La lettre juridique n°952 du 6 juillet 2023 : Sociétés

[Jurisprudence] Fixation anticipée du prix de cession des titres et droit pour le dirigeant d'agir contre la société

Réf. : Cass. com., 21 juin 2023, n° 21-21.875, F-B N° Lexbase : A982793D

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N6144BZL

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par Philippe Duprat, Avocat à la cour, ancien Bâtonnier du Barreau de Bordeaux, chargé d’enseignement à l’Université de Bordeaux

le 05 Juillet 2023

Mots-clés : promesse unilatérale de vente de titres sociaux • prix • clause léonine (non) • clause pénale (oui) • révocation du directeur général • droit d’action • liberté fondamentale.

Une convention dont l'objet est, sauf fraude, d'assurer, moyennant un prix librement convenu, la transmission de droits sociaux, est étrangère au pacte social et est, par suite, sans incidence sur la participation aux bénéfices et la contribution aux dettes dans les rapports sociaux, de sorte que les dispositions de l’article 1844-1 du Code civil ne s’appliquent pas.

La révocation pour faute du dirigeant ou de l'administrateur d'une société ne saurait, sauf à porter atteinte au droit d'agir en justice, être fondée sur la circonstance que ce dirigeant ou cet administrateur a introduit une action en justice à l'encontre de la société. Il importe peu, à cet égard, que cette action ait été déclarée non fondée.


Au carrefour du droit et de l'imagination, l'ingénierie juridique en droit des sociétés constitue souvent le terrain de réflexion privilégiée de tous ceux qui rêvent, sinon de prédire l'avenir, du moins de l'écrire. La sécurité juridique y trouverait son compte puisque par avance, l'on connaîtrait les conséquences juridiques et économiques attachées à la survenance des principaux événements de la vie d'une société. La pratique règle ainsi les conditions auxquelles les associés entrent ou sortent de la société. Elle en définit par avance, pour le plus grand bonheur des directeurs financiers, le prix à payer soit pour retrouver la liberté, soit pour financer, souvent par voie d'exclusion, la séparation contrainte. Néanmoins, la réalité apporte souvent un démenti cinglant aux prévisions les mieux encadrées. Témoin, l'arrêt rendu le jour de la fête de la musique par la Chambre commerciale de la Cour de cassation. L'importance que la Haute juridiction a souhaité donner à sa décision se traduit par une publication de son  arrêt au Bulletin de la Cour.

Les faits au soutien de la décision de la Cour peuvent se résumer assez simplement de la manière suivante. Une société avait consenti à plusieurs bénéficiaires – une personne physique et deux sociétés – une promesse unilatérale de vente par laquelle elle s'engageait à leur céder l'intégralité des titres qu'elle détenait dans le capital social d'une société tierce, en cas de révocation du directeur général des fonctions qu'il occupait dans cette société. Le directeur général est effectivement révoqué de ses fonctions pour faute grave. Il saisit la juridiction de première instance d'une demande tendant à obtenir la nullité de cette décision. À la lecture de l'arrêt sous commentaire, on apprend que la société promettante avait assigné aux mêmes fins. Dans le cadre d’une intervention volontaire, deux des trois bénéficiaires sollicitaient l'exécution de la promesse qui leur avait été consentie. La cour d’appel de Chambéry [1] accueille la demande des intervenants volontaires et juge qu’il y avait lieu de procéder à la mise en œuvre de la promesse unilatérale pour le prix convenu, minoré de l’effet d’une clause pénale stipulée à l’acte. La cour écarte en revanche la demande de l’ancien directeur général tendant à faire juger du caractère infondé de sa révocation.

La Cour de cassation est saisie d’un pourvoi principal émanent du directeur général révoqué et de la société promettante. Elle est également saisie d'un pourvoi incident émanant des deux bénéficiaires de la promesse unilatérale de vente et de la société dont les titres étaient cédés.

