La lettre juridique n°909 du 9 juin 2022 : Rupture du contrat de travail

[Pratique professionnelle] Focus sur les conditions de négociation et de rédaction de la transaction en droit du travail

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N1746BZP

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par Elodie Pastor, Avocat, Docteur en droit, Barthelemy avocats

le 09 Juin 2022

Le présent article est issu d’un dossier spécial intitulé « Rédiger une transaction en droit du travail » et publié dans l’édition n° 909 du 9 juin 2022 de la revue Lexbase Social. Le sommaire de ce dossier est à retrouver en intégralité ici N° Lexbase : N1748BZR.


Mots-clés : transaction • droit du travail • validité • forme • négociations

Aux termes de l’article 2044 du Code civil N° Lexbase : L2431LBN, la transaction se définit comme un contrat écrit par lequel les parties, par des concessions réciproques, terminent une contestation née ou préviennent une contestation à naître. La conclusion d’un tel acte a pour finalité de faire obstacle à l’introduction ou à la poursuite d’une action en justice ayant le même objet [1]. Des conditions de forme et de fond doivent toutefois être respectées afin d’éviter, notamment, des contestations ultérieures et la mise en cause de l’accord intervenu.


À titre liminaire, il convient de relever que l’article 2044 du Code civil dispose que le contrat de transaction est un contrat écrit. La jurisprudence précise toutefois que cet écrit n’est pas une condition de validité du protocole d’accord transactionnel, mais uniquement un élément de preuve [2]. La rédaction d’un écrit semble néanmoins incontournable [3]. Celui-ci constitue le premier rempart face aux éléments susceptibles de mettre en cause l’accord conclu (vices du consentement, conditions de validité et inexécution de l’accord par les parties). Il n’existe toutefois pas de protocole d’accord transactionnel type. La rédaction de ce dernier (II.) dépendra, en effet, des négociations intervenues en amont (I.).

I. Le temps des négociations

Le temps des négociations est essentiel. Il conditionne, pour partie, la validité du protocole d’accord transactionnel rédigé au terme de ce processus. C’est à ce stade qu’il convient de vérifier, conformément au droit commun des contrats, l’objet et la cause du litige, la capacité et le consentement des parties.

Objet et cause. La transaction doit avoir un objet et une cause licite. Elle ne doit pas avoir pour finalité un résultat prohibé par la loi ou contraire à l’ordre public.

Il résulte de cet élément qu’il ne saurait être conclu de transaction dans le cadre de certains contentieux. L’article L. 482-4 du Code de la Sécurité sociale N° Lexbase : L5326ADM dispose ainsi que toute convention contraire aux dispositions légales sur les accidents du travail et les maladies professionnelles est nulle de plein droit. En conséquence, le protocole aux termes duquel le salarié renonce à son action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur est nul de plein droit [4].

De la même manière, un salarié protégé ne saurait valablement renoncer à son statut protecteur. Rien ne l’empêche, toutefois, de conclure avec son employeur un accord visant à régler les conséquences pécuniaires de la rupture de son contrat de travail lorsqu’un licenciement a été notifié [5].

Enfin, il convient de rappeler que la conclusion d’un protocole d’accord transactionnel n’est pas de nature à empêcher d’éventuelles poursuites pénales lorsque les faits litigieux sont constitutifs d’un délit par exemple.

Capacité. Conformément à l’article 2045 du Code civil N° Lexbase : L3308IQL, il faut avoir, pour transiger, la capacité de disposer des objets compris dans la transaction.

La question de la capacité est notamment susceptible de se poser lorsque la transaction est conclue avec un représentant de l’employeur. Dans cette hypothèse, et bien qu’il soit recommandé de s’assurer que ce dernier dispose bien d’une délégation de pouvoirs lui permettant d’agir en ce sens, il est à noter que la Cour de cassation considère que le salarié n’est pas obligé de vérifier les limites exactes des pouvoirs du signataire lorsque celui-ci s’est comporté comme le représentant de la société [6].

Consentement. C’est au stade des négociations que doit également être délivrée aux parties, et plus particulièrement au salarié, l’information nécessaire à la conclusion d’un accord en pleine conscience. À défaut, une action en nullité de l’accord conclu pourrait être envisagée pour vice du consentement. La preuve qu’un vice a été de nature à affecter son consentement devra alors être apportée, faute de quoi la transaction sera jugée valable dès lors qu’elle comporte des concessions réciproques.

