Jurisprudence : Cass. soc., Conclusions, 10-01-2024, n° 22-13.464

Cass. soc., Conclusions, 10-01-2024, n° 22-13.464

A83472RL

Référence

Cass. soc., Conclusions, 10-01-2024, n° 22-13.464. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/105408920-cass-soc-conclusions-10012024-n-2213464
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AVIS DE Mme WURTZ, AVOCATE GÉNÉRALE

Arrêt n° 3 du 10 janvier 2024 (B) – Chambre sociale Pourvoi n° 22-13.464 Décision attaquée : 8 février 2022 de la cour d'appel de Colmar la société [T] C/ M. [R] [X] _________________

1. FAITS ET PROCEDURE Monsieur [X], engagé par la société [T] a été déclaré inapte à son poste par le médecin du travail, son état de santé faisant obstacle à tout reclassement. Contestant cet avis d'inaptitude, l'employeur a saisi le conseil de prud'hommes (CPH) lequel a ordonné une expertise confiée au médecin inspecteur territorialement compétent. Par ordonnance du 6 juillet 2021, le CPH a confirmé l'avis d'inaptitude. Par arrêt du 8 février 2022, la cour d'appel a confirmé en toutes ses dispositions l'ordonnance. C'est l'arrêt attaqué par le pourvoi de l'employeur fondé sur un moyen unique articulé en quatre branches qui pour l'essentiel, reprochent à l'arrêt :

1

- un manque de base légale au regard de l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, à défaut d'avoir recherché si les dispositions de l'article L.4624-7 qui permet au conseil de prud'hommes de confier une mesure d'instruction au médecin-inspecteur garantissait le droit de l'employeur à un procès équitable ; - une violation de l'article L.4624-7 III pour s'être prononcée, pour substituer sa décision à celle du médecin du travail, au seul visa du rapport d'expertise; - une violation de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en décidant que la reprise du paiement du salaire du salarié devait intervenir à compter du mois d'août 2020 jusqu'à son licenciement ou son reclassement, quand l'obligation posée par l'article L.1226-4 du code du travail n'était pas compatible avec l'article 6 § 1 de la Convention, compte tenu de la procédure de contestation des avis médicaux prévue par l'article L.4624-7 du code du travail; - une violation des articles L.1226-4 et L.4624-7 du code du travail, en jugeant que la reprise du paiement du salaire devait intervenir à compter du mois d'août 2020 jusqu'à son licenciement ou son reclassement, alors que le délai de reprise de paiement du salaire ne peut courir qu'à compter de l'acquisition d'une décision définitive relative à la constatation d'une inaptitude ou à tout le moins, à compter de la décision du juge prud'homal se substituant à l'avis.

2. DISCUSSION Je m'attacherai à titre principal à l'examen de la quatrième branche du moyen relative au point de départ du délai de reprise du paiement des salaires quand l'avis médical d'inaptitude est contesté devant la juridiction prud'homale. S'agissant de la deuxième branche du moyen, je partage l'avis de rejet de votre rapporteure pour les motifs qu'elle expose. S'agissant des première et troisième branches du moyen : La chambre devra préalablement statuer sur la recevabilité du moyen, dès lors que l'employeur n'a pas soutenu devant la cour d'appel que la procédure de l'article L.4624-7, en tant qu'elle permet au juge prud'homal de désigner comme expert un médecin-inspecteur est incompatible avec l'article 6§1 de la CEDH (1ère branche), ni invoqué cette même incompatibilité pour l'article L.1226-4 du code du travail. Or la jurisprudence constante de l'ensemble des chambres de la Cour rappelle que la violation de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit avoir été soulevée devant les juges du fond et ne peut l'être, pour la première fois, devant la Cour de cassation1. En tout état de cause, vous pourrez rejeter ces deux branches du moyen au fond pour les raisons suivantes, exposées dans l'intérêt de la discussion : 1

Soc. 11 juillet 2012, no11-16.091; Soc. 18 mai 2022,no20-21.574, 1re Civ. 15 février 2023, no2121.594 cités dans le rapport de madame le conseiller rapporteur