Après avoir écarté divers moyens, comme n’étant ni procéduralement recevables, ni de nature à entraîner la cassation, la Haute Cour approuve la cour d’appel d’avoir jugé qu’une convention  par laquelle les parties, sauf fraude, décident d’assurer moyennant un prix librement convenu, la transmission de droits sociaux, était étrangère au pacte social, et par suite, sans incidence sur la participation aux bénéfices et à la contribution aux dettes dans les rapports sociaux, de sorte que les dispositions de l’article 1844-1 du Code civil N° Lexbase : L2021ABH n’avaient pas à s’appliquer.

En revanche, la Cour désapprouvera les juges d’appel d’avoir considéré que le directeur général avait été justement révoqué, au motif que la circonstance qu’il ait assigné la société, dont il était le dirigeant, ne pouvait justifier sa révocation, sauf à porter atteinte à une liberté fondamentale, protégée au visa de l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales N° Lexbase : L7558AIR, peu important que l’action engagée ait été déclarée non fondée.

Enfin, sur l’aspect particulier de la fixation du prix de cession des titres, concerné par le pourvoi incident, la Cour de cassation désapprouve les juges du fond, auxquels elle fait le reproche d’avoir réduit le montant de la clause pénale stipulée dans la promesse unilatérale de vente en retenant que les conditions de la cession, déjà très avantageuses, consenties par le promettant justifiaient la très substantielle réduction pratiquée, alors qu’il lui appartenait de rechercher si elle était manifestement excessive en considération du préjudice subi par les bénéficiaires de la clause.

La cassation étant intervenue sur la révocation du dirigeant de ses fonctions, la cour de renvoi se trouve saisie de l’intégralité du litige, dès lors que la perte du mandat social était la condition de la mise en œuvre de la promesse de cession des titres.

Abandonnant l’articulation purement procédurale des questions soumises à la Cour de cassation, on retiendra que celle-ci s’est prononcée sur deux points particuliers. D’une part, examinant la validité des clauses déterminant le prix de cession des titres elle indique que la fixation anticipée du prix de cession est étrangère au pacte social (I). D’autre part, elle dit, pour droit, que l’exercice d’une liberté fondamentale ne peut justifier la révocation d’un dirigeant social et consacre ainsi le principe selon lequel la saisine du juge par le dirigeant social d’une action à l’encontre de la société ne saurait fonder sa révocation (II).

I. La clause de prix contenue dans la promesse de vente est étrangère au pacte social

Le transfert de propriété des droits sociaux peut être juridiquement organisé au moyen de convention dont le régime juridique est plus ou moins complexe. S’agissant d’une vente, il suffit dans l’absolu que les parties soient d’accord sur la chose (nombre de titres vendus) et sur le prix à payer. L’établissement d’un acte écrit n’est d’ailleurs pas utile. Cependant, des conventions plus sophistiquées sont souvent mises en œuvre, de manière autonome ou au travers d’un pacte d’associés [2].

La place de la promesse unilatérale. Qu’elle soit de vente ou d’achat, la promesse unilatérale occupe au rang des conventions particulières une place tout aussi privilégiée que prépondérante. Depuis la réforme du droit des obligations, elle est définie à l’article 1124, alinéa 1er du Code civil N° Lexbase : L0826KZM comme « le contrat par lequel une partie, le promettant, accorde à l'autre, le bénéficiaire, le droit d'opter pour la conclusion d'un contrat dont les éléments essentiels sont déterminés, et pour la formation duquel ne manque que le consentement du bénéficiaire ». Le recours à la technique de la promesse unilatérale se justifie parfois par des considérations fiscales qui peuvent inciter les parties à établir une promesse de vente et une promesse d’achat réciproques afin que l’acte de cession ne soit pas ostensible. Elles sont aussi utilisées pour organiser la prise de pouvoir dans une société ou pour aménager la sortie de certains associés. Dans ce cas, il n’est pas rare que la mise en œuvre de la promesse de vente ou d’achat soit subordonnée à la survenance d’un événement préalablement défini. Tel était bien le cas, dans l’espèce soumise à l’appréciation de la Cour, puisque le promettant s’était engagé à vendre ses titres à divers bénéficiaires en cas de révocation du directeur général de la société, dont les titres étaient l’objet de la promesse.

