Jurisprudence : CE 1 SS, 10-04-2013, n° 353316



CONSEIL D'ETAT


Statuant au contentieux


353316


M. Mathias BERGMANN, SUD SPECTACLE


M. Rémi Decout-Paolini, Rapporteur

Mme Maud Vialettes, Rapporteur public


Séance du 14 mars 2013


Lecture du 10 avril 2013


REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


Le Conseil d'Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 1ère sous-section)


Vu la requête, enregistrée le 12 octobre 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. Mathias Bergmann, demeurant 9, avenue Laumière à Paris (75019) et le syndicat SUD Spectacle, dont le siège est 3, passage des Mauxins à Paris (75019), représenté par son secrétaire général ; les requérants demandent au Conseil d'Etat :


1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2011-953 du 10 août 2011 relatif au régime spécial de retraite des personnels de l'Opéra national de Paris ;


2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


Vu les autres pièces du dossier ;


Vu la Constitution, notamment son Préambule ;


Vu la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 ;


Vu le code de la sécurité sociale ;


Vu la loi n° 2003-775 du 21 août 2003, ensemble la décision du Conseil constitutionnel n° 2003-483 DC du 14 août 2003 ;


Vu la loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010 ;


Vu le décret n° 68-382 du 5 avril 1968 ;


Vu le décret n° 94-111 du 5 février 1994 ;


Vu le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :


- le rapport de M. Rémi Decout-Paolini, Maître des Requêtes,


- les conclusions de Mme Maud Vialettes, rapporteur public ;


1. Considérant que le décret attaqué modifie le décret du 5 avril 1968 portant statut de la caisse de retraites des personnels de l'Opéra national de Paris pour, notamment, relever l'âge d'ouverture du droit à pension de 50 à 57 ans pour les artistes des chœurs, de 55 à 57 ans pour les personnels qui occupent des emplois reconnus par arrêté comme comportant des fatigues exceptionnelles ou ont accompli dix-sept ans de services effectifs dans ces emplois, de 55 à 62 ans pour les autres personnels bénéficiant antérieurement de l'ouverture à 55 ans et de 60 à 62 ans pour les autres catégories de personnel, à l'exclusion des artistes du ballet et des musiciens, chefs de chant et pianistes accompagnateurs ;


Sur la légalité externe :


En ce qui concerne la compétence :


2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 711-1 du code de la sécurité sociale : " Parmi celles jouissant déjà d'un régime spécial le 6 octobre 1945, demeurent provisoirement soumises à une organisation spéciale de sécurité sociale les branches d'activités ou entreprises énumérées par un décret en Conseil d'Etat. / Des décrets établissent pour chaque branche d'activité ou entreprises mentionnées à l'alinéa précédent une organisation de sécurité sociale dotée de l'ensemble des attributions définies à l'article L. 111-1 (.) " ; qu'en vertu du 10° de l'article R. 711-1 du même code, le régime de retraite des personnels de l'Opéra national de Paris est au nombre de ces régimes soumis à une organisation spéciale de sécurité sociale ; que, sur le fondement de ces dispositions, le pouvoir réglementaire avait compétence pour arrêter l'âge d'ouverture du droit à pension pour les personnels relevant de ce régime de retraite et définir les critères de détermination des emplois comportant des fatigues exceptionnelles justifiant que le droit à pension soit ouvert à un âge plus précoce ; qu'il ne résulte pas des dispositions du I de l'article 12 de la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites, en vertu desquelles : " Dans un délai de trois ans après la publication de la présente loi, les organisations professionnelles et syndicales représentatives au niveau national sont invitées à engager une négociation interprofessionnelle sur la définition et la prise en compte de la pénibilité " que les emplois comportant des fatigues exceptionnelles n'auraient pu être déterminés que par la voie de la négociation collective ;


En ce qui concerne la procédure :


3. Considérant, en premier lieu, qu'il ne résulte pas des dispositions précitées de l'article 12 de la loi du 21 août 2003 que le décret aurait dû être précédé de la consultation des organisations syndicales représentatives ;


4. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article 9 du décret du 5 février 1994 fixant le statut de l'Opéra national de Paris, le conseil d'administration de cet établissement public délibère sur " l'organisation générale des services " ; que, contrairement à ce que soutiennent les requérants, le décret attaqué ne peut être regardé comme ayant un tel objet ; que, par suite, il n'avait pas à être soumis pour avis au conseil d'administration de l'Opéra national de Paris ;


5. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article L. 121-1 du code de la sécurité sociale, applicable à la caisse de retraites des personnels de l'Opéra national de Paris en vertu de l'article 40 du décret du 5 avril 1968 : " Sauf dispositions particulières propres à certains régimes et à certains organismes, le conseil d'administration règle par ses délibérations les affaires de l'organisme " ; que, toutefois, il ne résulte pas de ces dispositions, qui visent les questions propres au fonctionnement de l'organisme, que le conseil d'administration de la caisse de retraites des personnels de l'Opéra national de Paris aurait dû être consulté sur le décret attaqué avant son adoption ;


6. Considérant, enfin, que si les requérants soutiennent que le décret attaqué aurait dû être soumis pour avis au comité d'entreprise de l'Opéra national de Paris, ils n'indiquent pas en vertu de quel texte cette consultation aurait été obligatoire ;


Sur la légalité interne :


En ce qui concerne l'existence de différents âges d'ouverture du droit à pension :


7. Considérant que le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un comme l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier ;


8. Considérant que le décret attaqué a notamment pour objet de repousser à 62 ans l'âge d'ouverture du droit à pension, conformément à l'objectif poursuivi par la loi du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites, tout en redéfinissant les catégories d'emplois de l'Opéra national de Paris pour lesquels un départ à la retraite plus précoce est justifié, eu égard aux aptitudes physiques que ces emplois requièrent et aux contraintes qu'ils comportent ; qu'il fixe ainsi un âge de 40 ans pour les artistes du ballet, de 57 ans pour les artistes des chœurs et les personnels occupant des emplois comportant des fatigues exceptionnelles, de 60 ans pour les musiciens, chefs de chant et pianistes accompagnateurs et de 62 ans pour les autres catégories de personnels ; que la différence de traitement qui en résulte, qui est en rapport direct avec l'objet du décret, n'est pas manifestement disproportionnée au regard des différences de situation existant selon les emplois occupés ; qu'à cet égard, les requérants ne peuvent utilement se prévaloir d'un usage en vertu duquel l'ensemble des techniciens pouvaient partir à la retraite dès l'âge de 55 ans ;


En ce qui concerne la détermination des emplois comportant des fatigues exceptionnelles :


9. Considérant, en premier lieu, que les requérants soutiennent que le décret méconnaîtrait les objectifs de l'article 2 de la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail, en raison de la discrimination indirecte que le choix des critères de détermination des emplois comportant des fatigues exceptionnelles introduirait au détriment des femmes ; que, toutefois, cette directive ne concerne pas l'égalité de traitement entre homme et femme mais la lutte contre la discrimination fondée sur la religion ou les convictions, le handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle ; qu'il suit de là que le moyen ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté ;


10. Considérant, en deuxième lieu, que les dispositions critiquées ont pour objet de définir les critères en vertu desquels un arrêté interministériel doit déterminer les catégories d'emplois propres à l'Opéra national de Paris justifiant une ouverture anticipée du droit à pension ; que, par suite, les requérants ne sont, en tout état de cause, pas fondés à soutenir que le décret méconnaîtrait le principe d'égalité en ce qu'il déterminerait des emplois et non des catégories d'emploi, à la différence des dispositions applicables au régime des fonctionnaires ou aux autres régimes spéciaux ;


11. Considérant, enfin, qu'il ne ressort pas des pièces du dossier qu'en définissant les emplois comportant des fatigues exceptionnelles comme les emplois présentant deux caractéristiques au moins parmi les trois qu'il détermine, à savoir un travail de nuit fréquent, une organisation du temps de travail générant des contraintes importantes et le port de charges lourdes, le Premier ministre ait entaché le décret attaqué d'erreur manifeste d'appréciation ; que les requérants ne peuvent utilement invoquer la méconnaissance de l'article D. 4121-5 du code du travail, qui, au demeurant, a un objet différent ;


