Jurisprudence : CA Paris, 4, 10, 07-12-2023, n° 21/03479, Infirmation


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


COUR D'APPEL DE PARIS


Pôle 4 - Chambre 10


ARRET DU 7 DECEMBRE 2023


(n° , 11 pages)


Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/03479 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDFC7


Décision déférée à la Cour : Jugement du 12 Janvier 2021 -Tribunal Judiciaire de Melun RG n° 19/00352



APPELANTE


S.A. PELRAS, agissant en la personne de son représentant légal audit siège domicilié

[… …]

[Localité 2]


Représentée par Me Mélisande RIVIERE, avocat au barreau de PARIS

Assistée à l'audience de Me Jean-Michel CROELS, avocat au barreau de TOULOUSE, toque : 511


INTIMES


MonsieurAa[F] [L]

[Adresse 3]

[Localité 5]


ET


MadameAa[U] [L]

[Adresse 3]

[Localité 5]


Représentés par Me Frédéric LALLEMENT de la SELARL BDL AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480

Assistés de Me Stephen GUATTERI de la SELARL GHM AVOCATS, avocat au barreau de NICE, toque : 475


Monsieur [W] [G]

[Adresse 7]

[Adresse 7]

[Localité 4]


Défaillant, régulièrement avisé le 28 mai 2021 par procès-verbal de remise à un tiers présent au domicile



COMPOSITION DE LA COUR :


En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile🏛🏛, l'affaire a été appelée le 24 Octobre 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Anne ZYSMAN, Conseillère, chargée du rapport.


Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Florence PAPIN, Présidente

Madame Valérie MORLET, Conseillère

Madame Anne ZYSMAN, Conseillère


Greffier, lors des débats : Mme Catherine SILVAN


ARRET :


- défaut


- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile🏛.


- signé par Florence PAPIN, Présidente et par Catherine SILVAN, Greffier, présent lors de la mise à disposition.


***



EXPOSÉ DU LITIGE


Le 31 mai 2012, M. [F] [Aa] et Mme [Ab] [Ac], épouse [Aa], ont acquis auprès de la société [W] [G] Automobiles un véhicule d'occasion de marque BMW modèle X6 XDrive immatriculé [Immatriculation 6] présentant un kilométrage de 31.350 km au prix de 51.000 euros.


Ce véhicule a initialement été acquis auprès de la société BMW France par la société Pelras, qui l'a vendu, le 10 juillet 2008, à M. [K] [Ad]. La société Pelras a, le 29 mai 2012, repris ce véhicule avant de le revendre à la société [W] [G] Automobiles pour un montant de 46.500 euros.


Le 23 avril 2015, M. et Mme [Aa] ont procédé à la réparation d'une fuite d'huile auprès de la société Lunas Auto, qui a par ailleurs constaté la présence de morceaux de bakélite dans le carter du véhicule. Le véhicule a alors été remorqué dans les locaux de la société Excellence Motors.


L'assurance protection juridique des époux [Aa] a mandaté le cabinet BCA Expertise qui a rendu, le 5 novembre 2015, son rapport d'expertise amiable.


Par ordonnance de référé du 5 juillet 2016, le président du tribunal de grande instance de Versailles a ordonné une mesure d'expertise judiciaire à l'égard des sociétés [W] [G] Automobiles et Ae mais a rejeté la demande dirigée contre la société BMW France, l'action étant prescrite.


L'expert, M. [C] [Y], a établi son rapport le 19 juin 2017.


M. et Mme [Aa] ont, par acte d'huissier en date du 17 janvier 2019, fait assigner M. [W] [G] et la société Pelras devant le tribunal de grande instance de Melun.