La promesse unilatérale peut être conditionnelle.  Si la réalisation de la condition sous laquelle la promesse est consentie a pour effet d’entraîner sa mise en œuvre, elle peut avoir également pour conséquence d’ouvrir un débat sur sa validité même. C’est en effet souvent à l’occasion de l’exécution de la promesse que les parties en discutent la validité.

C’est exactement ce qui se produira en l’espèce, puisque lorsque certains des bénéficiaires de la promesse solliciteront judiciairement la mise en œuvre de l’accord préalablement conclu, le promettant soutiendra la nullité de l’engagement en  prétendant que «  constitue une clause léonine, réputée non écrite, la clause d'une promesse de vente prévoyant l'obligation de vendre des actions à un prix maximum, quelle que soit leur valeur réelle, et sans limitation de temps, de sorte que le promettant est seulement soumis au risque de disparition ou de dépréciation des actions sans pouvoir jamais bénéficier de leur augmentation éventuelle ».

Le promettant, définitivement engagé par la promesse faite, soutenait que la promesse était affectée d’un vice fondamental affectant le prix pour lequel elle avait été consentie, puisque selon lui, le prix de réalisation de la promesse ne correspondait en rien à la valeur des titres sociaux. La comparaison entre le prix stipulé et la valeur réelle des titres sociaux, largement supérieure, caractérisait selon lui une situation léonine dont il était la seule victime. Or, c’est du moins ce qu’il prétendait, l’article 1844-1 du Code civil prohibe les clauses léonines, ce dont il résultait que la promesse devait être annulée.

Le débat relatif au périmètre d’application de l’article 1844-1 du Code civil. Ce débat engagé par le promettant n’est pas nouveau. Il a déjà été abordé par la jurisprudence. Malheureusement, la Cour de cassation n’a pas sur la question une position univoque. La Chambre commerciale, procédant à une interprétation stricte de l’article 1844-1 du Code civil, considère que la vente ou le rachat des titres sociaux à un prix fixé par avance ou à un prix minimum est une question totalement étrangère au contrat de société, seul visé par les dispositions de l’article 1844-1 du Code civil [3]. À l’opposé, la première chambre civile estime que la promesse a un caractère léonin au motif qu'elle avait pour effet d’exempter un associé de toute contribution aux pertes [4]. L’arrêt commenté s’inscrit dans la droite ligne de la jurisprudence de la Chambre commerciale, laquelle affirme que la transmission des droits sociaux est étrangère au pacte social, reprenant ainsi l’attendu de principe de la décision du 20 mai 1986 [5]. La Chambre commerciale valide ainsi le principe des clauses dites, en bon français, de bad leaver. Ces clauses sont celles par lesquelles les parties prévoient à l’avance que le prix de cession des titres sociaux sera fixé dans certaines hypothèses, en tenant compte d’une pénalité. Sont essentiellement concernées par ces mécanismes, le rachat des titres détenus par des associés exclus de la société, à raison de leur comportement défaillant, ou les associés, qui perdant leur qualité de salarié par l’effet d’un licenciement pour faute, sont contraints de céder leurs titres sociaux.

Les conséquences économiques de la situation. Économiquement, les associés placés dans une telle situation sont souvent tenus de céder leurs titres pour leur valeur nominale, et non pour leur valeur économique, ce qui a pour effet de les priver de tout droit sur les réserves éventuellement accumulées par la société. Ils sont également privés de toute participation à la valorisation des titres sociaux à laquelle ils ont cependant très activement contribué.

Cette situation ne présente cependant aucun caractère dolosif, car la clause est signée au moment de l’entrée dans la société et non lors de la cession des titres. L’associé concerné accepte, en connaissance de cause, de prendre un risque qu’il est à même d’apprécier, ou en tout cas d’évaluer avec une précision suffisante. Il accepte par avance l’aléa.

