La lettre juridique n°538 du 5 septembre 2013 : QPC

[Chronique] QPC : évolutions procédurales récentes - Avril à Juin 2013

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par Mathieu Disant, Maître de conférences à l'Ecole de droit de la Sorbonne (Université Paris I) et membre du Centre de recherche en droit constitutionnel (CRDC)

le 05 Septembre 2013

La question prioritaire de constitutionnalité est à l'origine d'une jurisprudence abondante du Conseil constitutionnel comme du Conseil d'Etat et de la Cour de cassation. Cette chronique trimestrielle, rédigée par Mathieu Disant, Maître de conférences HDR à l'Ecole de droit de la Sorbonne (Université Paris I), membre du Centre de recherche en droit constitutionnel (CRDC), chercheur associé au Centre de recherche sur les relations entre le risque et le droit (C3RD), s'attache à mettre en exergue les principales évolutions procédurales de la QPC, les apports au fond du droit étant quant à eux traités au sein de chacune des rubriques spécialisées de la revue. La période examinée (avril à juin 2013) a été particulièrement riche. Le Conseil constitutionnel a rendu 28 décisions QPC, ce chiffre tenant compte des jonctions de certaines affaires. Le flux de QPC se stabilise à un niveau assez élevé.

Sur le fond, les sujets abordés sont foisonnants. Ils concernent l'ensemble des branches du droit. On notera que le nombre de QPC dans le domaine du droit de la presse est désormais significatif (Cons. const., décisions n° 2013-302 QPC du 12 avril 2013 N° Lexbase : A9964KBN, n° 2013-311 QPC du 17 mai 2013 N° Lexbase : A5437KDQ, n° 2013-319 QPC du 7 juin 2013 N° Lexbase : A1526KGM). Le Conseil constitutionnel s'est penché sur des institutions législatives anciennes, en particulier celles qui organisent, dans la lignée de l'ordonnance de Colbert, la limite du domaine public naturel (Cons. const., décision n° 2013-316 QPC du 24 mai 2013 N° Lexbase : A8146KD3). Il a censuré, sur le terrain de la liberté d'entreprendre et à l'initiative de l'industrie cimentière, les dispositions de l'article L. 224-1 du Code de l'environnement (N° Lexbase : L9456IW7) fixant une quantité minimale de matériaux en bois dans certaines constructions (Cons. const., décision n° 2013-317 QPC du 24 mai 2013 N° Lexbase : A8147KD4). Par ailleurs, bien que cela ne se traduise pas formellement par une censure, le Conseil a fait avancer la situation du travail en détention des personnes incarcérées (Cons. const., décision n° 2013-320/321 QPC du 14 juin 2013 N° Lexbase : A4732KGD).

L'actualité procédurale a été marquée par la première question préjudicielle posée par le Conseil constitutionnel à la CJUE (Cons. const., décision n° 2013-314P QPC du 4 avril 2013 N° Lexbase : A4672KBN). Compte tenu de l'importance de ce sujet, la présente chronique y consacrera une part importante de ses développements.

On signalera la parution d'un rapport d'information sur la QPC fait au nom de la Commission des lois de l'Assemblée nationale et présenté par Jean-Jacques Urvoas (RI n° 842, 2013). Ce rapport dresse un bilan statistique et qualitatif jugé positif du fonctionnement de la procédure après auditions de ses principaux acteurs. Des pistes d'amélioration, de portée variable, sont toutefois recensées, que ce soit lors du premier filtre (délai d'examen, meilleure motivation..) ou devant le Conseil d'Etat et la Cour de cassation (doutes sur l'utilité de maintenir l'obligation de représentation par un avocat aux Conseils pour les QPC relevant de certaines matières, interrogations sur l'impossibilité pour des tiers la procédure de déposer des observations en intervention devant les juridictions suprêmes alors que cette possibilité existe devant le Conseil constitutionnel...). Devant le Conseil constitutionnel, deux points de procédures sont principalement discutés, l'un tendant à l'assouplissement ou à une plus grande précision des conditions d'admission des interventions, l'autre à l'application dans le temps des décisions du Conseil constitutionnel, au contradictoire qui devrait l'accompagner et aux circonstances dans lesquelles la partie qui a présenté la QPC ne puisse bénéficier d'une déclaration d'inconstitutionnalité.