M. [W] [G] n'a pas constitué avocat devant le tribunal.


Par jugement réputé contradictoire en date du 12 janvier 2021, le tribunal devenu tribunal judiciaire de Melun a :


- prononcé la résolution de la vente du 29 mai 2012 conclue entre la société Pelras et M. [W] [G],

- ordonné la restitution, par les époux [Aa], du véhicule de marque BMW modèle X6 XDRIVE immatriculé [Immatriculation 6] à la société Pelras,

- condamné la société Pelras à verser aux époux [Aa] la somme de 35.700 euros au titre de la restitution d'une partie du prix de vente du véhicule, outre les intérêts de retard au taux légal à compter du 15 janvier 2016 ;

- dit que les époux [Aa] sont co-responsables pour moitié avec la société Pelras des préjudices qu'ils subissent en raison des fautes qu'ils ont commis dans l'entretien du véhicule,

- condamné en conséquence la société Pelras à leur verser les sommes suivantes :

o 102,40 euros au titre du démontage opéré par la société Lunas Auto,

o 154,50 euros au titre du transport opéré par la société SMBA,

o 895 euros au titre du démontage opéré par la société Excellence Motors,

o 3.372,72 euros au titre des frais de gardiennage,

o 114 euros au titre du remorquage opéré par la société Excellence Motors,

outre les intérêts au taux légal à compter de la signification de la décision pour l'ensemble de ces sommes,

- condamné la société Pelras à leur verser la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile🏛,

- constaté l'irrecevabilité de la demande d'appel en garantie formulée par la société Pelras à l'encontre de M. [W] [G],

- débouté les parties de leurs prétentions plus amples ou contraires,

- condamné la société Pelras aux dépens, en ce compris les frais d'expertise judiciaire,

- ordonné l'exécution provisoire de la décision.



Par déclaration en date du 19 février 2021, la société Pelras a interjeté appel de cette décision.


Par ordonnance d'incident rendue le 9 février 2022, le conseiller chargé de la mise en état, saisi par M. et Mme [Aa] d'une demande de radiation sur le fondement de l'article 524 du code de procédure civile🏛, a rejeté leur demande.


Par dernières conclusions, notifiées par voie électronique (RPVA) le 26 novembre 2021, la société Pelras, appelante, demande à la cour de :


Vu les articles 1641 et suivants du code civil🏛

Vu les articles 3 à 16, 114, 542 et suivant et 700 du code de procédure civile🏛🏛🏛🏛


In limine litis :

- Annuler le jugement dont appel pour la double violation de l'interdiction de statuer ultra petita et de la violation du principe du contradictoire,

- Renvoyer les parties devant le tribunal judiciaire aux fins qu'il soit statué de nouveau,


A défaut et au fond,

- Réformer la décision dont appel pour avoir notamment statué ultra petita,


Statuant à nouveau,


A titre principal :


- Débouter les consorts [Aa] de toutes leurs demandes y compris sur appel incident,

- Considérant que le véhicule X6 xDrive n'est pas atteint d'un vice caché et que les époux [Aa] ont participé à la survenance de leur propre préjudice,

- Débouter les époux [Aa] de tous leurs moyens fins et prétentions,


A titre subsidiaire :


- S'il était fait droit aux demandes indemnitaires des époux [Aa], condamner les époux [Aa] au titre du préjudice qu'ils ont causé par leur défaut d'entretien à supporter 90 % du préjudice qu'ils allèguent,

- Condamner M. [W] [G] à relever et garantir la société Pelras SA de toutes condamnations éventuellement mises à sa charge,


En tout état de cause :


- Condamner tout succombant à payer à la société Pelras SA la somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les entiers dépens de l'instance.


Par dernières conclusions, notifiées par voie électronique (RPVA) le 27 août 2021, M. et Mme [Aa], intimés et appelants incident, demandent à la cour de :


Vu l'article 1641 du code civil,

Vu l'article 1602 du code civil🏛,

Vu l'article 1611 du code civil🏛


- Confirmer le jugement querellé en ce qu'il a :

o prononcé la résolution de la vente du 29 mai 2012 conclue entre la société Pelras et M. [W] [G],

o ordonné la restitution, par M. [F] [Aa] et Mme [U] [Aa], du véhicule de marque BMW modèle X6 XDrive immatriculé [Immatriculation 6] à la société Pelras,


- Infirmer pour le surplus,


Partant et statuant à nouveau :


- Dire et juger que la société Pelras est responsable en qualité de vendeur professionnel de la garantie des vices cachés,

