Jurisprudence : CA Versailles, 09-04-2025, n° 23/00399, Infirmation partielle

CA Versailles, 09-04-2025, n° 23/00399, Infirmation partielle

A91120IC

Référence

CA Versailles, 09-04-2025, n° 23/00399, Infirmation partielle. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/118153185-ca-versailles-09042025-n-2300399-infirmation-partielle
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COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES


Code nac : 39H


Chambre commerciale 3-1


ARRET N°


CONTRADICTOIRE


DU 9 AVRIL 2025


N° RG 23/00399 - N° Portalis DBV3-V-B7H-VUI4

+ 23/00238


AFFAIRE :


S.A.R.L. EUROPE ET COMMUNICATIAaN


C/


[J] [B] [Ab]

...


Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 29 Novembre 2022 par le Tribunal de Commerce de PONTOISE

N° Chambre : 4

N° RG : 2018F00575


Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :


Me Isabelle CHARBONNIER


Me Isabelle DELORME-MUNIGLIA


TC PONTOISE


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


LE NEUF AVRIL DEUX MILLE VINGT CINQ,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :


S.A.R.L. EUROPE ET COMMUNICATION

RCS Versailles n° 409 804 416

[Adresse 2]

[Localité 4]


Représentée par Me Isabelle CHARBONNIER, Postulant, avocat au barreau des HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : 355 et Me Stéphanie LEGRAND de la SEP LEGRAND LESAGE-CATEL, Plaidant, avocat au barreau de Paris



APPELANTE

****************


Monsieur [Aa]Ab[B] [Y]

[Adresse 5]

[Localité 6]


S.A.R.L. ARTE 95

RCS Versailles n° 535 135 842

[Adresse 1]

[Localité 3]


Représentés par Me Isabelle DELORME-MUNIGLIA de la SCP COURTAIGNE AVOCATS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 52 et Me Laëtitia BONCOURT de l'AARPI BOTHIS, Plaidant, avocat au barreau de Paris


INTIMES

****************



Composition de la cour :


En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile🏛, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 19 Novembre 2024 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Patrice DUSAUSOY, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles, chargé du rapport.


Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :


Madame Florence DUBOIS-STEVANT, Présidente,

Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseillère,

Monsieur Patrice DUSAUSOY, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles,


Greffier, lors des débats : M. Ac A,



EXPOSE DES FAITS


La société Europe et Communication a pour activité la conception, la réalisation et la commercialisation de bureaux de vente mobiles (bungalows autoportés réutilisables) à destination des promoteurs immobiliers.


Elle prétend, qu'à l'instigation de son ancien directeur commercial (M. [N] [Ad]), la société Arte 95, créée le 6 octobre 2011, et Aa. [J] [B] ont mis en place une organisation déloyale ayant permis de capter sa clientèle.


Par voie de requête, elle a obtenu le 12 avril 2018 une ordonnance du président du tribunal de commerce de Pontoise l'autorisant à faire effectuer un constat au siège de la société Arte 95 afin d'établir les preuves de ses allégations.


Ces opérations de constat se sont déroulées le 11 juin 2018.


Par ordonnance du 7 février 2019 du même tribunal, la demande de la société Arte 95 de rétractation de l'ordonnance du 12 avril 2018 a été rejetée.


Le 24 juillet 2018, la société Europe et Communication a fait assigner la société Arte 95 et M. [Ae] devant le tribunal de commerce de Pontoise en concurrence déloyale.


Par jugement du 29 novembre 2022, le tribunal de commerce de Pontoise a :


déclaré la société Europe et Communication recevable mais mal fondée en toutes ses demandes, l'en a déboutée,

déclaré la société Arte 95 et M. [Ae] mal fondés en leur demandes de dommages et intérêts, les en a déboutés,

condamné la société Europe et Communication à payer à la société Arte 95 et à M. [B] la somme de 5.000 euros, chacun, au titre de l'article 700 du code de procédure civile🏛,

rejeté la demande de la société Europe et Communication en paiement sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

condamné la société Europe et Communication aux dépens,

rappelé que l'exécution provisoire de la décision est de droit.


Par déclaration du 11 janvier 2023 dirigée contre une société ARTE 92 puis par déclaration du 17 janvier 2023, cette fois contre la société Arte 95 et M. [B], la société Europe et communication a interjeté appel de ce jugement à l'encontre de la société Arte 95 et dAe M. [B].


Les procédures ont été jointes par ordonnance du 2 février 2023.



PRETENTIONS DES PARTIES


Par dernières conclusions (n°5) remises au greffe et notifiées par RPVA le 7 novembre 2024, la société Europe et communication sollicite de la cour d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a déclarée recevable mais mal fondée en toutes ses demandes, l'en a déboutée, en ce qu'il l'a condamnée à payer à la société Arte 95 et à M. [B] la somme de 5.000 euros chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens, en ce qu'il a rejeté sa demande en paiement sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.


Elle demande à la cour, statuant de nouveau, de la juger recevable et bien fondée en ses demandes d'interdire la poursuite des agissements de concurrence déloyale et illicites sous astreinte de 10.000 euros par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir.


Elle sollicite également de la cour de condamner in solidum la société Arte 95 et M. [B] à lui verser les sommes suivantes :


50.000 euros, à titre de dommages intérêts au titre de son préjudice moral,

211.000 euros, à titre de dommages intérêts au titre du préjudice économique résultant de leurs profits indus,

330.000 euros, à titre de dommages intérêts au titre du préjudice économique résultant de sa marge perdue,

170.000 euros à titre de dommages intérêts, au titre des coûts induits résultant de la distorsion de concurrence depuis 2014,


Elle demande à la cour de débouter la société Arte 95 et M. [B] de l'ensemble de leurs demandes, de les condamner in solidum à lui verser la somme de 20.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que de les condamner encore in solidum à lui rembourser les débours, frais et honoraires d'huissier par elle exposés à l'occasion des opérations de constat du 11 juin 2018, les condamner enfin in solidum en tous les dépens de première instance et d'appel.