Si elle paraît aujourd'hui moins brûlante, la question de l'absence de recours contre une décision de non-renvoi d'une QPC par la juridiction suprême n'est pas éteinte et demeure parfaitement légitime. Peut-on durablement laisser le justiciable dans l'impossibilité complète de dépasser ou, d'une façon ou d'une autre, de faire réexaminer l'arrêt de non-renvoi ? Quoi qu'il en soit, au carrefour de ce débat, l'application du critère du caractère sérieux donne toujours matière réflexion quant au degré d'implication du juge du renvoi dans le contrôle de constitutionnalité. Le rapport précité appuie la nécessité, à laquelle s'efforce de contribuer durablement la présente chronique, d'assurer un suivi approfondi de la procédure QPC pour faire avancer ces différents sujets.

I - Champ d'application

A - Normes contrôlées dans le cadre de la QPC

1 - Disposition n'ayant pas déjà été déclarée conforme à la Constitution

Saisi d'une QPC à l'encontre de l'article L. 313-11 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L5042IQS), le Conseil d'Etat a relevé que le Conseil constitutionnel avait déclaré les dispositions du 4° de l'article 12 bis de l'ordonnance n°45-2658 du 2 novembre 1945, relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France (N° Lexbase : L4788AGG), dont sont issues les dispositions contestées, conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif de sa décision n° 97-389 DC du 22 avril 1997 (N° Lexbase : A8441ACM). Il a jugé ensuite que "l'adoption de la loi du 15 novembre 1999 relative au [PACS] constitue une circonstance de droit nouvelle de nature à justifier que la conformité de cette disposition à la Constitution soit à nouveau examinée par le Conseil constitutionnel" (CE 2° et 7° s-s-r., 22 février 2013, n° 364341, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A5344I8G).

Le Conseil constitutionnel a infirmé cette analyse en s'attachant à une lecture formelle. Il a statué sur les dispositions contestées indépendamment du point de savoir s'il y avait eu ou non changement de circonstances (Cons. const., décision n° 2013-312 QPC du 22 mai 2013 N° Lexbase : A6090KDW). En effet, les dispositions déclarées conformes en 1997 n'étaient pas celles figurant à l'article L. 313-11, puisque plusieurs modifications étaient intervenues en 1998, en 2003 puis en 2006. Le "déjà jugé" ne peut concerner au sens strict que les mêmes dispositions.

2 - Applicabilité d'une disposition législative au litige

Selon la jurisprudence constante "cristallisation des pensions", le Conseil constitutionnel ne s'estime pas compétent pour se prononcer sur l'applicabilité de la disposition au litige (Cons. const., décision n° 2010-1 QPC du 28 mai 2010 N° Lexbase : A6283EXY). L'appréciation de ce critère relève des seuls Conseil d'Etat et Cour de cassation. Il y a là réserve de compétence (1). Cette règle trouve une limite lorsque la portée de la disposition contestée se trouve modifiée par la décision de la juridiction de renvoi qui l'a jugée applicable au litige. Tel était le cas dans l'affaire n° 2013-312 QPC du 22 mai 2013 (N° Lexbase : A6090KDW) : le Conseil constitutionnel n'était, en l'espèce, pas tenu de considérer que le 4° de l'article L. 313-11 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est la disposition législative qui interdit la délivrance automatique d'une carte de séjour aux partenaires d'un PACS. Ce faisant, il nous semble que le Conseil constitutionnel, qui ne s'autorise pas à exercer de pouvoir de substitution lorsque les "bonnes" dispositions n'ont pas été renvoyées, ne s'immisce nullement dans l'office du filtre. Ce qui est mal renvoyé ne saurait lier le Conseil constitutionnel. Il en va aussi de l'effet utile de la QPC qui requiert a minima que celle-ci soit correctement mise en état. Une telle hypothèse fait écho, en creux, au pouvoir dont dispose le Conseil constitutionnel de circonscrire le champ de la saisine.