Dans l’hypothèse où les parties seraient assistées par un avocat, ce dernier serait bien évidemment débiteur d’une obligation de conseil à leur égard.

La plus stricte objectivité dans les relations avec les parties devra, en outre, être observée si l’avocat se trouve être le rédacteur unique de l’acte. Il devra alors veiller à l’équilibre des intérêts en présence et prendre l’initiative de renseigner et de conseiller les deux parties à l’acte sur la portée et les incidences des engagements souscrits de part et d’autre [7].

À cet égard, et afin d’éviter toute confusion et/ou tension au cours des négociations, il apparait opportun de sensibiliser notamment le salarié sur le différé spécifique d’indemnisation appliqué par Pôle emploi. Celui-ci est calculé en divisant le montant des indemnités de ruptures supérieures au minimum légal par 90 et est d’une durée minimale de 180 jours. Un tel différé pourrait effectivement affaiblir l’opportunité de conclure une transaction pour les salariés ayant une ancienneté et une rémunération significatives.

Il est néanmoins important de préciser qu’une transaction ne saurait être attaquée pour une erreur de droit. Il a ainsi été jugé que l’erreur de droit commise par l’une des parties à un protocole d’accord transactionnel quant au montant de l’indemnité qui lui aurait été due en l’absence de cet accord est sans influence sur l’existence et la validité de celui-ci [8]. Il a été jugé de même à propos d’erreurs sur des droits incertains [9].

Réflexion. En tout état de cause, il est recommandé, en pratique, de laisser au salarié au terme des négociations un délai de réflexion suffisant pour garantir son consentement libre et éclairé. La jurisprudence ne fixe aucun délai précis. La durée de celui-ci devra être appréciée au regard de l’importance des concessions consenties.

II. Le temps de la rédaction

Passé le temps des négociations et de la réflexion, les parties peuvent formaliser, par écrit, les engagements pris de part et d’autre.

Date de conclusion. À titre liminaire, il convient de rappeler que la signature d’un protocole d’accord transactionnel n’emporte pas pour effet de rompre le contrat de travail. Dès lors, si les parties souhaitent transiger sur les conséquences liées à la rupture du contrat de travail, elles ne peuvent valablement le faire qu'une fois la rupture intervenue et définitive. Si la transaction fait suite à un licenciement, elle ne pourra donc intervenir qu’après réception par le salarié de la lettre de licenciement notifiée par LRAR [10].

Objet du litige. La validité d’une transaction est subordonnée à l’existence d’un litige né à l’occasion de l’exécution du contrat de travail ou de sa rupture [11]. Il est donc recommandé, en tout premier lieu, de faire figurer dans le protocole d’accord transactionnel le ou les motifs du litige que les parties ont entendu régler. Les points de désaccord devront également être exposés.

À titre d’exemple, l’exposé du litige et les points de désaccord pourraient être présentés de la manière suivante :

« Madame Y a été engagée par la Société Z, par contrat à durée indéterminée en date du XX. La Convention collective nationale applicable est la Convention collective nationale XX. En sa qualité de secrétaire au sein de la Société Z, Madame Y était chargée du secrétariat et de l’assistanat des praticiens de la structure. Ainsi, compte tenu de ses fonctions, il était indispensable que Madame Y s’entende avec les praticiens.

La Société Z a toutefois pu déplorer une mésentente entre Madame Y et deux praticiens de la Société Z. À compter du mois de XX, il est apparu une dégradation des relations professionnelles. S’en sont suivi un climat délétère et des tensions au sein de l’équipe.

Madame Y a été licenciée par lettre RAR du XX après avoir été convoquée, par courrier LRAR en date du XX, à un entretien préalable qui s’est tenu le XX. Par courrier RAR en date du XX, la salariée a contesté son licenciement et a indiqué considérer cette mesure totalement injustifiée compte tenu de son implication et de la charge de travail démesurée qui était mise à sa charge.

Par suite, Madame Y a fait savoir qu’elle envisageait de saisir le conseil de prud’hommes en vue d’obtenir la condamnation de la Société Z à lui verser des dommages et intérêts.  Pour sa part, la Société Z confirme que Madame Y était à l’origine de la mésentente et qu’un tel comportement ne pouvait être toléré ».

