Réf. : Cass. com. 3 avril 2013, n° 12-15.492, F-P+B (N° Lexbase : A6369KBI)
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par Christine Lebel, Maître de conférences HDR à la Faculté de Droit de Nancy (Université de Lorraine, Institut François Gény, EA 1138, Nancy)
le 16 Mai 2013
I - Le délai de prescription d'une action fondée sur les règles de droit des sociétés
Dans la présente affaire, les conventions réglementées litigieuses avaient été passées entre, d'une part, la SARL de l'ancienne dirigeante et, d'autre part, une société du groupe, selon le cas soit une société anonyme, soit une autre SARL. Pour cette raison, le régime juridique des conventions précitées diffère légèrement.
Tout d'abord, en matière de société anonyme, les conventions intervenant directement ou indirectement ou par personne interposée entre la société et l'un de ses dirigeants (2) ou associé ayant une certaine influence sur le vote de l'assemblée générale (3), doivent être soumise à l'autorisation préalable du conseil d'administration. Il en est de même lorsque la convention intervient entre la société et une entreprise si le dirigeant est également gérant de celle-ci. Ces conventions sont appelées des conventions réglementées (4) en raison de leur régime juridique. Dans la présente affaire, certaines conventions litigieuses répondent à cette définition pour avoir été conclue entre la dirigeante de la SA qui était par ailleurs gérante de la SARL unipersonnelle cocontractante. Par la suite, elles doivent être approuvées par l'assemblée générale (5). Ainsi, la procédure comporte deux étapes : l'autorisation préalable du conseil d'administration puis l'approbation de l'assemblée générale. Le non-respect de cette procédure est sanctionné différemment (6) en fonction de l'étape non respectée. Ainsi, le défaut d'autorisation peut entraîner la nullité de la convention, alors qu'en application de l'article L. 225-41 du Code de commerce (N° Lexbase : L5912AIS), elle produit ses effets à l'égard des tiers, qu'elle soit ou non approuvée par l'assemblée générale de la société. Toutefois, en cas de conséquences préjudiciables à la personne morale, la convention qui n'a pas été approuvée peut être mise à la charge de l'intéressé, et éventuellement à celle des autres membres du conseil d'administration. Ainsi, une convention réglementée peut être annulée soit pour défaut d'autorisation du conseil d'administration (absence ou refus d'autorisation, selon le cas) soit en cas de fraude (7). Dans ce cas, l'action en nullité doit être intentée dans un délai de trois ans à compter de la date de la convention litigieuse (8).
Le régime juridique des conventions réglementées est un peu différent pour les SARL. Tout d'abord, son champ d'application vise les conventions intervenues directement ou par personnes interposées entre la société et l'un de ses associés. L'organisation sociale étant plus simple, il n'existe pas d'autorisation préalable donnée par un organe car il s'agit d'un contrôle a posteriori (9). Il est nécessaire de solliciter l'approbation de l'assemblée des associés. On notera, toutefois, que cette approbation doit être préalable, c'est-à-dire que l'assemblée doit avoir été convoquée et doit avoir statué avant l'exécution de la convention réglementée lorsqu'il n'existe pas de commissaire aux comptes. De manière analogue, les conventions non approuvées produisent leurs effets à l'égard des tiers (ce qui est logiquement car le contrôle est réalisé a posteriori) laissant toutefois à la charge du gérant ou de l'associé les conséquences du contrat qui seraient préjudiciables à la société (10). Dans ce cas, une action en responsabilité peut être engagée dans un délai de trois ans à compter de la date de la conclusion de la convention (11), sauf dissimulation.
Lorsque la convention a été dissimulée, le point de départ pour intenter l'action en nullité ou en responsabilité est reporté. Ainsi, le point de départ du délai de la prescription est reporté à l'égard de la personne qui exerce l'action (12), et non à la date de révélation de la convention à l'assemblée générale comme l'exigeait auparavant la jurisprudence (13).
Ainsi, la nullité de la convention réglementée est possible en application de la réglementation applicable à la société anonyme, alors que le régime juridique propre à la SARL ne la prévoit pas. Toutefois, celle-ci est possible, en application du droit commun des contrats (14) ou de la théorie de l'abus de majorité (15). C'est l'option choisie par le nouveau dirigeant pour tenter de remettre en cause les conventions passées par l'ancien dirigeant du groupe de sociétés.