L’ambiguïté de la situation à l’égard du salarié. L’approche retenue est source d‘ambiguïté dans le cas où l’associé concerné cède ses titres après avoir été licencié. On pourrait y voir une sanction pécuniaire infligée au salarié. Or, l’article L. 1331-2 du Code du travail N° Lexbase : L1860H9R prohibe de telles clauses. La Cour de cassation n’a pas encore été sensible à cette argumentation puisque dans un arrêt du 7 juin 2016 [6] elle a jugé que  « la clause d'un pacte d'actionnaires passé entre un salarié, détenant des actions de la société qui l'emploie, dont partie lui a été remise à titre gratuit, et la société mère de son employeur, en présence de ce dernier, prévoyant que le salarié promet irrévocablement de céder la totalité de ses actions en cas de perte de cette qualité, pour quelque raison que ce soit, et qu'en cas de cessation des fonctions pour cause de licenciement autre que pour faute grave ou lourde, le prix de cession des titres serait le montant évalué à dire d'expert dégradé du coefficient 0,5, ne s'analyse pas en une sanction pécuniaire prohibée, en ce qu'elle ne vise pas à sanctionner un agissement du salarié considéré par l'employeur comme fautif, dès lors qu'elle s'applique également dans toutes les hypothèses de licenciement autre que disciplinaire » .

Une évolution de la jurisprudence est-elle envisageable ? Cette interrogation est sûrement hasardeuse, car que ce soit sur le terrain des clauses léonines ou des sanctions pécuniaires, la jurisprudence de la Chambre commerciale est bien établie et résiste aux argumentations les mieux bâties. La force de cette jurisprudence est telle qu’elle pourrait même finir par entraîner la première chambre civile, qui vient récemment de juger que rien n'interdisait aux SELAS d’avocats « d'adopter des dispositions statutaires prévoyant la détermination de la valeur des parts à leur valeur nominale et non réelle », approuvant la cour d’appel d’avoir rejeté la critique que formulaient les associés sur le fondement de l’article 1844-1 du Code civil [7].

Un rééquilibrage serait le bienvenu. On pourrait s’interroger sur le point de savoir si pour rétablir un certain équilibre, que la Cour de cassation refuse d’accorder aux parties, celles-ci n’avaient pas intérêt à invoquer le dispositif de l’article 1195 du Code civil N° Lexbase : L2218ABR qui consacre le principe de la révision pour imprévision, sauf cependant à renâcler devant le risque de voir le juge fixer lui-même le prix de cession.

C’est cependant, ce qui risquera d’arriver, au moins pour partie, lorsqu’il sera tenu d’apprécier le caractère manifestement excessif ou non de la clause pénale. Dans les faits qui sous-tendent le présent commentaire, les parties avaient prévu que le prix des titres sociaux serait le cas échéant affecté d’une décote pouvant aller jusqu’à 20 % du prix convenu. Certainement sensible au fait que l’application intégrale de cette décote aurait eu pour effet de minorer encore un peu plus le prix de cession, la cour d’appel avait analysé cette clause comme une clause pénale et décidé qu’il convenait de la réduire à 1 %. Il en résultait une minoration quasi symbolique du prix de cession et donc sûrement acceptable pour le vendeur. Néanmoins, la cour d’appel se voit reprocher, à juste titre, le caractère erroné de sa motivation. La cour ne pouvait motiver, comme elle l’a fait, la réduction de la clause pénale en considération des conditions déjà très avantageuses consenties par le promettant. En effet, le caractère manifestement excessif d’une clause pénale s’apprécie par rapport au préjudice subi par le bénéficiaire de la clause [8]. La référence à l’économie du contrat est dépourvue de tout effet. Pour ce motif, l’arrêt est sur ce point cassé. C’est donc à la cour de renvoi qu’il appartiendra de rechercher l’existence éventuelle de ce préjudice. Il lui appartiendra également de rechercher si les conditions de la révocation du dirigeant étaient ou non réunies.

