Jurisprudence : CA Rennes, 14-09-2023, n° 22/00095, Autre décision avant dire droit


4ème Chambre


ARRÊT N° 199


N° RG 22/00095


N° Portalis DBVL-V-B7G-SLRC


NM / JPC


Copie exécutoire délivrée


le :


à :


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 14 SEPTEMBRE 2023



COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :


Président : Madame Brigitte DELAPIERREGROSSE, Présidente de chambre,

Assesseur : Madame Nathalie MALARDEL, Conseillère,

Assesseur : Monsieur Guillaume FRANCOIS, Conseiller en charge du secrétariat général de la première présidence, désigné par ordonnance du premier président rendue le 30 mai 2023


GREFFIER :


Monsieur A B, lors des débats et lors du prononcé


DÉBATS :


A l'audience publique du 1er Juin 2023, devant Madame Brigitte DELAPIERREGROSSE, Présidente de chambre, et Madame Nathalie MALARDEL, Conseillère, magistrats tenant seules l'audience en la formation double rapporteurs, sans opposition des parties, et qui ont rendu compte au délibéré collégial


ARRÊT :


Contradictoire, prononcé publiquement le 14 Septembre 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats


****



APPELANTE :


E.A.R.L. LA BERGERIE DE [Localité 2]

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 10]

[Localité 2]


Représentée par Me Elisabeth PHILY de la SCP GLOAGUEN & PHILY, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de BREST


INTIMÉS :


Monsieur [O] [U]

[Adresse 11]

[Localité 4]


Représenté par Me Isabelle BOUCHET-BOSSARD de la SELARL BELWEST, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de BREST


Société ABEILLE IARD & SANTE (anciennement dénommée AVIVA ASSURANCES)

prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 7]


Représentée par Me Sandrine GAUTIER de la SCP ELGHOZI-GEANTY-GAUTIER-PENNEC, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de SAINT-BRIEUC


S.A. MAAF ASSURANCES

ès qualités d'assureur de M. [O] [U]

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 8]

[Localité 5]


Représentée par Me Melaine RANGHEARD de la SELARL JUSTICIAVOCAT, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de BREST



FAITS ET PROCÉDURE


Par arrêté du 20 décembre 2012, la commune de [Localité 2] a accordé un permis de construire à l'EARL La Bergerie de [Localité 2] pour la construction d'une bergerie, d'une laiterie salle de traite et de locaux de transformation, d'une surface hors d'œuvre nette de 655,85 m², au [Adresse 10] sur la commune de [Localité 2].


La déclaration d'ouverture de chantier est en date du 15 janvier 2013.


Les travaux de carrelage ont été réalisés en janvier et février 2014, suivant devis du 20 juillet 2012, par M. [O] [U] chargé de leur fourniture et pose pour un coût total de 8 476,89 euros. L'intéressé a été assuré auprès de la société MAAF Assurances jusqu'au 31 décembre 2013 puis auprès de la société Aviva Assurances à compter du 1er janvier 2014.


Les travaux de carrelage ont été intégralement réglés le 19 février 2014 suite à une facture du 18 février 2014.


Constatant une saleté persistante sur les carreaux de carrelage et un délitement des joints, la société La Bergerie de [Localité 2] a, après avoir fait diligenter une expertise amiable le 29 juillet 2014, saisi le juge des référés du tribunal de grande instance de Brest aux fins d'expertise. Il a été fait droit à sa demande le 4 mai 2015.


L'expert, M. [Aa], a déposé son rapport le 30 avril 2017.


Par actes d'huissier des 27, 28 septembre et 3 octobre 2018, la société La Bergerie de [Localité 2] a fait assigner M. [Ab] et ses assureurs successifs, les sociétés MAAF et Aviva, devant le tribunal de grande instance de Brest en indemnisation de ses préjudices.