Par dernières conclusions (n°5) remises au greffe et notifiées par RPVA le 7 novembre 2024, la société Arte 95 et M. [Ae] demandent à la cour de les recevoir en leurs demandes, de déclarer la société Europe et Communication irrecevable en sa demande nouvelle de dommages et intérêts résultant de la distorsion de concurrence, formulée pour la première fois en cause d'appel aux termes de ses conclusions d'appelant n°4 du 17 octobre 2024, ce à hauteur de 170.000 euros.


Ils demandent l'infirmation du jugement en ce qu'il les a déboutés de leur demande de dommages et intérêts et sollicitent de la cour, statuant à nouveau, de condamner la société Europe et Communication à payer à la société Arte 95 la somme de 30.000 euros et à M. [B] la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts.


En tout état de cause, ils demandent à la cour de condamner la société Europe et Communication au paiement à chacun de la somme de 15.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de l'instance.


La clôture de l'instruction a été prononcée le 14 novembre 2024.


Contexte


Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit par l'article 455 du code de procédure civile🏛.


Il sera simplement rappelé ici que le litige s'inscrit dans un contexte judiciaire complexe qu'il convient de résumer.


M. [A] [F], président de la société Europe et communication, est titulaire d'un brevet français relatif à un 'bungalow transportable' déposé le 23 décembre 2008.


La société Europe et communication a embauché le 5 septembre 2005 en qualité de directeur commerciaAd M. [Z].


M. [Ad] a démissionné de la société Europe et Communication le 27 novembre 2007 et a créé le 28 février 2008 la société Enez Sun, laquelle exerce une activité directement concurrente de celle de la société Europe et communication avec le concours de plusieurs sociétés, sous-traitantes, dont la société Arte 95.


Soupçonnant M. [Ad] de détournement d'informations con'dentielles et de clients, la société Europe et Communication l'a poursuivi devant le conseil des prud'hommes de Poissy, qui par jugement du 19 février 2013, a dit qu'il avait commis des actes déloyaux en violation de son contrat de travail, l'a condamné à une provision de 150.000 euros de dommages et intérêts et a désigné un expert (Mme [E]) chargée de chiffrer le préjudice subi par la société Europe et Communication sur la période comprise entre février 2007 et 'n février 2008. Le rapport a été déposé le 21 novembre 2014.



Par jugement du 30 décembre 2014, le conseil des prud'hommes de Poissy a notamment condamné M. [Ad] à verser à la société Europe et Communication la somme de 431.928 euros comprenant 271.158 euros de dommages intérêts et 160.770 euros de remboursement de frais, outre la publication du jugement dans trois journaux professionnels, indiquant que les sociétés Enez Sun et les autres sociétés visées (hors la société Arte 95) avaient commis des actes de concurrence déloyale par détournement d'informations confidentielles et de clients ainsi que par débauchage de son personnel et sous-traitance illicite.


Entre temps, les services de l'Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) ont notifié, le 19 juin 2014, à la société Enez Sun, un redressement d'un montant de 1.375.553 euros à titre principal et 311.904 euros en majorations de retard, sur le fondement d'un recours à la fausse sous-traitance avec le concours de plusieurs sociétés dont la société Arte 95. Ce redressement a été annulé par le tribunal des affaires de sécurité sociale selon jugement du 27 septembre 2018, confirmé par la cour de céans le 12 septembre 2019. La société Europe et communication est intervenue volontairement à chaque étape de la procédure. La Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par l'URSSAF.


Par ailleurs, M. [F], représentant légal de la société Europe et communication, a été entendu le 13 juin 2017, dans le cadre d'une enquête préliminaire relative aux pratiques de sous-traitance poursuivies par M. [Ad], la société Enez Sun et d'autres sociétés dont la société Arte 95. Cette enquête a été classée sans suite, le 20 juillet 2017, au motif que l'infraction était insuffisamment caractérisée.


Compte tenu de l'importance du redressement de l'URSSAF, la société Enez Sun a sollicité l'ouverture d'une procédure de sauvegarde ouverte par le tribunal de commerce de Versailles selon jugement du 19 août 2014. La société Europe et Communication a déclaré sa créance le 9 septembre 2014 pour un montant de 3.324.028 euros. La société Enez Sun a bénéficié, par la suite, d'un plan de sauvegarde par jugement du 12 avril 2016 du même tribunal. Les juges indiquant qu'il était nécessaire de réorganiser l'entreprise afin d'écarter pour l'avenir le risque présenté par la situation de fausse sous-traitance fondement du redressement de l'URSSAF notamment en procédant par rachat des sociétés sous-traitantes et fusion de celles-ci au sein de la société Enez Sun. C'est ainsi que le 1er octobre 2019, la société Arte 95 a fait l'objet d'un rachat de l'intégralité de ses parts par la société Enez Sun, M. [Ad] étant désigné gérant à cette date, en lieu et place deAbMme [Y].


Parallèlement, la société Europe et communication avait fait assigner, le 31 juillet 2012, la société Enez Sun et plusieurs autres sociétés sous-traitantes, à l'exception de la société Arte 95, leur reprochant des agissements de concurrence déloyale, parasitaire et illicite, devant le tribunal de commerce de Paris lequel s'est déclaré incompétent au motif que les demandes ne relevaient pas de sa compétence d'attribution. Il a été invité à reprendre sa compétence. C'est ainsi qu'il a, toutefois, par jugement du 12 septembre 2016, condamné à la somme de 200.00 euros, solidairement, M. [Ad] et la société Enez Sun, pour détournement de clientèle, fondé sur l'utilisation frauduleuse de documents confidentiels, sans retenir toutefois l'argument du « dumping social » résultant, selon la société Europe et communication, de la sous-traitance organisée par la société Enez Sun lui permettant de s'affranchir de la règlementation du travail, de réduire sa masse salariale et de pratiquer des prix de « dumping », le tribunal rappelant que le redressement de l'URSSAF faisait l'objet d'une contestation.


