet que de réparer le préjudice subi du fait de ces actes et non d'en obtenir l'annulation ou l'inopposabilité. Je considère donc que les dispositions de l'article L. 3326-1 et leur interprétation par la chambre privent les salariés, les IRP ou les organisations syndicales de tout recours effectif pour contester les données figurant dans cette attestation, dont le montant peut être déterminé par des actes de gestion antérieurs, qu'ils ne peuvent non plus remettre en cause.

D/ La privation de tout recours effectif contre cette attestation porte-t-elle une atteinte justifiée et proportionnée au droit à un recours effectif ? Pour qu'il existe un doute sérieux sur la constitutionnalité de l'article L. 3326-1 du code du travail ainsi que l'interprétation qui en est faite par la chambre, il ne suffit pas qu'il y ait une privation de tout droit à recours contre l'attestation en question. Il y a une atteinte à la substance du droit à un recours effectif si cette privation n'est pas justifiée ou pas proportionnée. Comme je l'ai déjà indiqué, dès la création du dispositif de participation des salariés aux fruits de l'entreprise, il était exclu que les montants mentionnés l'attestation rédigée par l'inspecteur des impôts puissent faire l'objet d'une contestation. Comme une opération de restructuration et un prêt souscrit auprès de la société mère, dans l'arrêt du 28 février 2018, ou des contrats conclus entre la société mère suisse et ses filiales françaises dans la présente espèce. 24

13

Cette disposition a été étendue dans le cas où l'attestation émane d'un commissaire aux comptes. Des explications peuvent être avancées pour justifier de cette interdiction de tout recours : - cette attestation n'est pas créatrice de droit mais uniquement un acte recognitif, de sorte qu'elle n'est pas, en elle-même, source de fraude ou d'abus de droit, - le contentieux sur le bénéfice net, assiette de l'imposition de la société, relève exclusivement de la compétence de l'administration fiscale et du juge de l'impôt, - les salariés ou leurs représentants ne peuvent remettre en question les actes de gestion de l'entreprise, régulièrement décidés au nom de la liberté d'entreprendre, ellemême garantie par l'article 4 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen. Il convient donc d'examiner ces points successivement. 

l'absence de recours effectif contre l'attestation en raison de sa nature

Cette exclusion de tout recours peut s'expliquer par le fait que, comme l'a énoncé le Conseil d'Etat, « les attestations dont s'agit se bornent à établir la concordance entre les chiffres de la comptabilité présentée à l'administration et ceux utilisés pour le calcul de la réserve spéciale de participation ». A mon sens, cette attestation en question n'est pas créatrice de droits mais constitue seulement un acte recognitif. Cela s'explique par la mission qui est dévolue à son auteur, à savoir attester que les chiffres avancés par la société dans sa demande de délivrance d'attestation correspondent aux données fiscales et/ou comptables dont il dispose. En revanche, celui-ci n'opère aucun contrôle à ce stade. Le commissaire aux comptes n'a pas à certifier que les chiffres qu'il mentionne sont « réguliers et sincères» comme il peut le faire dans le cadre de sa mission de contrôle général des comptes sociaux. De son côté, l'administration fiscale se borne à attester que le bénéfice net mentionné est le même que celui qui figure dans la déclaration fiscale faite par l'entreprise. En revanche, elle ne certifie pas que ce chiffre sera bien celui qui sera retenu comme base d'imposition puisqu'il peut faire l'objet d'une rectification donnant lieu à l'émission d'une nouvelle attestation, comme cela a été évoqué plus haut. Ainsi, l'absence de tout recours contre cette attestation pourrait être justifiée par le fait qu'elle ne constitue qu'un simple constat, fondé sur des données et/ou actes qui ont fait ou sont en train de faire l'objet d'un contrôle. Toutefois, il n'y a pas nécessairement de contrôle en amont des données servant à établir cette attestation.