Par un jugement en date du 2 septembre 2021, le tribunal judiciaire a :


- dit que les travaux réalisés par M. [Ab] ont fait l'objet d'une réception tacite le 19 février 2014 ;

- déclaré M. [Ab] responsable du désordre consécutif à la pose du carrelage sur le fondement de l'article 1792 du code civil🏛 ;

- condamné in solidum M. [U] et la société MAAF Assurances à payer à la société La Bergerie de [Localité 2] la somme de 30 583,69 euros au titre des travaux de reprise ;

- condamné in solidum M. [U] et la société MAAF Assurances à payer à la société La Bergerie de [Localité 2] la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile🏛 ;

- condamné in solidum M. [U] et la société MAAF Assurances aux dépens, comprenant les frais d'expertise et de la procédure de référé ;

- condamné la société MAAF Assurances à garantir son assuré dans les termes et limites de la police souscrite ;

- dit que la société MAAF Assurances est en droit d'opposer sa franchise contractuelle à son assuré ;

- admis les avocats qui en ont fait la demande et qui peuvent y prétendre au bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile🏛 ;

- rejeté toutes les autres demandes ;

- ordonné l'exécutoire provisoire du jugement.


La société La Bergerie de [Localité 2] a interjeté appel de cette décision le 10 janvier 2022.



Par ordonnance du 15 novembre 2022, le conseiller de la mise en état s'est déclaré incompétent pour statuer sur la fin de non-recevoir prise de l'irrecevabilité de la demande en paiement de la société La Bergerie de [Localité 2] au titre du préjudice d'immobilisation.


L'instruction a été clôturée le 2 mai 2023.



PRÉTENTIONS DES PARTIES


Dans ses dernières conclusions en date du 25 avril 2023, la société La Bergerie de [Localité 2] demande à la cour de :


- réformer la décision déférée en ce qu'elle a débouté la société La Bergerie de [Localité 2] de sa demande d'indemnisation de son préjudice immatériel ;

- la confirmer pour le surplus ;

En conséquence,

- condamner in solidum M. [U], la société MAAF Assurances et la société Aviva Assurances à payer à la société La Bergerie de [Localité 2] la somme de 275 800 euros au titre de son préjudice d'exploitation ;

- condamner in solidum M. [U], la société MAAF Assurances et la société Aviva Assurances à payer à la société La Bergerie de [Localité 2] la somme de 4 700 euros au titre de son préjudice résultant de la période d'immobilisation du bien durant les travaux ;

Subsidiairement et avant dire droit, ordonner une expertise comptable ou une consultation aux fins de voir chiffrer le préjudice d'exploitation subi ;

- condamner in solidum M. [U], la société MAAF Assurances et la société Aviva Assurances à payer à la société La Bergerie de [Localité 2] la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- les condamner aux entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de la SCP Gloaguen-Phily en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.


Dans ses dernières conclusions en date du 29 juin 2022, M. [U] demande à la cour de :


À titre principal,

- confirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions en ce qu'il a:

- dit que les travaux réalisés par M. [Ab] ont fait l'objet d'une réception tacite le 19 février 2014 ;

- déclaré M. [Ab] responsable du désordre consécutif à la pose du carrelage sur le fondement de l'article 1792 du code civil ;

- condamné in solidum M. [U] et la société MAAF Assurances à payer à la société La Bergerie de [Localité 2] la somme de 30 583,69 euros au titre des travaux de reprise ;

- condamné in solidum M. [U] et la société MAAF Assurances à payer à la société La Bergerie de [Localité 2] la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné in solidum M. [U] et la société MAAF Assurances aux dépens, comprenant les frais d'expertise et de la procédure de référé ;

- condamné la société MAAF Assurances à garantir son assuré dans les termes et limites de la police souscrite ;

- dit que la société MAAF Assurances est en droit d'opposer sa franchise contractuelle à son assuré ;

- admis les avocats qui en ont fait la demande et qui peuvent y prétendre au bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

- rejeté toutes les autres demandes ;

- ordonné l'exécutoire provisoire du jugement ;

À titre subsidiaire,

- si la cour devait infirmer le jugement dont appel, limiter la somme susceptible d'être allouée à la société La Bergerie de [Localité 2] à 4 700 euros, correspondant à l'évaluation retenue par l'expert judiciaire ;

En tout état de cause,

- condamner les sociétés MAAF et Abeille à payer à M. [U] la somme de 7 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société La Bergerie de [Localité 2] aux entiers dépens. 


