Jurisprudence : CE 10/9 SSR, 16-02-2000, n° 147948

CONSEIL D'ETAT

Statuant au contentieux

Cette décision sera mentionnée dans les tables du Recueil LEBON

N° 147948

M. GONZALES et SCI DE PROVENCE

M. Gounin

Rapporteur

Mme Daussun

Commissaire du Gouvernement

Séance du 24 janvier 2000

Lecture du 16 février 2000

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d'Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 10ème et 9ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 10ème sous-section

de la Section du contentieux

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 17 mai et 17 septembre 1993 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Antoine GONZALES, demeurant chemin de Guérin à Six-Fours-les-Plages (83140) et la SCI DE PROVENCE, dont le siège est à Saint-Laurent du Maroni (Guyane) ; les requérants demandent que le Conseil d'Etat :

1°) annule l'arrêt du 8 avril 1993 de la cour administrative d'appel de Paris en tant qu'il a, d'une part, annulé, sur recours du ministre des départements et territoires d'outremer, l'article 1er du jugement du 22 juillet 1991 du tribunal administratif de Cayenne condamnant l'Etat à payer à M. GONZALES la somme de 10 459 464 F augmentée des intérêts et des intérêts capitalisés en réparation du préjudice causé par le refus de concours de la force publique pour l'exécution d'une ordonnance d'expulsion rendue à son profit, d'autre part, rejeté leur demande de première instance et leurs conclusions d'appel ;

2°) statuant au fond, condamne l'Etat à leur verser, outre les sommes allouées par le tribunal administratif, les indemnités supplémentaires de 7 040 375,66 F à M. GONZALES et de 4 399 660 F à la SCI DE PROVENCE augmentées des intérêts et des intérêts capitalisés ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code civil ;

Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;

Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;

Vu le décret n° 63-766 du 30 juillet 1963 modifié par le décret n° 97-1177 du 24 décembre 1997 ;

Après avoir entendu en audience publique :

  • le rapport de M. Gounin, Maître des Requêtes,
  • les observations de la SCP Ryziger, Bouzidi, avocat de M. GONZALES et de la SCI DE PROVENCE,
  • les conclusions de Mme Daussun, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. GONZALES et la SCI DE PROVENCE ont saisi le tribunal administratif de Cayenne d'une demande d'indemnité en réparation du préjudice qu'ils avaient subi du fait du refus qui leur a été opposé de leur accorder le concours de la force publique pour l'exécution de l'ordonnance de référé du président du tribunal de grande instance de Cayenne en date du 2 décembre 1983, ordonnant l'expulsion de toute personne physique se trouvant sans titre d'occupation sur l'île Portal (Guyane) dont la SCI DE PROVENCE est propriétaire et sur laquelle se trouvent des installations exploitées par M. GONZALES ; que, par un jugement avant-dire-droit du 5 mai 1987, confirmé par un arrêt devenu définitif de la cour administrative d'appel de Paris, le tribunal administratif de Cayenne a, d'une part, condamné l'Etat à réparer le préjudice ayant résulté pour la SCI de ce refus de concours de la force publique et ordonné une expertise aux fins de déterminer le montant de la réparation pécuniaire qui lui était due et a, d'autre part, réservé les droits et moyens des autres parties ; que, par un jugement devenu définitif du 24 mai 1988, le tribunal administratif a fixé à 2 940 000 F le montant de l'indemnité due à titre provisionnel par l'Etat à la SCI ; que, par l'article 1er d'un troisième jugement du 22 juillet 1991, le tribunal administratif de Cayenne a condamné l'Etat à payer à M. GONZALES une somme de 10 459 464 F, avec intérêts au taux légal à compter du 13 mars 1985 et capitalisation des intérêts échus les 7 avril 1989 et 27 juillet 1990 et rejeté la demande d'indemnité supplémentaire de la SCI DE PROVENCE et le surplus des conclusions de M. GONZALES ; que, par l'arrêt attaqué, rendu sur le recours du ministre des départements et territoires d'outre-mer et sur la requête de M. GONZALES et de la SCI DE PROVENCE, la cour administrative d'appel de Paris a annulé l'article 1er du jugement du 22 juillet 1991 et rejeté la demande présentée en première instance par M. GONZALES et par la SCI DE PROVENCE, ainsi que le surplus des conclusions du recours du ministre des départements et territoires d'outre-mer et la requête présentée devant elle par M. GONZALES et la SCI DE PROVENCE aux fins d'indemnisation supplémentaire ;

Considérant que, pour écarter la fin de non-recevoir opposée par M. GONZALES à l'appel du ministre des départements et territoires d'outre-mer, la cour administrative d'appel de Paris, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation de la valeur probante des pièces qui lui étaient soumises et qu'elle n'a pas dénaturées, a considéré, par un arrêt suffisamment motivé, que l'appel formé par le ministre des départements et territoires d'outre-mer avait été formé dans le délai du recours contentieux ;

