Le Quotidien du 13 mai 2022 : Droit pénal de la presse

[Brèves] #Metoo, #balancetonporc et la diffamation : la Cour de cassation rejette l’appréciation stricte de la base factuelle suffisante et reconnait le débat d’intérêt général consécutif à la libération de la parole des femmes

Réf. : Cass. civ. 1, 11 mai 2022, n° 21-16.156, FS-B N° Lexbase : A56227W7 ; Cass. civ. 1, 11 mai 2022, n° 21-16.497, FS-B N° Lexbase : A56347WL

Lecture: 7 min

N1468BZE

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Brèves] #Metoo, #balancetonporc et la diffamation : la Cour de cassation rejette l’appréciation stricte de la base factuelle suffisante et reconnait le débat d’intérêt général consécutif à la libération de la parole des femmes. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/84871032-commente-dans-la-rubrique-b-droit-penal-de-la-presse-b-titre-nbsp-i-metoo-balancetonporc-et-la-diffa
Copier

par Adélaïde Léon

le 24 Mai 2022

► Les erreurs de fait dans le récit d’une agression sexuelle dont la publication est poursuivie en diffamation ne sont pas de nature à discréditer l’ensemble des propos poursuivis dès lors qu’ils sont exprimés plus de sept ans et demi après les faits et que cette durée fait également obstacle à la recherche de témoins directs.

Les termes « balance » et « porc », s’ils sont outranciers, sont suffisamment prudents dès lors qu’ils forment un mot-dièse accompagnant un tweet reproduisant un message à caractère sexuel afin d’en dénoncer le contenu, ce qui permettait aux internautes de se faire leur idée personnelle sur ce comportement.

Rappel des faits et de la procédure.

Dans la première affaire (ci-après « affaire #balancetonporc »), un ex-patron de Equidia avait assigné une journaliste et la société Audiovisuel Business System Medi (ABDSM) au motif que la première aurait publié sur le compte twitter de la seconde le message suivant  : « "Tu as des gros seins. Tu es mon type de femme. Je vais te faire jouir toute la nuit." [E] [L] ex patron de Equidia #balancetonporc ». L’intéressé estimait que ce tweet était diffamatoire à son endroit.

Dans la seconde affaire (ci-après « affaire #Moiaussi »), c’est un ancien ministre de l’Intérieur qui a assigné en diffamation une femme ayant relaté, dans un article du 18 octobre 2017 intitulé : « #Moiaussi : pour que la honte change de camps » et publié sur le site www.itinera-magica.com, l’agression sexuelle que lui aurait infligée l’ancien haut fonctionnaire. Ce récit était également reproduit dans un article du 19 octobre 2017 sur le site www.lexpress.fr.

En première instance, les juges avaient fait droit aux demandes des deux hommes s’estimant diffamés.

En cause d’appel.

Dans l’affaire #balancetonporc, la cour d’appel a rejeté les demandes de l’ex-dirigeant estimant que les propos litigieux contribuaient à un débat d’intérêt général sur la dénonciation de comportements à connotation sexuelle non consentis de certains hommes vis-à-vis des femmes et de nature à porter atteinte à leur dignité.

La cour d’appel a retenu que les propos litigieux contribuaient à un débat d’intérêt général, que l’ex-directeur d’Equidia avait lui-même reconnu avoir tenu les propos qui lui étaient imputés dans la publication poursuivie, laquelle visait uniquement à dénoncer un tel comportement sans contenir l’imputation d’un délit et que les termes « balance » et « porc » ne conduisaient pas à lui attribuer d’autres faits. La cour d’appel a également considéré que ces deux termes étaient suffisamment prudents dès lors que le mot-dièse accompagnait les propos attribués, ce qui permettait aux internautes de se faire leur idée personnelle.

Les juges d’appel on déduit de ces constatations que les propos incriminés reposaient sur une base factuelle suffisante et demeuraient mesurés, de sorte que le bénéfice de la bonne foi devait être reconnu à l’autrice des propos.