Dans ses dernières conclusions en date du 27 juin 2022, la société Abeille IARD & Santé, anciennement dénommée Aviva Assurances, demande à la cour de :


- à titre principal, infirmer le jugement dont appel en ce qu'il retient que les travaux de M. [Ab] ont fait l'objet d'une réception tacite ;

En conséquence,

- juger qu'aucune réception tacite ne peut être retenue ;

- juger que la garantie en responsabilité professionnelle décennale souscrite auprès d'Abeille IARD & Santé par M. [U] n'est pas mobilisable ;

- débouter la société La Bergerie de [Localité 2] de toutes demandes, fins, et prétentions dirigées à l'encontre d'Abeille IARD & Santé ;

- à titre subsidiaire, confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a retenu que la société La Bergerie de [Localité 2] est seule à l'origine du préjudice d'exploitation dont elle sollicite l'indemnisation et débouté celle-ci de ses demandes fins et prétentions à l'encontre d'Abeille IARD & Santé ;

- à titre très subsidiaire, si la cour devait infirmer le jugement dont appel, limiter la somme susceptible d'être allouée à la société La Bergerie de [Localité 2] à 4 700 euros, correspondant à l'évaluation retenue par l'expert judiciaire ;

En tout état de cause,

- dire et juger qu'Abeille IARD & Santé est fondée à opposer à M. [U] la franchise telle que contractuellement prévue ;

- condamner la société La Bergerie de [Localité 2] ou toute partie perdante à payer à Abeille IARD& Santé une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la même aux entiers dépens.


Dans ses dernières conclusions en date du 25 avril 2023, la société MAAF Assurances demande à la cour de :


- juger la demande formée par la société La Bergerie de [Localité 2] relative au préjudice d'immobilisation irrecevable ;

- débouter la société La Bergerie de [Localité 2] des demandes formées à l'encontre de la MAAF ;

- confirmer le jugement de première instance en ce qu'il a rejeté la demande formée par la société La Bergerie de [Localité 2] tendant à l'indemnisation d'un préjudice d'exploitation ;

- subsidiairement, débouter la société La Bergerie de [Localité 2] de sa demande d'indemnisation du préjudice d'exploitation à l'égard de la MAAF en ce qu'elle est mal dirigée ;

- très subsidiairement, condamner la société Abeille IARD & Santé et M. [U] à garantir la MAAF des condamnations qui seraient prononcées à son encontre au titre du préjudice d'exploitation, des frais irrépétibles et des dépens ;

- condamner la partie succombant à verser à la MAAF une somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.



MOTIFS


L'EARL La Bergerie de [Localité 2] a limité son appel au rejet par le tribunal de sa demande d'indemnisation de son préjudice d'exploitation.


Sur la responsabilité de M. [U]


Il résulte de l'expertise que M. [U] est intervenu sur le chantier après les travaux de gros œuvre et de charpente. Suivant devis du 20 juillet 2012, il devait mettre en œuvre une chape traditionnelle, fournir et poser du carrelage.


L'expert a constaté un défaut de tenue des joints de carrelage dans la plupart des locaux avec une incrustation de la saleté en surface des joints et l'existence d'auréoles sur les carreaux après nettoyage, les joints restant eux-mêmes légèrement « piqués ».


Il a imputé la responsabilité des désordres à M. [U] compte tenu des manquements dans l'exécution des travaux qui nécessitent la réfection complète du sol.


Sur la réception


La société Abeille Iard & Santé conteste l'existence d'une réception tacite, retenue par le tribunal. Elle soutient d'une part que les travaux de carrelage ne constituent pas un lot, mais un simple élément d'un ensemble global, à savoir une bergerie avec un atelier de fabrication et que le phasage des travaux aurait pu être réalisé différemment. Elle considère, d'autre part, qu'il n'y a pas eu de volonté non équivoque du maître de l'ouvrage d'accepter les travaux, que lorsque le carrelage a été réalisé et la prestation de M. [U] réglée l'ouvrage était inachevé et le maître d'ouvrage pressé par les délais qu'il s'était lui-même imposés de sorte que le paiement ne correspond qu'à celui d'une situation de travaux.


Aux termes de l'article 1792-6 du code civil🏛 « la réception est l'acte par lequel le maître de l'ouvrage déclare accepter l'ouvrage avec ou sans réserves. Elle intervient à la demande de la partie la plus diligente, soit à l'amiable, soit à défaut judiciairement. Elle est, en tout état de cause, prononcée contradictoirement. »


Sur le premier grief, il est constant que la réception peut être réalisée par lots et même par tranches indépendantes qui forment un ensemble cohérent (3e Civ., 2 mars 2022, n°20-16.787⚖️).


