Réf. : Cass. soc., 7 juin 2023, n° 21-24.514, FS-B N° Lexbase : A69079YH
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par Quentin Tirole, Avocat, BDO Avocats
le 19 Juillet 2023
Mots clés : compétence de la juridiction prud’homale • pacte d’actionnaires
La Chambre sociale de la Cour de cassation, dans un arrêt rendu le 7 juin 2023, confirme sa position et précise que la juridiction prud’homale est compétente pour connaître d’une demande en réparation du préjudice subi par un salarié au titre de la mise en œuvre d’un pacte d’actionnaires prévoyant la cession immédiate de ses actions en cas de licenciement.
Afin de se montrer compétitives sur le marché du travail, les entreprises disposent d’une palette d’avantages sociaux pour attirer les salariés occupant des postes à responsabilité dont elles souhaitent s’attacher les services.
Dans le cadre de cette politique incitative à travers l’actionnariat salarié, les bénéficiaires peuvent notamment se voir attribuer des actions gratuites ou à prix préférentiel.
Ainsi, peuvent-ils bénéficier de bons de souscription d’actions, valeurs mobilières donnant le droit à son bénéficiaire d'acheter une ou plusieurs actions d'une société à un prix fixé à l’avance, jusqu’à une date d’échéance.
Ces instruments présentent des caractéristiques avantageuses et représentent un levier financier important et motivant pour les salariés auxquels ils sont accordés.
Cependant, compte tenu des enjeux financiers pour les entreprises, nombreuses sont celles qui se protègent de l’application effective de cette rémunération complémentaire en cas de rupture du contrat de travail.
En effet, une grande majorité des pactes d’actionnaires ou d’associés prévoient qu’en cas de rupture du contrat de travail, quel qu’en soit le motif, les titres dont l’allocation n’est pas acquise à la date de rupture sont perdus.
Certaines conventions de ce type prévoient également qu’en cas de licenciement d’un salarié, ce dernier doit procéder à la cession immédiate de ses actions ou des bons de souscription d’actions accordés par la société dans le cadre de la relation de travail.
De telles clauses, subordonnant leur bénéfice à la présence du salarié lors de la date d’exercice de ces actions ou options d’actions, sont considérées comme licites par la Cour de cassation.
S’il s’estime lésé, le salarié doit alors se tourner vers le juge pour tenter d’obtenir une indemnisation du préjudice subi du fait de l’application de la clause, à défaut de parvenir à négocier une issue amiable lors de la rupture du contrat de travail.
Toutefois, la difficulté qui se pose en amont repose sur le fait que l’actionnariat salarié confère également au bénéficiaire la qualité d’actionnaire de la société dont il détient ses titres.
Cette qualité a-t-elle pour effet de soustraire les litiges portant sur l’indemnisation de la privation de telles actions à la compétence du conseil de prud’hommes ?
Si la Cour de cassation a déjà, plusieurs fois, eu l’occasion de se prononcer sur le partage de compétence entre le conseil de prud’hommes et le tribunal de commerce dans ce type de litige (I.), ce nouvel arrêt en date du 7 juin 2023 vient confirmer cette position tout en élargissant son application aux clauses prévoyant le rachat forcé de bons de souscriptions d’actions en cas de licenciement (II.). Par cette décision, la Haute Cour estime qu’un tel différend est né à l’occasion du contrat de travail, conformément aux dispositions issues du Code du travail (III.).
I. Le partage de compétence opéré par la jurisprudence
Selon les dispositions issues du Code du travail, le conseil de prud’hommes règle les différends qui peuvent s’élever à l’occasion de tout contrat de travail [1], disposant que ce dernier règle et juge « les différends qui peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du présent code entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu'ils emploient ».
Si cette compétence est particulièrement étendue, elle trouve sa limite dans les dispositions issues de l'article L. 1411-4 du Code du travail N° Lexbase : L1883H9M, qui établit que les conseils de prud’hommes « ne peuvent connaître les litiges dont la connaissance est attribuée à une autre juridiction par la loi ».
Par conséquent, les attributions de la juridiction prud’homale se heurtent, en matière commerciale, aux dispositions du Code de commerce, qui prévoit, quant à lui, que les tribunaux de commerce connaissent des « contestations […] relatives aux sociétés commerciales » [2].