Dans l’affaire #Moiaussi, la cour d’appel a considéré que, si les propos litigieux portaient atteinte à l’honneur ou à la considération de l’individu visé, ils s’inscrivaient dans un débat d’intérêt général consécutif à la libération de la parole des femmes à la suite d’une précédente affaire médiatique. Les juges ont retenu que, si l’autrice des propos avait commis des erreurs de fait dans son récit (relatifs à l’opéra représenté et à l’existence d’un entracte), celles-ci n’étaient pas de nature à discréditer l’ensemble de ses propos compte tenu de l’ancienneté des faits dénoncés, laquelle faisait également obstacle à la recherche de témoin direct. La cour d’appel a déduit de ses constatations que les propos dénoncés reposaient sur une base factuelle suffisante.

Dans les deux affaires, les hommes visés par les propos litigieux ont formé un pourvoi contre les arrêts d’appel.

Moyens des pourvois.

Dans l’affaire #balancetonporc, il était fait grief à la cour de n’avoir pas apprécié l’existence d’une base factuelle suffisante au regard de l’intégralité des propos « tenus par le diffamateur et dénoncés par le diffamé », de n’avoir pas constaté que la tenue d’un propos déplacé ne fait pas nécessairement de son auteur un harceleur, un prédateur, « termes qui impliquent, à travers le mot porc, un comportement général et répétitif dont la base factuelle suffisante devait être établie », de n’avoir pas examiné les pièces produites par lui, d’avoir retenu l’existence d’une prudence dans l’expression de la pensée et, enfin, d’avoir permis que l’exactitude partielle du fait dénoncé soit appréciée comme l’unique critère à prendre en compte dans la mise en balance entre le débat d’intérêt général autour de la libération de la parole des femmes, et la « grave atteinte à la dignité d’une personne ».

Dans l’affaire #Moiaussi, il était reproché à la cour d’appel de n’avoir pas recherché la preuve que les faits allégués étaient vraisemblables, de n’avoir pas considéré que des « erreurs de faits » étaient de nature à discréditer l’ensemble des propos poursuivis et donc à écarter la base factuelle suffisante, d’avoir pris en considération, dans son appréciation de cette base factuelle, des pièces et témoignages non pertinents et, pour certains, ne se rapportant pas aux faits dénoncés.

Décisions. Dans les deux affaires, la première chambre civile de la Cour de cassation a rejeté les pourvois au visa des articles 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales N° Lexbase : L4743AQQ et 29, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse N° Lexbase : L7589AIW.

La Cour rappelle qu’il résulte de ces articles que la liberté d’expression « ne peut être soumise à des ingérences que dans les cas où elles constituent des mesures nécessaires au regard du paragraphe 2 du premier de ces textes ». Plus spécifiquement, en matière de diffamation, la Cour souligne que si l’auteur des propos incriminés soutient qu’il était de bonne foi, il appartient aux juges de rechercher si lesdits propos s’inscrivent dans un débat d’intérêt général et reposent sur une base factuelle suffisante. Ils examinent à cette fin si celui-ci (les quatre critères étant cumulatifs) :

  • s’est exprimé dans un but légitime ;
  • était dénué d’animosité personnelle ;
  • s’est appuyé sur une enquête sérieuse ;
  • a conservé prudence et mesure dans l’expression.

Dans l’affaire #balancetonport, la première chambre civile précise par ailleurs que si le débat d’intérêt général et la base factuelle suffisante sont réunis, les juges peuvent apprécier moins strictement les quatre critères, notamment l’absence d’animosité personnelle et la prudence dans l’expression.

Dans cette même affaire, la première chambre civile a considéré que la cour d’appel avait analysé le sens et la portée de l’ensemble du message incriminé et mis en balance les intérêts en présence et en a déduit à bon droit que les propos incriminés reposaient sur une base factuelle suffisante et demeuraient mesurés, de sorte que la bonne foi devait être reconnue à leur autrice.

Dans l’affaire #Moiaussi, la Cour de cassation juge que c’est à bon droit que la cour d’appel a jugé que les propos incriminés reposaient sur une base factuelle suffisante et que le bénéfice de la bonne foi devait être reconnu à leur autrice.

Pour aller plus loin : E. Raschel, ÉTUDE : Les justifications en droit de la presse, Les faits justificatifs spéciaux, La justification de la diffamation, La bonne foi du diffamateur, in Droit de la Presse (dir. E. Raschel), Lexbase N° Lexbase : E6400Z8K.

newsid:481468

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.