B - Normes constitutionnelles invocables

Le Conseil constitutionnel a expressément reconnu l'invocabilité en QPC du septième alinéa du Préambule de 1946 reconnaissant le droit de grève (Cons. const., décision n° 2013-320 /321 QPC du 14 juin 2013 N° Lexbase : A4732KGD). Ce dernier figure donc au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit. Cette solution était pressentie (2). Elle est d'autant plus logique que cet article, ainsi que le souligne le Conseil, fixe la compétence du législateur pour définir les conditions encadrant l'exercice du droit de grève et énonce un droit matériel constitutionnellement garanti.

En revanche, le Conseil constitutionnel a refusé de reconnaître un principe fondamental reconnu par les lois de la République, à savoir celui d'autonomie des chambres de commerce et d'industrie (Cons. const., décision n° 2013-313 QPC du 22 mai 2013 N° Lexbase : A6091KDX).

S'agissant des droits de procédure, le Conseil constitutionnel a estimé que la loi fixant un délai de prescription est assimilable à des règles de procédure pénale, et non à la loi pénale (Cons. const., décision n° 2013-302 QPC du 12 avril 2013 N° Lexbase : A9964KBN). Cette qualification est loin d'être anodine. D'abord, le Conseil tranche une incertitude quant à la norme de référence du contrôle de constitutionnalité applicable devant l'invocation concomitante de l'égalité devant la justice, de l'égalité devant la loi pénale et de l'égalité dans la procédure pénale. Surtout, il en résulte, au fond, que le Conseil s'écarte ainsi du contrôle restreint jusqu'alors retenu en matière de lois de prescription de l'action publique.

II - Procédure devant le Conseil constitutionnel

A - Organisation de la contradiction

Le rôle de défenseur de la loi confié au Gouvernement peut s'avérer problématique dans le contrôle a posteriori. L'affaire n° 2013-313 QPC du 22 mai 2013 (N° Lexbase : A6091KDX) illustre un volet des difficultés contingentes que cela peut générer lorsque le Gouvernement s'efforce de défendre devant le Conseil constitutionnel un texte à l'encontre duquel il avait marqué son opposition lors des travaux préparatoires à son adoption... n'hésitant pas, à l'époque, à arguer du risque d'inconstitutionnalité encouru !

Une note en délibéré a été produite par la partie en défense dans l'affaire n° 2013-319 QPC rendue le 7 juin 2013 (N° Lexbase : A1526KGM). La pratique de la note en délibéré trouve ainsi une seconde illustration. Enregistrée six jours après l'audience publique, mentionnée dans les visas de la décision, aucune précision particulière ne permet d'établir au fond sa justification.

B - Interventions devant le Conseil constitutionnel

Comme souligné lors de précédentes chroniques, les observations en intervention des tiers à l'occasion d'une QPC transmise au Conseil constitutionnel sont de plus en plus courantes, ce qui témoigne du caractère abstrait et d'intérêt collectif de l'examen que le Conseil opère et, dans le même temps, suscite. On peut relever, à cet égard, l'intervention de l'Association des chambres de commerce et d'industrie des outre-mer dans l'affaire n° 2013-313 QPC du 22 mai 2013 (N° Lexbase : A1526KGM), concernant la composition du conseil de surveillance des grands ports maritimes outre-mer, et surtout les interventions multiples d'associations de lutte contre le racisme dans l'affaire n° 2013-302 QPC du 12 avril 2013 (N° Lexbase : A9964KBN), relative au délai de prescription d'un an pour les délits de presse à raison de l'origine, l'ethnie, la nation, la race ou la religion. On peut regretter que l'intérêt de certains intervenants ne soient pas toujours clairement établi et expliqué, comme dans l'affaire n° 2013-316 QPC du 24 mai 2013 (N° Lexbase : A8146KD3).

Cela étant, la nécessité de permettre le respect du contradictoire dans les délais très courts de la procédure conduit le Conseil constitutionnel à faire preuve de rigueur dans l'examen de la recevabilité des observations en intervention, en application du règlement de procédure QPC.

