Lexbase Affaires n°338 du 16 mai 2013 : Sociétés

[Jurisprudence] Les conditions de validité des clauses de rupture du contrat de travail pour changement de direction de la société employeur

Réf. : Cass. soc., 10 avril 2013, n° 11-25.841, FS-P+B (N° Lexbase : A0793KCD)

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N6993BT8

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par Bernard Saintourens, Professeur à l'université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur de l'Institut de recherche en droit des affaires et du patrimoine - IRDAP

le 16 Mai 2013

Par son arrêt en date du 10 avril 2013, la Chambre sociale de la Cour de cassation réaffirme qu'est licite la clause contractuelle, qui permet au salarié de rompre le contrat de travail, ladite rupture étant imputable à l'employeur, en cas de changement de direction, de contrôle, de fusion-absorption ou de changement significatif d'actionnariat entraînant une modification importante de l'équipe de direction (sur cet arrêt, cf. les obs. de G. Auzero, Validité des clauses de rupture du contrat de travail pour changement de dirigeant social, Lexbase Hebdo n° 526 du 1er mai 2013 - édition sociale N° Lexbase : N6910BT4). Cette licéité est soumise à deux conditions : que la clause soit justifiée par les fonctions du salarié au sein de l'entreprise et qu'elle ne fasse pas échec à la faculté de résiliation unilatérale du contrat par l'une ou l'autre des parties. La Cour de cassation avait posé les bases de sa jurisprudence sur ce point de droit lors d'un arrêt de la Chambre sociale, en date du 26 janvier 2011 (Cass. soc., 26 janvier 2011, n° 09-71.271, FS-P+B, sur le 1er moyen N° Lexbase : A8543GQH, S. Tourneaux, La validité des clauses de rupture du contrat en cas de changement de l'actionnariat de la société, Lexbase Hebdo n° 427 du 10 février 2013 - édition sociale N° Lexbase : N3509BRE ; RDT, 2011, p. 175 ; notre note, Bull. Joly Sociétés, 2011, p. 434), et l'on peut sans doute considérer qu'il s'agit d'une position stable dès lors que, pour l'essentiel, l'arrêt du 10 avril 2013 en reprend l'attendu de principe.

Le cas de figure ici en cause était assez simple. Une personne avait été engagée, le 1er septembre 2005, par une société anonyme cotée en qualité de salarié pour exercer des fonctions de directeur des activités de cette société pour les régions Europe et Sud Amérique. Son contrat de travail comportait une clause l'autorisant à quitter son emploi et percevoir une indemnité de départ si divers évènements, touchant la direction et le contrôle de la société, venaient à se réaliser. Il s'agissait donc bien, en l'espèce, d'une clause de rupture du contrat de travail à l'initiative du salarié mais demeurant imputable à l'employeur, prenant en compte des aspects de l'évolution de la société elle-même (fusion, changement de contrôle, changement de la direction). Le cadre juridique de ce type de clause, application originale d'un intuitus societatis, peut donc être considéré comme stabilisé par l'oeuvre de la Cour de cassation.

Une singularité est toutefois attachée au présent arrêt en ce que le salarié concerné avait été désigné, quelques mois après la signature de son contrat de travail, comme membre du directoire de la société. En considération de ce cumul d'un contrat de travail avec un mandat social, le pourvoi invoquait alors une obligation de soumission de ladite clause à la procédure des conventions dites réglementées, passées entre la société et l'un de ses dirigeants, telle que prévue à l'article L. 225-79-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L9222HZL). A défaut de respect de cette procédure d'autorisation, la société entendait contester la validité de cette clause.

Pour tenir compte de la portée globale de l'arrêt commenté, il faut donc envisager distinctement les conditions générales de licéité tenant à la clause du contrat de travail (I) et les conditions particulières qui peuvent être imposées dans l'hypothèse de cumul du contrat de travail avec un mandat social (II).