- Condamner en conséquence la société Pelras à verser à M. et Mme [Aa] la somme de 67.883,97 euros TTC en principal à parfaire augmentée des intérêts légaux à compter de la date d'acquisition du véhicule, soit le 31 mai 2012,

- Condamner la société Pelras à verser à M. et Mme [Aa] la somme de 15.000 euros en principal à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice, augmentée des intérêts légaux à compter de la décision à intervenir,

- Ordonner la mise au rebut, aux frais de la société Pelras, du véhicule BMW modèle X6 XDrive immatriculé [Immatriculation 6],

- Condamner la société Pelras à verser à M. et Mme [Aa] la somme de 6.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens en ce compris les frais d'expertise judiciaire.


La société Pelras a fait signifier la déclaration d'appel et ses conclusions à M. [W] [G] par acte du 28 mai 2021, remis à un tiers présent au domicile. Néanmoins, M. [W] [G] n'a pas constitué avocat. Le présent arrêt sera rendu par défaut conformément aux dispositions de l'article 474 du code de procédure civile🏛.


Les dernières conclusions de la société Pelras ont été signifiées à M. [W] [G] par acte du 14 février 2022 remis à personne.


L'ordonnance de clôture a été rendue le 6 septembre 2023.



MOTIFS DE LA DÉCISION


Sur la demande d'annulation du jugement


La société Pelras poursuit l'annulation du jugement querellé, au visa des articles 4, 5 et 16 du code de procédure civile🏛🏛, en ce qu'il a violé le principe du contradictoire et en ce que le juge a statué ultra petita en prononçant la résolution de la vente alors qu'aucune demande de résolution n'était formée, les conclusions des époux [Aa] ne faisant état que d'une demande indemnitaire, et non pas d'une action estimatoire ou rédhibitoire.


Elle ajoute que, sans demander avant dire droit si les parties avaient signifié à M. [W] [G] leurs prétentions par signification, le tribunal a statué sur la mise hors de cause de ce dernier du fait de son absence de représentation.


Elle demande en conséquence que les parties soient renvoyées devant la juridiction de première instance.


M. et Mme [Aa] répondent que les causes de nullité d'une décision de justice sont limitativement énumérées par l'article 458 du code de procédure civile🏛 et que les arguments soulevés par l'appelant ne sont pas de nature à entraîner la nullité du jugement.


Sur ce


L'article 458 du code de procédure civile dispose que ce qui est prescrit par les articles 447, 451, 454, en ce qui concerne le nom des juges, 455 (alinéa 1er) et 456 (alinéas 1 et 2) doit être observé à peine de nullité.


En application des articles 4, 5 et 16 du code civil🏛🏛🏛, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties. Le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé. Il ne peut fonder sa décision sur des faits qui ne sont pas dans le débat. Il est tenu de faire observer et d'observer lui-même le principe du contradictoire, et doit provoquer la discussion des parties lorsqu'il requalifie les faits ou applique d'office une règle de droit.


L'atteinte au principe du contradictoire est une cause de nullité du jugement.


Selon l'article 562 du code de procédure civile🏛, l'appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent ; la dévolution ne s'opère pour le tout que lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible.


La cour d'appel qui annule un jugement, pour un motif autre que l'irrégularité de l'acte introductif d'instance, est, en vertu de l'effet dévolutif de l'appel, tenue de statuer sur le fond de l'affaire.


En l'espèce, il ressort de la lecture du jugement que, dans le dispositif de leurs dernières conclusions, M. et Mme [Aa] ne sollicitaient pas la résolution de la vente, seule une demande en paiement étant formulée à l'encontre de la société Pelras, outre la mise au rebut du véhicule. Le tribunal a toutefois prononcé la résolution de la vente du 29 mai 2012 conclue entre la société Pelras et M. [W] [G], ordonné la restitution par M. et MAae [L] du véhicule de marque BMW modèle X6 XDRIVE immatriculé [Immatriculation 6] à la société Pelras et condamné la société Pelras à verser à M. et Mme [Aa] la somme de 35.700 euros au titre de la restitution d'une partie du prix de vente du véhicule, outre des dommages et intérêts en réparation des préjudices subis.