En l'espèce, l'expert rappelle que les travaux ont été réalisés par corps de métier séparés, que le lot gros œuvre a été terminé en mars 2013, que les travaux de carrelage ont été terminés le 18 février 2014 et soldés le 19 février 2014.


Contrairement à ce que soutient l'assureur, les travaux de carrelage que M. [U] a réalisés, principalement en carrelage scellé après la mise en œuvre d'une chape, constituaient à la fois une partie de l'ouvrage et un ouvrage. Aucun autre carreleur n'étant intervenu, le lot carrelage regroupant tous les travaux afférents au carrelage a bien été attribué à M. [Ab], spécialiste chapes et carrelage.


Dès lors, le moyen tiré de l'absence de lot carrelage ne peut prospérer.


Sur le second grief, il est constant que la prise de possession et le paiement des travaux font présumer la volonté non équivoque du maître de l'ouvrage de le recevoir avec ou sans réserves. Cette présomption s'applique tant à l'ouvrage qu'à un lot (3e Civ, 30 janvier 2019, n°18-10.197⚖️).


Si les termes de la présomption (prise de possession et paiement) sont réunis, il n'incombe pas au maître de l'ouvrage de démontrer sa volonté d'accepter sans équivoque l'ouvrage, mais à celui qui conteste cette présomption de réception de la renverser.


Il n'est pas contesté par la société Abeille Iard & Santé que la prise de possession des travaux de carrelage et le règlement de la facture ont été réalisés le 19 février 2014, sans qu'aucune critique de travaux ne soit intervenue.


La circonstance que le bâtiment était inachevé est indifférente puisque l'achèvement préalable des travaux n'est pas une condition de la réception et qu'il est inhérent à la réception par lot.


L'assureur n'invoquant aucun élément pertinent de nature à écarter la présomption de réception tacite, c'est à juste titre que le premier juge a retenu que celle-ci était intervenue le 19 février 2014.


Sur la gravité du désordre


M. [Y] a conclu que l'état du carrelage avant même sa mise en service ne permettait pas l'usage du local à sa destination alimentaire, les éléments constitutifs du carrelage (joints) étant par ailleurs atteints dans leur solidité pérenne. Il ajoute ne pas évoquer dans le détail la question de salissure du carreau puisque de toute façon la non pérennité du joint implique de devoir envisager le remplacement du carrelage.


Il résulte des constatations de l'expert, non contestées par les parties, que le délitement des joints rendait impossible la production de fromage, l'état du carrelage étant incompatible avec toute activité alimentaire. Les assureurs ne produisent aucun élément pour démontrer que les locaux le permettaient.


C'est dont de manière pertinente que les premiers juges ont retenu que la responsabilité décennale de M. [U] était engagée compte tenu de l'impropriété à destination de l'ouvrage et de l'atteinte à sa solidité et indemnisé l'EARL de son préjudice matériel.


La société MAAF n'a pas formé appel de sa condamnation à garantir Ab. [U] à ce titre.


Sur l'indemnisation du préjudice immatériel


Le tribunal après avoir constaté que l'ouvrage était impropre à sa destination a débouté l'EARL de sa demande d'indemnisation au motif qu'elle n'apportait pas la preuve que l'absence d'exploitation des locaux suite aux désordres constatés ne résultait pas de sa propre décision, qu'elle n'était pas la seule responsable de l'absence d'exploitation et donc à l'origine de son éventuel préjudice d'exploitation.


L'appelante conteste le rejet de sa demande soulignant qu'il est incohérent de retenir l'impropriété à destination tout en affirmant qu'elle est responsable de n'avoir pas commencé son exploitation. Elle réclame la somme de 275 800 euros au titre de sa perte de marge brute entre 2014 et le premier trimestre 2019, période à laquelle elle a fait réaliser les travaux. Elle demande en plus la somme de 4 700 euros au titre de la durée d'immobilisation du bien durant les travaux.