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2-1 Sur la conventionnalité de l'article L.4624-7 du code du travail et du statut d'expert du médecin-inspecteur (première branche) Aux termes de la loi, les médecins inspecteurs du travail « exercent une action permanente en vue de la protection de la santé physique et mentale des travailleurs sur leur lieu de travail et participent à la veille sanitaire au bénéfice des travailleurs. Leur action porte en particulier sur l'organisation et le fonctionnement des services de prévention et de santé au travail » 2. A ce titre, ils formulent notamment des avis et réalisent des études sur les risques professionnels et leur prévention 3. Ils participent aussi à des programmes de prévention avec les Carsat 4 et l'ensemble des acteurs de la prévention des risques professionnels. Le champ d'intervention du médecin-inspecteur est donc d'abord axé sur la veille sanitaire et la coordination de la prévention des risques professionnels, outre l'amélioration des conditions de travail à un niveau collectif et sur l'échelon territorial qu'il couvre. C'est dans ce cadre, qu'il exerce une mission d'information au bénéfice des médecins du travail. Placé en appui des services d'inspection du travail, le médecin-inspecteur est titulaire d'un contrat de droit public conclu avec la Direction régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et de la solidarité (DREETS). En effet, en liaison avec les agents de contrôle, il contribue également à l'application de la règlementation relative à la santé au travail. 5 S'il est rattaché à une DREETS, s'agissant de son affectation territoriale et des moyens qui lui sont dévolus pour l'exercice de sa mission, il est, pour l'exercice de ses compétences techniques, placé sous l'autorité du chef du service de l'inspection médicale du travail (lui-même médecin du travail) lequel est attaché à la Direction générale du travail 6. Appartenant au système d'inspection du travail, le médecin inspecteur est donc soumis au code de déontologie des agents du système 7 et en particulier aux devoirs de neutralité et d'impartialité 8.

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Article L.8123-1 du code du travail

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Article R.8123-1du code du travail

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Caisses d'assurance retraite et de santé au travail

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Article L.8123-1 du code du travail

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Article R8123-7 du code du travail

7

Article R8124-4 4°du code du travail

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Articles R8124-18 et R8124-19 du code du travail

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De même, en sa qualité de médecin, il relève du code de la santé publique qui précise en son article R.4127-5 que « le médecin ne peut aliéner son indépendance professionnelle sous quelque format que ce soit ». Depuis la loi du 8 aout 2016, modifiée par l'ordonnance du 22 septembre 2017, le législateur a entendu désigner comme « sachant » le médecin-inspecteur territorialement compétent pour éclairer le juge prud'homal, saisi d'une contestation d'un avis médical. En effet, ayant une connaissance fine des entreprises qui relèvent de son territoire et disposant d'une qualification en médecine du travail, laquelle est requise par le législateur pour se prononcer sur la capacité d'un salarié à occuper son poste, le médecin-inspecteur est la ressource utile pour effectuer une telle mission judiciaire. S'agissant d'une mission judiciaire confiée par la juridiction prud'homale, elle s'accomplit donc nécessairement dans le cadre des règles de procédure civile, en application de l'article R.1451-1 du code du travail9. Ainsi, conformément à l'article 234 du code de procédure civile, le médecininspecteur peut être récusé pour les mêmes causes que les juges, c'est à dire pour les motifs énoncés à l'article L.111-6 du code de l'organisation judiciaire. Et dans le cadre de l'accomplissement de sa mission judiciaire, le médecin-inspecteur se conforme aux dispositions des articles 273 à 281 du code de procédure civile qui encadrent le déroulement des opérations d'expertise. Par ailleurs, le médecin- inspecteur ne peut être désigné expert lorsqu'il a été consulté sur le cas précis du salarié par le médecin du travail, en amont de l'avis contesté 10. Enfin, l'article R.4127-106 du code de la santé publique inscrit au chapitre intitulé « exercice de la médecine d'expertise », prévoit que « lorsqu'il est investi d'une mission, le médecin expert doit se récuser s'il estime que les questions qui lui sont posées sont étrangères à la technique proprement médicale, à ses connaissances, à ses possibilités ou qu'elles l'exposeraient à contrevenir aux dispositions du présent code de déontologie». Or, aux termes du guide élaboré par la Cour européenne des droits de l'Homme sur l'article 6 de la Convention il est rappelé que : « 417. L'article 6 § 1 de la Convention n'exige pas expressément qu'un expert entendu par un tribunal remplisse les mêmes conditions d'indépendance et d'impartialité que le tribunal lui-même (Sara Lind Eggertsdóttir c. Islande, 2007, § 47 ; Letincic c. Croatie, 2016, § 51). Cependant, l'absence de neutralité d'un expert, associée à sa place et à son rôle dans la procédure, peut déséquilibrer la situation procédurale d'une partie au dépens de l'autre en violation du principe de l'égalité des armes (Sara Lind Eggertsdóttir c. Islande, 2007, § 53 ; Letincic c. Croatie, 2016, § 51) ; de même, l'expert peut occuper une position dominante dans la procédure et exercer une influence importante sur l'appréciation du juge (Yvon c. France, 2003, § 9