Pour statuer ainsi, le tribunal, après avoir retenu, au visa des articles 1641 et 1643 du code civil🏛, que les époux [Aa] apportaient la preuve de l'existence de vices cachés qui étaient à l'origine de la dégradation du moteur et avaient rendu le véhicule impropre à l'usage auquel il était destiné, ou en avaient tellement diminué cet usage qu'ils ne l'auraient pas acquis s'ils avaient été connus, a motivé comme suit le prononcé de la résolution de la vente du 29 mai 2012 conclue entre la société Pelras et M. [W] [G] :


« Sur l'action rédhibitoire


Contrairement à ce que soutiennent les époux [Aa] dans leurs conclusions, les actions rédhibitoires et estimatoires en raison des vices cachés sont prévues par l'article 1644 du Code civil🏛, et non par l'article 1610 du même code🏛 qui traite du défaut de délivrance dans le temps convenu entre les parties et qui n'a donc pas de rapport avec le présent litige.


L'article 1644 du Code civil précise qu'en cas de vices cachés, l'acheteur a le choix de rendre la chose et de se faire restituer le prix ou de garder la chose et de se faire rendre une partie du prix.


Conformément aux termes de leurs dernières conclusions, les époux [Aa] entendent agir au titre de l'action rédhibitoire, ceux-ci estimant qu'ils « sont bien fondés à restituer la chose et à demander la restitution du prix ».


Au cas de ventes successives et lorsque le sous-acquéreur exerce une action directe contre le vendeur originaire, il peut prétendre au remboursement du prix perçu par le vendeur originaire au titre de la vente réalisée avec le vendeur intermédiaire, mais ne peut prétendre à davantage, l'action exercée n'étant pas sa propre action mais celle du vendeur intermédiaire contre le vendeur originaire.


Par conséquent, les époux [Aa] sont bien fondés à demander la résolution de la vente et la restitution du prix.


Toutefois, le Tribunal observe que les époux [Aa] sollicitent, au titre de l'action rédhibitoire, le remboursement d'une somme de 35.700 euros correspondant à la valeur marchande du véhicule au jour de la panne, alors qu'ils auraient légitimement pu solliciter la restitution intégrale du prix de la vente conclue entre le vendeur initial, la société Pelras, et le vendeur intermédiaire, M. [G], soit la somme de 46.500 euros.


ll convient par conséquent de limiter la condamnation de la société Pelras à restituer aux époux [Aa] la somme de 35.700 euros telle que sollicitée et conformément à leur demande, outre les intérêts de retard au taux légal à compter du 15 janvier 2016, date de la mise en demeure adressée par les époux [Aa] à la société Pelras de procéder à la résolution de la vente, à charge pour eux de lui restituer le véhicule. »


Or, dans leurs « conclusions en réplique » notifiées devant le tribunal, produites par la société Pelras en pièce 13, que les époux [Aa] ne contestent pas être leurs dernières conclusions, ces derniers invoquaient la responsabilité solidaire des vendeurs professionnels au titre de la garantie des vices cachés sur le fondement de l'article 1641 du code civil et, au titre de la réparation du préjudice, indiquaient :


« 1. Sur l'action rédhibitoire

En application de l'article 1610 du code civil et de la jurisprudence constante, il est établi que dans le cadre de la garantie des vices cachés l'acheteur lésé a le choix entre l'action rédhibitoire, savoir rendre la chose et se faire restituer le prix ou l'action estimatoire, savoir conserver la chose et demander une réduction du prix.


Partant, les Consorts [Aa] sont bien fondés à conserver la chose et à en demander une réduction du prix. »


Ainsi, en prononçant la résolution de la vente sans être saisi d'une telle demande, le premier juge a statué ultra petita, en violation du principe du contradictoire, ce qui justifie d'annuler le jugement rendu le 12 janvier 2021 par le tribunal judiciaire de Melun sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres moyens de nullité invoqués par la société Pelras.


Il revient dès lors à la cour, en application de l'article 562, alinéa 2, du code de procédure civile, de statuer de nouveau sur le tout.