II - Le délai de prescription d'une action fondée sur les règles du droit civil
Dans la présente affaire, le nouveau dirigeant prétendait que les conventions réglementées litigieuses passées entre l'une des sociétés du groupe et la SARL de l'ancienne dirigeante n'étaient pas valables au motif qu'elles avaient été frauduleusement conclues. Il prétendait également que n'étant pas valables, la prescription de l'action en nullité ne pouvait courir. En effet, les dispositions du droit des sociétés étaient totalement inefficaces, car les conventions lui avaient été révélées depuis plus de trois ans. Dans ces conditions, et en application de la solution jurisprudentielle actuelle (16), la demande de nullité ne pouvait prospérer pour la SA, et l'action du dirigeant aurait été limitée à la recherche de la responsabilité de la gérante pour la SARL. Celle-ci étant décédée, l'action n'avait pas d'intérêt.
Devant les juges du fond, le dirigeant prétendait que la prescription de son action ne pouvait lui être opposée dans la mesure où celle-ci ne court pas en cas de fraude ou lorsque le contrat litigieux n'a pas été valablement formé. Cette argumentation avait été rejetée par les juges du fond, qui avaient limité les actions sur le fondement des articles L. 225-42 et L. 223-23, respectivement, du Code de commerce. La censure est prononcée. Tout d'abord la Cour de cassation rappelle que la prescription triennale de l'action en nullité fondée sur l'inobservation des dispositions applicables aux conventions réglementées ne s'applique pas lorsque leur annulation est demandée pour violation des lois ou principes régissant la nullité des contrats. Puis, elle ajoute que la prescription triennale de l'action en responsabilité ne s'applique pas aux actions tendant à l'annulation d'une convention pour violation des lois et principes régissant la nullité des contrats.
Par conséquent, la nullité d'une convention réglementée peut être demandée pour "violation des lois et principes régissant la nullité des contrats", confirmant ainsi la solution déjà formulée pour une SARL. Elle est étendue à la société anonyme, car seule la fraude est formellement énoncée à l'article L. 225-42 du Code de commerce. En outre, le dirigeant fondait son action sur "le principe selon lequel la prescription ne court pas contre les contrats non valables" (17). En effet, conformément à certaines solutions jurisprudentielles, l'action en nullité absolue du contrat est imprescriptible lorsqu'elle sanctionne son inexistence, c'est-à-dire qu'il lui manque un élément essentiel, car le temps ne peut rendre valable un acte dépourvu d'existence légale (18). Toutefois, la première chambre civile chambre civile de la Cour de cassation a jugé qu'une action en constatation de l'inexistence d'un contrat est soumise à la prescription de droit commun (19). Appliquée aux circonstances de la présente affaire, l'action en nullité serait alors soumise à la prescription de droit commun. Par conséquent, et en application de l'article 2222 du Code civil, l'action ne serait pas prescrite, le nouveau dirigeant pourrait alors demander la nullité des conventions litigieuses, s'il arrive toutefois à rapporter la preuve de l'existence d'une cause de nullité. Telle sera sa mission devant la cour d'appel de renvoi ! Suite au prochain (épisode) arrêt...
(1) CA Paris, Pôle 5, 9ème ch., 19 janvier 2912, n° 10/24473 (N° Lexbase : A9911IAC).
(2) C. com., art. L. 225-38, al.1er (N° Lexbase : L5909AIP).
(3) C. com., art. L. 225-38, al.1er (N° Lexbase : L5909AIP).
(4) R. Vatinet, Les conventions réglementées, Rev. Sociétés, 2001, p. 561 ; B. Dondéro, Les conventions réglementées, réduire les incertitudes, Bull. Joly Sociétés, 2012, p. 190 ; J.-J. Ansault, J. Cl. Sociétés Traité, Fasc 130-50, Contrats entre les administrateurs et la société.
(5) C. com., art. L. 225-40 (N° Lexbase : L5911AIR).
(6) M. Cozian, A. Viandier et Fl. Deboissy, Droit des sociétés, LexisNexis, 25ème éd., 2012, n° 632.
(7) C. com., art L. 225-41, al.1er (N° Lexbase : L5912AIS).
(8) C. com., art L. 225-42 (N° Lexbase : L5913AIT).
