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par Vincent Vantighem
le 23 Juin 2022
Habituellement, tout le monde préfère rester très discret au sujet des Conventions judiciaires d’intérêt public (CJIP). Mais celle conclue, jeudi 16 juin, aux dépens de McDonald’s a fait beaucoup réagir. D’abord, Jean-François Bonhert, le procureur national financier, qui s’est félicité d’une « sanction réelle » qui permet de « répondre aux fraudes transnationales ». Et puis aussi, la Direction générale des finances publiques (DGFIP), qui a estimé que l’accord répondait « à une double exigence d’équité fiscale et de justice », l’égalité des concitoyens devant l’impôt étant « plus que jamais une priorité de l’action de l’État ».
Il faut dire que l’addition est très salée pour la chaîne de fast-food. Afin d’éviter des poursuites pour fraude fiscale, McDonald’s a accepté de payer 1,25 milliard d’euros aux autorités françaises, à travers cette Convention judiciaire. Le président du tribunal judiciaire de Paris, Stéphane Noël, a, en effet, validé, jeudi 16 juin, le paiement d’une amende d’intérêt public d’un montant de 508 millions d’euros. Au surplus, le géant de la restauration rapide a également reconnu qu’il allait verser 737 millions d’euros au fisc au titre de l’impôt sur les sociétés, auquel il avait échappé entre 2009 et 2020 grâce au schéma de fraude fiscale dont il était soupçonné. Conclue donc avec le parquet national financier, cette Convention est la plus importante à ce jour, en matière de fraude fiscale. Les mauvaises langues n’hésitant pas à lier le montant de l’amende acceptée par McDonald’s au fait que la multinationale avait visiblement des choses à se reprocher en la matière…
Des redevances entre la France et le Luxembourg pour éluder l’impôt
Pour bien comprendre toute cette affaire, il faut en réalité remonter à janvier 2016. À l’époque, le parquet national financier avait ouvert une enquête préliminaire pour « fraude fiscale » après le dépôt de deux plaintes : l’une du comité d’entreprise de McDonald’s Ouest Parisien et l’autre de la CGT McDonald’s Ile-de-France.
Les investigations ont permis d’établir que la chaîne de restauration, dans le collimateur du fisc depuis 2014, avait diminué artificiellement ses bénéfices en France, à partir de 2009. Comment ? Au moyen de redevances versées par les restaurants français à la maison mère européenne basée au Luxembourg, au motif de « l’exploitation de la marque McDonald’s ». En clair : les restaurants français versaient à la maison-mère une obole pour pouvoir prétendument mettre une pancarte McDonald’s sur leurs devantures.
La martingale n’était pas innocente : elle conduisait « à absorber une grande partie des marges dégagées par les restaurants et à minorer les impôts payés par les différentes structures du groupe », a précisé Stéphane Noël, le président du tribunal judiciaire de Paris.
Il a fallu pousser l’entreprise « dans ses retranchements »
À l’annonce de la décision, McDonald’s, qui avait provisionné 500 millions de dollars dans ses comptes du premier trimestre 2022, a salué « la fin » d’un litige « sans reconnaissance de faute » et a assuré « tout mettre en œuvre pour se conformer aux lois ». Une déclaration d’intention qui est restée en travers de la gorge de Guillaume Hézard, le patron du puissant Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCCIF), qui a mené l’enquête pendant des années.
« La collaboration avec McDonalds [pour aboutir à cette Convention] est très tardive, elle date de 2020 », a-t-il indiqué à l’Agence France Presse, rappelant que l’enquête avait été « longue » et « complexe » et qu’il avait fallu pousser « l’entreprise dans ses retranchements » pour l’emmener vers cet accord plutôt que vers un procès public. Une prise de parole rare autant que nécessaire afin de rétablir la vérité dans ce dossier. Car au final, l’amende record que McDonald’s va devoir verser représente « 2,5 fois le montant de l’impôt éludé » pendant des années par le groupe, selon Jean-François Bonhert, le patron du Parquet national financier.
Et l’affaire n’en restera sans doute pas là. En parallèle de ce dossier, Antoine Jocteur-Monrozier, vice-procureur du PNF, a indiqué que la firme rendue célèbre par le personnage de Ronald McDonald’s était « en train de négocier un accord préalable de prix de transfert avec les différents pays concernés pour assurer ou encadrer la façon dont les taux de redevance [problématiques] vont être établis à l’avenir ». Autrement dit, que McDonald’s allait tout faire pour entrer dorénavant dans le droit chemin.
Lésés, les salariés pourraient désormais réclamer des comptes « à titre individuel »
Et puis, le géant peut aussi s’attendre désormais à des attaques venant directement de ses salariés. « Cette décision ouvre pour les salariés la possibilité de recours civils, qu’ils sont assez sûrs de gagner sur la base des fautes commises par leurs dirigeants qui les ont privés de leurs chances d’avoir une participation », a indiqué Eva Joly, avocate et ancienne candidate à l’élection présidentielle en France et qui défend avec sa fille, Caroline, des plaignants lésés dans ce dossier.
« Avec ce système, on était condamné à ne pas pouvoir toucher les fruits de notre travail », a rappelé Gilles Bombard, ancien secrétaire du Comité d’entreprise qui a confirmé l’intention des plaignants d’ouvrir « un nouveau volet » procédural « au niveau individuel. Une coalition de syndicats européens (EPSU, EFFAT) et américain (SEIU) ont évoqué, de leur côté, un « camouflet » pour la firme et une « victoire » pour les salariés. Quant aux finances publiques françaises, elles savent désormais que les impôts de McDonald’s n’arriveront plus dans leurs caisses par hasard.
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