I - Les conditions générales de licéité tenant à la clause du contrat de travail

Pour l'essentiel, le présent arrêt retient les critères déjà établis par la Cour de cassation pour la validité des clauses dites de "changement de direction", parfois incluses dans le contrat de travail des hauts cadres des sociétés.

La première condition tient aux fonctions exercées par le salarié au sein de la société. C'est bien parce que le salarié est chargé de mettre en oeuvre, au plus haut niveau, la politique définie par les organes de direction et, plus généralement par les actionnaires qui contrôlent la société, qu'une proximité de vue et une adhésion du salarié mérite d'être prise en compte. Chargé de la direction opérationnelle d'une importante partie de l'activité mondiale de la société, ce lien du salarié avec la direction et les actionnaires majoritaires est traduit par la clause dite de "changement de direction". L'arrêt commenté relève bien que cette première condition de licéité de la clause se trouve remplie au regard de l'importance des fonctions qui lui avaient été attribuées dans la société, au titre de son contrat de travail.

La seconde condition de validité, tenant à ce que la clause ne fasse pas échec à la faculté de résiliation unilatérale du contrat de travail par l'un ou l'autre des parties, est bien mentionnée par l'arrêt mais n'est pas véritablement contrôlée par la Cour de cassation. Il est vrai que cette condition est un peu présumée remplie dès lors que, non seulement, la clause en question n'évoque pas un tel aspect de la rupture du contrat de travail, mais qu'en toute hypothèse l'article L. 1231-4 du Code du travail (N° Lexbase : L1068H9G) énonce que le salarié et l'employeur ne peuvent renoncer par avance au droit de se prévaloir des règles prévues par le titre du code consacré à la rupture du contrat de travail à durée indéterminée. On peut même se demander quel serait l'effet d'une stipulation qui prévoirait, dans la clause de "changement de direction", que seraient écartés les autres modes de rupture du contrat de travail. Une telle stipulation pourrait être déclarée non-écrite, sans pour autant emporter l'invalidation de l'ensemble de la clause.

Il a été pertinemment relevé que ces clauses permettant au salarié de mettre un terme à son contrat de travail s'inspirent de la clause de conscience reconnue par l'article L. 7112-5 du Code du travail (N° Lexbase : L3090H9C) au profit du journaliste (D. Corrignan-Carsin, note sous l'arrêt, JCP éd. G, 2013, Actu. 503). Elles sont tout de même spécifiques en ce qu'elles sont réservées à une catégorie de salariés, cadres de haut niveau, dont le périmètre n'est pas exactement défini. On relèvera également qu'une attention particulière doit être apportée à la rédaction de la clause lorsqu'elle identifie les évènements déclenchant les droits octroyés au salarié. Dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt précité du 26 janvier 2011, la clause retenait, notamment, "tout changement significatif d'actionnariat entraînant une modification importante de l'équipe de direction". La fragilité de la clause tenait à la discussion toujours possible du caractère "significatif" et "important" des évènements visés. La clause en question dans l'arrêt sous examen ne présentait pas ce défaut puisqu'elle identifiait précisément le changement de contrôle de la société par référence à un pourcentage supérieur à 33 % du capital social. Sans doute, compte tenu des enjeux, convient-il en effet de retenir un libellé qui ne prête pas à discussion lors de la mise en oeuvre par le salarié du droit qui lui est reconnu de rompre, aux torts de l'employeur, le contrat de travail, à la suite du changement de direction ou d'actionnariat de la société.