L'article R1451-1 du code du travail précise que la procédure devant les juridictions prud'homales est régie par les dispositions du livre premier du code de procédure civile 10

Article R.4624-45-2 du code du travail

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37 ; Letincic c. Croatie, 2016, § 51). En somme, la position occupée par l'expert au cours de la procédure, la manière dont il remplit ses fonctions ainsi que la manière dont les juges évaluent son opinion constituent des facteurs pertinents à prendre en compte dans l'appréciation du respect du principe de l'égalité des armes (Devinar c. Slovénie, 2018, § 47). 418. Une expertise médicale, qui relève d'un domaine technique échappant à la connaissance des juges, est susceptible d'influencer de manière prépondérante leur appréciation des faits et constitue un élément de preuve essentiel : il doit donc pouvoir être efficacement commenté par les parties Mantovanelli c. France, 1997, § 36 ; Storck c. Allemagne, 2005, § 135). Importante, l'indépendance de l'expert par rapport aux parties de l'affaire doit être tant formelle que réelle (Tabak c. Croatie, 2022, § 60) (...). La première branche du moyen est donc inopérante tant au regard des principes dégagés par la Cour européenne et des garanties offertes par les dispositions combinées du code du travail, du code de procédure civile et du code de la santé publique, qu'au regard des constatations de la cour d'appel dont elle a déduit que le manque d'impartialité du médecin-inspecteur ne résultait d'aucun élément de son expertise.

AVIS DE REJET 2.1.1 Sur la conventionnalité de l'article L.1226-4 du code du travail et du point de départ de la reprise du paiement des salaires ( troisième branche) Le demandeur au pourvoi fait valoir que « Si la modification de l'article L.4624 -7 du code du travail n'a pas conduit à l'abrogation ou à la modification de l'article L.1226 4 du code du travail, il est manifeste que ces deux dispositions ne sont plus compatibles avec le principe du droit à un procès équitable, compte tenu de la lenteur de la procédure prud'homale et du délai dans lequel pourra être obtenue une décision définitive relative à l'inaptitude du salarié. » La longueur d'une procédure peut entrer dans le champ d'application de l'article 6§1 de la Convention EDH11, en tant qu'il garantit le droit d'être jugé dans un délai raisonnable. Ce délai est apprécié en fonction de la complexité en droit et en fait de l'affaire, du comportement du requérant, du comportement des autorités requises et de l'enjeu du litige pour l'intéressé 12. Toutefois, en l'espèce, le grief de lenteur de la procédure énoncé dans le pourvoi a trait à la contestation de l'avis médical et à la question de savoir si le salarié est apte ou inapte à occuper son poste. Elle n'affecte nullement l'obligation de reprise du paiement des salaires, laquelle est fixée par la loi indépendamment du sens de l'avis médical, comme poursuivant une finalité différente. La jurisprudence de la chambre 11

La Cour se fonde sur la durée globale de la procédure, CEDH, 26 septembre 2000, JB c/ France, n° 33634/96 12