Il en ressort qu'une intervention visant une disposition différente de celle qui fait l'objet de la QPC ne peut qu'être refusée. Cette règle se combine avec le pouvoir dont dispose le Conseil constitutionnel de délimiter le champ de la saisine. Ainsi, dans l'affaire n° 2013-310 QPC du 17 mai 2013 (N° Lexbase : A4404KDH), le Conseil constitutionnel n'a pas admis les observations en intervention adressées par deux avocats au barreau de Marseille et qui concernaient des dispositions élaguées.

Le même sort guette les mémoires en interventions qui, cherchant à réserver le droit d'établir des observations au vu des mémoires déposés par les parties au litige, ne comprennent pas immédiatement d'observations sur le bien-fondé de la question. Ainsi, les interventions de différentes associations ont été refusées dans l'affaire n° 2013-322 QPC du 14 juin 2013 (N° Lexbase : A4733KGE), relative au statut des maîtres sous contrat des établissements d'enseignement privés. On discerne aussi la volonté du Conseil constitutionnel de préserver la sérénité des débats et de placer pleinement les observations en intervention dans le contradictoire, les parties au litige devant être en mesure, dans toute la mesure du possible, d'y répliquer au stade de l'instruction écrite. Point de mémoire en intervention conservatoire !

Des observations en intervention peuvent être partiellement irrecevables. Tel est ce qu'a considéré avec pragmatisme le Conseil à propos des observations en intervention présentées par la Section française de l'Observatoire international des prisons (OIP) dans l'affaire n° 2013-320 /321 QPC du 14 juin 2013 (N° Lexbase : A4732KGD), relative à l'absence de contrat de travail pour les relations de travail des personnes incarcérées. Ces observations portaient sur l'ensemble de l'article 717-3 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9399IET) alors que seule la première phrase du troisième alinéa de cet article était concernée par la QPC. Elles allaient au-delà du texte lui-même pour mettre en cause, selon ce que rapportent les commentaires officiels, "la situation si souvent dénoncée de 'non-droit' qui affecte le travail des personnes détenues" et "trouve son fondement dans la disposition soumise au contrôle du Conseil constitutionnel". Dès lors, cette intervention n'a été jugée recevable qu'en tant qu'elle conteste la première phrase du troisième alinéa de l'article 717-3.

C - Effets dans le temps des décisions du Conseil constitutionnel

Suivant la règle selon laquelle la déclaration d'inconstitutionnalité doit, en principe, bénéficier à l'auteur de la QPC, le Conseil constitutionnel précise que la déclaration d'inconstitutionnalité des dispositions de l'article L. 224-1 du Code de l'environnement (N° Lexbase : L9456IW7) est applicable immédiatement (Cons. const., décision n° 2013-317 QPC du 24 mai 2013 N° Lexbase : A8147KD4). Selon la formulation habituelle, elle prend effet à compter de la publication de la décision et elle est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date. La même solution est logiquement retenue dans la décision n° 2013-328 QPC du 28 juin 2013 (N° Lexbase : A7733KHU) à propos de l'article L. 135-1 du Code de l'action sociale et des familles (N° Lexbase : L5651HDN) aujourd'hui abrogé, la déclaration d'inconstitutionnalité portant sur une infraction pénale.

Plus étonnant, le Conseil constitutionnel a précisé que la déclaration d'inconstitutionnalité du c) de l'article 35 de la loi du 29 juillet 1881 (N° Lexbase : L7589AIW) prend aussi effet à compter de la publication de la décision et est applicable à toutes les imputations diffamatoires non jugées définitivement à cette date (Cons. const., décision n° 2013-319 QPC du 7 juin 2013 N° Lexbase : A1526KGM). Il s'agit là d'une solution assez rigoureuse dans la mesure où, au fond, les conséquences de cette déclaration d'inconstitutionnalité peuvent paraître importantes.