Cela concerne notamment les litiges susceptibles de survenir entre les associés et la société, ce type de relation étant régie par un pacte d’actionnaires ou d’associés.
L’objet principal de ce type de pacte est de régir les règles spécifiques de fonctionnement de l’entreprise et les mouvements de titres : il a vocation à apporter des précisions sur les modalités de gestion et de contrôle de la société, mais il permet également de déterminer les rapports entre associés ou actionnaires.
Compte tenu de ces éléments, la Chambre sociale de la Cour de cassation considère de manière constante que les relations entre le salarié devenu actionnaire et la société relèvent du tribunal de commerce [3].
Il en va en revanche différemment des litiges qu’elle estime être en lien avec le contrat de travail.
Dans un arrêt en date du 27 février 2013 [4], la Chambre sociale de la Cour de cassation a en effet considéré que « si les différends pouvant s’élever dans les relations entre la société et le salarié devenu actionnaire, indépendamment des conditions d’acquisition de ses actions, sont de la compétence de la juridiction commerciale, l’octroi par l’employeur à un salarié d’une option donnant droit à une souscription d’actions et à l’attribution gratuite d’actions constitue un accessoire du contrat de travail dont la connaissance relève du conseil de prud’hommes ».
Il en résulte que si les relations entre le salarié actionnaire et la société relèvent nécessairement du tribunal de commerce, les litiges liés à l’octroi par l’employeur à un salarié d’une option donnant droit à une souscription d’actions et à l’attribution gratuite d’actions dans le cadre de sa relation de travail sont bien de la compétence du conseil de prud’hommes.
Afin d’opérer une telle distinction, la Chambre sociale de la Cour de cassation se fonde sur la théorie de l’accessoire du contrat de travail.
Cette notion d'accessoire au contrat de travail, consacrée par la jurisprudence, permet au juge d'étendre le champ d’application textuel de la compétence du conseil de prud'hommes.
La Cour de cassation considère en l’espèce que cette option offerte au salarié constitue un élément de rémunération complémentaire au bénéfice du salarié, et qu’à ce titre elle constitue un accessoire au contrat de travail le liant avec son employeur.
Mais alors qu’en est-il lorsque le litige porte sur une clause prévoyant le rachat forcé de bons de souscription d’actions en cas de rupture du contrat de travail ?
C’est à cette question connexe que va répondre la Cour de cassation dans son arrêt rendu le 7 juin dernier.
II. La dernière illustration de la position de la Cour de cassation : le litige portant sur la validité d’une clause de rachat forcé de bons de souscriptions d’actions
Dans cette affaire, une salariée avait souscrit à l’émission de bons de souscription d’actions de la société qui l’employait.
Elle avait ensuite saisi la juridiction prud’homale d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail, avant de prendre acte de la rupture de son contrat.
La société lui avait alors notifié le rachat forcé de ses bons de souscription.
Or, cette clause de rachat forcé, imposé en application d’un pacte d’actionnaires, était fixée sur un prix largement inférieur au prix de souscription supporté par la salariée.
Lésée par cette situation, la salariée a saisi le conseil de prud’hommes afin que celui-ci se prononce sur la validité de la clause litigieuse.
Il était demandé à la juridiction prud’homale de déclarer la cession de bons de souscription d’actions abusive et irrégulière, et par conséquent de condamner l’employeur à lui payer une somme à titre d’indemnisation du préjudice subi.
Cependant, le conseil de prud’hommes s’était déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce sur la question de la validité de la clause incluse dans le pacte d’actionnaires.
La cour d’appel avait adopté une position identique à celle du juge de première instance, considérant que la clause de rachat forcé d’actions n’est pas un accessoire du contrat de travail, mais est insérée dans un pacte d’actionnaires distinct portant sur des actions de la société, dont l’examen de la validité relève exclusivement de la juridiction commerciale.
La salariée s’est donc pourvue en cassation.
Selon cette dernière, le conseil de prud’hommes est compétent pour connaître de l’octroi par l’employeur à un salarié d’une option donnant droit à une souscription d’actions et à l’attribution gratuite d’actions, dans la mesure où celui-ci constitue un accessoire du contrat de travail, conformément à la position adoptée par la Chambre sociale de la Cour de cassation.
Elle estime par conséquent qu’il devrait en être de même du retrait du bon de souscription consécutif à son rachat forcé par l’employeur à la suite de sa prise d’acte de la rupture du contrat de travail.