(9) Cass. com., 7 juillet 2009, n° 08-16.790, FS-P+B (N° Lexbase : A7391EIL), JCP éd. E, 2009, 2124, note D. Gallois-Cochet ; Dr. Sociétés, 2009, comm. 182 ; Rev. Sociétés, 2009, p. 801, note B. Saintourens ; Bull. Joly Sociétés, 2009, p. 127, note B. Dondero ; J.-B. Lenhof, Contrôle des conventions dans une SARL : paradoxes sur la mise en oeuvre du régime des conflits d'intérêts, Lexbase Hebdo n° 362 du 10 septembre 2009 - édition privée (N° Lexbase : N7415BL9).
(10) C. com., art. L. 223-19, al. 3 (N° Lexbase : L5844AIB).
(11) C. com., art. L. 223-23 (N° Lexbase : L5848AIG) ; CA Paris, 25 juin 1991, Bull. Joly Sociétés, 1991, p. 929, note Ch. Hannoun ; CA Agen 3 avril 2007, Dr. Sociétés, 2007, comm. 198, note J. Monéger.
(12) Cass. com., 8 février 2011, n° 10-11.896, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A9585GSS), Bull. civ. IV, n° 20 ; D., 2011, p. 515, obs. A. Lienhard, p. 1314, note N. Molfessis et J. Klein, p. 1321, note F. Marmos ; Dr. Sociétés, 2011, comm. 70, note M. Roussille ; Rev. Sociétés, 2011, p. 288, note P. Le Cannu ; Rev. Lamy Dr. Aff, avril 2011, p. 10, note D. Gibirila ; Gaz.Pal., 8-9 juin 2011, note A. Zattara-Gros ; Banque et droit, mars-avril 2001, p. 70, obs. I. Riassetto ; RTDF, 2011, n° 3, p. 93, obs. D. Porracchia ; J.-B Lenhof, Point de départ de la prescription dans le cadre de conflits d'intérêts : un revirement de jurisprudence de la Chambre commerciale de la Cour de cassation, Lexbase Hebdo n° 242 du 10 mars 2011 - édition affaires (N° Lexbase : N6360BRY).
(13) Cass. com., 24 février 1976, n° 74-13.185 (N° Lexbase : A5086AYZ), Rev. Sociétés, 1977, p. 88, note Y. Chartier.
(14) Cass. com., 22 mai 2001, n° 98-15.472 (N° Lexbase : A4781ATA), Dr. Sociétés, 2001, comm.. 130, note F.-X. Lucas.
(15) Cass. com., 21 janvier 1997, n° 94-18.483 (N° Lexbase : A1213CWT), Bull civ. IV, n° 26, D., 1998, p. 64, note I. Krimmer, som. 181, obs. J.-C. Hallouin, Rev. Sociétés, 1997, p. 527, note B. Saintourens ; Bull. Joly Sociétés, 1997, p. 312, note P. Le Cannu ; JCP éd. E, 1997, II, 2296, note F.-X. Lucas.
(16) Précitée note 11.
(17) Cf., CA Paris, 19 janvier 2012, préc. note 1.
(18) Cass. civ., 16 novembre 1932, DH 1933, p. 4 ; S. 1934, 1, p. 1, note P. Esmein ; Cass. com., 28 avril 1987, n° 86-16.084, inédit (N° Lexbase : A5659C4D), RTDCiv., 1987, n° 4, p. 746, obs. J. Mestre qui, à propos d'un contrat dépourvu d'objet, énonce que "les actes dont la nullité est absolue étant dépourvus d'existence légale ne sont susceptibles ni de prescription ni de confirmation". Cf., également, G. Baudry-Lacantinerie et A. Tissier, Traité théorique et pratique de droit civil, De la prescription, Lib. de la soc. du recueil général des lois et des arrêts, Paris, 2ème éd., 1899, n° 589 ; M. Mignot, JCL Civil Code Art. 2219 à 2223, Fasc. unique : Prescription extinctive, Dispositions générales, spéc. n° 107.
(19) Cass. civ. 1, 1er avril 2003, n° 00-22.631, FS-P+B sur le 1er moyen (N° Lexbase : A6574A7M), Bull. civ. I, n° 94 ; D., 2003, p. 1229, obs. C. Rondey ; JCP éd. G, 2003, II, 10109, note N. Monachon Duchêne ; Defrénois, 2003, p. 859, obs. E. Savaux et p. 861, obs. J.-L. Aubert.
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