Par déclaration de leur conseil adressée par la voie électronique le 29 mars 2023, la société BRM Agency LLC et M. [M] [Ab] ont fait appel de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du 15 mars 2023.
L'affaire a été appelée et plaidée à l'audience du 10 octobre 2023 et, à l'issue, mise en délibéré au 21 novembre 2023.
MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES
Dans le dernier état de leurs conclusions transmises par la voie électronique le 2 juin 2023, que leur conseil a développées oralement à l'audience, la société BRM Agency LLC et M. [M] [D] demandent à la juridiction du Premier président de :
- les recevoir en leur appel, le disant fondé et y faisant droit.
- annuler sinon infirmer l'ordonnance,
En conséquence,
- dire n'y avoir lieu à autoriser des opérations de visites et de saisies à l'encontre de la société BRM Agency LLC ;
- débouter la DNEF de toutes ses demandes, fins et prétentions,
- condamner l'Etat aux entiers dépens ;
- condamner l'Etat à verser à la société BRM Agency LLC la somme de 4 000 euros au titre de l'
article 700 du Code de procédure civile🏛.
Ils prétendent, en substance, que les conditions de mise en œuvre de l'article L 16 B du Livre des procédures fiscales n'étaient pas réunies au cas particulier. Cette mise en œuvre est réservée aux hypothèses de fraudes fiscales commises au moyen de l'un des agissements visés par le texte. Les faits énoncés ne sont pas suffisants pour établir une présomption de fraude. Aucun des éléments visés par l'ordonnance ne permet de caractériser l'intention des agissements frauduleux allégués.
Par ailleurs, compte tenu de son régime exceptionnel et attentatoire aux libertés individuelles, sa mise en œuvre est strictement encadrée et, de ce fait, est notamment subordonnée au respect du principe de proportionnalité. L'administration pouvait recourir à des moyens plus proportionnés pour obtenir les informations de la société ou des membres de la famille [D]. Elle pouvait notamment demander aux contribuables des éclaircissements et des justifications sur leur situation personnelle.
Enfin, ils font valoir que l'ordonnance autorise uniquement à procéder aux visites et saisies dans les locaux situés [Adresse 1] susceptibles d'être occupés par la société et/ou BRM Invest EOOD et/ou certaines personnes dénommées. Il n'est en aucune façon fait mention de Mme [L] qui, étant de passage lors des opérations de visite et de saisie, s'est faite saisir son ordinateur portable personnel.
Dans le dernier état de ses conclusions reçues au greffe le 3 juillet 2023, que son conseil a développées oralement à l'audience, le directeur général des finances publiques demande à la juridiction du premier président de confirmer l'ordonnance, de rejeter toutes demandes, fins et conclusions, de condamner l'appelante au paiement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et de la condamner en tous les dépens.
Il fait valoir que ce qui était en cause, c'est la présomption d'une activité exercée à partir de la France où il pouvait être présumé que la société disposait d'une direction effective de moyens propres d'exploitation. Une telle activité, ainsi exercée, aurait dû être déclarée en France pour y être soumise à l'ensemble des impôts commerciaux. Le premier juge a bien indiqué ce qui lui permettait de présumer que la société ne respectait pas ses obligations comptables en France dès lors qu'il a relevé l'absence de toute déclaration fiscale relative à son activité.
Il ajoute que l'article L. 16 B du Livre des procédures fiscales exige de simples présomptions de fraude. Il n'y a pas à caractériser l'élément intentionnel ni à rechercher si les infractions sont caractérisées.
Il soutient que compte tenu, en l'espèce, des présomptions de fraude, la procédure de visite domiciliaire était justifiée et proportionnée. Aucun texte n'impose au juge de vérifier si l'administration peut recouvrir d'autres modes de preuve.
S'agissant de l'absence de mention de Acme [L], il allègue que le texte oblige seulement le juge à indiquer dans son ordonnance l'adresse des lieux pouvant être visités. L'administration est en droit de saisir tous documents ou support d'informations qui se trouvent dans les lieux désignés, peu important la qualité d'occupant.
Conformément à l'
article 455 du code de procédure civile🏛, il est renvoyé aux écritures des parties développées à l'audience s'agissant de la présentation plus complète de leurs demandes et des moyens qui les fondent.
