La lettre juridique n°949 du 15 juin 2023 : Accident du travail - Maladies professionnelles (AT/MP)

[Jurisprudence] Les juges sont-ils tenus par la position du médecin-conseil fixant de la date de première constatation médicale ?

Réf. : Cass. civ. 2, 11 mai 2023, n° 21-17.788, F-B N° Lexbase : A39579TQ

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N5821BZM

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par Samir Bordji, Avocat Associé, AKH Avocats

le 14 Juin 2023

Mots-clés : maladie professionnelle • certificat médical • première constatation médicale • contradictoire • secret médical • médecin-conseil

La Cour de cassation a été amenée à préciser que la pièce ayant permis au médecin-conseil de fixer la première constatation médicale n’était pas communicable à l’employeur.

De plus, les juges du fond doivent « prendre en considération » les avis du médecin-conseil figurant dans les colloques médico-administratifs, ce qui signe un affaiblissement important de leur pouvoir judiciaire.


Derrière ce titre comportant une dose d’exagération volontaire apparaît une décision qui permet d’aborder les maladies professionnelles en mettant en lumière les forces et les enjeux du droit de la Sécurité sociale.

En effet, afin que les pathologies affectant parfois les salariés relèvent de la législation des risques professionnels, certaines conditions sont imposées par les tableaux dits « tableaux des maladies professionnelles ».

L’une des conditions des tableaux impose une constatation médicale encadrée dans un délai particulier.

C’est dans ce cadre qu’un tribunal et une cour d’appel ont sanctionné la CPAM qui a refusé de transmettre le certificat médical visé par son médecin-conseil pour retenir une date de première constatation médicale spécifique.

Les juridictions du fond ont estimé que le refus de production au débat judiciaire de ce certificat médical était une violation du principe du contradictoire impliquant l’inopposabilité de la décision de prise en charge subséquente.

Il a été souligné que ce certificat n’était pas soumis au secret médical puisqu’il visait, selon le médecin-conseil, la pathologie litigieuse dont l’employeur a de toute évidence connaissance.

Pour autant, la Cour de cassation est venue trancher en faveur de la CPAM, en rejetant toute violation du contradictoire et en soulignant de manière assez claire que les juges du fond ne pouvaient pas écarter l’avis du médecin-conseil même si ce dernier visait une pièce « mystérieuse » et absente des débats.

Cet arrêt fait l’objet d’une publication au bulletin, ce qui ne laisse aucun doute sur sa portée et l’intention de la Cour de cassation quant à l’attitude que devront adopter les juges du fond.

Cependant, l’arrêt ne manque pas de laisser planer quelques interrogations autour de la charge et de la nature de la preuve des critères permettant à une pathologie de relever ou non de la législation sur les risques professionnels.

I. La première constatation médicale d’une maladie professionnelle : lorsque le juridique rencontre le médical

La date de la première constatation médicale est une notion éminemment médicale ayant toutefois de forts impacts juridiques.

A. Volet médical

La procédure de reconnaissance des maladies professionnelles fait intervenir plusieurs entités médicales avec des rôles spécifiques et particuliers.

L’un des premiers acteurs, au sens chronologique, est le médecin traitant qui, après un examen médical de l’assuré et selon ses indications et doléances, va établir un certificat médical initial constatant une pathologie.

Ce certificat médical initial accompagnera la déclaration de maladie professionnelle transmise à la CPAM qui se chargera d’informer l’employeur.

Ainsi, la première constatation médicale est, très régulièrement, identique à la date de cet examen et du certificat alors établi.

Néanmoins, au cours de l’instruction de la maladie déclarée, le médecin-conseil de la CPAM va devoir, et il s’agit là de l’une des missions prévues par les textes, déterminer la date de la première constatation médicale.

Il peut alors, en fonction du dossier présenté :

  • retenir la date du certificat médical initial comme date de première constatation médicale ;
  • retenir une date différente s’il estime que médicalement une date antérieure serait plus pertinente.

La première constatation médicale est donc le fruit d’une décision en deux temps, d’abord celle du médecin traitant ayant examiné l’assuré, puis celle du médecin-conseil à la lecture des éléments du dossier.

D’ailleurs, c’est à cette occasion que la décision du 11 mai 2023 (arrêt rapporté) commentée est intervenue.

Le médecin-conseil a fixé une date de première constatation médicale distincte de celle retenue par le médecin traitant après avoir pris connaissance d’un arrêt de travail (et d’un certificat médical afférent) figurant au dossier du salarié.

La soumission ou non de cette pièce, consultée par le médecin-conseil, au principe du contradictoire va cristalliser une partie du litige.

B. Volet juridique

Le volet juridique permet d’aborder la nature factuelle de la première constatation médicale, sa démonstration et son rapport avec le principe du contradictoire.

Il a été évoqué que le médecin-conseil de la CPAM était l’organe chargé de la détermination de cette date.

Pour cela, il dispose d’un dossier médical sur lequel il peut s’appuyer pour affiner son analyse.