La Cour de cassation invalide le raisonnement adopté par la cour d’appel.
À cette occasion, elle affirme que si la juridiction prud’homale est incompétente pour statuer sur la validité d’un pacte d’actionnaires, elle est compétente pour connaître, fût-ce par voie d’exception, d’une demande en réparation du préjudice subi par un salarié au titre de la mise en œuvre d’un pacte d’actionnaires prévoyant en cas de licenciement d’un salarié la cession immédiate de ses actions.
Ainsi, la juridiction prud’homale est compétente pour statuer sur la demande de dommages-intérêts au titre du préjudice subi en raison de la cession des bons de souscription d’actions à la suite de la rupture du contrat de travail de la salariée.
Par cette récente décision en date du 7 juin 2023, la Cour de cassation confirme sa position au regard de la compétence prud’homale sur ce type de litige entre le salarié actionnaire et son employeur.
En revanche, il est intéressant de noter que la Haute Cour ne reprend pas la notion d’accessoire au contrat de travail dans son argumentaire, contrairement à l’arrêt précité.
III. La compétence prud’homale pour tout litige « né à l’occasion du contrat de travail »
Dans cette affaire, la cour d’appel avait rejeté la compétence du conseil de prud’hommes, considérant que la clause de rachat forcé d’actions n’est pas un accessoire du contrat de travail.
La salariée avançait, pour sa part, qu’une telle clause constituait bien un accessoire au contrat la liant à son employeur, estimant qu’une telle pratique constitue un complément de rémunération en lien avec le contrat de travail.
Pour finalement retenir la compétence de la juridiction prud’homale, la Cour de cassation va adopter un raisonnement différent.
Elle considère en effet que la demande par un salarié en réparation du préjudice causé par les conditions particulières de cession de ses actions en raison de la perte de sa qualité de salarié, à la suite de la rupture du contrat de travail, constitue un différend né à l’occasion du contrat de travail.
Il s’agit en l’espèce d’une application plus textuelle de l’article L. 1411-1 du Code du travail, qui dispose que la juridiction prud’homale règle et juge « les différends qui peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail ».
Si le juge n'utilise pas la notion d’accessoire dans cette affaire, c'est qu’il estime que le préjudice pour la salariée, résultant de l’application de la clause de rachat forcée à la suite de sa prise d’acte, est né directement de la rupture du contrat de travail.
Il considère que la compétence du conseil de prud’hommes ne se limite pas à la conclusion et à l'exécution du contrat, mais s'étend également à ses suites, et notamment à la rupture du contrat de travail.
Par cette décision, le juge change de prisme et considère ainsi que le contentieux secondaire, lié au pacte d’actionnaire, est en lien direct avec le conflit principal, à savoir la rupture du contrat de travail.
Cette solution avait déjà été affirmée par la Chambre sociale de la Cour de cassation.
Dans un arrêt en date du 9 juillet 2008 [5], la Cour de cassation avait en effet déjà eu l’occasion de juger que la juridiction prud’homale est compétente pour connaître d’une action en réparation du préjudice subi par un salarié en exécution d’un pacte d’actionnaires prévoyant en cas de licenciement d’un salarié la cession immédiate de ses actions à un prix déterminé annuellement par la majorité des actionnaires.
La Haute Cour considérait alors qu’un tel litige constituait aussi un différend né à l’occasion du contrat de travail, et plus particulièrement de la perte de la qualité de salarié.
Dans cette affaire également, la contrainte pour le salarié de vendre ses actions à vil prix résultait directement de son licenciement, le prix de ses actions étant déterminé annuellement par la majorité des actionnaires.
Ainsi, par une application extensive des dispositions issues du Code du travail, la Haute Cour accorde une primauté de compétence au conseil de prud’hommes sur ce type de litige, issu de l’actionnariat salarié.
[1] C. trav., art. L. 1411-1 N° Lexbase : L1878H9G.
[2] C. com., art. L. 721-3, al. 2 N° Lexbase : L2718LBB.
[3] Cass. soc., 16 septembre 2008, n° 07-20.444, F-P+B N° Lexbase : A4071EAZ.
[4] Cass. soc., 27 février 2013, n° 11-27.319, FS-D N° Lexbase : A8725I8N.
[5] Cass. soc., 9 juillet 2008, n° 06-45.800, F-P N° Lexbase : A6205D9P.
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