Sur la responsabilité de la société Pelras au titre de la garantie des vices cachés


Au visa de l'article 1641 du code civil, M. et Mme [Aa] rappellent que la garantie des vices cachés s'applique en présence d'un vice inhérent à la chose la rendant impropre à son usage destiné, caché et antérieur à la vente et que le vendeur professionnel ne peut se prévaloir de sa méconnaissance, même légitime, du défaut et doit le garantir.


Ils ajoutent que le garagiste est tenu d'une obligation de résultat dans l'exécution du contrat qui le lie à son client et que la seule constatation du défaut de résultat suffit à engager sa responsabilité.


Ils soutiennent qu'en l'espèce, les rapports d'expertise amiable et judiciaire concluent tous les deux à la responsabilité de la société Pelras pour défaut d'entretien du véhicule avant la vente à leur profit puisqu'il est établi que le processus de dégradation et de destruction du moteur était enclenché du fait d'un défaut d'entretien de M. [Ad], et ce quelle que soit l'huile utilisée ultérieurement.


Ils relèvent que la société Pelras, après avoir vendu neuf le véhicule à M. [Ad] et effectué l'entretien régulier de ce véhicule, l'a repris à ce dernier et l'a revendu à la société [W] [G] Automobiles ; qu'elle a ainsi assuré l'entretien régulier du véhicule entre juillet 2008 et mai 2012 et reconnaît avoir réalisé une révision préalablement à la revente à la société [W] [G] Automobiles ; que le rapport d'expertise a établi l'existence d'une défaillance du véhicule avant la vente finale réalisée à leur bénéfice, de sorte que la société Pelras a failli dans sa mission d'entretien. Ils ajoutent qu'en sa qualité de professionnel en charge de l'entretien régulier du véhicule, la société Pelras était parfaitement informée du non-respect par son client, M. [Ad], du calendrier de révision préconisé par le constructeur et s'est volontairement abstenue de communiquer cette information.


Ils invoquent la mauvaise foi de la société Pelras qui tente de diluer sa responsabilité sur les autres opérateurs du dossier et estiment que cette dernière a volontairement dissimulé à la société [W] [G] Automobiles le non-respect par le précédent propriétaire du véhicule des prescriptions du constructeur en matière d'entretien alors qu'il s'agissait d'une information essentielle qui, si elle avait été connue de la société [W] [G] Automobiles, aurait certainement alerté ce dernier sur l'état réel du véhicule.


Ils contestent toute responsabilité, faisant valoir que depuis l'acquisition du véhicule, ils ont toujours fait entretenir celui-ci auprès du réseau concessionnaire BMW Berni ou de BMW Excellence Motors ; qu'il est donc manifeste que les vendeurs professionnels ne les ont pas renseignés utilement sur l'huile qu'il convenait d'utiliser ; qu'en tout état de cause, l'utilisation à deux reprises d'une huile a seulement permis de révéler un dommage déjà existant.


La société Pelras critique la valeur probante du rapport d'expertise du fait des conditions dans lesquelles elle a été réalisée, à savoir sur le moteur du véhicule litigieux démonté non contradictoirement.


Elle conteste les conclusions de l'expert et soutient que la preuve de l'existence d'un vice caché lors de la vente à la société [W] [G] Automobiles n'est pas rapportée. Elle affirme qu'elle ne devait aucune information aux époux [Aa] qui ne sont pas ses cocontractants ; qu'en revanche, la société [W] [G] Automobiles, en tant que vendeur professionnel, est tenue d'une obligation d'information qu'elle a manifestement violée en n'indiquant pas à un particulier les conséquences potentielles d'un défaut de respect du plan d'entretien qu'elle a reçu avec la voiture, ce défaut d'entretien étant visible lors de l'achat intervenu.


A titre subsidiaire, si sa responsabilité devait être retenue, elle estime que les demandes des époux [Aa] ne pourraient être accueillies en raison de la faute qu'ils ont commises.


Sur ce


Sur le fondement des dispositions de l'article 1641 du code civil, le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix s'il les avait connus.


L'article 1642 du même code🏛 dispose que le vendeur n'est pas tenu des vices apparents et dont l'acheteur a pu se convaincre lui-même.