II. Le droit au juge et l'absence de faute pour le dirigeant à engager une action à l'encontre de la société

La promesse de vente ne pouvait être exécutée qu’en cas de révocation du directeur général des fonctions qu’il occupait au sein de la société. Au demeurant, il convenait que cette faute fût grave. Les associés crurent la trouver dans l’initiative prise par le directeur général qui avait introduit une action en justice à l’encontre de la société.

L’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, fondement de la cassation. Le malheureux dirigeant social, révoqué par l’assemblée générale des associés de la société, était directeur général d’une société par actions simplifiée. En l’absence de toute précision légale concernant les conditions de révocation du directeur général d’une SAS, la question s’est posée de savoir s’il pouvait être révoqué ad nutum ou pour juste motif. Dans ce cas, l’absence de juste motif n’a pas d’autre conséquence que d’ouvrir droit à des dommages et intérêts en cas de révocation injustifiée. Cette question est tranchée notamment par un arrêt du 9 mars 2022 [9] selon lequel, en l’absence de toute précision dans les statuts, la révocation n’a pas besoin d’intervenir pour un juste motif.

Il se trouve cependant qu’au cas d’espèce, la convention liant les parties avait prévu que la révocation n’était possible qu’en cas de faute grave. La révocation supposait donc la démonstration d’une faute suffisamment caractérisée pour être qualifiée de grave.

La collectivité des associés, sûrement pressée de se défaire de son directeur général, a pensé qu’elle pouvait lui faire le reproche d’avoir assigné la société dont il était le mandataire, ce qui, selon elle, était d’autant plus grave que l’action engagée avait été jugée mal fondée. La collectivité des associés avait étayé son appréciation en rappelant que le directeur général avait poursuivi la nullité des actes constitutifs de la société.

Dans un attendu de principe, la Cour de cassation casse l’arrêt et énonce au visa de l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales que la révocation d’un dirigeant de société ne saurait, à peine de porter atteinte à une liberté fondamentale, être fondée sur la circonstance que ce dernier a introduit une action en justice à l’encontre de la société. Le contenu du texte est connu, il précise que : « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle ».

Le droit d’agir en justice : droit fondamental. Le droit de saisir un juge fait partie, en quelque sorte, du minimum vital dont tout citoyen est par sa seule qualité nanti. Ce droit, sans lequel la démocratie ne peut réellement exister, est avant tout celui de pouvoir faire valoir son point de vue et d’en obtenir judiciairement la consécration. L’article 30 du Code procédure civile N° Lexbase : L1167H4Y ne dit pas autre chose lorsqu’il proclame que « l'action est le droit, pour l'auteur d'une prétention, d'être entendu sur le fond de celle-ci afin que le juge la dise bien ou mal fondée ».

L’abus comme seule limite. Seul l’abus du droit d’agir est susceptible d’être condamné. En revanche, l’exercice dans des conditions normales, et notamment de recevabilité, du droit d’agir, ne peut en aucune circonstance constituer une faute elle-même susceptible de fonder la révocation des fonctions sociales exercées. Le droit d’agir en justice du dirigeant social est considéré sans aucune restriction comme une liberté fondamentale dont l’exercice est protégé en ce qu’il ne peut justifier par la société aucune sanction.

Par cet arrêt, la Cour de cassation contribue à constituer, en le complétant, le statut du dirigeant social, mais également celui de l’associé, car nul doute que l’on ne pourra pas exclure un associé au seul motif qu’il aurait assigné la société.