II - Les conditions particulières de licéité en cas de cumul avec un mandat social

Ajouté au Code de commerce par la loi n° 2005-842 du 26 juillet 2005 (N° Lexbase : L5001HGC), et modifié par la loi n° 2007-1223 du 21 août 2007 (N° Lexbase : L2417HY8), l'article L. 225-79-1 prévoit, en effet, que dans les sociétés dont les titres sont admis aux négociations sur un marché règlementé, en cas de nomination aux fonctions de membre du directoire d'une personne liée par un contrat de travail à la société (ou à toute société contrôlée ou qui la contrôle au sens des II et III de l'article L. 233-16 du Code de commerce N° Lexbase : L6319AIU), les dispositions dudit contrat correspondant, le cas échéant à des éléments de rémunération, des indemnités ou des avantages dus ou susceptibles d'être dus à raison de la cessation ou du changement de ces fonctions, ou postérieurement à celles-ci, sont soumises au régime prévu par l'article L. 225-90-1 (N° Lexbase : L9223HZM), c'est-à-dire à la procédure d'autorisation des conventions dites réglementées.

Alors que la société anonyme concernée invoquait le non-respect de cette procédure pour tenter d'échapper à l'application de la clause incluse dans le contrat de travail, la Cour de cassation juge que n'est pas soumise à cette procédure d'autorisation la clause prévoyant une indemnité de départ, contenue dans un contrat de travail conclu régulièrement et sans fraude à une date à laquelle le bénéficiaire n'était pas encore mandataire social. Considérant qu'en l'espèce, le contrat de travail comportant la clause litigieuse avait été conclu dix mois avant la désignation du salarié comme mandataire social, cette clause, non soumise à la procédure spéciale d'autorisation, devait recevoir application. Il s'agit bien ici d'une position de principe sur le champ d'application de l'article L. 225-79-1 du Code de commerce. A la seule lecture de cet article, le doute paraît toutefois permis. Il ne nous semble pas que son application dépende de l'antériorité de la clause sur l'accès aux fonctions de membre du directoire. Bien au contraire, l'hypothèse légale envisagée est justement celle, comme en l'espèce, d'une personne déjà liée à la société par un contrat de travail qui accède ensuite à la fonction de membre du directoire. Ce que vise le texte ce sont des clauses rémunératoires, incluses dans le contrat de travail, mais qui ont pour facteur déclenchant la cessation ou le changement des fonctions de membre du directoire (voir sur ce point, nos obs., Les réformes du droit des sociétés par les lois du 26 juillet 2005 pour la confiance et la modernisation de l'économie et du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises, Rev. Sociétés, 2005, p. 527 ; C. Malecki, La loi Breton et les rémunérations des dirigeants sociaux : le long chemin vers la transparence, Bull. Joly Sociétés, 2005, p. 1194). Le paramètre chronologique, invoqué par la Chambre sociale ne nous paraît rien à voir dans cette affaire.

En réalité, ce qu'il convient d'examiner, c'est si la clause prévoit le versement de sommes à la suite de l'accès du salarié aux fonctions de membre du directoire ou seulement en considération du sort de son contrat de travail. Juridiquement, les hypothèses ne doivent pas être confondues. Ici, à notre avis, la clause litigieuse devait trouver à s'appliquer et n'entrait pas dans le champ d'application de l'article L. 225-79-1 tout simplement parce que son contenu ne visait que la relation fondée sur le contrat de travail et était sans lien avec l'éventuel accès de l'intéressé à la fonction de membre du directoire ; évènement qui pouvait d'ailleurs ne jamais avoir lieu.

Notre sentiment est qu'il ne faudrait pas tenir pour acquis cette conception du champ d'application de l'article L. 225-79-1 du Code de commerce. On peut penser qu'un tel contentieux qui pourrait aboutir devant la Chambre commerciale si le point d'entrée de l'affaire concernait, par exemple, l'accès aux fonctions de membre du directoire, ne donnerait pas lieu à la même position. Prudemment, on conseillera de soumettre à la procédure d'autorisation des conventions règlementées les stipulations d'un contrat de travail, même conclu antérieurement à l'accès aux fonctions de membre du directoire, dès lors qu'elles comporteraient des droits à rémunération (indemnités diverses) liés à la cessation des fonctions de membre du directoire.

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