MOTIFS
1. L'article L.16 B du Livre des procédures fiscales dispose notamment :
I. ' Lorsque l'autorité judiciaire, saisie par l'administration fiscale, estime qu'il existe des présomptions qu'un contribuable se soustrait à l'établissement ou au paiement des impôts sur le revenu ou sur les bénéfices ou des taxes sur le chiffre d'affaires en se livrant à des achats ou à des ventes sans facture, en utilisant ou en délivrant des factures ou des documents ne se rapportant pas à des opérations réelles ou en omettant sciemment de passer ou de faire passer des écritures ou en passant ou en faisant passer sciemment des écritures inexactes ou fictives dans des documents comptables dont la tenue est imposée par le code général des impôts, elle peut, dans les conditions prévues au II, autoriser les agents de l'administration des impôts, ayant au moins le grade d'inspecteur et habilités à cet effet par le directeur général des finances publiques, à rechercher la preuve de ces agissements, en effectuant des visites en tous lieux, même privés, où les pièces et documents s'y rapportant sont susceptibles d'être détenus ou d'être accessibles ou disponibles et procéder à leur saisie, quel qu'en soit le support.
II. ' Chaque visite doit être autorisée par une ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire dans le ressort duquel sont situés les lieux à visiter.
Lorsque ces lieux sont situés dans le ressort de plusieurs juridictions et qu'une visite simultanée doit être menée dans chacun d'eux, une ordonnance unique peut être délivrée par l'un des juges des libertés et de la détention territorialement compétents.
Le juge doit vérifier de manière concrète que la demande d'autorisation qui lui est soumise est bien fondée ; cette demande doit comporter tous les éléments d'information en possession de l'administration de nature à justifier la visite.
L'ordonnance comporte :
a) L'adresse des lieux à visiter ;
b) Le nom et la qualité du fonctionnaire habilité qui a sollicité et obtenu l'autorisation de procéder aux opérations de visite ;
c) L'autorisation donnée au fonctionnaire qui procède aux opérations de visite de recueillir sur place, dans les conditions prévues au III bis, des renseignements et justifications auprès de l'occupant des lieux ou de son représentant et, s'il est présent, du contribuable mentionné au I, ainsi que l'autorisation de demander à ceux-ci de justifier pendant la visite de leur identité et de leur adresse, dans les mêmes conditions.
d) La mention de la faculté pour le contribuable de faire appel à un conseil de son choix.
L'exercice de cette faculté n'entraîne pas la suspension des opérations de visite et de saisie.
Le juge motive sa décision par l'indication des éléments de fait et de droit qu'il retient et qui laissent présumer, en l'espèce, l'existence des agissements frauduleux dont la preuve est recherchée. (...)
La visite et la saisie de documents s'effectuent sous l'autorité et le contrôle du juge qui les a autorisées. A cette fin, il donne toutes instructions aux agents qui participent à ces opérations.
Il désigne le chef du service qui nomme l'officier de police judiciaire chargé d'assister à ces opérations et de le tenir informé de leur déroulement. (...)
L'ordonnance est exécutoire au seul vu de la minute.
2. Contrairement aux allégations des appelants, qui s'appuient sur une décision du premier président de la cour d'appel de Paris du 30 juin 2009 (n° 08-20726) ayant été cassée (
Com., 29 juin 2010, pourvoi n° 09-15.706⚖️), l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales exige de simples présomptions (parmi les plus récentes décisions publiées en ce sens : Com., 4 octobre 2016, pourvoi n° 15-10.778, 15-10.775, Bull. 2016, IV, n° 127;
Com., 15 février 2023, pourvoi n° 20-20.599⚖️,
Com., 15 février 2023, pourvoi n° 20-20.600⚖️).
Il n'est donc pas exigé à ce stade que l'administration fiscale rapporte les éléments matériel et intentionnel, à savoir la démonstration que l'omission de passation des écritures comptables aurait été faite « sciemment », des agissements frauduleux visés par le texte.
3. En l'espèce, l'ordonnance contestée mentionne un ensemble de faits, dont la matérialité n'est pas contestée à hauteur de cour, en toute hypothèse utilement, de nature à établir l'existence de présomptions suffisantes.