La cour d'appel de Paris, saisie de ce jugement, a, par arrêt du 13 mars 2020, porté la condamnation à la somme de 300.000 euros mais seulement à l'encontre la société Enez Sun, infirmant le jugement condamnant M. [Ad]. Elle a notamment écarté l'argument de la société Europe et communication fondé sur l'existence d'une distorsion de concurrence tirée de la sous-traitance dans les termes suivants :

« En revanche, les distorsions de concurrence qui résulteraient du recours à une fausse sous-traitance invoquées par la société Europe Communication à l'encontre de M. [Ad] et des sociétés K-pub et Enez Sun mais aussi des sociétés Danhest Home, Altikon, de son dirigeant M. [X] ne sont pas caractérisées alors que le jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale des Yvelines, en date du 27 septembre 2018, con'rmé par arrêt de la cour d'appel de Versailles du 12 septembre 2019, a annulé le redressement de l'URSSAF adressé à la société Enez Sun pour une somme de 1 687 457 euros au titre de cotisations et majorations de retard le 8 août 2014, (') et que le procureur de la République de Versailles, après que le dirigeant de la société Europe et Communication a été entendu et a transmis divers documents, a classé la procédure sans suite en date du 26 juillet 2017 au motif d'une infraction insuffisamment caractérisée l'enquête préliminaire ouverte pour sous-traitance illégale et délit de marchandage à l'encontre de la société Enez sun et de son dirigeant. ».

Cet arrêt a fait l'objet d'un pourvoi qui n'a pas porté sur la décision de la cour d'écarter la distorsion de concurrence pour défaut de caractérisation. Après cassation partielle (arrêt du 7 septembre 2022 de la Cour de cassation), la cour de renvoi (cour d'appel de Paris) a par arrêt du 1er mars 2024, notamment, condamné M. [Ad] et la société Enez Sun à la somme de 300.000 euros et, en particulier, a précisé dans son dispositif : « Dit qu'en détournant de façon déloyale des informations con'dentielles relatives à l'activité de la société Europe et communication au pro't de la société Enez Sun à la suite de son départ de la société Europe et Communication, M. [Ad] a commis une faute d'une particulière gravité, incompatible avec l'exercice normal de ses fonctions sociales. ».



MOTIFS


1. Sur la concurrence déloyale alléguée par l'appelante


La société Europe et Communication expose, à titre liminaire, que la mise en place d'une « fausse » sous-traitance dissimulant un prêt de main d'œuvre illicite et des faits de marchandage, violant la réglementation en vigueur en matière de droit social et de droit du travail, constitue une faute civile de concurrence déloyale « sociale » au préjudice des entreprises concurrentes ne se rendant pas coupables des mêmes fraudes, en procurant un avantage indu à la fois au donneur d'ordre et à son « faux » sous-traitant qui doivent réparation de la faute « concurrentielle » ainsi commise.


Elle soutient, au visa de l'article 1240 du code civil🏛, que les intimés ont commis une faute par la mise en place d'une sous-traitance dissimulant un prêt de main d'œuvre illicite et des faits de marchandage, que la société Arte 95, animée par M. [B], a agi, dans un lien de subordination, comme « fausse » sous-traitante de la société Enez Sun, gérée par M. [Ad], son ancien directeur commercial, en mettant ses salariés (poseurs de bungalow mobile) à la disposition exclusive de cette dernière, ce qui constitue un prêt de main d'œuvre illicite en violation des dispositions de l'article L.8241-1 du code du travail🏛.


Elle fait valoir que ce mode opératoire a été mis en place pour éluder la réglementation du droit du travail avec pour effet d'entraîner une distorsion de concurrence « sociale » qui lui est préjudiciable par allégement des charges sociales de la société Enez Sun, conduisant à un détournement de clientèle auquel la société Arte 95 a concouru, améliorant son propre chiffre d'affaires et son résultat d'exploitation, et en fonctionnant avec une structure légère tout en économisant des coûts de prospection puisqu'elle n'a qu'un seul client (la société Enez Sun).


Elle soutient que M. [Ae], en sa qualité d'associé pour moitié au capital de la société Arte 95 et également son salarié, a directement participé à ces actes de concurrence déloyale.


La société Arte 95 et M. [Ae] rappellent que la réparation du dommage allégué suppose la démonstration d'une faute, qu'à cet égard, ni le dommage concurrentiel, ni la sous-traitance ne sont en eux-mêmes illicites, outre qu'ils ne s'insèrent pas dans la typologie des actes reconnus comme des agissements relevant de la concurrence déloyale.


Ils soutiennent que les faits reprochés de concurrence illicite tirés d'un recours à la sous-traitance ne sont pas démontrés, notamment en référence aux décisions pénales ou civiles intervenues à l'occasion ou dans le cadre des agissements de la société Enez Sun.


Ils rappellent que les fautes reprochées s'agissant d'infraction à la législation du travail, conduisant à retenir une fausse sous-traitance, doivent avoir été préalablement caractérisées par la juridiction compétente afin d'en établir la réalité.


Ils font valoir également que le détournement de clientèle ou la distorsion de concurrence ne sont pas établis, les exonérant ainsi de toutes fautes.


Les intimés font également valoir que la réparation indemnitaire suppose l'existence d'un préjudice, non démontré, et d'un lien de causalité entre une faute et un préjudice, inexistant en l'espèce.


Sur ce,


Le seul fait de commercialiser des produits identiques à ceux distribués par un concurrent et de conquérir les clients d'une société exerçant dans le même secteur d'activité relève de la liberté du commerce et n'est pas fautif, dès lors que cela n'est pas accompagné de manœuvres déloyales constitutives d'une faute.