Considérant que la responsabilité de l'Etat née du refus de prêter le concours de la force publique pour assurer l'exécution d'une décision de justice ne peut être engagée qu'à l'égard de la personne au profit de laquelle a été rendue cette décision ;

Considérant que, pour annuler l'article 1er du jugement du tribunal administratif de Cayenne et rejeter la demande de M. GONZALES devant ce tribunal ainsi que l'appel formé devant elle, la cour s'est fondée sur la circonstance que M. GONZALES n'avait pas qualité, à titre personnel ou en sa qualité de titulaire d'un bail d'exploitant agricole, pour se prévaloir du préjudice né du refus de l'Etat de prêter le concours de la force publique pour l'exécution de l'ordonnance, rendue au seul bénéfice de la SCI DE PROVENCE, du président du tribunal de grande instance de Cayenne du 2 décembre 1983 ordonnant l'expulsion de toute personne physique se trouvant sur l'île Portal (Guyane) sans titre d'occupation ; qu'en jugeant ainsi, sans tenir compte de la circonstance que M. GONZALES était titulaire d'un bail de longue durée consenti par la SCI DE PROVENCE et avait à ce titre réalisé dans l'île des investissements importants, ni de celle que le propriétaire serait tenu, en vertu des dispositions de l'article 1719 du code civil, de délivrer au preneur la chose louée et de l'en faire jouir paisiblement pendant la durée du bail et qu'il lui appartenait en conséquence de requérir l'expulsion des occupants irréguliers afin d'éviter une action en dommages et intérêts du locataire, elle n'a pas commis d'erreur de droit ;

Mais considérant que M. GONZALES avait, devant la cour, formé des conclusions tendant à ce que l'Etat soit condamné à l'indemniser du préjudice qu'il avait subi du fait de la carence des services de police à maintenir l'ordre public ; que la cour n'a pas statué sur ces conclusions; que son arrêt doit, par conséquent, être annulé sur ce point ; qu'il y a lieu pour le Conseil d'Etat, en application de l'article 11 de la loi susvisée du 31 décembre 1987, de statuer au fond sur les conclusions ;

Considérant que M. GONZALES avait saisi le tribunal administratif de Cayenne de conclusions tendant à la condamnation de l'Etat à l'indemniser du préjudice ayant résulté de l'inaction des services de police pour le maintien de l'ordre dans l'île Portal ; que le ministre des départements et territoires d'outre-mer n'est, dès lors, pas fondé à soutenir que lesdites conclusions sont nouvelles en appel ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'il n'a pas été donné suite aux demandes réitérées de M. GONZALES en vue d'obtenir l'intervention de la force publique afin que soit respectée la sécurité des installations qu'il exploitait dans l'île Portal et qui ont fait l'objet de multiples dégradations et vols par l'incursion de personnes étrangères à l'exploitation ; que si, compte tenu des difficultés particulières de l'espèce, l'administration a pu, sans commettre de faute, opposer plusieurs refus d'intervention à M. GONZALES, celui-ci est fondé à demander réparation à l'Etat, sur le fondement du principe de l'égalité des citoyens devant les charges publiques, du préjudice grave, anormal et spécial qu'ont constitué les difficultés de son exploitation puis l'abandon auquel il a été contraint du fait de l'inaction des services de police ;

Mais considérant qu'il résulte également de l'instruction que l'île Portal était un lieu connu pour être une terre de passage tant de nomades que de personnes de nationalité étrangère venues du Surinam ; que cette circonstance ne pouvait être ignorée de M. GONZALES ; que, dès lors, les difficultés puis l'abandon de l'exploitation ne peuvent être regardés comme imputables à l'inaction de l'Etat qu'à concurrence du cinquième du préjudice global subi ; qu'il sera fait une juste appréciation des circonstance de l'espèce en évaluant le préjudice, dont M. GONZALES est fondé à réclamer l'indemnisation, en évaluant l'indemnité à laquelle il a droit à la somme de 2 000 000 F, tous intérêts compris au jour de la présente décision ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de réformer le jugement du tribunal administratif de Cayenne en date du 22 juillet 1991 en ce qu'il a de contraire à la présente décision et de rejeter le surplus des conclusions de la requête de M. GONZALES et de la SCI DE PROVENCE;

DECIDE

Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris en date du 8 avril 1993 est annulé en tant qu'il ne statue pas sur les conclusions de M. GONZALES tendant à la condamnation de l'Etat à l'indemniser du préjudice né de l'inaction des services de police.

Article 2 : L'Etat est condamné à payer à M. GONZALES la somme de 2 000 000 F tous intérêts compris au jour de la présente décision.

Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Cayenne en date du 22 juillet 1991 est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. GONZALES et de la SCI DE PROVENCE et du recours du ministre des départements et des territoires d'outre-mer devant la cour administrative d'appel de Paris est rejeté.

Article 5 : Le surplus de la requête de M. GONZALES et de la SCI DE PROVENCE devant le Conseil d'Etat est rejeté.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à M. Antoine GONZALES, à la SCI DE PROVENCE et au secrétaire d'Etat à l'outre-mer.

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