4. En substance, ces éléments tendent à indiquer que :
- la société de droit bulgare BRM Invest EOOD exercerait une activité de vente en ligne en France :
- elle a été créée en Bulgarie le 14 décembre 2018 par M. [G] [O], de nationalité française, et a pour activité la vente en ligne.
- elle a, depuis sa création, changé quatre fois l'adresse de son siège social. De nombreuses autres sociétés partagent la même adresse. Son numéro de téléphone est commun avec plusieurs autres sociétés.
- elle utilise une plateforme de traitement de paiements en ligne développée par la société Stripe, société à laquelle elle a facturé des prestations en 2020 d'un montant supérieur à celui de ses produits bruts d'exploitation déclarés en Bulgarie en 2019 et 2020.
- elle vend en ligne des culottes menstruelles principalement à destination d'un public français via le site internet Blinxunden/vear.com, dont le compte instagram indique être basé à [Localité 7].
- elle semble exploiter concomitamment plusieurs sites internet (notamment « maybe-paris.co ») pour procéder à ses ventes. Les sites sont rédigés en français. Les conditions générales de vente font référence aux lois françaises.
- elle a recours à des influenceuses françaises afin de faire la promotion de ses produits ainsi qu'à des publications dans des magazines français. Les montants élevés payés à l'agence se présentant comme la première agence d'influenceurs en France laisse présumer qu'elle réalise ou a réalisé un chiffre d'affaires important en France.
- pour diverses marques enregistrées qu'elle utilise (Blinx, Ad Ae et Maybe [Localité 7]), la langue de dépôt est le français.
- elle utilise les services d'un logisticien situé en France pour effectuer les expéditions des commandes à ses clients pour des montants importants et réguliers. Les expéditions de produits ont lieu en France.
- elle dispose de moyens humains et matériels en France pour réaliser son activité. Elle serait gérée et animée en France par M. [K] [D] et M. [T] [D]. Divers éléments concordants montrent que M. [K] [D], résident de France, a été son salarié en 2021 en qualité de directeur général et semble toujours assurer ces fonctions. M. [T] [D], son frère est un de ses interlocuteurs et appose sa signature sur un avenant signé en son nom. Sur leur profil Linkedin, ils se sont respectivement présentés comme fondateur et directeur général et comme directeur des opérations.
- elle n'est répertoriée au compte fiscal des professionnels, base nationale de la Direction Générale des Finances Publiques des données déclaratives et de paiements des redevables professionnels uniquement en tant qu'employeur,
- elle n'a déposé aucune déclaration tant en matière d'impôt sur les sociétés qu'en matière de taxe sur la valeur ajoutée depuis sa création sous réserve des données souscrites par voie électronique ou courrier et qui ne seraient pas prise en compte au 27/02/2023.
5. C'est d'une manière fondée la concernant que le premier juge a pu en déduire l'existence de présomptions suffisantes qu'elle exercerait en France, où elle disposerait d'une direction effective de moyens propres d'exploitation, une activité commerciale sans souscrire les déclarations fiscales correspondantes et en omettant de passer ou de faire passer les écritures comptables y afférentes,
6. Par ailleurs, ces mêmes éléments produits mettent en évidence un ensemble de faits de nature à présumer suffisamment que :
- la société de droit BRM Agency LCC a été créée aux Emirats Arabes Unis le 08 septembre 2021. - elle a déclaré une activité de vente au détail de tout type de produit par correspondance et sur internet, la vente directe par télévision, radio et téléphone et la vente aux enchères sur internet.
- elle apparaît dans les conditions générales de vente des sites internet liés à BRM Invest, à savoir:
- blinxundenwear.com en mars et décembre 2022
- maybe-paris.co en août et décembre 2022.
- la langue et les textes visés dans ces conditions générales de vente indiquent qu'elle développerait à travers ces sites internet une activité de vente en ligne de culottes menstruelles et de soins capillaires professionnels et s'adresse à un public français.
- elle serait également gérée et animée depuis la France par M. [K] [D] et M. [T] [D].