La société Europe et communication cherche à obtenir réparation d'agissements commis par les intimés depuis 2014 et constatés en 2018.


Il appartient à la société Europe et communication qui se prévaut des dispositions de l'article 1240 du code civil d'établir l'existence d'une faute commise par la société Arte 95 et M. [B], résultant, selon elle, de la mise en place d'une fausse sous-traitance puisque placés dans une subordination totale à l'égard de la société Enez Sun en contravention des dispositions de l'article L.8221-6 du code du travail🏛, dissimulant un prêt de main d'œuvre illicite, sanctionné par les dispositions de l'article L.8241-1 du code du travail, et des faits de marchandage, prohibés par l'article L.8231-1 du même code🏛. La faute reprochée est constitutive selon elle d'une distorsion de concurrence.


Contrairement à ce que soutiennent les intimés, l'objectif de cette réglementation tendant à assurer la défense des intérêts des organismes sociaux ou la protection du droit des salariés ne prive pas la société Europe et communication de la possibilité d'établir la faute de la société Arte 95 au regard de ladite réglementation. La société Europe et communication ne prétend pas assurer la défense de ces organismes ou de ces salariés ni poursuivre, à l'instar des juridictions pénales ou sociales, les intimés sur le fondement de ces textes. Son action tend à démontrer l'existence d'une faute à l'aune de cette réglementation, dont elle prétend qu'elle lui a causé un préjudice.


I ' Sur la violation des règles du droit du travail


Sur la fausse sous-traitance (L.8221-6 II du code du travail)


Il résulte de l'article L. 8221-6 du code du travail que, si dans l'exécution de leur activité donnant lieu à immatriculation sur des registres aux répertoires professionnels, les personnes physiques sont présumées ne pas être liées avec le donneur d'ordre par un contrat de travail, celui-ci peut, toutefois, être établi lorsque ces personnes fournissent des prestations dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l'égard du donneur d'ordre.

Le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.

L'existence d'une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donné à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité des travailleurs.

Il appartient à la société Europe et communication de renverser la présomption de non salariat et de démontrer que depuis 2014 la relation d'affaires entre la société Enez Sun et la société Arte 95 et M. [B], s'inscrit dans une relation de fausse sous-traitance déduite d'une subordination des salariés de l'une à l'autre.


L'invocation par la société Europe et communication du rôle joué par M. [B] auprès de la société Enez Sun avant la création de la société Arte 95 (26 octobre 2011) est inopérante en ce qu'elle ne reproche à celui-ci des agissements que depuis 2014. Il en va de même de l'exploitation par l'appelante de la motivation du redressement notifié par l'URSSAF fondé sur l'existence d'une fausse sous-traitance entre la société Arte 95 et la société Enez Sun. En effet, le contrôle de l'URSSAF, notifié le 2 avril 2014 à la société Enez Sun, pour infraction à la législation sur le travail dissimulé après avoir constaté, notamment, un lien juridique permanent entre elle et ses « sous-traitants » dont la société Arte 95, ainsi qu'une dépendance économique, a porté sur la période comprise entre le 1er janvier 2009 et le 31 mars 2013 de sorte que cette motivation à supposer qu'elle puisse être retenue - le redressement ayant été annulé - ne peut valoir pour l'année 2014 et les années suivantes.


Les intimés font valoir que l'enquête préliminaire relative aux pratiques de sous-traitance entre la société Enez Sun et d'autres sociétés, dont la société Arte 95, a été classée sans suite, le 20 juillet 2017, au motif que l'infraction était insuffisamment caractérisée. Cette décision non juridictionnelle ne revêt pas l'autorité de la chose jugée. Le ministère public peut, sous réserve de prescription, reprendre les poursuites. Ce moyen n'est pas suffisant à écarter l'existence d'une faute civile tirée d'une fausse sous-traitance.


En l'espèce, la subordination fautive se déduit des déclarations de Mme [Ab], alors gérante et associée de la société Arte 95 qui revendique agir « au titre de la sous-traitance » (procès-verbal de l'huissier du 11 juin 2018 ; pièce 26B ' Europe et communication) et dont il résulte que cette société dispose de deux salariés (M. [Ae] et M. [G], ouvriers qualifiés selon leur bulletin de salaire) travaillant uniquement pour le compte de la société Enez Sun sur le site de laquelle ils se rendent quotidiennement du lundi au vendredi de 8H30 à 19H et parfois le samedi matin, lieu où il leur est précisé, en même temps qu'aux autres salariés de la société Enez Sun, les tâches à effectuer, sur tel site de clients déterminé par la société Enez Sun (Icade, Nexity, Vinci, Kaufmann, Bouygues). Mme [Ab] précise que les matières premières et le matériel sont fournis par la société Enez Sun et que la prestation des deux salariés de sa société est facturée mensuellement à la société Enez Sun sur la base d'un forfait journalier de 750 euros brut pour les deux salariés (850 euros hors Île-de-France). Les factures collectées par l'huissier dans le cadre de ses constatations confirment les déclarations de la gérante.


Il résulte de ce qui précède que la société Europe et communication rapporte la preuve de ce que les salariés de la société Arte 95 exercent leur activité dans un lien de subordination étroit à l'égard de la société Enez Sun puisqu'ils consacrent la totalité de leur temps de travail aux ordres directs de la société Enez Sun, sans planning préalable établi par la société Arte 95, et qu'il n'est pas démontré qu'ils disposent d'une compétence particulière dont ne bénéficieraient pas les autres salariés, ce qui caractérise une fausse sous-traitance.


La qualification de sous-traitance de « pose » ou de « capacité », au demeurant licite, revendiquée par les intimés, ne peut être retenue, en l'espèce. En effet, les salariés de la société Arte 95 ne sont pas encadrés par un salarié ou un dirigeant de la société Arte 95, et reçoivent leurs directives exclusivement de la société Enez Sun, laquelle se comporte ainsi comme leur véritable employeur.