Dans l'affaire n° 2013-318 QPC du 7 juin 2013 (N° Lexbase : A1525KGL), en faisant usage de l'article 62 alinéa 2, deuxième phrase, de la Constitution (N° Lexbase : L0891AHH), le Conseil étend le bénéfice de la rétroactivité procédurale au-delà de l'instance principale et des instances en cours, jusqu'à la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de la déclaration d'inconstitutionnalité (3). En effet, il ajoute que "les peines définitivement prononcées avant cette date sur le fondement de cette disposition cessent de recevoir application".

Enfin, dans sa décision n° 2013-323 QPC du 14 juin 2013 (N° Lexbase : A4734KGG), le Conseil reporte les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité au 1er janvier 2014. Ce choix résulte d'une appréciation fine des effets de sa décision sur un sujet complexe. D'abord, ainsi que le précise le Conseil dans ses commentaires officiels, l'inconstitutionnalité résultant non pas de l'application des critères à la répartition de la dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle (DCRTP) et du fonds national de garantie individuelle des ressources (FNGIR) calculée en 2011, mais du maintien de cette répartition pour les années ultérieures, alors que d'autres critères s'appliquaient à d'autres EPCI et communes, il eût été contradictoire que le Conseil fît produire des effets à la déclaration d'inconstitutionnalité pour l'année 2011. En outre, il est jugé "qu'une déclaration d'inconstitutionnalité qui aurait pour effet d'imposer la révision de la répartition des montants perçus au titre de la [DCRTP] et des montants prélevés ou reversés au titre du [FNGIR] en raison de la modification de périmètre, de la fusion, de la scission ou de la dissolution d'un ou plusieurs établissements publics de coopération intercommunale au cours de l'année 2011 à compter de l'année 2012 aurait des conséquences manifestement excessives". De sorte que le Conseil n'a pas souhaité que les calculs pour l'année 2013 soient remis en cause en cours d'année.

D - Articulation avec le contrôle de conventionalité de la loi

La décision n° 2013-314 P QPC du 4 avril 2013 (N° Lexbase : A4672KBN) marquera la procédure constitutionnelle contentieuse et, plus largement, constitue un point d'articulation entre les contrôles constitutionnel et européen. Pour la première fois, le Conseil constitutionnel a saisi la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle. On n'y insistera pas ici, mais la QPC s'inscrivait dans le cadre particulier de l'article 88-2 de la Constitution (N° Lexbase : L0912AHA) aux termes duquel "la loi fixe les règles relatives au mandat d'arrêt européen en application des actes pris par les institutions de l'Union européenne". Afin d'être en mesure d'exercer son contrôle de constitutionnalité de l'article 695-46 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L6733IXN), le Conseil constitutionnel a saisi la CJUE, seule compétente pour se prononcer à titre préjudiciel sur l'interprétation des dispositions de la décision-cadre du 13 juin 2002, relative au mandat d'arrêt européen. Il a donc sursis à statuer, alors que ni la Constitution, ni les dispositions de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel (N° Lexbase : L0276AI3), relatives à la QPC, ne le prévoient.

Par arrêt du 30 mai 2013 (CJUE, 30 mai 2013, aff. C-168/13 PPU N° Lexbase : A0388KGH), la CJUE a jugé que les dispositions contestées ne découlaient pas nécessairement des actes pris par les institutions européennes. Tirant les conséquences de cet arrêt préjudiciel, le Conseil a procédé au plein contrôle de leur constitutionnalité. La décision n° 2013-314 QPC du 14 juin 2013 (N° Lexbase : A4731KGC) a ainsi été rendue "au regard de l'interprétation" donnée par la Cour de justice et c'est "dès lors que [celle-ci] a jugé [...]" que la contrariété à la Constitution a pu être constatée.

De façon générale, la position du Conseil s'inscrit parfaitement dans la ligne jurisprudentielle qu'il a développée quant à l'articulation des contrôles de constitutionnalité, de conventionalité et de compatibilité avec le droit de l'Union. Elle en constitue délibérément, selon une stratégie juridictionnelle parfaitement maîtrisée, un élément de consolidation et même de concrétisation. Deux enseignements plus spécifiques peuvent d'ores et déjà être tirés.