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L'administration fiscale, seule à même de modifier le montant du bénéfice net, opère, certes, un contrôle systématique des déclarations fiscales des entreprises. Mais, s'agissant d'un système déclaratif, il existe une présomption d'exactitude des données mentionnées dans la déclaration. Et, ce n'est que si l'administration fiscale réclame « tous renseignements, justifications ou éclaircissements »25 ou engage une procédure de vérification fiscale26 qu'il y a véritablement des investigations faites par elle. Quant au commissaire aux comptes, il ne certifie pas nécessairement les comptes de toutes les entreprises tenues au titre de la RSP. En effet, en vertu des dispositions des articles L. 3321-1 et 3322-2 du code du travail, la participation des salariés aux résultats des entreprises est obligatoire pour les entreprises de droit privé employant au moins cinquante salariés. Or, ne serait-ce que pour les seules sociétés commerciales, l'intervention du commissaire aux comptes, pour contrôler et certifier les comptes, n'est obligatoire que si deux des trois seuils prévus par le code de commerce sont atteints27. Dans les autres hypothèses, la désignation d'un commissaire aux comptes est facultative. En outre, dans le cadre de leur contrôle légal, les commissaires aux comptes : - « certifient, en justifiant de leurs appréciations, que les comptes annuels sont réguliers et sincères et donnent une image fidèle du résultat des opérations de l'exercice écoulé ainsi que de la situation financière et du patrimoine de la personne ou de l'entité à la fin de cet exercice. » (article L. 823-9 du code de commerce), - « ont pour mission permanente, à l'exclusion de toute immixtion dans la gestion, de vérifier les valeurs et les documents comptables de la personne ou de l'entité dont ils sont chargés de certifier les comptes et de contrôler la conformité de sa comptabilité aux règles en vigueur. » (article L. 823-10), - « s'assurent que l'égalité a été respectée entre les actionnaires, associés ou membres de l'organe compétent. » (article L. 823-11). Par ailleurs, en vertu de l'article L. 823-10-1, « la mission de certification des comptes du commissaire aux comptes ne consiste pas à garantir la viabilité ou la qualité de la gestion de la personne ou entité contrôlée. » Ainsi, l'interdiction d'immixtion dans la gestion de la société de même que l'absence de garantie de la qualité de la gestion de l'entité contrôlée induisent que le commissaire aux comptes ne peut porter d'appréciation sur l'opportunité d'opérations ou d'actes régulièrement décidés et mis en oeuvre par les organes compétents, sauf peut- être à 25

Conformément à l'article L. 10 du livre des procédures fiscales précité

26

Prévue par les articles L. 45 et suivants du Livre des procédures fiscales

À savoir « le total d'un bilan [...] fixé à 4.000.000 d'euros, le montant hors taxe du chiffre d'affaires à 8.000.000 d'euros et le nombre moyen de salariés à cinquante », en vertu des dispositions de l'article D 221-5 du code de commerce relatif aux sociétés en nom collectif, auxquelles renvoient les textes régissant les autres formes sociales 27

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vérifier que « l'égalité a été respectée entre les actionnaires, associés ou membres de l'organe compétent ». Il n'y a donc pas nécessairement d'appréciation porter par lui sur les conséquences sur la RSP des actes de gestion. En conséquence, l'attestation qui nous intéresse peut mentionner des données qui reposent sur des actes frauduleux ou constitutifs d'un abus de droit, sans qu'ils aient été révélés et donc effectivement contestés avant sa délivrance.