Sur le prêt de main d'œuvre (article L.8241-1 du code du travail)


« Toute opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main-d'œuvre est interdite.

Toutefois, ces dispositions ne s'appliquent pas aux opérations réalisées dans le cadre :

1° Des dispositions du présent code relatives au travail temporaire, aux entreprises de travail à temps partagé et à l'exploitation d'une agence de mannequins lorsque celle-ci est exercée par une personne titulaire de la licence d'agence de mannequin ;

2° Des dispositions de l'article L. 222-3 du code du sport🏛 relatives aux associations ou sociétés sportives ;

3° Des dispositions des articles L. 2135-7 et L. 2135-8 du présent code relatives à la mise à disposition des salariés auprès des organisations syndicales ou des associations d'employeurs mentionnées à l'article L. 2231-1.

Une opération de prêt de main-d'œuvre ne poursuit pas de but lucratif lorsque l'entreprise prêteuse ne facture à l'entreprise utilisatrice, pendant la mise à disposition, que les salaires versés au salarié, les charges sociales afférentes et les frais professionnels remboursés à l'intéressé au titre de la mise à disposition. ».

Les constations précédentes caractérisent également le prêt de main d'œuvre illicite en ce que les deux salariés de la société Arte 95 sont mis à disposition de la société Enez Sun moyennant une contrepartie financière, et qu'ils consacrent exclusivement leur temps de travail à celle-ci sous ses directives sans que les intimés démontrent que ce prêt de main d'œuvre bénéficie des exceptions prévues par les dispositions de l'article L.8241-1 du code du travail.


Sur le marchandage (article L.8231-1 du code du travail)


« Le marchandage, défini comme toute opération à but lucratif de fourniture de main-d'œuvre qui a pour effet de causer un préjudice au salarié qu'elle concerne ou d'éluder l'application de dispositions légales ou de stipulations d'une convention ou d'un accord collectif de travail, est interdit. ».


Les contrats de travail des deux salariés (pièce 26.B ' Europe et communication) mentionnent une durée hebdomadaire de 40 heures (avec prévision d'heures complémentaires au-delà de la durée légale de 35 heures) alors que, selon les déclarations de Mme [Ab], cette durée est largement dépassée («le travail s'étale quotidiennement du lundi au vendredi à partir de 8h30 jusqu'à environ 19h, parfois le samedi de 8h30 à 16h30 maximum, et de manière épisodique les dimanches et jours fériés »), et que ces déclarations sont corroborées par une attestation (pièce 28A, Europe et communication) de M. [R], ancien salarié de la société Arte 95 dont le licenciement par cette dernière a été déclaré nul par la cour de céans le 15 octobre 2015. Il relate « nous avion (sic) rendez-vous tous les jours entre 8H00 et 8H30 et nous revenion (sic) entre 19H00 et 20H00 mais en réalité nous n'avion (sic) pas de limite d'heures car nous devion (sic) être disponible (sic) pour la société Enez Sun des (sic) qu'il y avait des demande (sic) de clients nous devion (sic) intervenir », « on travaillé (sic) environ 60 heures par semaine ».


Or, aucune mention d'heures supplémentaires n'apparaît sur les bulletins de salaires des intéressés (pièces 37 A et B ' Arte 95) de sorte qu'il convient d'en déduire qu'elles ne sont ni déclarées, ni payées ce qui leur porte préjudice dans le cadre de leur mise à disposition litigieuse auprès de la société Enez Sun.


Ainsi, la société Europe et communication justifie des fautes commises par la société Arte 95 au regard de la réglementation du travail.


En revanche, elle n'établit pas, comme elle le prétend, que M. [Ae] aurait tiré un profit personnel depuis 2014 de la fausse sous-traitance. En effet, le fait de connaître M. [Ad] depuis 2005 ou d'avoir été associé dans le passé dans d'autres sociétés travaillant avec la société Enez Sun, ne suffit pas à le démontrer. De plus, il n'est plus associé depuis le 1er octobre 2019 de la société Arte 95. En revanche, il en demeure salarié donc a priori victime de cette fraude.


II ' Sur la distorsion de concurrence résultant du non-respect de la réglementation du travail

Aux termes de l'article 1382, devenu 1240, du code civil🏛, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

La concurrence déloyale est le fait dans le cadre d'une concurrence autorisée de faire un usage excessif de sa liberté d'entreprendre en recourant à des procédés contraires aux règles et usages, occasionnant un préjudice.

Une situation de concurrence directe ou effective entre les sociétés considérées n'est pas une condition de l'action en concurrence déloyale qui exige seulement l'existence de faits fautifs générateurs d'un préjudice.

Il appartient à la société Europe et communication de démontrer que les manquements de la société Arte 95 aux règles de droit du travail ont concouru ainsi qu'elle le soutient (page 48 de ses écritures), au détournement de sa clientèle par la société Enez Sun.

Elle fait valoir, notamment, que cette dernière en s'affranchissant des règles de droit du travail grâce à la société Arte 95, a réduit le poids de sa masse salariale et lui a permis en sa qualité de donneur d'ordre, de disposer d'une main d'œuvre bon marché et disponible en contrepartie d'une rémunération au forfait quelle que soit la durée effective du travail.

Elle caractérise ainsi l'avantage concurrentiel indu non pas tant par l'effet d'un « dumping social » par la pratique de prix bas, que comme résultant de la réactivité plus forte de la société Enez Sun à l'égard des promoteurs immobiliers grâce à cette main d'œuvre disponible, avec pour conséquence un détournement de sa clientèle.