CEDH, gr.ch.,27 juin 2000, Frydlender c/France, n° 30979/96

5

précise même que peu important le recours exercé contre la décision du médecin du travail en raison des difficultés ou désaccord qu'elle suscite 13 Le grief est donc inopérant. 2-2 Sur le point de départ de la reprise du paiement des salaires quand l'avis d'inaptitude est contesté (4ème branche) Aux termes de l'article L.1226-4 du code du travail : « Lorsque, à l'issue d'un délai d'un mois à compter de la date de l'examen médical de reprise du travail, le salarié déclaré inapte n'est pas reclassé dans l'entreprise ou s'il n'est pas licencié, l'employeur lui verse, dès l'expiration de ce délai, le salaire correspondant à l'emploi que celui-ci occupait avant la suspension de son contrat de travail. Ces dispositions s'appliquent également en cas d'inaptitude à tout emploi dans l'entreprise constatée par le médecin du travail (...) » ; Ces dispositions, d'ordre public 14 n'ont nullement été modifiées par la loi du 8 aout 2016, malgré les changements profonds qu'elle a instaurés dans la procédure de constat d'inaptitude et dans le régime de contestation des avis médicaux du médecin du travail. En effet, le constat d'inaptitude est désormais possible au terme d'un seul examen médical et la jurisprudence précise en outre qu'il peut intervenir à l'occasion de n'importe quel examen par le médecin du travail, dès lors qu'il accomplit les actes nécessaires au soutien de son avis. Ces éléments de texte et de jurisprudence rendent cependant délicate leur articulation avec les articles L.1226-4 et L.1226-11 du code du travail, lesquels ne visent que l'examen de reprise du travail qui est par définition consécutif à un arrêt de travail. Mais inversement, le libellé de l'article L.4624-4 ne limite nullement la possibilité pour le médecin du travail de faire un constat d'inaptitude à l'issue du seul examen de reprise. C'est pourquoi vous avez jugé que le constat d'inaptitude puisse intervenir à l'occasion d'une visite à la demande du salarié en cours d'exécution du contrat de travail 15 et pendant la suspension du contrat de travail 16. En tout état de cause, dans le cas présent, le salarié a été déclaré inapte à la suite d'une visite de reprise, de sorte que les conditions fixées par l'article L.1226-4 sont pleinement applicables. L'employeur veut cependant vous faire juger que la modification du régime de contestation de l'avis et la longueur de la procédure justifie de différer la reprise du 13

Soc.08 septembre 2021, n° 19-24448

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Soc. 12 novembre 1997, n°94-43839, Bull.n°365

15

Soc.8 avril 2010, n°09-40.975

16

Soc.24 mai 2023, n°22-10.517

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paiement des salaires à la date à laquelle la juridiction tranche et substitue sa propre décision à celle de l'avis du médecin du travail. Cette solution n'est ni conforme au droit positif qui ne prévoit pas d'exception à la règle en présence d'un recours contre l'avis médical, ni à votre jurisprudence constante aux termes de laquelle le recours n'est pas suspensif de l'obligation de reprise du paiement des salaires 17. L'objectif du législateur est en effet d'inciter l'employeur à être diligent, soit en proposant un reclassement au salarié quand il est possible, soit en prononçant un licenciement, ce afin d'éviter de prolonger cette période où l'intéressé ne peut plus percevoir des indemnités journalières18, ni des revenus de son employeur, tant qu'il n'est pas reclassé. Il est vrai que cette démarche de reclassement ou de licenciement est faite au regard de l'avis médical et que si celui-ci est contesté, la démarche est fragilisée tant que le recours n'est pas purgé, voire possiblement remise en cause en toute fin. Mais l'existence d'un recours contre l'avis médical, qu'il émane du salarié ou de l'employeur, ne modifie en rien la précarité de sa situation. Dans ce contexte, différer le point de départ de la reprise du paiement des salaires, en l'adossant, au surplus, à un terme aléatoire qu'est la date de la décision de la juridiction prud'homale à intervenir, serait contraire à l'objectif recherché par le législateur. A noter, en outre, que le grief de longueur de la procédure n'est pas propre au transfert du contentieux à la juridiction prud'homale puisque dans la précédente procédure administrative, l'avis de l'inspecteur du travail pouvait faire l'objet d'un contentieux devant les juridictions administratives. Et sous l'empire des anciens textes, se posait déjà la question de la portée de l'avis de l'inspecteur du travail au regard de son caractère rétroactif qui peut constituer une sanction excessive tant pour l'employeur, dans l'hypothèse d'un salarié déclaré apte par le médecin du travail puis inapte par l'inspecteur, que pour le salarié, dans l'hypothèse inverse qui nécessite pour ce dernier de rembourser les salaires indus. Ainsi, dans un arrêt publié du 28 avril 2011 19, vous avez entendu limiter ces effets liés à la rétroactivité en jugeant ainsi qu'il suit : « Attendu que pour dire que la salariée doit à l'employeur un trop-perçu de 2 491,13 euros, l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que l'intéressée a été déclarée inapte par le médecin du travail le 4 décembre 2002 sauf reclassement à un poste, que sur recours de l'employeur, l'inspecteur du travail a annulé le 19 mai 2003 l'avis médical d'inaptitude, que l'employeur a donc été dupé par la salariée durant cette période au cours de laquelle le salaire n'était pas dû ; 17

Soc.4 mai1999,n° 98-40.959, Bull. V n°184

18 Sauf indemnités temporaires d'inaptitude d'origine professionnelle prévues aux articles L.433-1 du code de la sécurité sociale et D4624-47 du code du travail 19 Soc.28 avril 2011, n°10-13.775