-

l'absence de recours effectif pour préserver les droits de l'entreprise contribuable et le domaine de compétence du juge de l'impôt

Cette justification est avancée par Mme Nicolazo de Barmon, dans ses conclusions sous l'arrêt du Conseil d'Etat du 21 juillet 201728. En effet, elle écrit ceci ainsi : « [Le premier alinéa de l'article L. 3326-1 du code du travail] interdit de remettre en cause le montant du bénéfice net attesté par l'inspecteur des impôts ou le commissaire aux comptes. Il fixe selon nous une règle de recevabilité des moyens, qui vaut aussi bien devant le juge administratif que le juge judiciaire. Cet alinéa interdit, quel que soit le juge compétent, de contester, à l'occasion d'un litige sur la participation, le bénéfice sur lequel est assise l'imposition de la société, question qui ne relève évidemment que d'un contentieux fiscal entre la société et l'administration des impôts. Le législateur a seulement voulu éviter que la loi sur la participation ne dépossède l'administration fiscale de son droit de contrôle des déclarations du contribuable et ne prive ce dernier des garanties du contribuable vérifié.» Ainsi, l'interdiction de contestation de cette attestation, reposerait sur le souhait du législateur de ne pas voir porter devant une juridiction, éventuellement incompétente, une contestation ne relevant pas du contentieux de la réserve spéciale de participation mais de celui de l'imposition ou, à tout le moins, une contestation ayant une incidence sur l'assiette servant de base au calcul de l'imposition d'une entreprise. Cela prémunirait aussi l'entreprise contribuable de toute remise en cause de son assiette fiscale de l'imposition, que constitue le bénéfice net, plusieurs années après qu'a été rédigée l'attestation en question et qu'ont été calculées et versées les sommes dues au titre de la RSP. Toutefois, ce second argument ne me semble pas pertinent. En effet, il est toujours possible à l'administration fiscale, voire au juge de l'impôt, de modifier le bénéfice net de l'entreprise, au terme de vérifications ou d'une procédure de rectification qui peut prendre un certain temps.

28

Publié avec l'arrêt dans la revue Droit fiscal n°48, 30 novembre 2017, comm. 562

16

Dans cette hypothèse, le code du travail a prévu des règles d'imputation de ces modifications29 sur l'exercice comptable au cours duquel ces dernières sont définitives, sans qu'on y voit une atteinte à la sécurité juridique ou aux droits de l'entreprise contribuable. L' argument, tenant à la protection des droits de l'entreprise contribuable, garantis par la procédure fiscale, n'est pas non plus opérant, à mon sens. La contestation par les salariés, organisations syndicales ou IRP des actes frauduleux ou caractéristiques d'un abus de droit ainsi que l'attestation qui en est le révélateur mais aussi la conséquence, serait nécessairement portée devant des juridictions et donc soumises aux règles de procédure qui leur sont applicables. Les juridictions judiciaires sont compétentes pour trancher les litiges relatifs à la RSP. Or, le code de procédure civile consacre des droits autant protecteurs de la partie défenderesse30 que le livre des procédures fiscales. Par ailleurs, il incomberait à ceux qui l'invoquent d'établir l'existence d'une fraude ou d'un abus de droit. Comme le rappelle M. Mouly31, « il y a fraude chaque fois que le sujet de droit parvient à se soustraire à l'exécution d'une règle obligatoire par l'emploi à dessein d'un moyen efficace qui rend ce résultat inattaquable sur le terrain du droit positif ». Quant à l'abus de droit, il impose de caractériser l'intention de nuire, la mauvaise foi ou la légèreté blâmable de son auteur. Ainsi, ni la fraude, ni l'abus de droit ne pourraient être caractérisés par le seul fait que des actes ont eu un effet dommageable sur les droits des salariés et imposeraient d'établir un comportement délibéré de l'entreprise pour éluder les droits de ceux-ci. Enfin, il ne me semble pas que la compétence de l'administration fiscale et du juge de l'impôt soit méconnue si une contestation sur cette attestation, et des actes de gestion antérieurs, était admise. En effet, si la contestation aboutissait, elle n'aurait pas nécessairement une incidence sur l'assiette d'imposition de la société puisque les demandes peuvent tendre à rendre inopposables aux parties intéressées les actes mis en cause, ce qui ne revient pas à réintégrer dans le bénéfice net, tel que retenu par l'administration fiscale, les sommes en question.