La société Arte 95 ne peut sérieusement soutenir qu'il n'y aurait pas de distorsion de concurrence au motif que ses salariés - ouvriers qualifiés non cadres - sont mieux rémunérés que ceux de l'appelante, que leur rémunération horaire de base intègre d'avance les majorations pour heures supplémentaires de 25 % et 50 % puisqu'elle est supérieure au minimum prévu par la convention collective applicable. En effet, les conventions de forfait intégrant les heures supplémentaires n'ont vocation à s'appliquer qu'aux cadres et non aux ouvriers de sorte qu'en l'absence d'une telle convention, le détail de la rémunération des heures supplémentaires doit apparaître sur le bulletin de salaire ce qui n'est pas le cas en l'espèce. Par ailleurs, l'écart salarial résultant de la différence entre la rémunération effectivement versée et le minimum conventionnel ne revêt pas, en soi, la qualification d'heures supplémentaires, contrairement à ce que soutient la société Arte 95. En outre, il importe peu que les salariés de cette dernière soient, prétendument, mieux rémunérés puisque le coût facturé par la société Arte 95, supporté par la société Enez Sun, correspondant à l'emploi de ces deux salariés, demeure forfaitaire (350 euros la journée) quel que soit le montant leur rémunération.

Elle ne peut pas davantage faire valoir qu'il en coûterait davantage à la société Enez Sun de recourir aux salariés de la société Arte 95 par le truchement du paiement forfaitaire sur la base de 350 euros la journée, soit 8.400 euros HT pour 24 jours travaillés par mois, alors que le coût brut mensuel d'un salarié, à poste équivalent, de la société Europe et communication ne serait que de l'ordre de 3.100 euros, dès lors qu'elle n'intègre pas dans cette comparaison l'absence de paiement des heures supplémentaires générant une économie de charges sociales.

Enfin, l'absence de concurrence déloyale ou de distorsion de concurrence commis avec le concours de la société Arte 95 ne saurait se déduire du contrôle, exercé par les organes de la procédure de sauvegarde, de l'activité de la société Enez Sun, en plan de continuation, lesquels ont appelé l'attention du tribunal, dès l'origine de la mise en place du plan de sauvegarde, sur la nécessité de réorganiser la société Enez Sun afin d'éliminer le risque de fausse sous-traitance.

La réactivité, prétendument à l'origine du détournement de clientèle, ne peut être appréhendée qu'à l'aune de l'économie que les manquements procurent à la société Enez Sun. En effet, une plus grande réactivité pourrait être obtenue par la seule mise en place licite par la société Enez Sun d'un effectif plus important que celui consacré par la société Europe et communication.

Il résulte de la déclaration de la gérante de la société Arte 95, dont il a été fait état précédemment, que les deux salariés interviennent sur le site des promoteurs immobiliers suivants Icade, Nexity, Vinci, Bouygues, également clients de la société Europe et communication (sa pièce 2 E, factures adressées à ces sociétés)

Il a été constaté une discordance entre le temps de travail effectif des salariés de la société Arte 95 mis à disposition de la société Enez Sun et le temps de travail rémunéré figurant sur leur bulletin de salaire établissant l'absence de paiement des heures supplémentaires par leur employeur de fait, la société Enez Sun.

Les sociétés Europe et communication et Enez Sun ne se présentent donc pas à armes égales devant leurs clients « communs » à cause du non-respect des règles de droit du travail par la société Arte 95 qui s'abstient notamment de rémunérer les heures supplémentaires effectuées par ses salariés, ce dont bénéficie directement la société Enez Sun, leur véritable employeur, à proportion des charges sociales ainsi économisées.

Il existe, ainsi, une distorsion de concurrence entre les sociétés Europe et communication et la société Enez Sun, relativement au coût du travail, née des agissements fautifs de la société Arte 95 au regard de la législation du droit du travail, qui a ainsi concouru par sa faute à la commission d'actes de concurrence déloyale à l'égard de la société Europe et communication.

Elle en doit réparation à condition que la société Europe et communication démontre l'existence d'un préjudice en découlant directement.

III ' Sur le préjudice, sa réparation et l'astreinte


Sur le préjudice économique et moral


Un préjudice s'infère nécessairement d'un acte de concurrence déloyale, générateur d'un trouble commercial, fût-il seulement moral.

Lorsque les effets préjudiciables, en termes de trouble économique, d'actes de concurrence déloyale sont particulièrement difficiles à quantifier, ce qui est le cas de ceux consistant à s'affranchir d'une réglementation, dont le respect a nécessairement un coût, tous actes qui, en ce qu'ils permettent à l'auteur des pratiques de s'épargner une dépense en principe obligatoire, induisent pour celui-ci un avantage concurrentiel, il y a lieu d'admettre que la réparation du préjudice peut être évaluée en prenant en considération l'avantage indu que s'est octroyé l'auteur des actes de concurrence déloyale au détriment de ses concurrents.


Sur le préjudice moral


Si le préjudice moral d'une personne morale n'est pas limité à la seule atteinte à sa réputation ou à son image, la société Europe et communication n'explique pas en quoi les agissements de la société Arte 95 ont mis en péril son existence, celle de ses salariés et retardé ses investissements qui justifierait l'allocation d'une somme de 50.000 euros au titre de ce préjudice moral.

La société Europe et communication sera déboutée de ce chef.


Sur le préjudice économique


S'appuyant sur le rapport d'un expert-comptable (ses pièces 38 et 48) la société Europe et communication revendique un préjudice de 211.000 euros au titre de profits indument réalisés par la société Arte 95 (profits de 2014 à 2018 : 50.600 euros ; valorisation du fonds de commerce : 74.300 euros, rémunération du couple [Ab] (gérante) et [B] (salarié et associé) : 86.100 euros). Elle sollicite également la marge perdue de 2014 à 2018 : 330.000 euros. Enfin elle réclame une indemnisation de 170.000 euros au titre de la distorsion de concurrence et correspondant aux charges supplémentaires qu'elle a dû supporter.