C’est dans ce cadre qu’il peut être amené à retenir une date particulière en se fondant sur une pièce médicale déterminée.

Le principe du contradictoire et la motivation impérative des décisions administratives semblent imposer la transmission de cette pièce à l’employeur et le cas échéant aux juridictions.

Toutefois, comme une partie importante des principes juridiques, le contradictoire connaît des tempérances et des exceptions.

Ainsi, le secret médical pourrait être, a priori, un frein à cette communication contradictoire d’une pièce figurant au dossier de l’assuré.

Cependant, la cour d’appel l’avait justement fait remarquer (CA Versailles, 8 avril 2021, n° 19/03504 N° Lexbase : A83144NA), cet argument serait presque tautologique et donc peu pertinent :

« Il ne fait d'ailleurs aucun sens de s'appuyer sur le secret médical pour refuser la communication du certificat médical qui aurait servi de base à l'arrêt de travail, si celui-ci était justifié, précisément, par la pathologie objet du litige puisque l'employeur en a, par définition, connaissance ».

En effet, l’objectif poursuivi par le secret médical est de ne porter à la connaissance de l’employeur que les pièces du dossier médical en lien avec la pathologie déclarée par le salarié.

Ici, la pièce visée par le médecin-conseil de la CPAM comme étant une première constatation médicale de la maladie professionnelle déclarée est assurément en lien avec cette dernière.

Dans ces conditions, il apparaît délicat de soutenir qu’aucune communication de la pièce n’est possible au prétexte du secret médical.

II. Position de la Cour de cassation : le principe du contradictoire doit s’incliner

Il apparaît que la Cour de cassation a été amenée à se positionner sur deux points :

  • la communication ou non de la pièce ayant permis de fixer la date de la première constatation médicale ;
  • la force probante des mentions portées par le médecin-conseil dans le colloque médico-légal.

A. Les exceptions existantes

Rappelons que le principe du contradictoire impose la communication de toutes les pièces sur lesquelles la CPAM s’est appuyée pour rendre une décision.

Néanmoins, il existe des exceptions à ce principe qui demeurent limitatives et d’interprétation stricte :

  • le secret médical ;
  • les éléments de diagnostic de la maladie qui ne peuvent être examinés que dans le cadre d’une expertise.

La Cour de cassation a déjà motivé des refus de communication d’éléments médicaux fondamentaux, en précisant qu’il s’agissait d’un élément de diagnostic de la maladie qui ne peut être examiné que dans le cadre d’une expertise (Cass. civ. 2, 8 octobre 2020, n° 19-20.946, F-D N° Lexbase : A33143XZ).

C’est le cas des IRM imposées par les tableaux MP57 pour les affections de l’épaule.

Ainsi, le tableau impose une objectivation de certaines pathologies de l’épaule par la réalisation d’une IRM.

Cette IRM, sur laquelle le médecin-conseil s’est appuyé pour rendre sa décision, doit-elle être soumise au contradictoire ?

La Cour répond régulièrement par la négative en estimant que le principe du contradictoire souffre d’une exception en présence d’un « élément de diagnostic ».

Il faut admettre que cette notion demeure assez sujette à caution et à tout le moins à débat quant à son contenu exact.

B. Une nouvelle exception au respect du contradictoire ?

Dans cette affaire, la pièce « mystère » est un certificat médical prescrivant ou accompagnant un arrêt de travail.

Le médecin-conseil s’est limité à indiquer la nature de la pièce et sa date, sans en révéler l’essence même, à savoir les indications médicales figurant dans le certificat.

Afin de tenter de déterminer et de reconstruire le raisonnement des juges, il est possible de découper l’analyse en différents points.

  • La CPAM s’est-elle appuyée sur cette pièce pour prendre sa décision ?

Il semble que ce point ne soit pas discuté, le médecin-conseil faisant mention de cette pièce dans le colloque médico-administratif.

Cela penche en faveur d’une communicabilité de la pièce sur laquelle la décision de la CPAM s’est fondée.

  • La CPAM s’est-elle appuyée sur le contenu médical de cette pièce pour prendre sa décision ?

À nouveau, la réponse est positive, le médecin-conseil ayant consulté le certificat en a déduit qu’il s’agissait d’une première manifestation de la pathologie.

Il a donc bien réalisé une analyse du contenu de la pièce.

  • La pièce est-elle couverte par le secret médical ?

À nouveau, son lien avec la maladie instruite ressort des indications du médecin-conseil lui-même, ce qui écarte l’application du secret dans cette hypothèse.

D’ailleurs, la Cour de cassation ne mentionne aucunement le secret médical pour justifier le refus de communication de la pièce.

  • La pièce est-elle un élément de diagnostic ?

La jurisprudence, par une casuistique extrême, retient que les éléments de diagnostic ne sont pas soumis au contradictoire et n’ont pas à faire l’objet d’une communication à l’employeur.

Dans ce dossier, médicalement, il nous est impossible d’apporter la réponse quant à la nature de cette pièce, puisque la taxinomie impose l’établissement de catégories claires, ce qui n’est pas le cas de celle composant les « éléments de diagnostic » [1].