7

Qu'en statuant ainsi, alors que l'annulation de l'avis du médecin du travail ne fait pas disparaître rétroactivement l'obligation pour l'employeur de reprendre le paiement des salaires à l'issue du délai d'un mois après l'avis d'inaptitude mais provoque, à la date du prononcé de l'annulation, une nouvelle suspension du contrat de travail de sorte que tant que le recours administratif n'a pas abouti, les salaires restent dus jusqu'à la nouvelle suspension du contrat de travail résultant de cette annulation, la cour d'appel a violé les textes susvisés ». Le commentaire à la Revue de jurisprudence sociale précisait : « La chambre sociale de la Cour de cassation confirme ici la solution qu'elle avait arrêtée en 2004 : lorsque l'inspecteur du travail, saisi en application de l'article L 4624-1 du Code du travail, décide d'annuler l'avis d'inaptitude du salarié délivré par le médecin du travail dans le cadre d'une visite médicale de reprise du travail, cette annulation ne fait pas disparaître rétroactivement l'obligation pour l'employeur de reprendre le paiement des salaires à l'issue du délai d'un mois après l'avis d'inaptitude mais provoque, à la date de son prononcé, une nouvelle suspension (Cass. soc. 10 novembre 2004 : RJS 1/05 no 33, Bull. civ. V no 281) ; il s'ensuit que, dès lors que le délai légal d'un mois est atteint, les salaires restent dus tant que le recours administratif n'a pas abouti ; le salarié n'a donc pas, comme l'avait admis la cour d'appel, à rembourser ceux perçus pour cette période. En revanche, le salaire n'est plus dû à compter de la date à laquelle l'inspecteur du travail a annulé l'avis du médecin du travail : cette annulation entraîne en effet une nouvelle période de suspension qui prendra elle-même fin avec une nouvelle visite de reprise. Et cette dernière déclenchera, à l'expiration du délai légal d'un mois, une nouvelle obligation de paiement des salaires à moins que, entre-temps, le salarié ait été reclassé dans l'entreprise ou licencié, ou qu'il ait démissionné, comme c'était le cas en l'espèce»20. Vous avez plus récemment jugé que : « la substitution à l'avis d'aptitude délivré par le médecin du travail d'une décision d'inaptitude de l'inspecteur du travail ne fait pas naître rétroactivement l'obligation pour l'employeur de reprendre le paiement du salaire et que cette obligation ne s'impose à celui-ci qu'à l'issue du délai d'un mois suivant la date à laquelle l'inspecteur du travail prend sa décision, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;»21 Pour une partie de la doctrine, à travers cet arrêt « la Cour de cassation cherche visiblement à concilier le principe de rétroactivité dégagé par la jurisprudence administrative avec la préservation d'une sécurité juridique : l'obligation de reprise du salaire étant conçue comme un outil visant à inciter l'employeur à ne pas laisser sans solution le salarié déclaré inapte, l'appliquer de manière rétroactive reviendrait à lui faire perdre tout son sens et à la convertir en sanction aveugle. » 22

20

RJS 07/11, n°598

21

Soc.20 décembre 2017 ( n°15-28.367)