La société Arte 95 fait valoir que la cour ne peut se fonder sur ce rapport communiqué tardivement et pour lequel elle n'a pu faire valoir ses observations au cours de son élaboration. Toutefois, elle ne demande pas au dispositif de ses écritures que ces pièces soient écartées. En outre, ce rapport communiqué pour sa partie principale, au mois de mars 2023, et complémentaire, au mois d'octobre 2024, exploite des pièces communiquées au cours de la procédure dont certaines par la société Arte 95 ou disponibles publiquement (les comptes sociaux). Enfin, la société Arte 95 a commenté sur le fond ce rapport ainsi que ses dernières écritures le révèlent.


Le préjudice économique invoqué (211.000 euros) tel que présenté par la société Europe et communication ne correspond pas à l'avantage indu - comme elle le soutient - que s'est octroyé la société Arte 95 par rapport à elle-même mais au profit réalisé par la société Arte 95 sur la période 2014 à 2018 (50.600 euros), à la valeur de son fonds de commerce (74.300 euros), à la rémunération du couple [B] [Ab] (86.100 euros). L'évaluation de ces préjudices par l'appelante a pour objectif de s'approprier un profit ou une valorisation patrimoniale considérés, par elle, comme un avantage indu. Elle revêt en ce sens un caractère punitif sans rétablir l'équilibre économique détruit par le dommage. Elle ne peut dès lors être accueillie.


La demande de réparation de la marge perdue par la société Europe et communication, entre 2014 et 2018, repose sur la détermination du chiffre d'affaires (468.000 euros) réalisé par la société Enez Sun grâce à son sous-traitant Arte 95, auquel est appliqué un taux de marge (14,2 %) aboutissant à un montant de 330.000 euros de marge brute sur 5 ans (468.000 x 14,2% x 5).


En premier lieu, la société Europe et Communication n'explique pas en quoi la société Arte 95, seule société poursuivie, devrait à titre de réparation, l'indemniser partiellement de la marge brute réalisée par la société Enez Sun. Le lien direct entre la faute commise par la société Arte 95 et le préjudice allégué n'est pas établi.


En second lieu, le taux de marge retenue de 14,2 % est repris du rapport de l'expert judiciaire désigné par le conseil de prud'hommes de Poissy (pièce 8, Europe et communication ' rapport de l'expert judiciaire du 21 novembre 2014). Cependant, ce rapport n'est pas communiqué dans son intégralité. En outre, l'examen de l'expert judiciaire n'a porté que sur la période du 1er février 2007 au 28 février 2008 de sorte que le taux de 14,2% apparaît obsolète s'agissant d'évaluer un préjudice à compter de l'année 2014.


En troisième et dernier lieu, la société Europe et communication n'établit pas que le chiffre d'affaires de la société Enez Sun prétendument réalisé avec les salariés de la société Arte 95 ne concerne que les clients « communs », seul élément de référence pertinent en l'espèce. L'appelante se plaint, en effet, de son absence de réactivité sur ceux-ci, conséquence, dit-elle, des charges sociales plus élevées qu'elle supporte en comparaison de celles exposées par la société Arte 95 et la société Enez Sun, avec pour effet de ne pas pouvoir mettre autant de personnel à la disposition de ces clients « communs » que ses concurrents. La société Europe ne fournit cependant pas d'information sur la ventilation de son chiffre d'affaires réalisé entre les clients « communs » et les autres. Elle ne justifie pas de son préjudice au titre de la marge perdue.


Ainsi, seule sera examinée la demande de 170.000 euros présentée par l'appelante comme réparant les « coûts induits résultant de la distorsion de concurrence » à laquelle la société Arte 95 oppose, sur le fondement de l'article 564 du code de procédure civile🏛, une fin de non-recevoir au motif que cette demande est nouvelle en cause d'appel.

Selon cet article, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.

Aux termes de l'article 565 du même code, les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent.

L'article 567 du même code🏛 dispose que les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.

En première instance, la société Europe et communication a sollicité la réparation de ses préjudices causés par les agissements de la société Arte 95 et de M. [B] au titre de la concurrence déloyale depuis 2014, en demandant leur interdiction sous astreinte de 10.000 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision, la condamnation des défendeurs à la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts au titre de son préjudice moral, à 211.000 euros, à titre de dommages et intérêts au titre de son préjudice économique, subsidiairement, à I80 000 euros, à titre de provision sur ce préjudice économique dans l'attente d'une expertise.

Sa demande en paiement de la somme de 170.000 euros à titre de dommages et intérêts formée devant la cour au titre des coûts induits résultant de la distorsion de concurrence depuis 2014 tend aux mêmes fins d'indemnisation des préjudices qu'elle prétend avoir subis résultant des agissements de la société Arte 95 et M. [Ae], que celles soumises au premier juge, quand bien même les montants s'ajoutent. Cette demande relève toujours du préjudice économique conséquence de la concurrence déloyale alléguée.

La demande n'est dès lors pas nouvelle.

La somme de 170.000 euros correspond, selon l'appelante, au coût des heures supplémentaires, effectuées pendant 5 ans par ses salariés, monteurs/poseurs (postes équivalents aux deux salariés de la société Arte 95), exposé pour résister, dit-elle, à la concurrence déloyale de la société Arte 95.


Cette somme de 170.000 euros résulte de la prise en compte des éléments suivants :


chiffre d'affaires réalisé par la société Enez Sun grâce à la contribution de la société Arte 95 : 468.000 euros comme il a été explicité supra,

frais de personnel exposés pour réaliser ce chiffre d'affaires (un tiers) : 156.000 euros (468.000 euros /3),

part (en montant brut salarial) des heures supplémentaires sur les heures normales : 20%,

part des contributions fiscales (formation, construction, médecine du travail) : 1,85 %,

période d'indemnisation : 5 ans,


Soit [(468.000 /3) = 156.000 x 21,85 % = 34.000 x 5] =170.000 euros.


Cette approche suppose (i) que la totalité de la prestation de main d'œuvre mise à disposition par la société Arte 95 a été affectée exclusivement à des chantiers de clients « communs » aux deux sociétés concurrentes et (ii) que les heures supplémentaires effectuées par les salariés de la société Europe et communication ne concernent que ces chantiers de clients « communs » ce qui n'est pas démontré.