Toutefois, la Cour de cassation semble avoir aussi écarté cette motivation.

En effet, elle indique assez clairement que la première constatation médicale « concerne toute manifestation de nature à révéler l'existence de cette maladie, que la date de la première constatation médicale est celle à laquelle les premières manifestations de la maladie ont été constatées par un médecin avant même que le diagnostic ne soit établi et qu'elle est fixée par le médecin-conseil ».

La Cour de cassation précise que la première constatation médicale est la manifestation de la maladie, constatée par médecin avant même que le diagnostic ne soit établi.

Partant, il semblerait que juridiquement cette pièce ne soit pas un élément du diagnostic et qu’elle ne bénéficie pas, à ce titre, d’une exonération de communication.

Il appert donc qu’aucune des exceptions traditionnelles n’est applicable au cas de l’espèce, ce qui pourrait laisser entrevoir une certaine innovation de la part de la Cour de cassation.

C. Vers un nouveau concept pour les juges du fond « la prise en considération des avis du médecin-conseil »

L’arrêt comporte une part pédagogique indéniable en rappelant les conditions pour qu’une pièce puisse permettre l’établissement de la première constatation médicale d’une pathologie :

  • avoir été constatée par un médecin (ce qui exclut certains professionnels de santé non médecin) ;
  • être de nature à révéler l’existence de la maladie (son contenu et son analyse sont donc essentiels).

Les juges du fond devront donc veiller à ce que les pièces visées par les médecins-conseils remplissent ces conditions, mais sans pour autant prendre connaissance des pièces en question.

Voilà une activité périlleuse et clairement délicate nécessitant des capacités hors du commun.

Les juridictions administratives sont peut-être plus familières aux contrôles du fond et de la forme, en revanche, cela est plus étonnant dans le cadre d’un contentieux judiciaire.

Il en ressort une position de la Cour de cassation difficile à appréhender pleinement.

L’arrêt de la cour d’appel ayant retenu que la communication devait avoir lieu, en application du principe du contradictoire et en l’absence d’exception valable, a été cassé pour avoir violé les dispositions L. 461-1 N° Lexbase : L8868LHW, L. 461-2 N° Lexbase : L8867LHU et D. 461-1-1 N° Lexbase : L5267K8L du Code de la Sécurité sociale :

« En statuant ainsi, sans prendre en considération les avis du médecin-conseil qui fixaient au 16 octobre 2017 la date de la première constatation médicale des affections déclarées au vu de l'arrêt de travail prescrit à cette date, de sorte que le délai de prise en charge des pathologies déclarées n'était pas dépassé, la cour d'appel a violé les textes susvisés ».

La formulation interroge quelque peu, puisqu’il est reproché à la cour d’appel de ne pas avoir pris en considération les avis du médecin-conseil.

Pourtant, la lecture de l’arrêt de la cour d’appel met en lumière la position du médecin-conseil et explique les raisons pour lesquelles cela ne semble pas suffisant pour emporter la conviction des juges du fond.

D’ailleurs, la cour d’appel s’était fondée sur la position jurisprudentielle applicable jusqu’alors (CA Versailles, 8 avril 2021, n° 19/03504 N° Lexbase : A83144NA) :

« La Cour de cassation a jugé que le simple avis du médecin-conseil, non corroboré par des éléments médicaux concrets, est insuffisant pour prouver que la condition tenant au délai de prise en charge est remplie ».

La cour d’appel a donc estimé qu’il n’était pas possible de vérifier l’existence et la pertinence des éléments médicaux concrets requis en l’absence de communication de ces derniers.

C’est là que la Cour de cassation est venue ajouter une pierre complémentaire à son édifice, en soulignant qu’il fallait « prendre en considération » l’avis du médecin-conseil, même non corroboré par des éléments objectifs.

Que faut-il entendre par « prendre en considération » ?

Il semble, en l’état, que l’avis du médecin-conseil dans le colloque médico-administratif, soit devenu suffisant par lui-même pour établir ce qu’il exprime.

Il n’est plus nécessaire pour le médecin-conseil d’étayer ses constatations par des pièces objectives, qui pourront demeurer secrètes sans véritable motif au demeurant.

Les juges du fond devront donc, sans autre contrôle, prendre en considération les avis du médecin-conseil figurant dans le colloque médico-administratif, sans chercher à objectiver ou corroborer les constatations retenues.

La force probante des pièces est souvent la pierre angulaire des procès. Toutefois, ici, il s’agit de la force probante de la parole du médecin-conseil de la CPAM, ce qui pose une grande difficulté puisqu’il s’agit d’une partie au procès.

Finalement, on peut apercevoir un exemple sympathique de langage performatif pour le médecin-conseil de la CPAM, qui ne manquera pas de faire le miel des linguistes (je doute néanmoins qu’ils soient nombreux à porter leur analyse sur les décisions de la deuxième chambre civile), et assurément moins celui des juristes.


[1] Il s’agit là de nos limites intellectuelles personnelles. La Cour de cassation semble en connaître les contours qui nous échappent.

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