En application des dispositions de l'article 1643 du code civil, le vendeur est tenu des vices cachés, quand même il ne les aurait pas connus, à moins que, dans ce cas, il n'ait stipulé qu'il ne serait obligé à aucune garantie.


L'article 1645 du code civil🏛 précise que si le vendeur connaissait les vices de la chose, il est tenu, outre la restitution du prix qu'il en a reçu, de tous les dommages et intérêts envers l'acheteur. Le vendeur professionnel est réputé connaître les vices de la chose.


L'action en réparation du préjudice subi du fait d'un vice caché n'est pas subordonnée à l'exercice d'une action rédhibitoire ou estimatoire de sorte que cette action peut être engagée de manière autonome.


Dès lors que l'action en garantie des vices cachés se transmet avec la chose vendue en cas de ventes successives d'un véhicule d'occasion, M. et Mme [Aa], en leur qualité de derniers acquéreurs, sont recevables à agir du chef de cette garantie non seulement contre leur vendeur mais encore contre le premier vendeur, cette action en garantie ne pouvant être exercée que contre les personnes qui ont vendu la chose alors que le vice existait déjà.


En l'occurrence, il sera relevé que si M. et Mme [Aa] ont assigné M. [W] [G] et la société Pelras devant le tribunal, ils ne forment de demandes qu'à l'encontre de la société Pelras.


L'expert judiciaire a constaté les désordres suivants : destruction des caches vanos, présence de dépôt de calamine, couleur anormale des carters du moteur. Il rappelle que la périodicité des entretiens est de deux ans ou 30 000 kilomètres au premier des deux termes atteints avec une huile SAE et indique que la chronologie des dates des interventions met en évidence deux irrégularités graves qui permettent d'expliquer la panne actuelle : un dépassement temporel des entretiens de douze mois qui incombe à M. [Ad], premier propriétaire, et deux achats de compléments d'huile lorsque M. [Aa] en était le propriétaire, qui ne sont pas adaptés au véhicule.


Il indique que les dépôts de calamine retrouvés sur les carters et dans les têtes des vis de l'arbre à cames mettent en évidence un encrassement généralisé du moteur véhiculé par le circuit d'huile. Il conclut que la dégradation du moteur est consécutive à un défaut d'entretien et à des huiles qui ne respectent pas les préconisations du constructeur. Il explique que l'espacement de la première vidange a enclenché un processus de dégradation des pièces lubrifiées qui contribue à réduire la longévité du moteur, que les résidus de calamine retrouvés dans les têtes des vis de l'arbre à cames, sur les carters, attestent d'une pollution complète du moteur.


Il indique en outre que le processus de dégradation du moteur est directement imputable à l'espacement de la première vidange et qu'il est indéniable que les conséquences d'un entretien aléatoire provoquent une usure prématurée du moteur qui est seulement perceptible dans le temps, au fil de l'utilisation de la voiture. En revanche, il considère que la pollution du circuit de lubrification est consécutive au mélange d'huiles qui ne sont pas adaptées au moteur, la combinaison de ces « défauts d'entretien » diminuant considérablement la fiabilité du moteur. Selon lui, « M. [Ad] est à l'initiative de la dégradation du moteur et M. [Aa] a aggravé cette dégradation ».


Il relève par ailleurs qu'un entretien aléatoire revêt un caractère insidieux qu'un acheteur non professionnel ne décèle pas, que les attestations de maintenance récapitulent les entretiens mais ne permettent pas à un non-professionnel d'imaginer les conséquences d'un entretien défectueux et qu'ainsi, M. [Aa] ne pouvait imaginer le défaut de fiabilité du moteur.


Sur les responsabilités, l'expert indique que le processus de dégradation du moteur s'est enclenché du fait d'un manque de rigueur de M. [Ad], premier propriétaire, et que l'aggravation de cette dégradation s'est produite du fait d'un mélange d'huiles non-conformes aux préconisations du constructeur, ajoutant qu'il est certain que sans ce mélange d'huiles, la panne serait survenue ultérieurement mais que la destruction du moteur était enclenchée.