En ce qui concerne les modalités du relèvement de l'âge d'ouverture du droit à pension :


12. Considérant que le décret attaqué prévoit, pour les personnels occupant des emplois pour lesquels l'âge d'ouverture du droit à pension est reculé de sept ans, que le relèvement est opéré progressivement à compter du 1er janvier 2012, à raison de 6 mois par semestre de naissance jusqu'au 31 décembre 2021 puis de 4 mois par année de naissance jusqu'au 31 décembre 2028 ;


13. Considérant, en premier lieu, qu'en vertu des dispositions du onzième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, la Nation " garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence " ; que le pouvoir réglementaire, par les dispositions critiquées, qui harmonisent progressivement les âges d'ouverture du droit à pension sous la réserve des emplois pour lesquels un âge plus précoce est justifié et participent de l'objectif de préservation de la pérennité des systèmes de retraite, n'a pas privé de garanties légales les exigences découlant du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 ;


14. Considérant, en deuxième lieu, que la loi du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites ne régit pas l'âge d'ouverture du droit à pension dans les régimes spéciaux ; que les requérants ne sauraient utilement se prévaloir de l'intention du législateur pour soutenir que le calendrier, prévu par le décret, de relèvement de cet âge serait illégal ;


15. Considérant, en troisième lieu, que le relèvement de deux ans de l'âge d'ouverture du droit à pension prévu dans le régime général, les autres régimes spéciaux et pour certains emplois de l'Opéra national de Paris est opéré à compter du 1er janvier 2017 au rythme de 4 mois par année de naissance ; que, toutefois, si le relèvement commence plus tôt et à un rythme plus rapide les premières années pour les personnels de l'Opéra national de Paris dont l'âge d'ouverture est relevé de sept années, la réforme ne produira ses pleins effets à leur égard qu'à compter du 1er janvier 2029, soit cinq ans plus tard que pour les autres catégories de personnel ; que, par suite, les requérants ne sont, en tout état de cause, pas fondés à soutenir que la différence de calendrier retenu par le décret attaqué pour ces personnels méconnaîtrait le principe d'égalité ;


16. Considérant que les requérants ne peuvent utilement invoquer la méconnaissance des dispositions, dépourvues par elles-mêmes de valeur normative, de l'article 3 de la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites qui prévoit un traitement équitable des assurés au regard de la retraite, quels que soient le ou les régimes dont ils relèvent ;


17. Considérant, enfin, que les dispositions critiquées, publiées au Journal officiel du 12 août 2011, produisent leurs effets à compter du 1er janvier 2012 en lissant sur 17 ans le relèvement de l'âge d'ouverture du droit à pension ; qu'il ne peut ainsi être sérieusement soutenu que le principe de sécurité juridique aurait été méconnu ;


18. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir soulevée par le ministre du travail, de l'emploi et de la santé, que M. Bergmann et le syndicat SUD Spectacle ne sont pas fondés à demander l'annulation du décret attaqué ; que leurs conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent, par suite, être rejetées ;


D E C I D E :


Article 1er : La requête de M. Bergmann et du syndicat SUD Spectacle est rejetée.


Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. Mathias Bergmann, au syndicat SUD Spectacle, au Premier ministre et à la ministre des affaires sociales et de la santé.


Copie en sera adressée au ministre de l'économie et des finances.

Agir sur cette sélection :

Revues liées à ce document

Ouvrages liés à ce document

Chaîne du contentieux

Décisions similaires

  • Tout désélectionner
Lancer la recherche par visa

Domaine juridique - ACTES LEGISLATIFS ET ADMINISTRATIFS

  • Tout désélectionner
Lancer la recherche par thème
La Guadeloupe
La Martinique
La Guyane
La Réunion
Mayotte
Tahiti

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.