22

La semaine juridique social, n°6, 13 février 2018, n° 1062, Matthieu Babbin

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Le commentaire de cet arrêt à la RJS précise : « En adoptant cette position, il semble que la Haute Juridiction ait voulu se placer dans la lignée de sa jurisprudence antérieure et privilégier l'économie de l'obligation de reprise du paiement du salaire. Les dispositions des articles L 1226-4 et L 1226-11 précités ont en effet pour objectif d'inciter l'employeur à rechercher rapidement les possibilités de reclassement du salarié déclaré inapte et, en cas d'échec de cette tentative, à procéder au licenciement de celui-ci. Cette obligation est donc destinée à sanctionner l'inertie de l'employeur et, à ce titre, la chambre sociale lui a conféré un caractère particulièrement fort. On sait notamment que, passé le délai d'un mois, l'employeur est tenu de reprendre le paiement du salaire même si le salarié fait l'objet d'un nouvel arrêt de travail (Cass. soc. 9-6-2010 n° 09-40.553 F-D : RJS 8-9/10 n° 662 ; Cass. soc. 8-4-2015 n° 13-22.461 F-D) ou qu'il ne se tient pas à disposition de l'employeur (Cass. soc. 30-4-2014 n° 12-30.193 F-D). Mais une telle sanction n'a de sens que si l'employeur, informé de l'inaptitude du salarié, n'a mis en oeuvre aucune diligence. Or, tel n'est pas le cas lorsque l'employeur est initialement en présence d'un avis d'aptitude du médecin du travail qui est ensuite annulé, après un temps relativement long, par l'inspecteur du travail ou, en cas de recours contentieux, par la juridiction administrative. Par ailleurs, l'employeur est lié par l'avis d'aptitude initialement délivré par le médecin du travail (Cass. soc. 2-2-1994 n° 88-42.711 P : RJS 3/94 n° 245). Il doit s'y conformer sans délai sauf à engager sa responsabilité. Cette obligation n'est pas atténuée en cas de recours puisque, selon la Cour de cassation, celui-ci n'est pas suspensif (Cass. soc. 4-5-1999 n° 98-40.959 P : RJS 6/99 n° 815 ;Cass. soc. 28-1-2004 n° 01-46.913 F-P : RJS 4/04 n° 401) et qu'au demeurant, le salarié n'est pas tenu d'aviser préalablement l'employeur de son exercice (Cass. soc. 3-2-2010 n° 08-44.455 FS-PB : RJS 4/10 n° 332). Consciente de ces difficultés, la Cour de cassation a adopté une logique d'atténuation des effets de la substitution rétroactive de l'avis du médecin du travail à la décision de l'inspecteur du travail. Elle a ainsi décidé qu'en cas d'annulation de l'avis d'inaptitude par le médecin du travail, le licenciement n'est pas nul mais dépourvu de cause réelle et sérieuse (Cass. soc. 8-4-2004 n° 01-45.693 FP-PBRI : RJS 6/04 n° 681 et chronique S. Bourgeot, « Inaptitude physique du salarié » : RJS 6/04 p. 435). Surtout, dans le même esprit, elle avait déjà précisé que l'annulation d'un avis d'inaptitude délivré par le médecin du travail ne fait pas disparaître rétroactivement l'obligation pour l'employeur de reprendre le paiement des salaires à l'issue du délai d'un mois (Cass. soc. 10-11-2004 n° 02-44.926 FS-PB : RJS 1/05 n° 33 ; Cass. soc. 28-4-2011 n° 1013.775 F-D : RJS 7/11 n° 598). Dans les deux cas, il s'agissait pour la chambre sociale de limiter les effets de la rétroactivité afin de ne pas faire supporter à l'une ou l'autre des parties au contrat de travail les conséquences excessives de l'annulation de l'avis du médecin du travail. Le présent arrêt s'inscrit dans cette lignée. Enfin, il faut relever que les modalités de contestation des avis du médecin du travail, prévues par l'article L 4624-7 du Code du travail, ont été profondément modifiées par la loi du 8 août 2016 précitée et par l'ordonnance 2017-1387 du 22 9

septembre 2017. Depuis le 1er janvier 2017, les recours contre l'avis du médecin du travail sont confiés au conseil de prud'hommes en formation de référé. La décision du juge prud'homal se substitue aux avis et préconisations du médecin du travail (voir sur cette question la chronique de A. Gardin « La réforme des règles relatives à la santé au travail : entre ombres et lumières » : RJS 4/17 p. 275 s., spéc. n° 22 s. ». En précisant les effets attachés à la substitution d'une décision d'inaptitude à un avis d'aptitude, la présente décision de la Cour de cassation est susceptible d'orienter la réflexion sur l'interprétation de ce nouveau texte. » Cette solution, totalement prétorienne est audacieuse, tant sur la création d'une nouvelle cause de suspension du contrat de travail qui, au demeurant, paraît difficile à appliquer lorsque l'inaptitude est constatée pendant l'exécution du contrat de travail comme l'admet désormais la jurisprudence, que sur la limitation de l'effet rétroactif de la nouvelle décision. Si l'on comprend l'esprit de cette jurisprudence qui tend à réduire la portée excessive de la rétroactivité liée à l'annulation de l'avis, en particulier quand les parties au contrat s'y sont conformées, n'est ce pas cependant davantage au législateur de fixer la règle ? En tout état de cause, dans le présent pourvoi, d'une part l'avis d'inaptitude a été confirmé par la cour d'appel, de sorte que la jurisprudence susvisée de 2011 et 2017 n'est pas transposable et d'autre part, le moyen ne vous demande pas de limiter les effets d'une rétroactivité après annulation de l'avis, mais bien de différer le point de départ de la reprise du paiement des salaires, quelle que soit l'issue du litige sur l'avis médical, ce que vous n'avez encore jamais admis compte tenu de l'objectif poursuivi par le législateur. Je suis donc au rejet du moyen.

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