Fort des désaccords qui les opposent, les parties doivent ensuite faire apparaitre dans le protocole d’accord transactionnel des concessions réciproques.

Concessions réciproques. Les concessions réciproques constituent une condition de validité de l’accord transactionnel [12]. Ces dernières n’ont pas à être proportionnelles. Elles doivent uniquement être réelles et ne pas être dérisoires [13].

Bien que les concessions réciproques portent généralement sur la renonciation à une action en justice en contrepartie d’une indemnité [14], l’article 2048 du Code civil N° Lexbase : L2293ABK dispose que les concessions réciproques peuvent porter sur « tous droits, actions ou prétentions ». Une attention particulière doit toutefois être portée quant à leur formalisation au sein du protocole d’accord transactionnel.

En effet, l’article 2048 précise que « les transactions se renferment dans leur objet : la renonciation qui y est faite à tous droits, actions et prétentions, ne s’entend que de ce qui est relatif au différend qui y a donné lieu ».

L’article 2049 du même Code N° Lexbase : L2294ABL dispose, par ailleurs, que « les transactions ne règlent que les différends qui s’y trouvent compris, soit que les parties aient manifesté leur intention par des expressions spéciales ou générales, soit que l’on reconnaisse cette intention par une suite nécessaire de ce qui est exprimé ».

Il résulte de ces dispositions que seuls les différends compris dans le champ d’application de la transaction ne pourront faire l’objet d’une action en justice.

La Cour de cassation semble toutefois adopter une interprétation extensive des transactions rédigées en termes généraux. À titre d’illustration, dans un arrêt du 17 février 2021 N° Lexbase : A18524H3, la Haute juridiction décide d’inclure une clause de non-concurrence à laquelle l’employeur n’avait pas renoncé au moment du licenciement et en contrepartie de laquelle la salariée réclamait l’indemnité prévue au contrat dans l’objet d’une transaction rédigée en termes généraux. Elle énonce ainsi qu’aux termes de la transaction litigieuse, « les parties reconnaissaient que leurs concessions réciproques étaient réalisées à titre transactionnel, forfaitaire et définitif [...] ceci afin de les remplir de tous leurs droits et pour mettre fin à tout différend né ou à naître des rapports de droit ou de fait ayant pu exister entre elles et déclaraient, sous réserve de la parfaite exécution de l’accord, être totalement remplies de leurs droits respectifs et renoncer réciproquement à toute action en vue de réclamer quelque somme que ce soit » [15].

Cette interprétation est à nuancer lorsque la transaction est conclue pendant l’exécution du contrat de travail comme en témoigne un arrêt du 16 octobre 2019 N° Lexbase : A9371ZRI [16]. Au cas d’espèce, une transaction avait été conclue entre un employeur et une salariée qui contestait sa classification. Cette dernière renonçait à tout recours en échange d’un rappel de salaire et d’un nouveau coefficient. La Cour de cassation considère que les faits de discrimination invoqués par la salariée quelques années plus tard sont postérieurs à la signature de la transaction et se rattachent à une période de travail également postérieure. Elle juge donc l’action de la salariée sur ce fondement recevable.

C’est donc avec la plus grande prudence qu’il convient de rédiger les concessions auxquelles les parties se sont engagées.

Confidentialité. Le protocole d’accord transactionnel peut, enfin, comporter une clause de confidentialité, ou de « non-dénigrement », à l’égard des tiers.

La Cour de cassation s’est d’ailleurs prononcée à l’égard de ces clauses. Dans un arrêt daté du 14 janvier 2014 N° Lexbase : A7772KTZ, elle a notamment considéré que « des restrictions peuvent être apportées à la liberté d’expression pour assurer la protection de la réputation et des droits d’autrui dès lors que ces restrictions sont proportionnées au but recherché » [17].

À titre d’illustration, une clause de confidentialité pourrait être rédigée ainsi :

« Les parties s’engagent enfin expressément l’une à l’égard de l’autre et vis-à-vis des tiers, sauf ceux habilités par la loi ou les règlements, à observer la plus totale discrétion en ce qui concerne :

  • l’existence de la présente transaction (s’interdisant notamment d’y faire référence ou de formuler toute remarque ambiguë ou insinuation laissant entendre ou supposer qu’il aurait conclu une transaction) ;
  • son contexte et en particulier les motifs de son licenciement ;
  • les conditions et interlocuteurs de sa négociation ;
  • son contenu.