Le renforcement des droits propres. Cette décision est donc à rapprocher de toutes les décisions, qui en d’autres domaines, ont construit la jurisprudence des droits propres de l’associé, ou du débiteur en procédure collective [10], qui permettent à ces derniers de faire entendre leur voix, nonobstant, par exemple, une absence de recours ou une situation de dessaisissement. Ce mouvement est en quelque sorte perpétuel, en tout cas récurant puisque dans un autre domaine, mais dans la même optique, la Cour de cassation a jugé  [11] jugé au visa de l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme que « le  droit effectif au juge, garanti par ce texte, implique que l'associé d'une société civile, qui a hérité de parts sociales de cette société et qui a été agréé comme associé au titre de ces parts, soit recevable à former tierce-opposition à l'encontre de la décision annulant la délibération de la société l'agréant comme associé ». Le mouvement a par ailleurs une ampleur qui dépasse le cadre simplement national. L’illustration peut en être fournie par l’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne le 22 septembre 2011 [12], sanctionnant la France en estimant qu’une procédure collective, non encore clôturée, vingt et un ans après son ouverture, contrevenait à la condition du délai raisonnable tirée de l’article 6,  § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme, et ouvrait droit à indemnisation.

Il est manifeste que le juge, national ou communautaire, reste très attentif à tout ce qui porte une atteinte au statut personnel de l’associé ou du dirigeant de la société. L’on ne peut que s’en féliciter.

Il appartiendra désormais à la cour de renvoi de vérifier si le directeur général pouvait être révoqué, et dans l’affirmative, de décider ce qu’il doit advenir de la promesse de cession dont, en toute hypothèse, la détermination du prix sera strictement encadrée.


[1] CA Chambéry, 1er juin 2021, n° 18/01002 N° Lexbase : A65534TU.

[2] Sur la diversité de ceux-ci, v. S. Schiller, Guide des pactes d’actionnaires et d’associés, LexisNexis, 2019/2020.

[3] Cass. com., 20 mai 1986, n° 85-16.716, publié N° Lexbase : A5091AAS  Cass. com., 27 septembre 2005, n° 02-14.009, F-D N° Lexbase : A5749DK7, Dr. sociétés, décembre 2005, p. 26, obs. H. Lécuyer et, p. 35, obs. H. Hovasse ; D., 2005, AJ 2681, obs. A. Lienhard ; RTD com., avril 2006, p. 443, note F.-X. Lucas.

[4] Cass. civ. 1, 22 juillet 1986, n° 84-15.177, publié N° Lexbase : A3829AGW, note P. Le Cannu.

[5] Cass. com., 20 mai 1986, n° 85.16-716, publié, préc.

[6] Cass. com., 7 juin 2016, n° 14-17.978, FS-P+B N° Lexbase : A7018RSQ, JCP E, 2016, comm. 1504, note S. Schiller, J.-M. Leprêtre et P. Bignebat ; B. Saintourens, Lexbase Affaires, juin 2016, n° 472 N° Lexbase : N3418BWI.

[7] Cass. civ. 1, 22 septembre 2021, n° 20-15.817, FS-B N° Lexbase : A134547X, JCP E, février 2022, 1053, note B. Brignon, Ch. Lhermitte, Lexbase Avocats, octobre 2021, n° 318 N° Lexbase : N8974BYZ.

[8] V. not. Cass. com., 11 février 1997, n° 95-10.851 N° Lexbase : A1713ACG, D., 1997, 71 ; RTD civ., 1997, p. 654, obs. J. Mestre ;  Defrénois, 1997, p. 740, obs. Ph. Delebecque.

[9] Cass. com., 9 mars 2022, n° 19-25.795, F-B N° Lexbase : A94347P4, RTD com., 2022, note X. Delpech, B. Saintourens ; Ph. Duprat, Lexbase Affaires, mars 2022, n° 899 N° Lexbase : N0830BZR.

[10] Pour une illustration de cette problématique, v. not. Cass. com., 8 février 2023, n° 21-16.954, F-B N° Lexbase : A97059B3.

[11] Cass. com., 11 mai 2023, n° 21-17.899, FS-B N° Lexbase : A76679WU.

[12] CEDH, 22 septembre 2011, réq. n° 60983/09, TETU c/ France N° Lexbase : A9479HXD, Rev. proc. coll., 2012, étude 3, note B. Saintourens et Ph. Duprat.

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