L'avantage indu que s'est accordé la société Arte 95 correspond à l'économie des charges sociales et fiscales qu'elle a réalisée en ne rémunérant pas les heures supplémentaires de ses deux salariés.


La cour constate que les rémunérations des monteurs/poseurs de chacune des deux sociétés (Arte 95 et Europe et communication) sont globalement équivalentes de sorte que pour apprécier cet avantage indu la cour appliquera à la rémunération des salariés de la société Arte 95, les paramètres retenus par la société Europe et communication, corrigés des réserves exprimées précédemment.


Au regard de l'ensemble des éléments du dossier et des pièces versées, usant de son pouvoir d'appréciation, la cour fixera à la somme de 85.000 euros la réparation du préjudice subi par la société Europe et communication au titre de la concurrence déloyale par distorsion de concurrence, la société Europe et communication ne justifiant pas de préjudices supplémentaires.


La société Arte 95 sera ainsi condamnée à verser à la société Europe et communication la somme de 85.000 euros à titre de dommages et intérêts.


Le jugement entrepris sera infirmé sur ce point.


Sur l'astreinte


La société Europe et communication affirme sans le justifier que les agissements fautifs se poursuivraient « à ce jour ».


Le jugement qui l'a déboutée de ce chef sera confirmé.


2. Sur la procédure abusive


La société Arte 95 et M. [B] sollicitent la condamnation de l'appelante à une indemnité pour procédure abusive.


Au regard de la solution retenue par la cour, l'exercice par la société Europe et communication du droit d'agir en justice ne peut être considéré comme constitutif d'un abus.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société Arte 95 et Ae. [B] de leur demande.


3. Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Le jugement sera infirmé en ses dispositions relatives aux dépens et à l'indemnité de procédure.

La société Arte 95 supportera les dépens de première instance et d'appel en ce compris les frais d'huissier exposés à l'occasion des opérations de constat du 11 juin 2018, en exécution de l'ordonnance rendue le 12 avril 2018 par le président du tribunal de commerce de Pontoise.

La société Arte 95 sera condamnée, tant en première instance qu'en appel, à verser à la société Europe et communication une indemnité de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Europe et communication sera condamnée, pour la première instance et l'appel, à verser à M. [Ae] une indemnité de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. La société Europe et communication sera déboutée de sa demande au même titre à l'encontre de M. [B].

La société Arte 95 sera déboutée de sa demande aux mêmes fins.



PAR CES MOTIFS


La Cour statuant par arrêt contradictoire

Confirme le jugement du 29 novembre 2022 rendu par le tribunal de commerce de Pontoise en ce qu'il a débouté la société Arte 95 et M. [Aa] [B] de leur demande de dommages et intérêts, et en ce qu'il a rejeté la demande de prononcé d'une astreinte formée par la société Europe et communication ;

L'infirme pour le surplus ;


Statuant de nouveau et y ajoutant,

Dit que M. [Aa] [B] n'a pas commis d'acte de concurrence déloyale au préjudice de la société Europe et communication ;

Déboute la société Europe et communication de l'ensemble de ses demandes à l'encontre de M. [Aa] [B] ;

Dit que la société Arte 95 a commis des actes de concurrence déloyale ;

Déboute la société Europe et communication de sa demande indemnitaire au titre du préjudice moral ;

Déboute la société Europe et communication de sa demande au titre du préjudice économique résultant d'avantages indus et de la marge perdue ;

Condamne la société Arte 95 à verser à la société Europe et communication la somme de 85.000 euros à titre de dommages et intérêts au titre des coûts induits résultant d'actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Europe et communication ;

Condamne la société Arte 95 aux dépens de première instance et d'appel, en ce compris les frais d'huissier exposés à l'occasion des opérations de constat du 11 juin 2018 ;

Condamne la société Arte 95, tant pour la première instance que l'appel, à verser à la société Europe et communication une indemnité de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute la société Arte 95 de sa demande aux mêmes fins ;

Condamne la société Europe et communication tant en première instance qu'en appel, à verser à M. [Aa] [B] une indemnité de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute la société Europe et communication de sa demande au même titre à l'encontre de M. [Aa] [B].


Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile🏛.


Signé par Madame Florence DUBOIS-STEVANT, Présidente, et par M. BELLANCOURT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.


Le Greffier La Présidente

Article, 564, CPC Article, 1240, C. civ. Droits sociaux Droit du travail Faute civile Entreprise concurrente Avantage indu Réparation d'une faute Prêt Charges sociales Détournement de clientèle Résultat d'exploitation Concurrence déloyale Réparation d'un préjudice Législation professionnelle Lien de causalité Liberté du commerce Faute commise par une société Assurance de protection Organismes sociaux Assurance de défense Faute Personne physique Lien de subordination Travaux Volonté exprimée Renversement d'une présomption Création d'une société Travail dissimulé Dépendance économique Infraction caractérisée Autorité d'une chose jugée Ministère public Huissier Bulletin de paie Forfait journalier Dirigeant de l'entreprise Véritable employeur But lucratif Travail temporaire Titulaire d'une licence Entreprise utilisatrice Frais professionnels Contrepartie financière Accord collectif Contrat de travail Durée légale Jours fériés Victime d'une fraude Situation de concurrence Masse salariale Temps de travail Prix bas Promoteur Rémunération de base Paiement d'une rémunération Minimum conventionnel Plan de continuation Plan de sauvegarde de l'emploi Travail rémunéré Heures supplémentaires Préjudice Préjudice économique Préjudice moral Personne morale Atteinte à la réputation Expert-comptable Fonds de commerce Évaluation du préjudice Chiffre d'affaires Expert judiciaire Irrecevabilité relevée d'office Interdiction sous astreinte Retard Montant brut Médecine du travail Société concurrente

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