Dans ce cadre, les parties s’interdisent en toute circonstance :

  • de communiquer à un tiers la présente transaction, qu’il s’agisse de son original, d’une copie ou de simples extraits ;
  • de répondre à d’éventuelles sollicitations ou questionnements de tiers concernant les raisons et conditions du départ de l’entreprise ;
  • de prendre une quelconque initiative de commentaire spontané sur ces aspects, que ce soit dans le cadre d’un cercle privé ou en public.

Monsieur X reconnaît expressément que les conditions ainsi posées par la Société sont légitimes et proportionnées au regard des concessions qui lui sont faites, et ne portent pas atteinte à sa liberté d’expression.

Plus généralement, les parties s’interdisent réciproquement tout dénigrement, toute diffamation.

Notamment, la Société s’engage à ne rien faire, écrire, dire, suggérer ou entreprendre qui puisse porter atteinte, de quelque manière que ce soit, à l’image et à la considération de Monsieur X. La Société s’engage, dans l’éventualité où un recruteur la contacterait, à n’émettre aucun jugement, avis ou commentaire négatif relatif aux compétences et à la personne de Monsieur X ».

Précisons cependant que la clause qui interdit au salarié de témoigner ou d’attester à l’encontre de son ancien employeur, y compris dans un litige concernant un autre salarié, est nulle. En effet, conformément aux articles 6 et 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la liberté de témoigner s’analyse en une liberté fondamentale à laquelle il ne saurait être apporté de limite par accord.

La rédaction d’un protocole d’accord transactionnel est un exercice minutieux et périlleux. Des imprécisions et/ou maladresses dans la formulation de certaines clauses pourraient priver celui-ci de son efficacité et emporter, comme vont s’attacher à l’exposer les développements suivants, de lourdes conséquences tant au plan fiscal que social.


[1] C. civ., art. 2052 N° Lexbase : L2430LBM.

[2] Cass. soc., 9 avril 1996, n° 93-42.254, inédit [LXB= A9963AT8].

[3] Autant d’exemplaires originaux que de parties.

[4] Cass. civ. 2, 1er juin 2011, n° 10-20.178, F-P+B N° Lexbase : A3135HTB.

[5] Cass. soc., 10 janvier 1995, n° 90-42.943, inédit N° Lexbase : A6209CQZ.

[6] Cass. soc., 1er décembre 1982, n° 80-41.399, publié N° Lexbase : A6965CEP.

[8] Cass. soc., 18 mars 1986, n° 83-41.846 N° Lexbase : A2785AAE, Bull. civ. V, n° 92 : au cas d’espèce, une erreur sur la convention collective applicable avait conduit au versement d’une indemnité de licenciement inférieure à celle à laquelle le salarié aurait pu prétendre.

[9] À propos de dommages et intérêts susceptibles d’être alloués par un juge : v. Cass. soc., 24 février 2004, n° 01-44.356, F-D N° Lexbase : A3800DBD.

[10] Cass. soc., 14 juin 2006, n° 04-43.123, FS-P+B N° Lexbase : A9429DPW.

[11] C. civ., art. 2044 N° Lexbase : L2431LBN.

[12] Cass. soc., 25 octobre 1990, n° 87-40.407 N° Lexbase : A3197AHU, Bull. civ. V, n° 515.

[13] Cass. soc., 17 mars 1982, n° 80-40.455 N° Lexbase : A8399CHK, Bull. civ. V, n° 180 et Cass. soc., 28 novembre 2000, n° 98-43.635, FS-P N° Lexbase : A9446AHC, Bull. civ. V, n° 399.

[14] La rédaction de la clause d’indemnité transactionnelle ne sera pas traitée dans cet article et fera l’objet d’un développement particulier dans ce dossier.

[15] Cass. soc., 17 février 2021, n° 19-20.635, FS-P+I N° Lexbase : A18524H3.

[16] Cass. soc., 16 octobre 2019, n° 18-18.287, FS-P+B N° Lexbase : A9371ZRI.

[17] Cass. soc., 14 janvier 2014, n° 12-27.284, FS-P+B N° Lexbase : A7772KTZ.

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