Il est donc suffisamment établi l'existence d'un vice caché, antérieur à la vente réalisée entre la société Pelras et M. [G], vendeur intermédiaire, ce vice étant constitué par l'usure prématurée du moteur du fait du défaut d'entretien du véhicule conformément aux recommandations du constructeur et rendant le véhicule impropre à l'usage auquel il est destiné, ou ayant tellement diminué cet usage que M. et Mme [Aa] ne l'auraient pas acquis s'ils l'avaient connu.


La responsabilité de la société Pelras au titre de la garantie des vices cachés doit en conséquence être retenue dès lors que la société Pelras est un professionnel et doit comme tel être réputée avoir eu connaissance des vices de la chose lors de la vente. ll lui appartient en outre, toujours en cette qualité, de s'assurer de l'état d'entretien du véhicule préalablement à sa vente.


Sur la réparation des préjudices


M. et Mme [Aa] indiquent qu'en vertu de l'article 1610 du code civil, ils sont fondés à restituer la chose et à en demander la restitution du prix. Cependant, dans le dispositif de leurs conclusions, ils ne sollicitent pas la résolution de la vente, de sorte que conformément à l'article 768, alinéa 2, du code de procédure civile🏛, il ne sera pas statué sur cette demande qui n'est pas reprise au dispositif des conclusions.


Il sera donc uniquement statué sur les demandes indemnitaires de M. etAaMme [L].


A cet égard, il résulte des conclusions de l'expert que, par sa faute, M. [Aa] a directement participé à la survenance de son dommage en accélérant le processus de dégradation du moteur, occasionnant pour partie la survenance de la panne ainsi que ses conséquences, qui seraient intervenues ultérieurement si une huile adaptée avait été utilisée.


Par conséquent, M. et Mme [Aa] doivent être considérés comme co-responsables des dommages qu'ils subissent. Au regard des conclusions de l'expert, selon lesquelles le processus de dégradation du moteur s'est enclenché du fait d'un manque de rigueur deAdM. [O], premier propriétaire, et s'est aggravé du fait d'un mélange d'huiles non-conformes aux préconisations du constructeur par M. et Mme [Aa], leur responsabilité sera retenue à hauteur de moitié.


L'expert a évalué les préjudices comme suit :

- frais de démontage : 1.790,17 euros

- facture de démontage du garage Lunas : 204,80 euros

- facture de transport du véhicule : 309 euros

- valeur marchande du véhicule au jour de la panne : 35.700 euros


Ce chiffrage n'étant pas utilement critiqué, il sera retenu.


Compte tenu du partage de responsabilité ci-dessus énoncé, la société Pelras sera condamnée à payer à M. et Mme [Aa] la somme de 19.001,98 euros (38.003,97/2), majorée des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.


M. et Mme [Aa] sollicitent en outre la somme de 14.532 euros au titre des frais de gardiennage arrêtés au 29 juin 2020, à parfaire au jour de la mise au rebut du véhicule ainsi que la somme de 228 euros au titre des frais de remorquage du véhicule effectué par la société BMW Excellence Motors.


Ils versent aux débats une facture de la société BMW Excellence Motors en date du 29 juin 2020 faisant apparaître la somme de 14.352 euros TTC correspondant à des frais de gardiennage pour 1000 jours du 20 septembre 2017 au 19 juin 2020 avec la mention « véhicule toujours pas repris par le client ».


Ces frais, facturés et réglés, constituent un préjudice indemnisable. Compte tenu du partage de responsabilité, la société Pelras sera condamnée à payer à M. et Mme [Aa] la somme de 7.176 euros au titre des frais de gardiennage.


Leur demande au titre des frais de remorquage du véhicule n'étant justifiée par aucune facture, elle sera rejetée.


M. et Mme [Aa] réclament enfin, sur le fondement de l'article 1611 du code civil selon lequel « Dans tous les cas, le vendeur doit être condamné aux dommages et intérêts, s'il résulte un préjudice pour l'acquéreur, du défaut de délivrance au terme convenu », l'allocation d'une somme de 15.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait du défaut de délivrance d'un véhicule conforme, en précisant que depuis la panne en date du 23 avril 2015, ils n'ont pu jouir de leur véhicule pendant de nombreux mois avant de se résigner à acquérir un nouveau véhicule.