LA MAAF soutient que cette demande doit exclusivement être dirigée à l'encontre de la société Abeille Iard et Santé, s'agissant d'un préjudice immatériel. Elle assure qu'elle ne garantit que les préjudices qui sont la conséquence directe d'un dommage matériel garanti, ce qui ne couvre pas le préjudice d'exploitation. En tout état de cause, elle reproche à l'EARL de n'avoir pas justifié d'une décision expresse des services vétérinaires lui interdisant d'exploiter. Elle ajoute que le préjudice allégué ne peut consister qu'en une perte de chance qui n'est pas démontrée.


La société Abeille Iard et Santé soutient également que la décision de ne pas exploiter procède de la volonté unilatérale de l'EARL. À titre subsidiaire, elle soutient qu'il convient de déduire de la marge brute l'intégralité des frais d'exploitation pour ne retenir que le résultat, que le préjudice n'est pas démontré et qu'il ne peut être apprécié qu'une perte de chance d'exploiter.


Sur le principe de l'indemnisation


Il a été retenu une impropriété à destination de l'ouvrage puisqu'il ne pouvait être fabriqué du fromage dans la salle de transformation, ce qui avait été constaté dès avant le démarrage de l'activité. Dès lors, le moyen tiré de l'absence d'avis de service vétérinaire est indifférent et les assureurs sont mal fondés à soutenir que l'EARL aurait pu commencer sa production alors que les locaux ne le permettaient pas.


Le tribunal ne pouvait de même sans se contredire débouter l'EARL pour ce même motif.


Il résulte des pièces comptables et de l'étude de marge que le cheptel d'agnelles de 39 brebis acquises en 2012 devait progressivement atteindre 100 brebis en 2015. Compte tenu de l'impossibilité de transformer le lait en fromage, une partie du lait a dû être jetée, la lactation des brebis raccourcie et des brebis vendues pour la viande. De juillet 2016 et pendant 7 mois l'EARL a pu louer une fromagerie ce qui a permis de limiter le préjudice d'exploitation même si le cheptel a dû être limité à 52 brebis en 2017 au lieu des 100 prévues.


L'EARL La Bergerie de [Localité 2] a subi un préjudice d'exploitation puisqu'elle n'a pas pu débuter sa production de fromages au 1er juin 2014 à l'achèvement des travaux et augmenter son cheptel ainsi qu'il avait été envisagé. Il convient de définir son montant. Le jugement est infirmé.


Sur la garantie des assureurs


La société Abeille Iard et Santé, assureur de l'EARL La Bergerie de [Localité 2] à la date de la réclamation ne conteste pas sa garantie des immatériels consécutifs à un désordre de nature décennal.


C'est donc à juste titre que la MAAF dénie sa garantie, son contrat ayant été résilié par M. [U] à compter du 1er janvier 2014.


Sur le montant de l'indemnisation


Le préjudice indemnisable correspond à la perte de marge sur coût variable, c'est-à-dire le chiffre d'affaires de l'EARL déduit des coûts dont elle a fait l'économie.


Ces coûts ne peuvent s'entendre des coûts structurels et financiers qu'elle doit régler, quelles que soient sa production et ses ventes, contrairement à ce que soutient la société Abeille Iard et Santé.


Au soutien de sa demande l'EARL La Bergerie de [Localité 2] verse aux débats les documents suivants :

-Une étude prévisionnelle pluriannuelle,

-les bilans 2014 à 2016,

-les résultats économiques 2017,

-une étude de perte de marge réalisée par l'expert-comptable jusqu'en 2017, complétée jusqu'en 2019.


Contrairement à ce qu'allègue la société Abeille Iard et Santé la marge prévisionnelle prise en compte par l'expert-comptable tient compte de la soustraction des coûts variables.


En outre, le préjudice est certain puisque la production de fromages n'a pu avoir lieu. Il n'y a donc pas de perte de chance peu important que le préjudice financier subi soit reconstitué à partir de moyennes.


En revanche, le calcul des marges sur coûts variables doit prendre en compte les bilans de toute la période litigieuse ainsi que ceux qui leur sont postérieurs afin de vérifier les prévisionnels et réaliser une moyenne pour une production de cent ovins telle qu'elle était prévue. Or les bilans postérieurs à 2016 ne sont pas produits.