En premier lieu, le renvoi préjudiciel se trouve bien intégré, dans son principe même, au contrôle de constitutionnalité, ainsi qu'il l'est assez largement en contentieux constitutionnel comparé. Il s'agit d'une voie de droit nécessaire (TFUE, art. 267 N° Lexbase : L2581IPB) lorsque le Conseil n'est pas compétent pour déterminer le sens de dispositions d'origine externe (la décision-cadre mise en application par la disposition législative contestée) dont dépend la compréhension d'une disposition constitutionnelle ainsi, par voie de conséquence, que l'exercice du contrôle de constitutionnalité (4). On peut toutefois se demander jusqu'où se limitera cette intégration, circonscrite à l'hypothèse dans laquelle le contrôle de constitutionnalité implique l'interprétation de dispositions européennes, mais qui pourrait s'étendre à l'article 88-3 de la Constitution (N° Lexbase : L0913AHB). En logique pure, la démonstration selon laquelle le Conseil ne peut poser de question préjudicielle lors de l'examen des lois de transposition de Directives dans le cadre de son contrôle a priori (5) n'est nullement invalidée, mais elle se trouve, de fait, quelque peu émoussée dès lors qu'elle repose sur un argument temporel, sinon identique (le délai pour statuer a priori est d'un mois) de même nature, avec lequel le Conseil n'a pas hésité à composer pour rendre la décision n° 2013-314 P QPC.

En effet, en second lieu, la question épineuse de la compatibilité d'un tel renvoi avec le délai de trois mois dans lequel le législateur organique enserre la prise de décision QPC du Conseil constitutionnel trouve un début de solution. Le Conseil constitutionnel s'appuie sur l'argument juridique selon lequel le sursis à statuer a justement pour effet de suspendre ce délai. Pour être fort, l'argument cache mal que la circonstance que le Conseil fait nécessairement prévaloir l'exigence européenne de renvoi sur une contrainte constitutionnelle procédurale qui l'oblige en principe à statuer dans un délai restreint. En définitive, cette dernière obligation est seulement invoquée comme l'un des arguments à l'appui de la demande faite à la CJUE de statuer en urgence (6), ce qu'elle a de fait accepté.

On estimera peut-être que l'esprit de la réforme QPC, qui est de statuer le plus rapidement possible, est plus ou moins sauf. Et c'est bien le cas ici car, au final, le Conseil aura définitivement statué en à peine peu plus de trois mois (la QPC lui avait été renvoyée par un arrêt de la Chambre criminelle du 19 février 2013). On jugera plus contestable que le calendrier soit ainsi maîtrisé par la seule Cour de Luxembourg, sous la seule garantie incantatoire du fameux "dialogue des juges" dont on peut, au demeurant, relativiser la portée dès lors que la CJUE n'a pas accepté de statuer en urgence parce que la procédure de la QPC l'exigeait mais au motif que "le requérant au principal est actuellement privé de liberté et que la solution du litige au principal est susceptible d'avoir une incidence non négligeable sur la durée d'une telle privation" (7). Autrement dit, en l'état, rien ne permet de garantir que la CJUE ne puisse retourner une question préjudicielle posée par le Conseil constitutionnel dans ses délais habituels d'un an... Voilà qui place intelligemment la CJUE devant ses responsabilités.


(1) Notre ouvrage, Droit de la question prioritaire de constitutionnalité, Lamy, 2011, n° 245 et s.
(2) Notre ouvrage, Droit de la question prioritaire de constitutionnalité, 2011, n° 74.
(3) Voir nos obs., Les effets dans le temps des décisions QPC. Le Conseil constitutionnel, 'maître du temps''' ? Le législateur, bouche du Conseil constitutionnel ?, Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, 2013, n° 40, pp. 63-83.
(4) A. Levade, note in JCP éd. G, n° 29, 15 juillet 2013, 842.
(5) Cons. const., décision n° 2006-540 DC du 27 juillet 2006 (N° Lexbase : A5780DQ7).
(6) Il s'agit de la procédure préjudicielle d'urgence dite "PPU", dont le délai moyen de règlement est de deux mois et demi.
(7) Point 31 de la décision.

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