L'action des époux [Aa] n'étant pas fondée sur un manquement de la société Pelras à son obligation de délivrance au terme convenu, l'article 1611 du code civil n'est pas applicable en l'espèce. En application de l'article 12 du code de procédure civile🏛 qui prescrit au juge de donner aux faits la qualification juridique qu'ils requièrent, il convient d'examiner leur demande sur le fondement de l'article 1645 du code civil précité.


Il est constant que le vice caché affectant leur véhicule a conduit à son immobilisation à compter du 23 avril 2015 et que, de ce fait, M. et Mme [Aa] ont subi un préjudice de jouissance. Ils justifient avoir acquis un nouveau véhicule le 22 juin 2015 auprès de la société [W] [G] Automobiles.


Compte tenu du partage de responsabilité, ce préjudice de jouissance sera équitablement réparé sur la base de 15 euros par jour pendant 60 jours soit la somme de 450 euros (15 x 60 / 2), majorée des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.


Il sera par ailleurs fait droit à leur demande de mise au rebut du véhicule, hors d'usage, aux frais de la société Pelras.


Sur l'appel en garantie formé par la société Pelras à l'encontre de M. [W] [G]


La responsabilité de M. [W] [G], vendeur intermédiaire professionnel, doit également être retenue au titre de la garantie des vices cachés.


Il ressort du rapport d'expertise que la société Pelras a acquis le véhicule litigieux auprès de la société BMW France le 10 juillet 2008 et l'a revendu à M. [Ad] qui l'a mis en circulation le 16 juillet 2008 et l'a fait entretenir par la société Pelras le 2 septembre 2011 à 16.929 km. La société Pelras a repris ce véhicule, réalisé une simple vidange le 2 avril 2012 à 30.611 km pour le vendre au garage [W] [G] Automobiles le 29 mai 2012, qui l'a revendu aux époux [Aa] le 31 mai 2012.


Dans ces conditions, M. [W] [G], qui n'a été propriétaire du véhicule que très peu de temps et n'a pas assuré l'entretien régulier du véhicule, voit ainsi sa responsabilité très limitée et doit être condamné à garantir la société Pelras, dont la responsabilité est prépondérante, à hauteur de 10 % des condamnations prononcées à son encontre au profit de M. et Mme [Aa], y compris au titre des dépens et de l'article 700 du code de procédure civile.


Sur les dépens et les frais irrépétibles


En application de l'article 696 du code de procédure civile🏛, la société Pelras, qui succombe principalement, sera condamnée aux entiers dépens de la procédure de référé, incluant les frais d'expertise judiciaire, de première instance et d'appel. Elle sera en outre condamnée à verser M. et Mme [Aa] la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. Elle sera déboutée des demandes qu'elle forme à ce titre.



PAR CES MOTIFS


La cour,


Annule le jugement rendu le 12 janvier 2021 par le tribunal judiciaire de Melun,


Statuant à nouveau,


Condamne la société Pelras à payer à M. [F] [Aa] et Mme [Ab] [Ac] épouse [Aa] la somme de 26.177,98 euros à titre de dommages et intérêts, majorée des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,


Condamne la société Pelras à payer à M. [F] [Aa] et Mme [Ab] [Ac] épouse [Aa] la somme de 450 euros en réparation de leur préjudice de jouissance, majorée des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,


Ordonne la mise au rebut du véhicule de marque BMW modèle X6 XDrive immatriculé [Immatriculation 6], aux frais de la société Pelras,


Condamne M. [W] [G] à garantir la société Pelras à concurrence de 10 % du montant des condamnations prononcées à son encontre au profit de M. et Mme [Aa], y compris au titre des dépens et des frais irrépétibles,


Condamne la société Pelras à payer M. [F] [Aa] et Mme [Ab] [Ac] épouse [Aa] la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,


Déboute la société Pelras de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,


Condamne la société Pelras aux entiers dépens de la procédure de référé, incluant les frais d'expertise judiciaire, de première instance et d'appel,


Déboute les parties de leurs demandes plus amples et contraires.


LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,

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