Par ailleurs, M. [Aa] avait estimé à six semaines le délai nécessaire pour faire réaliser les travaux de reprise. L'expert-comptable a évalué à 25 000 euros la perte de marge pour 2019 en mentionnant que la production laitière avait été arrêtée de janvier à début avril. En l'absence de bilan de l'année 2019 et de justificatifs de cette interruption, la perte de marge qui avait été estimée à 4 700 euros par l'expert doit être vérifiée.


À cet égard si la demande de la somme de 4 700 euros sollicitée par l'EARL est recevable puisqu'elle correspond à la perte de marge subie pendant les travaux, la cour constate que cette somme est réclamée deux fois par l'appelante puisqu'elle a déjà été prise en compte par l'expert-comptable dans son estimation du préjudice d'exploitation calculé jusqu'en avril 2019.


Dès lors, une mesure d'instruction s'avère nécessaire afin de déterminer avec précision le préjudice subi par l'EARL La Bergerie de [Localité 2]. Les opérations d'expertise seront réalisées au contradictoire de la seule société Abeille Iard et Santé dont la garantie est mobilisable, outrAb M. [U].


Il sera donc sursis à statuer sur la demande d'indemnisation.


Sur les autres demandes


Les dispositions prononcées par le tribunal au titre des frais irrépétibles et des dépens sont infirmées.


Les dispositions au titre des frais irrépétibles et des dépens et des demandes de garantie de ces chefs sont réservées.


PAR CES MOTIFS 


DECLARE recevable la demande de la société EARL La Bergerie de [Localité 2] de sa demande d'indemnisation de la somme de 4 700 euros,


CONFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a constaté la réception tacite le 19 février 2014,


INFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a débouté l'EARL La Bergerie de [Localité 2] de ses demandes au titre du préjudice d'exploitation et en ses dispositions au titre de ses frais irrépétibles et aux dépens,


Statuant à nouveau


Avant-dire droit sur la demande au titre de la perte d'exploitation,

 

ORDONNE une expertise,

 

COMMET pour y procéder Monsieur [I] [M], [Adresse 6] [Localité 3], ([Courriel 9]) avec pour mission, après avoir entendu les parties et tout sachant, pris connaissance de toutes pièces utiles, d'évaluer le préjudice d'exploitation subi par l'EARL La Bergerie de [Localité 2] et de faire toutes observations utiles à la solution du litige,

 

DIT que lors de la première réunion qui devra se dérouler dans un délai maximum d'un mois à compter de l'avis donné par le greffe de la consignation de la provision, l'expert devra, en concertation avec les parties, dresser un programme de ses investigations et proposer d'une manière aussi précise que possible le montant prévisible de ses honoraires, de ses frais et débours, ainsi que la date de dépôt de son rapport avant d'adresser ces informations au juge chargé du contrôle lequel rendra, si nécessaire, une ordonnance complémentaire fixant le montant de la provision complémentaire ainsi que le délai prévu pour le dépôt du rapport,

 

INVITE l'expert à solliciter, en leur adressant un pré-rapport, les observations des parties dans un délai qu'il fixera et à y répondre dans son rapport définitif conformément aux dispositions de l'article 276 du code de procédure civile🏛,

 

RAPPELLE que l'expert peut s'adjoindre d'initiative, si besoin est, un technicien dans une autre spécialité que la sienne dont le rapport sera joint à son rapport définitif en application des articles 278 et 282 du code de procédure civile🏛🏛 et/ou se faire assister par une personne de son choix intervenant sous son contrôle et sa responsabilité en application de l'article 278-1 du code de procédure civile🏛,

 

FIXE à la somme de 3 500 euros la provision à valoir sur la rémunération de l'expert que l'EARL la Bergerie de [Localité 2] devra régler au moyen d'un chèque émis à l'ordre du régisseur de la cour d'appel de Rennes dans un délai de 2 mois à compter du présent arrêt,

 

DIT que l'expert devra déposer son rapport en double exemplaire dans un délai de 4 mois à compter du jour où il sera informé de la consignation sauf demande de prorogation motivée de ce délai, adressée au juge chargé du contrôle des expertises,

 

DIT qu'en cas de difficulté, il en sera référé par simple requête de la partie la plus diligente au juge chargé du contrôle des expertises,


RENVOIE l'affaire à l'audience de mise en état du 5 décembre 2023,


RÉSERVE les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens.


Le Greffier, Le Président,

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