- elle n'est pas répertoriée au compte fiscal des professionnels et n'a déposé aucune déclaration tant en matière d'impôt sur les sociétés qu'en matière de taxe sur la Valeur ajoutée depuis sa création.
7. C'est donc encore d'une manière fondée la concernant que le premier juge a pu en déduire l'existence de présomptions suffisantes qu'elle exercerait en France, où elle disposerait d'une direction effective de moyens propres d'exploitation, une activité commerciale sans souscrire les déclarations fiscales correspondantes et en omettant de passer ou de faire passer les écritures comptables y afférentes.
8. Enfin, ces mêmes pièces ont raisonnablement pu conduire à considérer que M. [K] [D] et la société BRM Invest EOOD disposaient ou occupaient des locaux en France, notamment [Adresse 1] à [Localité 8] où son domiciliés ses parents (M. [V] [D] et [P] [A], y ayant déclaré des enfants à charge : M. [M] [D] et Mme [W] [D]) et où s'est aussi domicilié M. [T] [D],
9. Ces personnes ont donc raisonnablement pu être spécialement visées dans l'ordonnance.
10. S'agissant du caractère proportionné de la mesure de visite, il est en premier lieu observé que les appelants ne détaillent pas le-s droit-s atteint-s d'une manière disproportionnée ni son-leur fondement légal ou conventionnel.
11. En toute hypothèse, d'une part, il est régulièrement jugé que les dispositions de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, qui organisent le droit de visite des agents de l'administration des impôts et le recours devant le premier président de la cour d'appel, assurent la conciliation du principe de la liberté individuelle ainsi que du droit d'obtenir un contrôle juridictionnel effectif du déroulement de la visite avec les nécessités de la lutte contre la fraude fiscale, de sorte que l'atteinte au droit au respect de la vie privée et du domicile qui en résulte est proportionnée au but légitime poursuivi (
Com., 9 juin 2015, pourvoi n° 14-17.039⚖️, Af. 2015, IV, n° 101).
12. D'autre part, il est également régulièrement jugé que la mesure prévue par l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales ne revêt pas un caractère subsidiaire. Aucun texte ne subordonne la saisine de l'autorité judiciaire par l'administration fiscale, pour l'application des dispositions de l'article L.16 B susvisé, au recours préalable à d'autres procédures (Crim., 30 avril 2003, pourvoi n° 02-81.789, pourvoi n° 02-81.790 ; Crim., 3 décembre 2003, pourvoi n° 02-84.359; Crim., 22 septembre 2004, pourvoi n° 03-84.221, pourvoi n° 03-84.222; Crim., 4 mai 2006, pourvoi n° 04-86.695, pourvoi n° 05-80.413, pourvoi n° 05-80.757 ; Crim., 17 mai 2006, pourvoi n° 05-85.416; Crim 6 février 2008, pourvoi n° 07-83.871; Com 26 octobre 2010, pourvoi n° ; 21 janvier 2014, pourvoi n°
12-28.695⚖️, pourvoi n°
12-28.696⚖️, pourvoi n°
12-28.697⚖️; 24 octobre 2018, pourvoi n°
16-26.725⚖️, n°
17-17.653⚖️).
13. En l'espèce, il n'est en rien démontré que les autres moyens allégués par les appelants dans leurs écritures soutenues à l'audience auraient permis, au surplus avec la même efficacité, d'obtenir l'ensemble des éléments de preuve recherchés (notamment ceux obtenus au moyen de l'exploitation strictement ciblée des postes informatiques).
14. La visite domiciliaire contestée était donc en l'espèce une mesure nécessaire pour satisfaire l'objectif d'obtention de preuves et proportionnée aux intérêts en présence.
15. Enfin, le fait que l'ordonnance critiquée ne mentionne pas Mme [L], dont l'ordinateur portable aurait été saisi lors des opérations de visite consécutives, n'est pas, s'agissant d'un événement postérieur touchant aux opérations elles-mêmes de visite, de nature à remettre en cause sa régularité et ni son bienfondé.
16. Il y a donc lieu de confirmer l'ordonnance et de condamner la société BRM Agency LLC et M. [M] [D] aux dépens.
17. La société BRM Agency LLC est condamnée à payer au directeur général des finances publiques la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.