Voir l'article D. 3324-40 du code du travail et pour un exemple d'application de ce texte l'arrêt de la chambre du 18 février 2016, cité en note de bas de page n° 10 29

Qu'il s'agissent des principes directeurs du procès civil, parmi lesquels figure le principe de la contradiction, ou des règles d'introduction des instances et d'exercice des voies de recours 30

31

Dans son article « Participation des salariés aux résultats de l'entreprise Fraude à la loi versus article L. 3326-1 du code du travail », Dalloz social 2018, p. 933

17

Celle-ci conserverait donc la possibilité d'opérer ou non une rectification de l'assiette d'imposition de l'entreprise qui serait soumise au « délai de reprise »32, équivalant à un délai de prescription, mais également aux règles procédurales applicables33, gage du respect des droits de l'entreprise. Il me semble donc que la privation de tout recours contre cette attestation, même quand une fraude ou un abus de droit est invoqué, n'est pas justifiée au regard des buts recherchés qui sont de garantir une certaine sécurité juridique mais aussi de préserver les droits de la société contribuable ainsi que la compétence de l'administration fiscale et du juge de l'impôt.

-

sur l'absence de recours effectif pour protéger d'autres droits garantis par des textes valeur constitutionnelle

La privation d'un droit au recours peut donc être admise si elle a pour objet de protéger d'autres droits et libertés à valeur constitutionnelle. Il est vrai que l'on pourrait arguer du fait que les actes de gestion d'une entreprise, régulièrement passés, ne doivent pas être remis en cause au nom de la liberté d'entreprendre, elle-même garantie par l'article 4 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen. Toutefois, comme le relève Mme le rapporteur Sommé, cette liberté n'est pas, ellemême, illimitée. Par ailleurs, il convient de relever que, lorsque le dispositif de participation des salariés a été introduit en 1967, les motifs de sa création témoignaient expressément de l'absence d'antagonisme entre la liberté d'entreprendre et les nouveaux droits conférés aux salariés. En effet, le rapport au Président de la République indiquait ceci : « L'intérêt des travailleurs suppose le maintien d'une économie prospère ; l'intérêt de notre économie est lié à une large diffusion de l'expansion, l'intérêt de notre société, enfin, rend indispensable que patrons et salariés, qui concourent ensemble au développement des entreprises, partagent le prix de leurs efforts communs. » En outre, la définition de la fraude et de l'abus de droit ainsi que les règles relatives à la charge de preuve constituent, à mon sens, des gardes-fous contre une atteinte à la liberté d'entreprendre, garantie par l'article 4 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen. En revanche, l'absence de recours effectif contre cette attestation peut, elle, porter atteinte à d'autres droits et libertés à valeur constitutionnelle que sont le droit des salariés de participer, par l'intermédiaire de leurs représentants, aux modalités de gestion de l'entreprise ainsi que la liberté contractuelle. Voir l'article 186 du Livre des procédures fiscales pour le délai de droit commun qui est de 6 années, étant précisé qu'il existe des possibilités de prorogation 32

33

Prévues aux articles L. 55 et suivants du Livre des procédures fiscales

18

Comme le souligne les demandeurs au pourvoi, interdire tout recours effectif peut permettre à un employeur de se dédire des obligations qu'il a contractées dans le cadre d'un accord d'entreprise sur la RSP, sans craindre aucune conséquence de son comportement dès lors que les actes de gestion qui le lui ont permis ne sont pas attaquables par les personnes intéressées. L'employeur pourrait ainsi méconnaître non seulement des dispositions du code du travail d'ordre public absolu mais aussi les engagements qu'il a pris dans le cadre d'un accord d'entreprise. Pour toutes ces raisons, je pense qu'il existe un doute sérieux sur la constitutionnalité des dispositions de l'article L. 3326-1 du code du travail et de l'interprétation qui en est faite par la chambre. Je suis donc d'avis de transmettre la QPC au Conseil constitutionnel.

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